Internet et les réseaux sociaux ont donné une impulsion extraordinaire aux théories de complot et en ont favorisé la diffusion, loin de l’œil critique des chefs de pupitre et des éditeurs, qui, dans les médias traditionnels, exercent un contrôle sur la publication d’affaires plus ou moins fondées, …ce qui alimente d’ailleurs les thèses complotistes.
Dans un discours au château Frontenac le 23 juillet 2017, lors du banquet commémorant le 50e anniversaire de la visite du général de Gaulle, l’ancien député unioniste Antonio Flamand a évoqué le penchant favorable de Daniel Johnson à l’égard de l’indépendance du Québec et, sur cette lancée, il se serait questionné sur les causes réelles de son décès. Deux jours plus tard, un journaliste indépendant publiait sur le site de « Vigile » un texte intitulé « J’accuse les assassins de Daniel Johnson » où il rappelait ses démarches effectuées pour obtenir le rapport d’autopsie du premier ministre et concluait « que cette autopsie n’aurait pas été pratiquée » (https://vigile.quebec/articles/j-accuse-les-assassins-de-daniel-johnson?fbclid=IwAR2zxmVk3hqRwAA5v2DUwofb0l6jlZMr18nNgv95yai4e1oisJjS9xVUYoA). Le principal biographe de Johnson, Pierre Godin, lui aurait dit « n’en avoir pas vu, croyant qu’un médecin (complaisant?) avait tout simplement signé le certificat de décès avant les funérailles et l’inhumation », bref, « on a expédié le corps vite fait au cimetière afin qu’il disparaisse avec ses idées de souveraineté dans les limbes de l’histoire ». Le lendemain, 26 juillet, « devant tant d’allégations sérieuses entourant les circonstances nébuleuses du décès de Daniel Johnson et devant l’absence d’analyses toxicologiques, le Rassemblement pour un pays souverain demande au Gouvernement du Québec d’ouvrir une enquête, de rendre public les documents d’autopsie et d’aller jusqu’à l’exhumation du corps de ce dernier. »
Les médias n’ont pas fait écho à cette demande qui repose sur un témoignage assez rocambolesque. Quelques mois après la mort du premier ministre, le journaliste indépendant aurait recueilli les confidences d’une dame qui, après un dernier verre en compagnie de Johnson, aurait été très malade et aurait pratiquement vu Johnson mourir, d’où l’hypothèse de l’intoxication, accidentelle ou provoquée. Les biographes de Johnson n’ont évidemment fait aucune mention de cette présence féminine, ni d’une possible intoxication, que ce soit Pierre Godin, qui mentionne les personnes présentes ce jour-là et en a rencontré plusieurs, Paul Gros d’Aillon, qui était sur les lieux, ou Jean Loiselle, le chef de cabinet, qui a accompagné Johnson toute la soirée, jusqu’au moment où il l’a quasiment forcé à se mettre au lit à une heure du matin.
Et l’autopsie?
Avec les outils de recherche modernes, on « découvre » en quelques minutes que le bureau du premier ministre a émis un communiqué de presse le 3 octobre 1968 pour rendre compte de l’autopsie qui a été réalisée à l’hôpital Saint-Sacrement le 26 septembre par deux anatomo-pathologistes, en présence du directeur médical de l’hôpital, du cardiologue de Johnson et d’un lieutenant de la Sûreté du Québec qui était probablement son chauffeur. Au moins trois autres personnes ont assisté à l’autopsie. Les médecins ont constaté que des lésions cardiaques étaient responsables de la mort. Ont-ils caché quelque chose? Ça ferait beaucoup de monde dans le complot.
Il est encore plus facile de répondre à la question en consultant la principale biographie de Johnson (Godin, Daniel Johnson, t. 2, 1980, p. 380) où on peut lire (ce que l’auteur lui-même a peut-être oublié 40 ans plus tard…): « Avant l’exposition de la dépouille mortelle à l’Assemblée législative […], les médecins légistes pratiquent une autopsie, conformément aux dernières volontés du Premier ministre. Il voulait ainsi éviter que sa famille et son parti ne souffrent des rumeurs de suicide ou d’assassinat qui ne manqueraient pas de circuler, comme cela s’était produit à la mort de Duplessis ».
C’était visiblement peine perdue.
Cette mise au point m’a convaincu.
Merci !