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Le scalp, coutume des Britanniques?

Sur son site internet, l’auteur micmac de First Nations History – We Were Not the Savages (traduit récemment sous le titre Ce n’était pas nous les sauvages [s'il est permis de citer ce titre...]) consacre une page à la pratique du scalp et conteste un passage de la proclamation de 1749 où Cornwallis, gouverneur de la Nouvelle-Écosse, dit que produire un scalp comme preuve de la mort de l’ennemi est « the custom of America ».

« […] je tiens à le préciser très clairement, écrit Daniel N. Paul, il ne s’agit pas d’une référence à une coutume amérindienne, mais à une coutume des Britanniques en Amérique du Nord britannique. Elle a été lancée par eux dans le but de soumettre par la terreur, ou d’exterminer, les tribus amérindiennes qui se battaient pour sauver leur mode de vie et leur patrie de la destruction par les envahisseurs impitoyables[1]. »

Les pratiques guerrières de l’Acadie étaient-elles différentes de celles de la vallée du Saint-Laurent, où la pratique du scalp est bien documentée? Citons, entre autres témoignages, la relation que le récollet Denis Jamet[2] a laissée de son passage à Tadoussac, en juillet 1615 :

« Au temps où nous arrivâmes à Tadoussac, six jeunes garçons Montagnais furent à la guerre par surprise selon leur coutume, et de neuf (ennemis) qu’ils trouvèrent ils en assommèrent sept, et en apportèrent les peaux des têtes pour en faire présent aux femmes selon leur coutume ».

La suite de l’histoire montre qu’il valait peut-être mieux être scalpé (donc mort) que « prisonnier de guerre ».

« Des deux prisonniers, ils laissèrent le jeune qui est âgé de douze ans, car ils n’ont (pas) coutume de tuer les enfants, mais les naturalisent de leur nation, lesquels sont par après les plus cruels à leur propre pays, mais firent mourir l’aîné en cette façon : d’avance ils lui coupèrent à belles dents les deux index des mains, et après l’avoir gardé lié et nourri comme eux, tinrent conseil pouf le tuer, le livrèrent à leurs femmes, lesquelles, l’ayant lié au poteau préparé, lui percèrent la chair d’alênes, le brûlèrent avec des tisons, puis arrosaient les brûlures d’eau ; elles lui levèrent la peau de la tête la laissant arrière, et lui couvrirent le chef écorché de cendres chaudes. Le misérable hurlait, mais les hurlements que faisaient les autres, de joie, offusquaient (couvraient) le sien. Les femmes le délièrent, et de rage il se vint jeter dans les fossés de l’habitation, où après avoir reproché à nos Français qui voyaient ce triste spectacle des galeries de la maison, qu’il espérait la vie sauve par leur moyen, il prit des pierres pour ruer (jeter) à ses tyrans. II se sentit aveuglé de son sang et n’eut d’autre refuge qu’une pierre sur laquelle il se froissa la tête. Les autres l’achevèrent à coup de pierre, l’écorchèrent et le mangèrent.

Les ennemis ne leur en font pas moins quand ils les tiennent, et d’ordinaire les femmes et les enfants sont les bourreaux afin qu’ils languissent davantage. »

Les Français ont aussi versé des primes en retour de scalps. Frontenac aurait été le premier à le faire, en 1691, en promettant « dix écus à ses alliés autochtones pour chaque scalp qu’ils rapporteraient[3] ». On était alors en guerre, quasi permanente, contre les Iroquois.

Daniel N. Paul n’y va pas de main morte pour qualifier les comportements des nations colonisatrices en Amérique :

« Pour soumettre les peuples autochtones, durant l’époque coloniale, les actes de barbarie employés par la Grande-Bretagne, l’Espagne, le Portugal et quelques autres nations européennes – auxquelles s’ajoutent subséquemment les pays engendrés par cette colonisation dans les Amériques – dépassent probablement, ou au minimum équivalent aux performances barbares des régimes du 20e siècle de l’Allemagne nazie et de l’Union soviétique stalinienne combinés »

On notera que Paul ne nomme pas la France. L’aurait-il incluse dans les « autres nations européennes »? Ce serait étonnant : les Français ont été présents en Acadie pendant plus de cent ans (1604-1713) avant les Britanniques. Il faut croire qu’ils n’ont pas laissé les mêmes souvenirs que les Anglais en Amérique du nord. Dans son livre, Paul considère que la fameuse formule de l’historien américain Parkman – « La civilisation espagnole a écrasé l’Indien ; la civilisation britannique l’a méprisé et négligé ; la civilisation française l’a adopté et chéri » – est juste, mais mérite une nuance :

« la civilisation anglaise, tout comme la civilisation espagnole, […] a aussi écrasé l’autochtone ; les actions qu’ils ont posées après leur invasion des Amériques le démontrent clairement. Pour réaliser leur objectif de complète domination des habitants et d’acquisition illégale de leurs terres, ils ont utilisé des pratiques qui faisaient appel à la trahison effrénée, la violence et la cruauté. »


[2] Fr. Odoric M. Jouve, o. f. m., « Une page inédite d’histoire canadienne. La relation du récollet Denis Jamet, 15 juillet 1615 », La Nouvelle-France, 13, 10 (octobre 1914), p. 433-444 (extrait, p. 439). La relation est à la Bibliothèque nationale de Paris, dans la collection des Cinq-Cents de Colbert.

[3] Jean-François Lozier, « Lever des chevelures en Nouvelle-France : la politique française du paiement des scalps », Revue d’histoire de l’Amérique française, 56, 4 (2003), p. 513–542.

Le portrait manquant

En 1975, l’Assemblée nationale fit restaurer les portraits qui composaient alors la « Galerie des orateurs », au rez-de-chaussée de l’Hôtel du Parlement. Cette opération nécessitait l’inventaire des toiles et leur évaluation, car il fallait assurer leur transport vers les ateliers de restauration. Une comparaison entre la liste des présidents de l’Assemblée depuis 1867 et les portraits de la galerie révéla l’absence du portrait de Philippe-Honoré Roy, député de Saint-Jean de 1900 à 1908 et président de l’Assemblée législative de 1907 à 1908.
On crut d’abord que ce portrait avait été égaré, mais les recherches en vue de le retrouver ailleurs dans les édifices parlementaires furent vaines. Personne, à l’Assemblée nationale, ne pouvait expliquer cette absence. On décida finalement de faire peindre une toile à partir d’une très belle photographie contemporaine accrochée à la mezzanine de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale. Ce travail fut confié au peintre Umberto Bruni et l’œuvre fut insérée dans la galerie en 1975.8.11 Roy

Peu après, un groupe de travail fut formé pour rédiger les notices biographiques de tous les parlementaires québécois depuis 1867 et c’est pendant les recherches de ce groupe que le mystère s’éclaircit de manière imprévue.
Une étoile montante
Philippe-Honoré Roy naît à Henryville (Iberville), le 30 juillet 1847, du mariage d’Édouard Roy et d’Esther Lamoureux.
Admis au Barreau le 15 juillet 1871, il exerce sa profession à Montréal. Au sein du Barreau de Montréal, Roy occupe divers postes, dont ceux de secrétaire du conseil et de syndic. En 1899, il est créé conseil en loi de la reine.
Tout en poursuivant sa carrière à Montréal, Roy garde des liens étroits avec la région qui l’a vu naître. Il acquiert plusieurs fermes dans les comtés de Saint-Jean et d’Iberville. On le retrouve parmi les propriétaires de l’aqueduc de Saint-Jean. Il participe au développement du réseau ferroviaire en présidant la Compagnie de chemin de fer de la vallée est du Richelieu. C’est aussi dans la région qu’il prend épouse le 11 juillet 1878. Il s’agit d’Auglore Molleur, fille de Louis Molleur (1828-1904), homme d’affaires et député libéral de la circonscription d’Iberville de 1867 à 1881. Molleur était président de la Banque de Saint-Jean qu’il avait fondée en 1873 avec Félix-Gabriel Marchand (1832-1900), notaire, député , orateur de l’Assemblée législative et premier ministre de 1897 à 1900.
Lorsque Félix-Gabriel Marchand décède, le 25 septembre 1900, Roy recueille la succession et prend le siège de Saint-Jean avec une majorité de huit voix.
À Québec, le député de Saint-Jean ne participe pas beaucoup aux débats parlementaires. Puis, progressivement, il manifeste de l’intérêt pour les questions municipales. En 1904, il est réélu avec une majorité de 123 voix. Au cours des deux sessions suivantes, son activité parlementaire apparaît modeste mais, en 1907, il est élu orateur de l’Assemblée législative, ce qui le place automatiquement aux premiers rangs de la société, sinon de la classe politique, de Québec. Suivant la tradition, ses appartements de l’Hôtel du Parlement deviennent le rendez-vous de la haute société de Québec.
Cette fonction ajoute au prestige du député de Saint-Jean à qui l’on attribue «une très jolie fortune» et beaucoup d’amis. En 1904, sa fille Georgette, une «brunette charmante et spirituelle qui s’est fait beaucoup d’amis à Québec», épouse un jeune avocat de la capitale, Armand Lavergne, fils de Joseph Lavergne, juge, ex-associé du premier ministre Wilfrid Laurier et ex-député fédéral. Le jeune Lavergne est aussi député libéral à Ottawa et Laurier a pour lui une grande affection même s’il devra l’expulser du parti en 1907.
La chute
En avril 1902, Roy avait été élu directeur de la Banque de Saint-Jean, l’une des plus petites des nombreuses banques à charte établies au Québec. En janvier 1904, il remplace son beau-père, Louis Molleur, à la présidence de la banque qui s’occupe évidemment des affaires de la compagnie de chemin de fer qu’il préside. À compter du 15 février 1908, il cumule les fonctions de président et de gérant général de cette banque.
Le 28 avril 1908, trois jours après la fin de la session, la banque suspend ses paiements et, le lendemain, ses guichets demeurent fermés. Une enquête est menée à la demande de l’Association des banquiers. Les rumeurs les plus folles circulent. On apprend que Roy ne se présentera même pas aux élections générales déclenchées le 6 mai pour le 8 juin; puis, il subit une attaque cardiaque et reçoit les derniers sacrements, Par la suite, il doit garder la chambre, souffrant d’un «affaissement nerveux».
L’émotion atteint un sommet lorsque, trois jours après les élections générales, à la suite d’une enquête minutieuse menée par le gouvernement fédéral, Roy, l’ancien gérant général de la banque et l’assistant de ce dernier sont arrêtés et gardés à vue sous l’accusation d’avoir produit de faux rapports mensuels. Alors que les deux autres accusés sont remis en liberté en retour de garanties élevées, Roy obtient sa liberté d’un juge de paix «sympathique», l’épicier Moreau, contre 4000$. Mais, le lendemain, il est de nouveau arrêté avec les deux autres, sous une accusation de complot, et remis en liberté moyennant un cautionnement de 50 000$ pour garantir sa présence à l’enquête préliminaire.
Celle-ci se tient le 16 juin à Saint-Jean. Les clients de la banque apprennent alors qu’on avait inscrit à l’actif de la banque une série de créances sans aucune valeur pour une somme de plus d’un demi-million de dollars. Certaines de ces créances sont inscrites au nom de Roy, de sa famille et de ses compagnies. Incapable de trouver les garanties exigées, Roy est écroué jusqu’au 20 juin, alors que des amis fournissent les cautionnements demandés. Pendant ce temps, les poursuites s’accumulent contre le banquier et sa femme, notamment en vue de récupérer des sommes dues à la banque.
À l’automne, on décide de tenir le procès à Montréal, où Roy réside depuis 40 ans, sous prétexte que l’accusé ne pourrait bénéficier d’un procès juste à Saint-Jean. Effectivement, bon nombre de déposants et d’actionnaires sont des veuves, des petits rentiers, des journaliers qui ont tout perdu dans la faillite de la banque et ils tiennent les dirigeants de la banque responsables de leur ruine. En mars 1909, toutefois, cette décision est renversée : le procès aura bien lieu à Saint-Jean en mai 1909. Entre-temps, l’épouse de Roy décède et ce dernier, qui souffre du diabète, n’en mène pas large à la «Villa des rapides», sa résidence secondaire.
Une triste fin de carrière
Le procès dure trois semaines et les preuves s’accumulent contre Roy qui a utilisé les ressources de la banque pour financer ses entreprises et sa campagne électorale à la mairie de Montréal en janvier 1904. Au moment où la Couronne termine sa preuve, le 24 mai, on apprend que l’accusé a tenté de se suicider à sa résidence avec un pistolet de calibre 22. Appelé à témoigner, un médecin révèle que Roy s’est tiré une balle dans un pied! L’accusé demeure apte à subir son procès. Sceptique, le juge décide de l’emprisonner. Le 25 mai, Roy est reconnu coupable et condamné à cinq ans de pénitencier pour avoir falsifié des documents bancaires. Deux jours plus tard, il est conduit au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul.
Diabétique, encore handicapé par sa blessure au pied, Roy aurait souvent fréquenté l’infirmerie. En 1910, Armand Lavergne, alors député à Québec, s’adresse au premier ministre du Canada, Wilfrid Laurier, pour obtenir que son beau-père (qu’il avait surnommé son «father-in-jail»…) soit déclaré dément et transféré dans un asile d’aliénés. Laurier n’y peut rien, à moins qu’un médecin de la prison puisse fournir un certificat attestant l’aliénation mentale.
À une date indéterminée en 1910, Roy est toutefois transféré à l’Hôtel-Dieu de Montréal où il décède le 17 décembre. Ses funérailles, à peine mentionnées dans l’hebdomadaire local, ont lieu à Saint-Jean, le 20 décembre 1910, et il est inhumé dans le cimetière de la paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste, où se trouvait sa résidence secondaire.
Aucune preuve matérielle n’a jusqu’à maintenant permis de relier directement la condamnation de Philippe-Honoré Roy et l’absence de son portrait dans la « Galerie des orateurs ». Il est cependant facile d’imaginer l’état d’esprit de ses collègues députés devant la triste fin de carrière politique et parlementaire du banquier de Saint-Jean.

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Version d’abrégée d’un chapitre de mon livre Le Parlement de Québec, histoire, anecdotes et légendes.

« Esprit de parti »

Pour désigner ce qu’on appelle aujourd’hui la « discipline de parti » ou la « partisannerie », on disait autrefois « esprit de parti » en traduisant littéralement « party spirit ».
D’après Le Devoir du 9 juillet 1935, Armand Lavergne aurait ainsi expliqué la chose : « Si je perds un bras, j’ai un membre de parti. Si je perds une jambe, j’ai un autre membre de parti. Mais, si je perds la tête, j’ai… l’esprit de parti ».
Une caricature publiée dans l’Almanach de la langue française en 1926 illustre bien ce travers qui afflige encore et toujours le parlementarisme.

???

Elle représente bien ce qui s’est passé le 14 décembre 2000, quand les parlementaires ont adopté à l’unanimité, au signal du chef,  une motion injuste contre Yves Michaud, et ce qui se passe encore  aujourd’hui quand, malgré l’évidence, on refuse de la corriger.

L’Affaire Michaud, vingt ans plus tard

Le 14 décembre 2000, le chef libéral Jean Charest interpelle le premier ministre Bouchard au sujet des propos tenus la veille par Yves Michaud et annonce qu’une motion sera présentée après la période de questions : « Que l’Assemblée nationale dénonce sans nuance, de façon claire et unanime, les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000. »
Yves Michaud était pressenti comme candidat à l’élection partielle dans Mercier, ce qui ne plaisait pas au premier ministre. La motion permettait donc aux deux chefs de projeter hors-piste un militant dérangeant. L’affaire ayant vraisemblablement été orchestrée en coulisses, le premier ministre accueille favorablement la proposition et engage « toute la députation ministérielle ».

« …exécuté sur la place publique »
Une heure plus tard, la motion est adoptée, sans plus de précision sur les propos en question et sans débat, à l’unanimité des 109 députés présents.
À la sortie de la séance, le ministre Sylvain Simard déclare que Michaud a « banalisé l’Holocauste […] ». Bernard Landry abonde dans le même sens : « [M. Michaud] a nié l’épisode le plus barbare de l’Histoire humaine dans son exceptionnalité. »
Or, Michaud n’a jamais parlé de l’Holocauste la veille, comme en témoigne la transcription officielle de son intervention qui ne contient pas de « propos inacceptables » contre le peuple juif qu’il a présenté comme modèle aux Québécois qui souhaitent affirmer « leur propre identité nationale ».
Yves Michaud demande sans succès d’être entendu par l’Assemblée nationale. Il est ensuite débouté en Cour supérieure et en Cour d’appel, tandis que la Cour suprême refuse de l’entendre. Un juge de la Cour d’appel a cependant ajouté un « obiter dictum » (« soit dit en passant ») étonnant à la décision rendue en 2006 : « […] le Droit à l’époque des Chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu’un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires ».
Le juge Baudouin constatait implicitement l’injustice et, sans le dire ouvertement, relançait la balle à l’Assemblée nationale, mais son commentaire est pratiquement passé inaperçu et les parlementaires (que Me Jean-C. Hébert a qualifiés de « juges en culottes courtes ») l’ont ignoré.

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Deschênes (Michaud, 2010)

Des propos « inventés » ?
Mon livre, L’affaire Michaud : chronique d’une exécution parlementaire, est publié au Septentrion en octobre 2010. « Il est maintenant clair, commente Michel David, que M. Michaud n’a pas tenu devant la Commission des États généraux sur la langue les propos antisémites qu’on lui a reprochés ». Selon Gilbert Lavoie, le livre établit « clairement qu’on lui a imputé des propos qu’il n’a pas tenus et qu’on l’a jugé sans vérifier la véracité des accusations portées contre lui ».
Au Parlement, le 1er décembre, le député Amir Khadir essaie de présenter une motion par laquelle l’Assemblée nationale reconnaîtrait « avoir commis une erreur ». Le Parti libéral aurait donné son consentement, mais le Parti québécois refuse le débat, craignant qu’on refasse le procès de Michaud… Visiblement dissidents sur cette question, des membres du caucus péquiste expriment des excuses à l’endroit de Michaud, ajoutant leur nom à la courte liste des ex-parlementaires qui l’avaient fait peu après la sortie du livre (Joseph Facal, Louise Beaudoin). Puis, les excuses se multiplient. L’ancien ministre Paul Bégin contacte ses ex-collègues : un mois plus tard, 51 membres du caucus péquiste de décembre 2000 avaient fait amende honorable. Certains s’expliquent publiquement. Claude Lachance reconnaît avoir été « carrément floué ». Mathias Rioux exprime « la honte [qu’il] éprouve d’avoir été roulé dans la farine par des manipulateurs » et pose une question qui n’a toujours pas de réponse : « Quel personnage ou quel groupe a instrumentalisé Bernard Landry et Sylvain Simard […] ? » François Beaulne explique qu’il a voté suivant « la volonté du chef » et en se fiant à la « grande crédibilité » des coauteurs de la motion, Lawrence Bergman et André Boulerice; or, ce dernier écrit en janvier 2011 « que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive ».

« …une leçon pour les parlementaires »
En 2016, Yves Michaud s’adresse à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, sans succès. En 2018, une pétition est déposée à l’Assemblée par l’intermédiaire d’un député du PQ, qui se limite à un « geste d’estime », selon le mot du chef du parti, et ne la soumet pas à la commission compétente, mettant ainsi fin au processus.
« Michaud a perdu sa bataille devant les tribunaux et n’a pas eu gain de cause à l’Assemblée nationale, écrivait Gilbert Lavoie en 2010, mais il a gagné la guerre aux yeux de l’histoire » et cette victoire « constitue une leçon pour les parlementaires ». Stéphane Bédard lui donne raison en mars 2011, lorsque le PQ refuse d’appuyer une motion du même genre présentée, encore, par le député de D’Arcy-McGee : « […] on a appris une chose. […] à l’Assemblée, on n’est pas un tribunal. On ne peut pas condamner un individu […]. Il y a des lieux pour ça, et, si des gens ont tenu des propos haineux, il y a des tribunaux pour les condamner ».
De bien beaux principes, mais l’injustice qui a stigmatisé un citoyen en 2000 n’a pas été réparée et la motion honteuse est toujours au procès-verbal.

Paul Bégin, « à la recherche d’un pays »

J’ai lu les mémoires de l’ancien ministre Paul Bégin avec beaucoup d’intérêt. J’avoue que leurs 774 pages m’inquiétaient un peu. J’avais entendu parler de ce gros manuscrit et je craignais de me retrouver avec un monument un peu longuet, à la Guy Bertrand, qui a déjà deux tomes de 500 pages…

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J’en ai lu des mémoires de parlementaires au cours de ma carrière et ceux-là se démarquent de plusieurs façons, avec plusieurs chapitres sur les études de l’auteur, la précision un peu maniaque de l’information (ex. les références législatives) et l’accent sur une vingtaine d’années de travail militant avant sa première élection en 1994. Le sous-titre représente bien le contenu.
Admis au Barreau en 1969, Paul Bégin a surtout travaillé en droit municipal. Membre du RIN dès le milieu des années 1960, il a ensuite milité au PQ. Après une pause au milieu des années 1980, il a été recruté par Parizeau, a été élu en 1994 et a occupé des fonctions ministérielles (Justice, Environnement et Revenu et de nouveau Justice) dans les gouvernements Parizeau, Bouchard et Landry.
Ce qui ressort de ce livre, c’est la vie d’un homme qui se dirige en ligne droite vers la souveraineté, sans fléchir, pendant quatre décennies, malgré tous les désappointements vécus, dont le « beau risque » de Lévesque, l’affirmation nationale de Johnson (dont il a refusé l’invitation), la malheureuse démission de Parizeau, la course au déficit zéro que Bouchard a préférée à la promotion de la souveraineté et les « accroires » de Landry sur la tenue d’un référendum dans le premier mandat. Sans compter deux référendums perdus. Évidemment, les risques de déception en politique croissent avec l’usage. Personnellement, je ne sais pas si j’aurais duré au-delà de l’assemblée « paquetée » du 17 décembre 1984 – que l’auteur a justement qualifiée de « mauvaise pièce », « vaudeville », « mascarade » et « cirque » –, surtout en sachant que mon chef l’avait cautionnée… Et, quand ses collègues du Conseil exécutif le désavouent, en 2002, sur la question des substituts du procureur général, alors qu’il se trouve sur une table d’opération, on a envie de dire « enfin, passons à autre chose ».
Paul Bégin livre un témoignage sincère, courageux dans l’exposé des déceptions et des échecs, mais fier, à juste titre, des points positifs en matière d’environnement (il est à l’origine de la promenade Samuel-de Champlain, du parc du boisé des Compagnons-de-Cartier…) et de justice (Code de procédure civile, Loi sur le lobbyisme, union civile, par exemple).
J’ai évidemment aimé le chapitre qui traite de l’affaire Michaud, un sujet que la dernière biographie de Landry a soigneusement évité. Les informations que Paul Bégin donne sur la réunion des ministres avant la séance du 14 décembre 2000 m’en apprennent un peu sur l’esprit qui régnait autour de Lucien Bouchard dans les heures qui ont précédé immédiatement « l’exécution » de Michaud, mais cette partie de l’histoire (disons, la nuit du 13 au 14) reste un mystère. Paul Bégin a été trompé, comme ses collègues, sur les prétendus propos de Michaud et je crois que Bouchard lui-même l’a été. Ce sont des attachés politiques qui auraient joué les plus mauvais rôles dans ces heures-là.
Je souhaite que ce livre soit lu, surtout par les souverainistes du PQ et d’ailleurs. Son auteur a longtemps œuvré « dans les instances » du parti et ne s’inscrit pas parmi les plus flamboyantes figures du parti. Ce n’était pas dans sa nature ni son objectif. Ses mémoires risquent donc de passer sous le radar, surtout de ces temps-ci. Comme le chantait Raymond Lévesque, « Quand on est d’la race des pionniers / On est fait pour être oublié », mais, quoiqu’il arrive, cet ouvrage inscrit son passage dans l’histoire politique du Québec.
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Paul Bégin, À la recherche d’un pays; mémoires d’un militant (1962-2002), Québec, GID, 2020, 774 p.