« Je pensais qu’un jour on raconterait notre histoire,
Comment on s’est rencontré et que les étincelles ont aussitôt volé,
Les gens diraient : « Ils sont chanceux ».
Je savais que ma place était à tes côtés,
Maintenant je cherche un siège vide dans la salle,
Car dernièrement je ne sais même plus sur quelle page tu es. »
Ce qui précède est la traduction (trouvée sur Internet) d’une chanson de Taylor Swift intitulée… The Story of Us. Ça ne s’invente pas. La thématique de cette chanson lancée en 2010 n’est pas très éloignée de celle du psychodrame qui nous occupe depuis quelques jours.
Je n’ai pas vu les premiers épisodes du docudrame de la CBC. Difficile de juger, dira-t-on, mais les nombreux commentaires qui ont été émis, dont la lettre collective publiée dans le Globe and Mail du 2 avril (http://www.theglobeandmail.com/opinion/new-series-the-story-of-us-is-not-the-story-of-canada/article34554022/), ne laisse pas de doute quant au choc qu’il provoque dans divers milieux.
Même Jean-Marc Fournier - il faut le faire - s’est quasiment insurgé en disant qu’il y « un os dans The Story of Us »… Ce sympathique mot d’esprit, étonnant de sa part, n’en a pas moins touché le point sensible : l’os, c’est justement l’« Us ».
Le sous-traitant de CBC, Bristow Global Media, a précisé ensuite dans un communiqué que la série a été commandée par les services anglais de CBC pour un public anglophone. Alors, de quoi s’étonne-t-on? Le sous-traitant a raconté au client l’histoire que son auditoire-cible aime entendre.
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En 1867, la Caledonian Society de Montréal a lancé un concours de chants patriotiques pour le nouveau Dominion. Le chant qui obtint le premier prix, This Canada of Ours, a été vite oublié. Le second, intitulé The Maple Leaf for Ever, était l’œuvre d’Alexander Muir, un fier partisan de l’Empire. Il connut une grande popularité au Canada anglais, devenant un hymne national de facto pour cette communauté, mais on ne put le faire accepter comme hymne officiel pour des raisons qui apparaissent évidentes à la lecture du premier couplet :
« In days of yore, from Britain’s shore,
Wolfe, the dauntless hero came,
And planted firm Britannia’s flag,
On Canada’s fair domain.
Here may it wave, our boast, our pride,
And joined in love together,
The thistle, shamrock, rose entwine,
The Maple Leaf forever! »
(On peut écouter la pièce sur le site suivant https://www.youtube.com/watch?v=wx_T1R026Wc, mais la lecture de certains commentaires est déconseillé aux bleeding hearts, comme disait un ancien premier ministre.)
Dans la tête de Muir, un militaire orangiste, le Canada commençait avec l’arrivée de Wolfe et sa panoplie d’emblèmes pouvait inclure le chardon, le trèfle et la rose, mais pas la fleur de lis.
Le Canada de Routhier et Lavallée avait aussi ses limites : dans le second couplet de leur Ô Canada, le « Canadien » né « d’une race fière » qui grandit « sous l’œil de Dieu, près du fleuve géant », était évidemment de souche française. Routhier et Lavallée l’avaient composé en 1880 pour servir de « chant national des Canadiens français » et n’avaient nullement la prétention d’en faire un hymne national pour le Canada. S’il l’est devenu, cent ans plus tard, au lendemain du premier référendum, c’est par un détournement de sens qui l’a émasculé : on a conservé le premier couplet du chant créé en 1880, pour les francophones, les anglophones chantent autre chose sur la musique de Lavallée et on mélange les deux pour les matchs de hockey. Les deux solitudes soliloquent en chœur.
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À plusieurs reprises, des âmes bien intentionnées ont promu l’idée d’un manuel d’histoire qui conviendrait aux enfants des deux peuples fondateurs. Ces vaines tentatives et la télésérie de CBC témoignent de la même situation inéluctable : les Canadiens français et les Canadiens anglais n’ont pas de passé commun.
Merci d’avoir remis les choses en place, histoire à l’appui. Et votre trouvaille : la chanson de Taylor Swift.
Tous les Canadiens français, au Québec ou ailleurs, vont haïr cette série qui paraît exhaler le mépris et l’arrogance des vainqueurs à l’endroit de leurs vaincus : nous. Mais comme elle n’existe pour l’instant qu’en anglais, auront-ils seulement l’occasion de la regarder ?
Combien de gifles de ce genre, combien d’affronts dans leur Maclean’s nous faudra-t-il endurer pour que nous nous dressions debout et que nous disions : ceci n’est plus notre maison, vous l’avez déformée, désormais nous partons de notre côté pour continuer à écrire l’Histoire de Nous.
Comme vous dites.
It is their story for their country, pas le mien.
Ce document s’ inscrit dans le processus de « nation Building ». Le nationalisme canadien est une construition idéologique qui n’est pas neutre. On ne retient dans ce document que les éléments conformes à une vision canadienne. Comme il y a deux nations, force est de constater que l’un des deux peuples fondateurs est nécessairement marginalisé.