Il a déjà été question de Rémi Tremblay (1847-1926) dans ce blogue. Ce journaliste se plaisait à décrire l’actualité en parodiant des chansons populaires, à la mode ou folkloriques. Ses pièces étaient souvent légères, et sans prétention littéraire, mais il en a produit de plus tragiques, comme Aux Chevaliers du nœud coulant (allusion aux bourreaux de Louis Riel…) qui lui fit perdre son poste de traducteur aux Communes. Celle qui suit constitue un véritable cours d’histoire pour les Canadiens français et prend pour titre la devise créée par Taché qui deviendra officielle en 1939.
Je me souviens du temps où les tendres caresses
De parents vénérés savaient sécher mes pleurs,
Où Clio, me narrant les antiques prouesses,
M’entrouvrait du passé les vastes profondeurs.
Je me souviens des jours de ma première enfance,
J’étais naïf alors et je le redeviens.
Des vieux actes de foi, d’amour et d’espérance,
Je me souviens.
Je me souviens d’un temps, qui reviendra peut-être,
Où le mérite avait le pas sur l’entregent,
Où l’on sacrifiait volontiers son bien-être
Au devoir, sans passer pour inintelligent,
Où le vice doré n’osait lever la tête,
Où la seule vertu comportait tous les biens.
D’un temps où l’on était tout simplement honnête.
Je me souviens.
Je me souviens — Voyez, si j’ai bonne mémoire
Alors que sur mon front douze lustres ont lui —
Je me souviens d’exploits consignés dans l’histoire
Qui scandaliseraient nos hommes d’aujourd’hui.
Si l’on mourait encor pour défendre sa race,
Lorsqu’ils verraient surgir des héros canadiens,
Nos froids calculateurs se voileraient la face.
Je me souviens.
Je me souviens aussi des jours de défaillance.
Où nos chefs, oublieux de notre dignité
Ont, après un semblant de molle résistance,
Laissé porter atteinte à notre liberté.
De tous les tyranneaux qui se disaient nos maîtres,
De ceux qui se sont faits leurs perfides soutiens,
Des lâches apostats, des vendus et des traîtres,
Je me souviens.
Je me souviens aussi des braves patriotes
Morts au champ de l’honneur: de tous ceux qui, jadis,
Ont su rester debout en face des despotes,
Réfractaires et sourds aux lâches compromis.
De ces fiers laboureurs qui, prompts comme la foudre,
Savaient se transformer en soldats-citoyens,
(Sans vivres, sans argent, sans fusils et sans poudre.)
Je me souviens.
Je me souviens de ceux qui, dans une autre sphère,
Ont su, par leurs écrits, leurs actes, leurs discours,
Assurer, sur le sol du nouvel hémisphère,
Des généreux efforts le précieux concours.
Des hardis découvreurs, prêtres et moralistes,
Poètes, romanciers, doctes historiens,
Apôtres du progrès, orateurs, journalistes,
Je me souviens.
Je me souviens. Malgré ce qu’on a feint de croire,
Je n’admettrai jamais qu’un malheureux traité,
Nous dérobant le fruit d’une ultime victoire,
Nous décerne un brevet d’infériorité.
Nos pères, en tous lieux signalant leur vaillance,
Se sont montrés du droit inflexibles gardiens.
Admirant leurs hauts faits, des gloires de la France,
Je me souviens.