L’épidémie

Quelques jours avant Noël, la presse s’est émue du nombre important de députés ayant mis fin hâtivement à leur mandat depuis 2004. C’est le Journal de Québec qui a attaché le grelot (J.-Jacques Samson, « Les déserteurs », 16 décembre, p. 19), suivi du Devoir (Antoine Robitaille, « Chers, chers, les députés démissionnaires », 19 décembre, p. 6). L’affaire a fait long feu, compte tenu de la trêve des Fêtes, mais aussi de l’absence de participation des parlementaires, partis en vacances et sûrement peu enclins à alimenter un débat qui les concerne tous, tous partis confondus.
Vingt-deux parlementaires ont démissionné de 2004 à 2009, soit près de 4 par année. De la Confédération à la fin des années 1970, le Parlement a perdu en moyenne 3 députés par année. Cette moyenne est passée à 3,2 depuis 1980 et à 3,4 depuis 2000. La hausse n’est pas vraiment énorme, d’autant plus que le nombre de sièges est passé de 65 à 125 pendant cette période.
Départs volontaires et involontaires
Un examen plus approfondi des statistiques ouvre cependant d’autres perspectives. Dans le dernier tiers du XIXe siècle, plusieurs députés ont plié bagages lorsque leur élection a été annulée. Par ailleurs, entre 1890 et 1960, il mourrait en moyenne un député par année. Avec le temps, ces deux formes de départs involontaires se sont raréfiées : les élections annulées se comptent presque sur les doigts de la main depuis un siècle, seulement six députés sont morts en fonction depuis 30 ans et le Parlement n’a vécu aucune de ces deux situations malheureuses depuis 2000. Parallèlement, le nombre de départs volontaires (démission ou nomination à un poste incompatible) a augmenté, au fil des ans, passant de 1,7 par année, en moyenne, de 1867 à la fin des années 1970, à 2,9 depuis 1980 et 3,4 depuis 2000. En conséquence, alors que les départs étaient volontaires dans 57 % des cas de 1867 à la fin des années 1970, cette proportion est passée à 93 % depuis 1980 et à 100 % depuis 2000.
En bref, les élections sont mieux tenues, les députés se portent mieux, des règles administratives plus justes restreignent les nominations partisanes (à la magistrature par exemple) et il ne reste plus qu’une façon de quitter le Parlement avant la fin du mandat : démissionner, ce qui s’est produit 34 fois depuis 2000 (ce qui n’exclut pas la possibilité de voir les démissionnaires nommés quelque part dans les semaines ou les mois suivants).
Une analyse plus pointue révèle un autre phénomène qui contribue à justifier les réactions des médias: 14 des 22 derniers démissionnaires ont quitté moins de 24 mois après l’élection générale et 7 ont posé ce geste dans les 12 mois suivant le scrutin (sans compter le dernier démissionnaire qui a quitté après un an et 6 jours). Le phénomène n’est pas sans précédent. On a vu, par exemple, 6 départs volontaires dans les 12 mois suivant l’élection de 1881 mais ces départs hâtifs se sont raréfiés par la suite et on n’en comptait que 7 dans toute la seconde moitié du siècle dernier.
L’allocation de transition
Associer la prolifération des démissions après 1980 avec l’apparition de l’allocation de transition accordée indistinctement aux vaincus et aux démissionnaires depuis 1983 serait sûrement un raccourci dangereux. Il demeure que le total des démissions depuis 1980 est à peu près trois fois ce qu’il était dans les 30 années précédentes.
A l’époque où la Loi sur les conditions de travail et le régime de pension des députés (1982) a été adoptée, c’est la générosité du régime de retraite qui faisait problème. Un député pouvait toucher une retraite à vie après quelques années de service, quel que soit son âge. Par ailleurs, l’indemnité était inférieure au salaire d‘un agent de recherche. Il fut donc convenu d’augmenter l’indemnité et de rétreindre l’accès à la pension (en suggérant que le coût de l’opération serait nul…), tout en créant une « allocation de transition » pour aider ceux qui n’était pas admissible à la pension à se « revirer de bord ».
Depuis janvier 1983, un député qui démissionne comme membre de l’Assemblée, est défait lors d’une élection ou termine un mandat à ce titre sans être candidat à l’élection qui suit a droit à une allocation de transition égale à deux fois son traitement mensuel pour chaque année complète pendant laquelle il a été membre de l’Assemblée. L’allocation ne peut être inférieure à quatre fois le traitement mensuel ni supérieure à douze fois le traitement mensuel.
A-t-on pensé que ce parachute aurait des effets pervers ? Il faudrait relire les débats pour s’en assurer mais c’était une époque où les démissions étaient assez rares et les nominations partisanes, en voie de disparition. La moyenne annuelle des départs volontaires de 1867 à 1980 (1,7) cache d’ailleurs un creux significatif dans les années 1950-1979 (1,2 départ volontaire par an). Pouvait-on prévoir que cette moyenne rebondirait pour tripler au cours des 30 années suivantes (3,4 départs depuis 2000)?
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Trente ans après sa création, une réflexion s’impose sur l’allocation de transition, son universalité et ses autres modalités d’application. Plusieurs s’interrogent avec raison sur la pertinence de verser une allocation de transition à un député qui retourne à son emploi antérieur, obtient un mandat électif à un autre niveau (municipal ou fédéral) ou est admissible à la retraite.
Cette réflexion devrait s’accompagner d’un retour à la transparence sur l’ensemble des conditions de travail des parlementaires. Les Comptes publics fournissaient autrefois des données nominales sur les indemnités, les allocations et même les prestations de retraite. On n’y trouve presque plus rien depuis qu’il existe une Loi d’accès à l’information
(Note: Les données ont été compilées à partir de la chronologie du site de l’Assemblée nationale (http://www.assnat.qc.ca/fra/patrimoine/chronologie/index.html). La rédaction de cette chronologie s’étant étendue sur plusieurs années, il est possible qu’on y trouve une certaine inconstance dans la formulation des entrées. Les démissions causées par l’abolition du double mandat (1874), l’accession au cabinet (réélection obligatoire avant 1927) et l’élection dans deux circonscriptions (permise avant 1952) n’ont pas été prises en compte.)