On célébrait davantage et plus religieusement le 6 janvier « autrefois » (disons du temps de ma jeunesse…). Pour les catholiques, l’Épiphanie commémore un événement relaté dans l’Évangile selon Mathieu, la visite de l’enfant Jésus par les rois mages Gaspard, Melchior et Balthazar, d’où le nom de « Fête des rois ». L’Épiphanie terminait le « temps de Fêtes » et sonnait le début d’une diète plus équilibrée.
Le cantique qu’on entonnait en chœur le 6 janvier est sûrement resté accroché à la mémoire des plus vieux :
« De bon matin j’ai rencontré le train
De trois grands rois qui allaient en voyage
De bon matin j’ai rencontré le train
De trois grands rois dessus le grand chemin ».
Les origines de ce noël populaire remonteraient au XVe siècle. Certaines sources l’attribuent à René 1er (1409-1480), surnommé par ses sujets provençaux le « Bon Roi René », qui fut duc d’Anjou, comte de Provence, roi de Naples et roi titulaire de Jérusalem. Transmis de génération en génération par tradition orale, ce cantique fut publié pour la première fois dans le Recueil des noëls provenceaux composé par le sr Nicolas Saboly,… Nouvelle édition, augmentée du Noël fait à la mémoire de M. Saboly, et de celui des Rois, fait par J.-F. D., ouvrage imprimé à Avignon en 1763.
Le premier des huit couplets de La Marcho Di Rei allait comme suit :
De matin, Ai rescountra lou trin
De tres grand Rèi qu’anavon en vouiage ;
De matin, Ai rescountra lou trin
De tres grand Rèi dessus lou grand camin.
Ai vist d’abord De gardo cors,
De gènt arma em’uno troupo de page,
Ai vist d’abord De gardo cors,
Tóuti daura dessus si just-au-cors.
Le « J.-F. D. » mentionné dans le titre du recueil était l’ancien curé d’Aramon (commune du Gard), Joseph-François Domergue, né en 1691, mort à Avignon en 1729. C’est lui qui a écrit, ou simplement consigné par écrit, selon une autre hypothèse, les paroles du cantique populaire qu’il disait chanté sur l’« air de la Marche de Turenne », une œuvre attribuée à Jean-Baptiste Lulli – ou Lully – (1632-1687), compositeur français d’origine italienne.
Si Lulli a composé la musique, sur quel air pouvait bien chanter le roi René deux siècles plus tôt ? Lulli a peut-être composé sa Marche de Turenne en s’inspirant d’un air qui circulait déjà. À moins que la paternité du « bon roi René » ne soit que légende ? Tout n’est qu’hypothèse sur cette question que l’auteur des Miettes de l’histoire de Provence (1902) comparait au tonneau des Danaïdes, « tonneau sans fond dans lequel chaque controversiste apporte en pure perte son seau, toujours absolument vide de sérieux arguments ».
La suite de l’histoire est mieux connue. En 1872, Georges Bizet (1838-1875) compose une musique de scène pour L’Arlésienne, drame en trois actes qu’Alphonse Daudet (1840-1897) a tiré d’une nouvelle de ses Lettres de mon moulin (1869). Bizet s’inspire d’authentiques chants provençaux dont la célèbre « Marche des Rois ».Créée à Paris le 1er octobre 1872, la pièce de Daudet est retirée de l’affiche après vingt représentations mais Bizet extrait de sa musique une suite orchestrale qui remportera un succès jamais démenti.
Quant au texte de la « Marche des rois », tel qu’on le connaît aujourd’hui, et dont on trouvait un couplet au dernier acte de la pièce éditée en 1872, Daudet l’a probablement rédigé en français moderne à la même époque. On l’a vue éditée au moins une fois avec la mention « Musique de Georges Bizet » mais on reconnaît généralement qu’elle est l’œuvre de Lulli, et que Bizet n’a fait que l’arranger pour L’Arlésienne, comme l’écrit d’aileurs Daudet.
(Pour écouter: http://www.youtube.com/watch?v=BQx7vH_6SQ0)
I
De bon matin, j’ai rencontré le train
De trois grands Rois qui allaient en voyage
De bon matin, j’ai rencontré le train
De trois grands Rois dessus le grand chemin.
Venaient d’abord des gardes du corps,
Des gens armés avec trente petits pages,
Venaient d’abord es gardes du corps,
Des gens armés dessus leurs justaucorps.
II
Puis sur un char doré de toutes parts,
On voit trois Rois modestes comme des anges,
Puis sur un char doré de toutes parts,
Trois Rois debout parmi les étendards.
L’étoile luit et les Rois conduit
Par longs chemins devant une pauvre étable,
L’étoile luit et les Rois conduit
Par longs chemins devant l’humble réduit.
III
Au Fils de Dieu qui naquit en ce lieu
Ils viennent tous présenter leurs hommages,
Au Fils de Dieu qui naquit en ce lieu
Ils viennent tous présenter leurs doux vœux.
De beaux présents, or, myrrhe et encens,
Ils vont offrir au maître tant aimable,
De beaux présents, or, myrrhe et encens,
Ils vont offrir au bienheureux enfant.
(Deuxième partie la semaine prochaine)
(Sources principales : http://www.nimausensis.com/Gard/ImageMois/MarcheDesRois/LesRoisMages.htm; http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Arl%C3%A9sienne_(Bizet).
Une réflexion au sujet de « La Marche des rois (I) »
Les commentaires sont fermés.
Formidable! Pas mal plus intéressant que ce que j’avais à dire sur la Fête des rois!