Les fidèles de ce blogue jugeront peut-être que je radote, mais il faut revenir sur lesdites « primes de départ » des parlementaires.
Au cours de ma carrière au Parlement, je me suis souvent demandé comment des parlementaires intelligents, instruits et expérimentés pouvaient en venir à échapper les plus belles énormités. L’air ambiant, peut-être? Un certain sentiment de puissance et d’immunité face à des interlocuteurs peu familiers avec les subtilités du Parlement? Ou la simple aptitude à jouer des rôles de composition au « théâtre parlementaire »?
Le dernier exemple est venu cette semaine du député sortant d’Outremont qui s’est justifié d’empocher son « indemnité de départ », en plus de sa pension, en prétendant qu’il s’agissait d’un « salaire différé ». Double diplômé d’Harvard en administration, titulaire de hautes fonctions publiques et privées depuis 40 ans, ancien ministre de Finances, et membre de l’Assemblée nationale pendant huit ans, le député d’Outremont ne peut pas ignorer à quelles fins a été institué ce qui s’appelle dans nos lois une « allocation de transition ».
Peut-être a-t-il été influencé par les chroniqueurs et les éditorialistes qui s’acharnent à qualifier cette allocation d’indemnité ou, pire, de « prime » de départ? Ou par le chef qui l’a recruté en 2005 et lui a peut-être fait miroiter des « considérations futures » pour atténuer la différence entre ses revenus chez Secor Conseil et la « maigre » indemnité parlementaire.
Répétons que cette allocation a été instituée en 1982 lorsque le gouvernement Lévesque a voulu réduire les avantages indécents du régime de pension des députés. Conseillé par un comité de sages, le gouvernement a présenté et fait adopter une loi qui ne permettait plus aux députés de toucher leur pension avant l’âge de 60 ans; pour compenser et aider les députés à se recycler, la loi créait cette bien nommée allocation « de transition », une sorte de mesure intérimaire justifiée par l’idée qu’un ancien député à parfois de la difficulté à se recycler. On connaissait alors, dans le milieu, quelques cas d’ex-députés qui auraient été réduits au « BS ».
Au départ, cette allocation était payable par versements et incompatible avec la pension : n’avait-elle pas été justement créée pour ceux qui n’étaient pas admissibles à cette dernière ou trop jeunes pour la toucher? Il n’est pas passé par l’esprit du législateur, à l’époque, que cette allocation de soutien puisse être considérée comme du « salaire différé », ou une « poussée vers la porte », encore moins une récompense pour services rendus. L’allocation de transition a été conçue comme une sorte d’assurance-chômage.
Quelque part entre 1982 et aujourd’hui, à la faveur d’un amendement qui semble avoir échappé aux observateurs de la scène parlementaire, il est devenu possible de cumuler la pension et l’allocation de transition et c’est ainsi qu’une mesure créée principalement pour aider des quadragénaires et de jeunes quinquagénaires de retour sur le marché du travail en est venue à favoriser scandaleusement des gens qui n’avaient plus besoin de travailler, bénéficiaient d’une généreuse retraite et touchaient même leur pension de vieillesse. Un « système perverti », a écrit un éditorialiste du Soleil.
Pendant une longue carrière d’administrateur s’étendant sur plus de trois décennies, l’ex-député d’Outremont a sûrement bien mérité les confortables rémunérations attachées à ses fonctions. Docteur en administration, et notamment longtemps associé au Fonds de solidarité de la FTQ, il avait certainement pris soin d’assurer ses vieux jours avant de se laisser tenter par la politique en 2005; sa courte carrière parlementaire lui permet maintenant de glacer son gâteau; pourquoi refuser la cerise au marasquin?
Une loi est à l’étude pour revoir la pertinence d’accorder cet avantage à un député qui quitte en cours de mandat, mais l’opposition libérale la bloque (on commence à comprendre pourquoi…) de telle sorte que le député sortant a « droit » à cette allocation, dit-on, c’était dans ses « conditions de travail », etc. Bien sûr. On est quand même passé près d’une rare occasion d’applaudir un vrai geste éthique. Mais, pourquoi renoncer à ce cadeau quand tant d’autres « nécessiteux », dont les deux derniers chefs du PLQ, la chef du PQ, celui de la CAQ et l’ancien chef de l’ADQ en ont aussi profité? Quant aux députés de QS, leur vertu n’a pas encore été mise à l’épreuve et ils ne crachent pas dans la soupe qui pourrait bien leur être servie un jour.
Peut-on espérer que « ça change », avec toutes ces velléités de « politique autrement »? Un comité consultatif est actuellement chargé d’étudier les conditions de travail et le régime de retraite des députés. Mené plusieurs fois depuis les années 1970, ce genre d’exercice a plus souvent qu’autrement servi à bonifier le sort des parlementaires, et non à faire des économies. En 1982, l’allocation de transition proposée par le comité « indépendant » était plus généreuse que celle qui a été adoptée… Cette fois-ci, le comité comprend deux juges, ce qui serait gage de « sagesse », paraît-il, mais y a-t-il plus vernies que les conditions de travail des magistrats de nos hautes cours? Ils pourraient bien juger que nos parlementaires sont maltraités.
2 réflexions au sujet de « La cerise au marasquin »
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Vous ne ratez pas la cible ! Et vous faites bien de n’épargner personne, de quelque parti qu’il soit.
Ce n’est pas la première fois que vous vous en prenez à cette fâcheuse tendance des titulaires de postes de prestige à se jeter dans l’assiette au beurre. J’aime particulièrement votre pointe finale à l’endroit des juges, qui seraient bien enclins à favoriser les gâteries, habitués qu’ils sont à être juge et partie en ces matières.
Vous mentionnez à quel point les modifications aux lois qui touchent les pensions et autres conditions de travail des élus brillent souvent par leur… obscurité.
Il faudrait vraiment qu’on reprenne depuis le début, et qu’on se demande quel problème on veut régler avec l’allocation de soi-disant transition. La personne qui quitte son poste de son plein gré, alors que son mandat n’est pas terminé, pour faire autre chose, souvent pour en occuper un autre aussi bien rémunéré, ou encore pour prendre une retraite méritée et dorée, a-t-elle besoin d’une telle passerelle ? Et ainsi de suite. Cette allocation devrait être modulée selon les besoins d’un élu qui se retrouve devant rien, comme vous le mentionnez, et dont la terminaison de fonction ne relève pas de sa propre décision.
On pourrait songer à un règlement (peut-être établi par le Bureau de l’Assemblée nationale ?), dressant les cas où un ex-élu y aurait droit.
Un député qui décide librement de quitter la politique sait ce qu’il fait et ce qui l’attend. Une allocation de transition est-elle justifiée surtout si celui-ci a droit à sa pension? Je ne crois pas.
Par ailleurs, la pension devrait être suspendue si l’ex-parlementaire obtient un autre mandat soit au gouvernement fédéral soit au niveau municipal. Également les retraites cumulées ne devraient pas dépasser un certain niveau qui tiendrait compte de la moyenne des salaires payés aux élus. De la même façon, il n’est pas normal qu’on puisse cumuler pensions et salaires ou honoraires payés par l’État. Je me souviens d’un ancien parlementaire nommé à un poste à l’étranger qui avait demandé de réduire son salaire du montant correspondant à sa pension. Par ailleurs les cas de BS mentionnés sont à mettre au singulier et correspondait à un retour à la case départ.
Ceci dit, la question est complexe et nous assisterons de plus en plus à de secondes carrières, particulièrement d’anciens policiers. Jusqu’où peuvent aller les cumuls dans le secteur public et para-public. Mais avant tout, ce qu’il faut examiner c’est l’âge de la retraite, particulièrement chez les policiers et dans le monde municipal. La vieillesse n’est plus ce qu’elle était.
Je me dis qu’un policier de 65 et même 70 ans peut être autant en forme qu’un jeune policier ( ou policière) de 5 pi 4 po bedonnant.