Les observateurs du cabinet

Regardez bien la photo officielle du cabinet Couillard en avril dernier : le lieutenant-gouverneur  et le premier ministre sont flanqués de deux personnages que bien peu de citoyens pourraient identifier. Non, ce ne sont pas des gardes du corps. (Mais on n’est pas très loin.)

Cabinet Couillard avril 2014

On s’attendrait à voir, aux côtés du chef de l’État et de son premier ministre, les titulaires de postes de premier plan comme la vice-première ministre (qui est reléguée plus loin), des vétérans comme Jean-Marc Fournier et Pierre Paradis, des méritants comme Pierre Moreau et Yves Bolduc, bref, les poids lourds du Conseil des ministres. Or, les deux personnages qui se trouvent le plus près du « pouvoir » ne font même pas partie du Conseil. Il s’agit du whip du gouvernement (Stéphane Billette), près du lieutenant-gouverneur, et de la présidente du caucus du « parti ministériel » (Nicole Ménard), à côté du premier ministre, .

Le whip est nommé par le premier ministre pour encadrer les membres de son groupe parlementaire. Comme on peut le lire sur le site de l’Assemblée nationale, il « s’assure notamment de la présence de ces derniers aux séances de l’Assemblée et des commissions où le quorum doit être maintenu et veille à la discipline du groupe. Il remplit diverses fonctions touchant des aspects matériels de la vie de ses collègues ».

Traditionnellement, le whip présidait le caucus mais, en 1982, estimant que celui qui présidait leurs réunions était devenu trop près de l’Exécutif, les députés du Parti québécois ont fait leur petite révolution en élisant un « président du Conseil des députés » pour « diriger leurs délibérations et les représenter auprès du gouvernement ». D’abord bénévole, le président du caucus a obtenu une indemnité de fonction en 1986. Puis, le caucus de l’Opposition officielle s’est lui aussi donné un président (1994), lequel a évidemment obtenu une indemnité quelques années plus tard. Les présidents de caucus sont aujourd’hui nommés par le chef du parti.

En 1994, probablement pour mieux digérer la perte de son portefeuille ministériel, le nouveau whip du Parti libéral (Vallières) obtient le privilège d’assister aux réunions du Conseil exécutif et ─ ce qui n’était sûrement pas dans les vues des frondeurs de 1982 ─ le président du caucus du Parti québécois bénéficie de la même faveur à compter de 2001.

Dans le cabinet Landry (2001), on les voit à peine (il faut dire qu’il y avait du monde…). Whip et président du caucus (les députés Morin et Gendron)  sont dans la dernière rangée alors que les piliers du cabinet occupent la première, avec madame la vice-reine.

Cabinet Landry 2001

En 2012, le conseil des ministres de madame Marois est moins imposant mais ceux qui n’y sont que des « auditeurs » (Blanchet et Dufour) se tiennent toujours discrètement en arrière.

cabinet marois 2012

C’était aussi le cas au Parti libéral en 2003. La photo officielle du cabinet Charest est difficile à trouver mais, à défaut d’une image claire, celle qui suit montre que le whip et le président du caucus n’étaient pas au premier plan.

Cabinet Charest 2003

En 2007, dans le mini-cabinet Charest, ils apparaissent soudain aux extrémités de la première rangée (MacMillan et Vallières).

cabinet Charest 2007

Puis, en 2008, les deux « observateurs » (Bergman et Moreau) se collent aux chefs (de l’État et du gouvernement), écartant de ce fait les poids lourds de l’Exécutif, dont la vice-première ministre.

Cabinet Charest 2008

Et, en 2010 (remaniement), ils permutent, tout en conservant leurs positions privilégiées.

Legis 20100811

C’est la même disposition qui sera reproduite en 2014 lors de la présentation du cabinet Couillard.

Qu’est-ce à dire ? Ce n’est pas un accident. Les cadres du parti ont préséance sur les ministres ? Ces photographies illustrent un double phénomène dont on parle depuis longtemps : la place croissante occupée par  les partis et l’Exécutif dans notre système parlementaire. Ils agissent comme les « trous noirs » dans l’espace : il n’y a pas grand-chose qui résiste à leur force d’attraction gravitationnelle.

[PS en janvier 2016: même observation en 2014 (photo ci-dessous)

Cabinet Couillard janvier 2016

PS2: puis, en 2018, avec la CAQ, les deux "auditeurs" ne sont plus dans le portrait!]

Cabinet Legault 2018-JDQ

 

 

10 réflexions au sujet de « Les observateurs du cabinet »

  1. Très intéressant comme d’habitude. Cela dit, je pense qu’on n’est pas prêt à se débarrasser des lignes rigides de parti, et ce, aux dépens de la démocratie. Pourtant, Denis Vaugeois avait fait de bonnes propositions à ce sujet… Mais ça écorchait le pouvoir de plusieurs bonzes de parti.

  2. En 1976, M. Lévesque a hérité d’un beau problème. Il avait une députation qui lui permettait de former au moins deux excellents cabinets. Ce fut encore « pire » en 1981. Que faire? C’est lui qui a pris l’initiative de commander une réflexion sur le fonctionnement du parlement. M. Lévesque avait une expérience parlementaire qui le rendait particulièrement sensible au rôle du Parlement et au travail des députés. Il est certain que son entourage immédiat s’accommodait, il faut bien le dire, d’un bureau du premier ministre très fort, pour ne pas dire omnipotent.
    M. Lévesque avait bien accueilli mon rapport sur la réforme parlementaire après m’avoir donné tout son soutien pendant sa préparation. Il avait même insisté pour que je le complète en quelques mois. Il en prit connaissance sans délai et demanda que le caucus en soit saisi et puisse en débattre rapidement. M. Lévesque était aussi démocrate qu’il est possible de l’être dans notre système parlementaire tel qu’il a évolué!
    Peut-être que certains ont pu percevoir la décision du caucus de procéder à l’élection d’un président comme le mouvement d’un groupe de « frondeurs », mais je crois que cette proposition allait beaucoup plus loin. Le rôle du whip est lié à la ligne de parti, celui du président du caucus établit une communication du caucus vers le premier ministre (et aussi l’inverse au besoin). Avant d’être alerté et bousculé par la rue, le premier ministre doit être alerté et informé par son caucus. Il doit aussi être nourri et alimenté pour ne pas dire inspiré par lui.
    M.Couillard nous renseignera progressivement sur sa perception du rôle de chacun et de l’importance qu’il accorde à celui du député. Il y a rumeur d’ajustement de salaire. Il a forcément l’obligation de s’employer à une réelle valorisation du rôle du député avec les risques que cela comporte pour le « bureau du premier ministre ». Il me semble que les élus doivent avoir la priorité.
    Ta présentation des derniers cabinets donne à réfléchir et soulève bien des questions. Qui est responsable de la disposition de l’ordre sur les photos présentées? Normalement, il y a un ordre protocolaire établi par les services compétents.
    À suivre.
    Denis Vaugeois

  3. Puisque tu parles des « frondeurs de 1982″, j’aimerais savoir comment et dans quel contexte l’ensemble des députés ont demandé d’élire eux-mêmes leur président, soit celui de l’Assemblée nationale, et de pouvoir le faire au vote secret.
    Étions-nous en présence d’une fronde généralisée? À noter que les conseillers des premiers ministres qui ont suivi ont bien mal compris ce désir de l’ensemble de la députation.
    Il n’est pas inutile de discuter ces questions.
    Outre le rôle que peut jouer un vrai parlement, le premier ministre lui-même doit se placer dans une position d’arbitre et ne pas se mettre à la merci de non-élus face aux élus.

    1. Sur l’élection du premier président de caucus, en 1982, je n’ai pu que faire état du résultat (i.e. un président a été élu) et imaginer que ça ne devait pas faire l’affaire des « autorités ». Les motifs des députés? Je n’ai pas eu le temps d’aller consulter la presse de l’époque. Je pensais qu’un député qui était là en 1982 pourrait m’éclairer… (;-)))

  4. En proposant une réflexion sur le rôle du parlement et le travail des députés, M. Lévesque a mis la rondelle au jeu. Mon rapport a certes provoqué une saine réflexion et lancé les discussions jusqu’à suggérer de commencer par le commencement, se donner un président qui exprimerait les points de vue du caucus. Il faut savoir que les ministres n’étaient pas très assidus. M. Lévesque par contre l’était. Lorsqu’une douzaine de ministres lui ont fait faux bond, il savait qu’il pouvait reconstituer facilement un excellent conseil des ministres.
    Ces jours derniers, j’ai visionné l’entrevue d’Herbert Marx à « Mémoires de députés ». Il a multiplié les initiatives avec brio et intelligence. Il n’était pas qu’un député de l’opposition. Je le donne volontiers comme modèle. Et je pourrais en identifier quelques autres. Mais ce genre de députés détonne un peu dans le système actuel. Il faudra un jour revenir à des commissions indépendantes de l’exécutif, comme en France par exemple. Également, le parlement doit redevenir le forum par excellence où les députés peuvent développer leur pensée et débattre avec le maximum de liberté.
    On ne pourra pas indéfiniment maintenir le modèle actuel.
    Désolé de ne pouvoir être plus précis pour la fronde de 1982. Tu sais bien que les péquistes ne mangent pas de ce pain-là.
    À suivre.

    1. Le problème est que les commissions actuelles sont théoriquement indépendantes de l’Exécutif. Tout est juridiquement parfait mais tout est arrangé en coulisses pour distribuer les présidences entre les députés « méritants », soit les ministériels qui n’ont pu accéder au Cabinet et les ex-ministres qui tombent de moins haut sur le plan salarial . I l faudrait augmenter le salaire de base des députés et éliminer les indemnités supplémentaires pour ces postes et plusieurs autres; ça ne sert que de carottes pour les chefs de partis.

  5. Tu as raison à propos des commissions, mais elles sont différentes de celles que je recommandais: commissions des lois, des finances, etc.
    Quant au salaire, il faut d’abord convenir et accepter qu’on ne va pas en politique pour le salaire.
    De toute façon, l’urgence est de réfléchir à la fonction, au rôle, à l’importance, etc.
    Si tout ce qu’on attend du député c’est qu’il vote aveuglément pour son parti, ça vaut combien?

  6. Une image vaut mille mots.

    Mais il faut un oeil (et surtout un esprit) exercé, pour réussir à tirer des constats à partir de la présence, et de la disposition, des personnes lors de l’assermentation du Conseil des ministres.

    L’historien (toujours lui!) y arrive, et le débat qui s’en suit attire évidemment les autres historiens, ainsi que les acteurs de l’époque, qui parfois ont les deux qualités !

    Fort intéressant de lire vos échanges !

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