La Marche des rois (suite)

Henri Bourassa doit tournoyer dans sa tombe. Après avoir passé le XXe siècle à se détacher pacifiquement mais résolument du Royaume-Uni, le Canada est en train de s’y recoller sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper.
Des générations d’étudiants en droit et en science politique ont appris que la reine était devenue un simple symbole et que ses pouvoirs (comme ceux de ses représentants) étaient tombés en désuétude. C’est à qui imaginerait une situation de crise ultra compliquée où le gouverneur général aurait un rôle à jouer pour assurer la pérennité de nos institutions (et justifier son existence). Puis, quand Michaëlle Jean a eu l’occasion « rêvée » d’agir, et de refuser une scandaleuse demande de prorogation, elle s’est comportée comme une distributrice de luxe.
Le gouvernement fédéral présente maintenant la monarchie comme un trait distinctif de la culture politique du Canada, ce qui le distingue des Américains… Plus pragmatique, la ministre québécoise des Relations internationales voit les visites royales comme une sorte d’investissement dans le tourisme : la monarchie est revenue à la mode, en version pipolisée, pour divertir et faire rêver les vieilles colonies.
Rêvons donc en imaginant que le regretté journaliste Rémi Tremblay, dont il a déjà été quelques fois question ici (https://blogue.septentrion.qc.ca/wp-content/uploads/archives/gastondeschenes/2011/05/a_la_maniere_de_remi_tremblay_1.php), a remis sa plume satirique à l’œuvre, au risque de froisser la mémoire de Daudet, du curé Domergue, voire du « bon roi René », tous artisans de la traditionnelle Marche des rois (cf. https://blogue.septentrion.qc.ca/wp-content/uploads/archives/gastondeschenes/2012/01/la_marche_des_rois_i.php)
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La marche des « rois nègres »
(Version 2012 harperisée de La marche des rois. Pour un accompagnement musical, ouvrir http://www.lirecreer.org/biblio/comptines/marche_des_rois/index.html dans une autre fenêtre)
Reine et carosse.jpg
1.
Un bon matin, Harper s’est mis en train
De ramener son peuple au Moyen Âge.
Un bon matin, Harper s’est mis en train
De fêter le règne élisabéthain.
Vinrent d’abord, livrés franc de port,
Plein de photos, de fanions et de messages,
Et puis, encore au frais du Trésor,
Même un portrait du vieux prince consort.
2.
James Moore l’a dit : le ciel nous a bénis
D’avoir vécu sous la reine d’Angleterre.
James Moore l’a dit : le ciel nous a bénis
Et la monarchie nous a définis.
Rien de trop beau, vu de Toronto :
On a remis du « royal » aux militaires
Et James Baird a troqué les tableaux
D’Alfred Pellan pour la reine en photo.
3.
Pour des idées de vrais colonisés,
On peut compter sur ces thuriféraires.
Pour des idées de vrais colonisés,
Les budgets ne sont jamais épuisés.
Rien de trop fort pour les dinosaures
Adulateurs de smalas parasitaires
Et, cet été, on paiera encore
Pour héberger le plus vieux des Windsor.
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Ceux et celles qui auraient la rectitude écorchée par le titre peuvent relire ce qu’écrivait André Laurendeau sur « la théorie du roi-nègre », propos publiés dans Le Devoir d’Henri Bourassa le 4 juillet 1958 :
« Les Britanniques ont le sens politique, ils détruisent rarement les institutions politiques d’un pays conquis. Ils entourent le roi nègre mais ils lui passent des fantaisies. Ils lui ont permis à l’occasion de couper des têtes : ce sont les mœurs du pays. […]
« Il faut obtenir du roi nègre qu’il collabore et protège les intérêts des Britanniques. Cette collaboration assurée, le reste importe moins. Le roitelet viole les règles de la démocratie ? On ne saurait attendre mieux d’un primitif…
« […] Le résultat, c’est une régression de la démocratie et du parlementarisme […]. »