(Mon collègue Denis Vaugeois a rédigé, sur Amherst et la variole, un article que Le Devoir n’a pas jugé suffisamment intéressant pour ses pages; il a demandé l’hospitalité de mon blogue pour diffuser ce texte qui n’engage que son auteur. )
Pauvre Amherst! La capitulation de Montréal le 8 septembre 1760 l’avait couvert de gloire. Il avait triomphé des forces françaises en Amérique du Nord. Dans le texte de la capitulation, il avait imposé ses quatre volontés. Tout lui semblait sous contrôle, lui qui avait le sens du détail, il n’avait rien oublié. Il ne lui restait qu’à attendre la signature du traité de Paris qui confirmerait la cession de la Nouvelle-France. Et voilà que le bruit d’une agitation dans la région des Grands Lacs lui parvenait. Londres commençait à s’inquiéter. On ne comprenait pas que quelques bandes d’Indiens puissent tenir tête au général Amherst.
Les victoires des Indiens sous la conduite du chef Pontiac et le soutien discret de quelques Canadiens s’accumulaient. Le colonel Henry Bouquet en poste dans la région n’avait que de mauvaises nouvelles. Pour ajouter aux difficultés, il signala en juin 1763 l’apparition de la variole dans la garnison. Le 7 juillet, Amherst ajoutait un post-scriptum : « could it not contrived to send the small pox among those disaffected tribes of Indians? We must, on this occasion, use every stratagem in our power to deduce them » (Ne devrait-on pas répandre la variole parmi les Indiens? Et recourir à tous les moyens à notre disposition pour les éliminer). Le 13 juillet, Bouquet se dit prêt à passer à l’action « and take care not to get the disease myself ». Il est en effet inquiet pour lui-même. Trois jours plus tard, Amherst lui demande « to try to inoculate the Indians by means of blankets […] to extirpate this Execrable race ».
Pendant que Bouquet et Amherst s’écrivaient, d’autres militaires étaient passés à l’action.
Le 24 juin 1763, le commandant Simon L’Écuyer avait remis à des chefs indiens deux couvertures et un mouchoir infecté. « J’espère que cela aura l’effet désiré », écrivait-il à Bouquet peu après.
La variole était déjà présente dans la région et on ne saura jamais quel impact aura le cadeau empoisonné de L’Écuyer.
Mais le « pire », si on peut dire, est à venir. La British Library conserve les Bouquet papers (ADD.21654F168) parmi lesquels se trouve une réclamation pour les frais encourus pendant le siège de Fort Pitt où se passe l’essentiel de cet épisode.
Les marchandises contaminées y figurent pour une valeur de 2 livres, 13 shillings et 6 pence. Le quartier-maître L.S. Ourry refuse des frais de transport et le remboursement de chandelles mais accepte le reste pour un total de 58 livres. Thomas Gage, successeur d’Amherst, autorise le paiement. La facture indique clairement qu’il s’agit de « sundry which were taken from people in the hospital to convey the small pox to the Indians ». Rappelons qu’il y a un « Chemin Gage » près de le rue Côte-des-Neiges.
La variole contre des frères de sang
Il y a beaucoup à dire sur les maladies apportées en Amérique par les Européens. L’épisode de Fort Pitt est une bien faible illustration des ravages inouïs causés par la variole. Les militaires avaient à composer avec cette maladie et plusieurs ont eu l’idée de s’en servir comme « arme de destruction massive » et pas seulement contre les autochtones.
En 1775, au tout début de la guerre d’indépendance, la variole réapparut autour de Boston alors occupée par des troupes britanniques. En mars 1776, celles-ci évacuaient la ville. Depuis des semaines, Washington soupçonnait l’ennemi de chercher à répandre la contagion. Prudent, il fait occuper la ville par une troupe d’un millier de soldats qui avaient été inoculés. À l’été, une forte épidémie y faisait rage.
Washington qui connaissait cette maladie, pour l’avoir eu à l’âge de 19 ans, mena de front la lutte aux Britanniques et à la variole. Celle-ci lui paraissait une plus grande menace que « the sword of the Enemy », le glaive ennemi. Malgré l’avis de ses médecins, il eut recours à un procédé assez primitif de variolisation appliquée à ses jeunes recrues. Au moment de les inscrire, on leur remettait un uniforme, un fusil et la variole à petite dose. La suite lui donnera raison.
Une vraie arme de destruction massive
Ce sont des médecins de Bagdad qui furent parmi les premiers à étudier cette maladie. Cette connaissance a été conservée de même que possiblement une souche de la variole.
Sous l’œil attentif du médecin officiel de la Maison Blanche, le docteur Richard Tubb, le président des États-Unis, George W. Bush, a reçu, à midi quinze, samedi le 21 décembre 2002, le vaccin contre la variole. La nouvelle a fait le tour de la planète. C’est un autre aspect de la mondialisation.
Une semaine plus tôt, le président Bush avait annoncé tout un plan de vaccination obligatoire pour plus d’un demi-million de soldats américains.
La variole a vidé l’Amérique de ses premiers occupants. Une nouvelle menace variolique serait un triste retour du pendule. Les Américains le savent, d’autres en ont l’intuition. Cette fois, les habitants de la planète entière sont comme les Indiens de 1492. Ils ne sont pas immunisés contre la variole. Sauf les plus âgés, ils ne l’ont jamais eue. La variole a été déclarée éradiquée en 1980, mais des souches subsistent, ce qui ouvre la porte à une possible épidémie mondiale. Pauvres de nous!