En entrevue au Journal de Montréal, la nouvelle Donalda raconte que l’auteur de la série des Pays d’en haut, « savait que Claude-Henri Grignon avait subi l’influence de l’Église au moment d’écrire son roman, au début des années 1930. Ce dernier aurait reçu plusieurs lettres du cardinal Léger, alors prêtre, lui demandant de dépeindre Donalda en épouse soumise, histoire qu’elle «montre l’exemple» aux femmes » (http://www.journaldemontreal.com/2016/01/07/la-transformation-de-donalda).
Paul-Émile Léger aurait contribué à la « censure » de l’œuvre de Grignon dans les années 1930, une intervention qui aurait échappé à l’étude très fouillée faite par Sirois et Francoli dans l’édition critique parue aux PUM en 1986? Intriguant. Est-ce qu’on entre ici en pleine légende?
Dans Un homme et son péché, publié en 1933, Grignon définit le caractère d’une Donalda qui sera « soumise, chrétienne, obéissante » (1938). Il expliquera plus tard (dans un texte inédit publié par Sirois et Francoli) qu’elle ne constituait pas une exception. « Combien de mères de famille, combien d’épouses depuis des siècles se sont mariées sans aimer. Elles ne se plaignaient pas. Elles ne se révoltaient pas. Réfugiées dans le silence et la prière, elles trouvaient la force de résister à toutes les tentations […] Aujourd’hui, dans notre temps troublé, dans ce siècle de tumulte et de désordre, la femme, pour un oui ou pour un non, se révolte, se sépare et croit trouver le salut dans le divorce (cette invention de Satan) ». Celui qui, dit-on, « s’intéressait aux débuts du féminisme [?] » (L’Actualité, février 2016, page 55) se riait « des bas-bleus indécrottables, des femmes de lettres [qui] ont moqué et moqueront toujours Donalda pour la raison bien simple qu’elles n’entendent rien à cette grande mystique qui fut un personnage réel ».
La Donalda du roman ne sera pas fondamentalement différente dans la série radio qui débute en 1938 et dans la série télé qui suit en 1956. Grignon n’avait pas besoin des clercs pour le guider dans sa confection d’un rôle de femme « modèle » et à quel titre l’abbé Léger aurait-il pu influencer un auteur qui écrit seul dans un grenier de Saint-Adèle dans les années trente?
Au moment où Grignon écrit, Paul-Émile Léger est jeune prêtre à Paris. Ordonné en 1929, il a ensuite étudié à l’Institut catholique et enseigné au Séminaire Saint-Sulpice jusqu’en 1933. Il quitte alors Paris pour le Japon où il fonde un séminaire et ne revient au Canada qu’en 1939.
Paul-Émile Léger serait intervenu, une fois devenu cardinal (après 1953), pour guider Grignon dans la redéfinition d’un « caractère » déjà bien établi depuis vingt ans? S’il y a quelque chose, Donalda fait moins misérable à la télé que dans le roman où elle disparaissait rapidement.
PS (le 7 février 2016): échange sur cette question sur la page FB d’Éric Bédard avec un neveu de Grignon: