On commence à lire des réactions aux nouveaux critères introduits l’an dernier par les Fonds de recherche du Québec (FRQ) pour l’attribution des bourses de maîtrise et de doctorat.
Aux critères d’excellence (parcours universitaire, notes obtenues, prix, etc.) et à ceux qui portent sur la valeur intrinsèque du projet (originalité, pertinence, méthodologie, etc.) se sont ajoutés au printemps 2021 des critères de « mobilisation sociale » comme la « capacité d’engagement » et la prise en considération des objectifs de développement durable (ODD) et des objectifs d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI).
Dans La Presse, 18 novembre (« La mise au pas de la recherche »), quatre professeurs d’université dénoncent ces critères imposés « sur des bases strictement idéologiques, et sans véritable consultation » (https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2022-11-18/la-mise-au-pas-de-la-recherche.php).
« Ces critères à géométrie variable ont fort peu à voir avec le monde de la science. Si d’aventure ils conviennent à une thèse d’écologie appliquée, il n’en va pas de même dans le cas d’un mémoire consacré à la philosophie de René Descartes. […] Pour les candidats, ils ont de plus graves conséquences encore. Au cours de la dernière année, on en aura vu certains multiplier dans leur dossier les preuves de leur engagement citoyen : se dire représentants de la diversité sexuelle, faire du compost au fond de leur jardin, accompagner des membres vieillissants de leur famille dans une Résidence Soleil… »
Selon ces professeurs, les nouveaux critères mettent directement en cause la liberté universitaire :
« […] Il saute aux yeux que les critères ODD et EDI, introduits de force par les Fonds de recherche du Québec, entrent en contradiction ouverte avec la loi 32 destinée à garantir l’exercice de la liberté universitaire en dehors de toute « contrainte doctrinale, idéologique ou morale » (art. 3). »
Dans Le Devoir du 23 novembre, Patrick Moreau aborde la même question (https://www.ledevoir.com/opinion/idees/771859/point-de-vue-du-danger-de-confondre-recherche-scientifique-et-militantisme ):
« On devine sans trop de peine le genre de contorsions intellectuelles auxquelles on contraindra certains chercheurs qui seront sommés d’établir un lien entre leur sujet de recherche et l’un ou l’autre des ODD de l’ONU. À moins qu’afin de satisfaire aux exigences des ODD 5 (Inégalités entre les sexes) ou 10 (Inégalités réduites), ils ne se voient tous obligés de réorienter leurs recherches vers l’homophobie chez Aristote ou le sexisme des classiques — sujets en eux-mêmes pertinents, sauf à devenir un nouveau genre d’obligation morale.
De plus, ces critères ne concernent pas seulement les projets de recherche […], mais le demandeur lui-même, qui doit expliquer comment il met « sa pensée, sa parole et son action au service d’une cause collective ». On exige donc de lui qu’il prouve non seulement qu’il est apte à produire une recherche de qualité, mais aussi à quel point il est « progressiste ». »
Sa conclusion :
« […] est-ce vraiment à un organisme subventionnaire qui dispose de fonds publics d’imposer ses préférences idéologiques ? Surtout, n’est-il pas intolérable qu’un tel organisme public s’arroge le droit de juger de la vie privée et des opinions des personnes qui réclament son aide ? Car le choix de participer aux activités d’un organisme de bienfaisance comme celui de s’engager en faveur d’une cause quelconque relèvent bel et bien de la liberté individuelle.
Les FRQ ne devraient avoir à juger que des projets de recherche qui leur sont soumis, et en aucun cas de l’ »engagement » des personnes qui les soumettent. Leur fonction est de sélectionner de futurs chercheurs et non des citoyens modèles. »
La « religion » qui a inspiré ces nouvelles dispositions s’apparente à celle qui a créé, autrefois, le « billet de confession », ce certificat signé par un confesseur attestant que le pénitent a nettoyé son âme au confessionnal.