« La prière du Canadien français au père de la Nouvelle-France »

Pour souligner l’anniversaire de la fondation de Québec, voici un poème de Gustave Zidler lu devant le monument Champlain, le 19 juillet 1908, par Adjutor Rivard, avocat et juge, mais aussi et surtout écrivain et linguiste.

En 1902, Rivard avait fondé la Société du parler français et publié un Manuel de la parole. Dix ans plus tard, il organise le premier congrès de la langue française au Canada, rassemblement de délégués des communautés francophones d’Europe et d’Amérique. Gustave Zidler (Paris, 1862-Versailles, 1936), poète patriotique cinq fois lauréat de l’Académie française, y participa.

La cérémonie du 19 juillet s’inscrivait dans la commémoration du 300e anniversaire de Québec. Le ton et le style de l’oeuvre de Zidler sont surannés, évidemment,  et tranchent avec l’insignifiance du 400e (que Zidler aurait peut-être qualifié de « sombre oubli ») et la tiédeur des 3 juillet contemporains.

RivardZidler

Adjutor Rivard et un ouvrage de Zidler.

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Depuis ce jour, Champlain, bon Français de Saintonge,
Où ta barque accosta l’ancien Stadaconé,
Depuis qu’à coups de hache a pris forme ton songe,
À l’horloge du temps trois cents ans ont sonné ;
Et nous, fils des héros, qu’un triple siècle embrasse,
Sur ta tombe, devant ta statue, à genoux,
Par tout le cher pays où nous baisons ta trace,
Nous t’allons demandant, nous ton sang, nous ta race :
Ô Père, es-tu content de nous ?

Es-tu content de nous, Père qui nous contemples,
Toujours présent, d’un ciel de gloire et de vertu ?
Avons-nous profité de tes virils exemples ?
Pour tes nobles desseins avons-nous combattu ?
De la Croix, que ta main planta sur cette grève,
Qu’avons-nous renié, couvert d’un sombre oubli ?
Au-delà de ta vie impuissante et trop brève,
Par nos cœurs et nos bras ton vaste et puissant rêve,
S’est-il tout entier accompli ?

Père, ce que tu fus, nous aussi nous le sommes :
Pour tes fils, défricheurs et soldats tour à tour,
Tout fut dur, les hivers, la forêt et les hommes,
Et pourtant, cette terre est notre unique amour !
De sueurs et de sang plus notre terre est faite,
Plus elle nous aspire et plus elle nous prend ;
Et tu nous vois encore, à son nom seul, en fête,
Tous tels que tu revins, conquis par ta conquête,
Mourir aux bords du Saint-Laurent !

Nous portions trop au cœur ces graves paysages,
Pour n’en pas refouler nos ennemis, les tiens ;
Avec les Cinq-Tribus* et de Pâles-Visages,
Nous avons prolongé les sanglants entretiens.
Montcalm succomba… Mais, l’âme toute meurtrie,
« Plus grand que son malheur », et vainqueur de l’échec,
Comme toi, sans changer de foi ni de patrie,
Le Canadien français en français pense et prie,
Libre sur son roc de Québec !

Es-tu content, semeur ? Vois cette Beauce, Père,
Sur la cendre des bois dérouler ses grands blés !
Dénombre en cet instant la famille prospère,
Pour le même banquet tous tes fils assemblés !
Ajoute aux premiers fruits de ta persévérance,
De trois siècles d’efforts les robustes présents :
Tu pourrais, exalté d’orgueil et d’espérance,
Retrouver la saveur de ton pays de France,
Dans le pain de nos paysans !

« Croissez ! Multipliez ! » Au mot sacré fidèles,
Nous avons su grandir avec l’épi des champs :
Autour du premier nid battent des milliers d’ailes
Dans l’érable plus dru qu’emplissent d’anciens chants.
Sois tranquille ! Où tu bus, tout un peuple s’abreuve :
Nous veillons sur ton cœur, inlassables gardiens ;
Et d’un cours plus puissant, en dépit de l’épreuve,
S’étend et s’élargit, parallèle au grand fleuve,
Le beau sang de tes Canadiens !

Samuel de Champlain, ô patriarche ! apôtre !
Si ton divin appui, nos soins l’ont mérité,
Si tu sens rajeunir ta vaillance en la nôtre,
Élu de Dieu, du haut le ton éternité,
Bénis de nos sillons cette moisson féconde,
Que d’un immense vœu déjà tu caressais :
Bénis nos fils | Bénis nos filles ! Et seconde
Le rêve que par toi nous vivons dans ce monde,
Bénis ton Canada français !

Gustave Zidler

* Les Cinq nations iroquoises.
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