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La décennie : « pas finie tant que c’est pas fini »

Hypnotisés par un zéro à l’horizon, comme un chevreuil devant un phare la nuit, nos grands médias ont endossé la croyance populaire voulant que la décennie (comme le siècle et le millénaire, il y 20 ans) se termine avec un 9. À une époque où ces médias voudraient (avec raison) qu’on fasse confiance à la science en matière d’environnement, l’opinion des scientifiques ne pèse pas lourd quand il s’agit du calendrier. Et d’Histoire.

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À la fin des années 1990, la réputée Ruth S. Freitag, de la section Science et technologie de la Bibliothèque du Congrès, avait dressé une longue bibliographie sur ces gens qui célèbrent avant le temps. Dans cet ouvrage justement intitulé The Battle of the Centuries – un débat qu’elle qualifiait de « douce imbécillité » (minor imbecility) – , Freitag remontait au XVIIe siècle pour démontrer que le même débat revenait à chaque fin de siècle et qu’on aboutissait toujours à la même conclusion: il n’y a pas d’année 0 et « il n’y a jamais eu de périodisation des règnes, des dynasties ou des ères qui ne désignait pas sa première année comme l’année 1 » (http://www.loc.gov/rr/scitech/battle.html).

Ruth Freitag reconnaissait qu’elle nageait à contre courant. La croyance populaire voulant que les millénaires, les siècles et les décennies commencent par un zéro est tellement répandue, écrivait-elle, que quiconque essaie de signaler l’erreur est considéré comme pédant et ignoré (https://www.npr.org/2019/12/27/791546842/people-cant-even-agree-on-when-the-decade-ends).

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Dans Le Monde du 29 janvier 1980, un certain Georges Petit a réagi parce que Giscard d’Estaing avait déclaré que « la première année de la décennie, l’année 1980, sera difficile » :

« Quand l’Église décida, au sixième siècle, de définir une ère rattachée à la naissance de son fondateur, elle fit référence au calendrier alors en usage et fixa rétrospectivement son an 1 à [l’an] 734 de Rome ; jamais il ne fut question d’une année 0, et pour cause : les Arabes n’avaient pas encore donné le zéro à la chrétienté ».

Ironie de l’histoire, le moine responsable de cette réforme s’appelait Denis le Petit!

« Par contre, écrivait encore Georges Petit, les Conventionnels, eux, connaissaient le zéro ; ils n’en firent pas moins commencer leur calendrier révolutionnaire au 1er vendémiaire de l’an I de la République, qui coïncidait avec le 22 septembre 1792 du ci-devant calendrier grégorien. […] Mais d’année 0, point. » (https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/01/29/quand-commence-la-huitieme-decennie-du-xxe-siecle_2798778_1819218.html)

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Aujourd’hui, Rick Fienberg, de l’American Astronomical Society, Andrew Novick, du National Institute of Standards and Technology, et Geoff Chester, de l’Observatoire naval des États-Unis, disent la même chose, ce dernier précisant qu’il compte « de 1 à 10, pas de 0 à 9 » (http://www.slate.fr/story/185822/2020-nouvelle-decennie-2021-annees-decades).

Bien sûr, on s’étonnera que l’année 2020 fasse partie des années dix, mais, quand vous comptez sur vos doigts, le dixième fait partie de la dizaine. Et avec les orteils, vous arrivez à 20, soit une autre dizaine.

Parce qu’il n’a pas de doigt 0 non plus.

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PS: en terminant cette note, je découvre le texte de l’Agence Science-Presse publié hier, le 30 décembre ( https://quebec.huffingtonpost.ca/entry/2020-decennie-nouvelle-annee_qc_5e0a505fe4b0843d360a9b77).

Et si la reine mourait?

(Ce texte reprend la majeure partie deux notes publiées précédemment : « …Long live our noble Queen… (air connu) », 20 janvier 2019, https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2019/01/20/long-live-our-noble-queen-air-connu/; « …Long live our noble Queen… (suite) », 14 février 2019, https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2019/02/14/long-live-our-noble-queen-suite/.)

Les parlementaires de Terre-Neuve se préparent à la mort d’Elizabeth II. « The Demise of the Crown Act », sanctionné le 6 décembre 2019,  fera en sorte que l’Assemblée législative ne sera pas dissoute à la mort de la souveraine (comme c’était le cas autrefois), et que les personnes qui ont prêté un serment d’allégeance pour occuper une fonction, dont les députés, ne seront pas obligées d’en prêter un nouveau à son successeur.

À Québec, où de nombreux parlementaires se plient souvent au rituel du serment en maugréant, voire en s’éloignant des caméras, le grand âge de la souveraine ─ qui a quand même 93 ans ─, ne devrait-il pas nous inciter à prendre aussi quelques précautions?

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Jusqu’au début du XIXe siècle, la mort du souverain entraînait automatiquement la dissolution du parlement et de nouvelles élections.

Le premier cas se pose ici au décès de George III le 29 janvier 1820. Dès qu’il en est informé, le président du Conseil législatif déclare que, le roi étant décédé, « ce parlement provincial est, par son décès et par l’avis public et proclamation qu’en donne ici Son Excellence, dissout ».

En mars 1829, le Parlement du Bas-Canada adopte un projet de loi « pour continuer l’existence du Parlement provincial dans le cas du décès ou de la démission de Sa Majesté, de ses héritiers et successeurs », mais le bill est « réservé » par le gouverneur en attendant « la signification du plaisir de Sa Majesté ». Malheureusement, George IV meurt le 26 juin 1830, avant d’avoir manifesté son « plaisir ». Le Parlement vient de terminer sa troisième session et l’administrateur James Kempt émet une proclamation décrétant de nouvelles élections, « attendu que, par le décès de feu Notre Royal Frère de glorieuse mémoire, le Parlement Provincial du Bas-Canada a été et est dissous ». Le 1er novembre suivant, Guillaume IV sanctionne le projet de loi qui met fin à cette pratique d’une autre époque.

Si le Parlement n’est plus dissous à la mort du souverain, il faut quand même toujours prêter serment au nouveau monarque. La situation se présente quand Victoria monte sur le trône le 22 juin 1837. D’après le Canadien du 18 août 1837, plusieurs députés « doutaient qu’ils dussent prêter le serment d’allégeance » à la nouvelle souveraine, « mais cette prétention a été abandonnée, et tous ont rempli cette formalité d’usage ».

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L’Assemblée législative de la province du Canada, en 1844, et ensuite l’Assemblée législative de la province de Québec ont aussi adopté une loi pour se prémunir contre les effets de ce qu’on appelle, en termes savants, la « dévolution successorale ». Le préambule de la loi adopté à Québec en 1869 (32 Vict., c. 5) était explicite :

« […] les intérêts de cette province pourraient être exposés à de grands dangers, si la Législature de Québec venait à être dissoute par le décès de Notre Souveraine Dame la Reine Victoria (puisse Dieu la conserver longtemps!) ou par le décès d’aucun des héritiers et successeurs de Sa Majesté […]. »

La règle adoptée en 1869 est devenue l’article 3 de la Loi de la législature :

« Aucune législature de la province n’est dissoute par le décès du souverain; mais elle continue, et peut se réunir, s’assembler et siéger, procéder et agir de la même manière que si ce décès n’avait pas eu lieu. »

L’article 31 de la même loi, adopté initialement en 1881 (44-45 Vict., c. 7, ss. 1 et 2), stipulait par ailleurs que

« La durée de chaque Assemblée nationale est de cinq années à compter de la publication, après une élection générale, de l’avis visé dans l’article 134 de la Loi électorale; mais le lieutenant-gouverneur a toujours droit de la dissoudre plus tôt, s’il le juge à propos. »

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Quand Victoria décède le 22 janvier 1901, les députés élus le 7 décembre précédent n’ont pas encore siégé et ils prêtent serment à son fils Édouard VII, selon la procédure régulière, avant de prendre leur siège à la session qui s’ouvre le 14 février.

Édouard VII meurt 6 mai 1910, pendant la 2e session de la 12e législature, et les parlementaires (dûment assermentés deux ans plus tôt) prêtent un autre serment à George V (10 et 12 mai).

Celui-ci meurt le 20 janvier 1936. Comme en 1901, les députés élus le 25 novembre précédent ne se sont pas encore réunis; ils prêtent serment au nouveau souverain, Édouard VIII, avant la session du 24 mars. Le règne de ce dernier sera bref : le 10 décembre 1936, il abdique en faveur de son frère qui devient George VI. À Québec, la législature vient d’être prorogée au 24 février 1937. Les parlementaires prêtent serment au nouveau souverain (même scénario qu’en 1910), avant le début de la deuxième session, entre le 23 et le 26 février 1937.

Enfin, quand Elizabeth II accède au trône le 6 février 1952, la 23e législature vient d’être prorogée. Les élections ont lieu le 16 juillet 1952 et les nouveaux élus lui prêtent serment avant de prendre leur siège à l’automne, sauf Lionel Ross qui s’était présenté au bureau du secrétaire général pour inscrire son serment au registre dès le 19 février 1952.

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Le serment de loyauté que prêtent les parlementaires est prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867; c’est un serment personnel au souverain, et non au gouvernement, à l’État ou au peuple, qui sont pérennes, et il ne fait pas mention des héritiers et successeurs du souverain, comme à Ottawa. Ce serment traîne des relents médiévaux et, pour les Québécois, cette relique d’ancien régime se double d’un rappel humiliant de la conquête de leur pays par la nation dont la reine est la souveraine.

Elizabeth II partira-t-elle comme Victoria, George V et George VI, dans des circonstances qui n’obligeront pas les parlementaires à un nouveau serment? Où comme Guillaume IV, Édouard VII et Édouard VIII, avec les conséquences qu’on peut imaginer? D’après les statistiques, depuis Victoria, c’est 50/50. Les paris sont ouverts.

Mais il y a peut-être « pire » : il n’y a pas de certitude absolue que le Parlement québécois ne serait pas dissous parce que la Loi de l’Assemblée nationale, adoptée en 1982, n’a pas de disposition aussi explicite que l’article 3 de la Loi de la législature, cité ci-dessus.

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Le processus de refonte de la Loi de la législature s’est amorcé au milieu des années 1970. Me Jean-Charles Bonenfant, alors professeur à l’Université Laval, rédige vers 1976 un document intitulé Mise à jour de la Loi de la législature du Québec. Ce rapport[1] préparé en collaboration de Dominique Lapointe, conseiller du président Jean-Noël Lavoie, aborde la question de la fameuse « dévolution successorale ».

L’article 3 de la loi actuelle peut sembler bizarre à celui qui ignore une règle ancienne du droit constitutionnel britannique. Cette règle voulait que lorsque mourait un souverain qui avait décrété l’élection de la chambre basse, celle-ci se trouvait à disparaître juridiquement avec lui. […]
Déjà, dans la première partie du 19e siècle, en Grande-Bretagne et ensuite, dans toutes les colonies, pour éviter la dissolution à la mort du souverain, on avait édicté des lois qui décrétaient que son décès n’entraînait pas la dissolution de la Chambre basse et que celle-ci pouvait continuer à agir comme si l’événement n’avait pas eu lieu. À notre époque, la disposition que contient l’article 3 semble désuète et n’est que la survivance d’une subtilité constitutionnelle. On peut se demander si elle est encore nécessaire. Toutefois, pour éviter toute incertitude constitutionnelle, le législateur pourrait imaginer un article qui, tout en indiquant, en même temps, quelle est constitutionnellement la durée limite de l’Assemblée nationale élue, réglerait le problème théorique de la mort du souverain. Il lui appartient de décider s’il ne suffirait pas de dire que :

L’Assemblée nationale ne peut être dissoute que par le lieutenant-gouverneur et que sa durée est limitée à cinq années, à compter du jour fixé pour le rapport des brefs ordonnant l’élection à cette assemblée.

Le président suivant reprend le dossier. En février 1980, Me Clément Richard donne le mandat de réviser la Loi sur la législature à un comité dont on ne trouve pas de traces dans les archives de l’Assemblée nationale[2].

Quoi qu’il en soit, la réforme progresse. Le 17 juin 1980, le président dépose un avant-projet de loi de l’Assemblée nationale qui omet la disposition concernant le décès du souverain (article 3 de la Loi de la législature) et contient trois articles utiles à la compréhension de la suite du dossier :

5.         Une nouvelle législature commence à chaque élection et dure cinq ans à compter de la publication, après cette élection générale, de l’avis visé à l’article 134 de la Loi électorale (1979, c. 56).
6.         Le lieutenant-gouverneur peut dissoudre l’Assemblée avant l’expiration des cinq ans visés à l’article 5, s’il le juge à propos, conformément aux usages constitutionnels.
7.         Le lieutenant-gouverneur convoque l’Assemblée, la proroge et la dissout.

Le texte de l’article 6 ne répond pas exactement à la suggestion de Bonenfant qui était plus précis au sujet du pouvoir exclusif de lieutenant-gouverneur. Quant à la référence aux « usages constitutionnels », on comprend qu’elle évoque le principe selon lequel le lieutenant-gouverneur n’exerce ce pouvoir que sur la recommandation du lieutenant-gouverneur.

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Deux sous-commissions de la Commission de l’Assemblée nationale ont étudié cet avant-projet de loi les 20, 21 et 22 août 1980 et les 30, 31 août et 1er septembre 1981. Un rapport est déposé le 17 septembre 1981 devant la Commission de l’Assemblée nationale qui fait elle-même rapport à l’Assemblée le 11 novembre. Ce rapport mentionne seulement que les articles 5, 6 et 7 sont acceptés, sans commentaire, ni explication.

Le 22 juin 1982, le leader du gouvernement présente le projet de loi 90 sur l’Assemblée nationale. Les articles 5, 6 et 7 ont été réaménagés : l’article 7 est devenu le 5 et les articles 5 et 6 ont été réunis, ce qui crée un lien plus étroit entre la durée de la législature et le pouvoir du lieutenant-gouverneur; la référence aux « usages constitutionnels » est disparue, mais le reste est substantiellement inchangé :

5. Le lieutenant-gouverneur convoque l’Assemblée, la proroge et la dissout.
6. Une législature est d’au plus cinq ans à compter de la publication, après une élection générale, de l’avis visé à l’article 134 de la Loi électorale.
Le lieutenant-gouverneur peut cependant dissoudre l’Assemblée avant l’expiration des cinq années.

Ce projet de loi sera étudié à l’automne[3], mais, entre-temps, le leader du gouvernement consulte. À sa demande, des juristes du ministère de la Justice (Me Jean Bouchard, appuyé par Me Jean-K. Samson) examinent « quelques aspects de la constitutionnalité du projet de loi no 90 » et répondent à la question (un peu alambiquée) suivante : « Peut-on ne pas prévoir que l’Assemblée nationale n’est pas dissoute par le décès du souverain? ».

À cet égard, nous partageons les doutes de M. Jean-Charles Bonenfant. […]
Il est peu probable que l’abrogation de l’article 3 de la Loi sur la législature aurait pour effet de faire revivre un pareil état de fait [i. e. la dissolution]. Il demeure cependant qu’il y a un risque dont la gravité peut se mesurer dans l’hypothèse suivante.
L’article 3 n’est pas reconduit. Au décès de la Reine, l’Assemblée nationale continue à siéger. Survient un procès où l’une des parties soulève l’inconstitutionnalité d’une loi adoptée par la législature au motif que ses membres n’avaient pas qualité pour siéger. L’argument de la « résurrection » de cette règle ancienne de droit anglais serait, sur le plan strictement juridique, certainement défendable. Aussi, la prudence nous commande-t-elle de vous proposer d’ajouter le mot « seul » au début du second alinéa de l’article 6 du projet de loi[4].

Entre le 13 septembre et le 9 décembre 1982, deux documents ayant servi à expliquer les changements apportés à la Loi de la législature par la Loi de l’Assemblée nationale font écho aux avis des juristes (Bonenfant et Bouchard).

Un document non signé portant le titre « Loi sur la législature » reprend l’essentiel de l’opinion de Bonenfant pour conclure :

Après l’analyse de cette situation, certains légistes suggèrent donc d’ajouter le mot « seul » au début du second alinéa de l’article 6 du projet de loi 90 […][5].

Dans un document qui compare la Loi de la législature et l’avant-projet avec le projet de loi de l’Assemblée nationale, on suggère formellement d’ajouter le mot « seul » au début du second alinéa de l’article 6 du projet de loi 90:

Pour tenir compte de l’abolition de l’article 3 de la Loi sur la Législature, nous proposons d’ajouter le mot « seul » pour enlever toute ambiguïté qui pourrait résulter de la mort du souverain[6].

Le projet de loi 90 est étudié en commission les 19, 20 et 21 octobre ainsi que le 11 novembre. De profondes divergences surgissent au sujet de la rémunération des députés et, pour faciliter le consensus sur la partie institutionnelle du projet, le gouvernement décide de réunir les dispositions litigieuses dans un projet de loi distinct (no 110) et de déposer un projet de loi 90 réimprimé le 9 décembre 1982.

Dans cette nouvelle version, l’article 6 est modifié comme le recommandaient les juristes :

6. Une législature est d’au plus cinq ans à compter de la publication, après une élection générale, de l’avis visé à l’article 134 de la Loi électorale.
Seul le lieutenant-gouverneur peut dissoudre l’Assemblée avant l’expiration des cinq années.

La question ne sera pas abordée lors de la deuxième lecture (13, 14 et 15 décembre) ni en commission (16 décembre), où l’article 6 sera adopté sans amendement et sans commentaire substantiel :

« Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): […] Article 6?
M. Lalonde: Adopté. Ce serait peut-être utile pour ceux qui liront nos débats d’expliquer que cette loi, sauf quelques articles, est le résultat d’une longue préparation à laquelle ont collaboré les députés des deux côtés de cette Chambre, de sorte que ce n’est pas un texte nouveau. […] C’est pour cela que c’est avec enthousiasme qu’on veut les adopter le plus tôt possible. »

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Le « problème » de la « dévolution successorale » ne semble pas avoir été discuté dans les débats parlementaires, entre 1980 et 1982, d’après ce qu’on peut voir dans le Journal des débats. C’est au niveau des fonctionnaires (secrétariat général, cabinet du président et juristes du ministère de la Justice) et des attachés politiques (bureau du leader parlementaire et probablement du leader de l’Opposition) que cette question a été traitée, avant les derniers débats en décembre 1982, et qu’on peut chercher l’intention du législateur.

Jean-Charles Bonenfant avait posé la question et suggéré une façon de remplacer le fameux article 3 en précisant que l’Assemblée nationale « ne peut être dissoute que par le lieutenant-gouverneur […] ». Les rédacteurs de l’avant-projet de loi (juin 1980) n’ont pas suivi explicitement son conseil, mais le leader du gouvernement, après consultation auprès des juristes de l’Assemblée et du ministère de la Justice, jugea bon de préciser, dans la deuxième version du projet 90 (décembre 1982) que « seul le lieutenant-gouverneur peut dissoudre l’Assemblée avant l’expiration des cinq années », comme le suggérait Bonenfant, ce qui fut accepté sans discussion par les députés en commission parlementaire le 16 décembre 1982.

La disparition de l’article 3 de la Loi de la législature n’est pas un accident ; les conseillers parlementaires ont concocté une solution de remplacement disons « subtile » qui vise à assurer, « par la bande », la continuité de la législature en cas de décès du souverain.

Cette question a suscité un débat de juristes, au début de 2019, comme en fait foi un reportage du Devoir du 2 février 2019[7]. Certains nous rassurent en rappelant que « seul le lieutenant-gouverneur peut dissoudre l’Assemblée » avant l’expiration de son terme normal, en vertu de l’article 6 de la loi adoptée en 1982; d’autres y voient « une bombe à retardement », à cause du flou qui pourrait ouvrir la porte à une contestation judiciaire par des gens ou des partis plus ou moins bien intentionnés.

Quant au serment d’allégeance, on voit mal comment celui qui a été fait à la reine Élizabeth II pourrait être valide si c’est Charles qui est sur le trône…


[1] Polycopié disponible à la Bibliothèque, sous la cote 347.14’025/Q3.

[2] La longue chronologie de la réforme parlementaire publiée en 1981 aurait sûrement mentionné ce rapport si ses auteurs avaient pu mettre la main dessus. Maurice Champagne et Gaston Deschênes, « Chronologie de la réforme parlementaire (1964-1981) », Bulletin de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 11, 3-4 (1981) –http://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/01/PER/181670/1981/Vol_11_nos_3-4_(1981).pdf.

[3] Pour retracer les différentes étapes de l’étude du projet de loi 90, voir http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/journaux-debats/index-jd/recherche.html?cat=sv&Session=jd32l3se&Section=sujets&Requete=Assembl%C3%A9e+nationale.

[4] Archives de l’Assemblée nationale, fonds du Secrétariat général, boîte 537037, dossier 169454, opinion du 13 septembre 1982.

[5] Ibid., document non signé.

[6] Ibid., document sans titre ni date ni signature.

[7] Marco Bélair-Cirino et Dave Noël, « Le décès de la reine rendra-t-il le Québec orphelin de gouvernement? », Le Devoir, 2 février 2019, https://www.ledevoir.com/politique/quebec/546952/les-consequences-du-deces-eventuel-de-la-reine-au-quebec.

Jules Brillant, le magnat de Rimouski

Jules-A. Brillant, Bâtisseur d’empires, par Paul Larocque et Richard Saindon, est à la fois la biographie du plus grand capitaliste du Bas-Saint-Laurent au XXe siècle et un regard éclairant sur l’histoire de cette région. Brillant en menait tellement large, et il s’était fait le défenseur de sa région natale comme peu d’hommes d’affaires l’on fait dans notre histoire.
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Issu d’un milieu modeste, frappé jeune par la tuberculose, Brillant se destinait à une modeste carrière d’employé de banque quand le curé d’Amqui le recrute pour gérer une petite compagnie d’électricité dont il prendra vite le contrôle, sans savoir qu’elle deviendra la pierre angulaire d’un empire.

Brillant fonde ensuite la « Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent », puis une compagnie de téléphone (qui deviendra Québec-Téléphone), des entreprises de transport maritime, ferroviaire et aérien (Québecair), des postes de radio (CJBR) et de télévision (CJBR-TV), une compagnie de construction (qui construit des lignes de transport d’électricité et de téléphone), des magasins (qui vendent des appareils électriques) et quoi encore? Il acquiert des journaux régionaux, devient président de la Banque provinciale…

La politique étant pour lui « avant tout une affaire qui doit rapporter comme toute bonne entreprise », Brillant cultive les liens avec les politiciens et devient l’homme-clé du Parti libéral dans le Bas-Saint-Laurent et même la Gaspésie. Il n’ira pas jusqu’à se présenter lui-même mais se laissera nommer au Conseil législatif, ce qui était moins exigeant. Son influence est déterminante dans le choix des candidats libéraux et de ceux qui vont bénéficier des bienfaits du pouvoir. Car il faut se boucher un peu le nez : l’homme appartient à une époque où le patronage est une activité « normale » et il sait sur quelles cordes il faut jouer. Il sait comment dire à un ministre fédéral qu’il faudrait peut-être favoriser telle ou telle entreprise de la région pour s’assurer que les militants sauront pour qui voter dans l’élection qui s’en vient… Il ne faut pas trop se formaliser non plus si l’homme d’affaires ne s’embarrasse pas des conflits d’intérêts ou s’il paie la traite aux politiciens dans ses camps de pêche, dont le luxueux camp de Natashquan qu’il partage avec un Simard de Sorel et l’entrepreneur Dufresne de Montréal.

Par ailleurs, l’homme est généreux, de diverses façons. Il est notamment à l’origine de l’École technique et de l’École de marine de Rimouski, ce qui le sert bien, car on y forme des jeunes qui deviendront ses employés. Il aidera aussi plusieurs personnes à poursuivre des études supérieures.

L’ouvrage aurait pu s’appeler « Grandeur et décadence du magnat de Rimouski ». Pour plusieurs raisons, l’empire Brillant s’est dissout. Au début des années soixante, la « Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent » a des tarifs d’électricité prohibitifs mais manque de « pouvoirs d’eau » pour alimenter sa clientèle : elle est nationalisée, ce qui procure à la famille un généreux magot. Québec-Téléphone manque de ressources pour se développer de façon concurrentielle : elle passe aux Américains contre d’autres beaux dollars. Le Conseil législatif est aboli et Brillant reçoit une généreuse pension. Et ainsi de suite, Québecair, CJBR… Tout s’écroule. Les fils n’ont pas le talent du père. Carol meurt relativement jeune, Aubert fait faillite, Jacques* échoue avec son projet de quotidien à Montréal. Les enfants de Brillant doivent se contenter des revenus de placements et de philanthropie.

Cette biographie est le produit d’une équipe formée d’un universitaire chevronné et d’un historien qui a une longue expérience de l’écriture journalistique. Les auteurs nous lèguent un ouvrage remarquablement documenté, écrit pour un large public et , je dirais même, passionnant, même si la fin est triste.

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* Sur Jacques Brillant, voir https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2016/11/17/soeur-jeanne-de-labbaye-une-satire-du-gouvernement-lesage/

 

Québec, ville huronne?

Dans Le Soleil du 28 octobre dernier, Gilles Drolet dénonçait longuement les « contorsions historiques indéfendables » avancées par le chef Konrad Sioui et la nation huronne-wendat (« Québec, Lévis et l’île d‘Orléans, villes huronnes? »  https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/quebec-levis-lile-dorleans-villes-huronnes–435a3e5b25da49e1499a18a43e5ed18c ).

Il contestait en particulier l’idée que le troisième lien serait construit sur un « territoire traditionnel » des Hurons, le « Nionwentsïo », occupé par ces derniers « depuis des millénaires » et s’étendant de Gaspé à Hochelaga en passant par Stadaconé, village « huron » dont le chef Thonnakona (Donnacona) aurait accueilli Jacques Cartier en 1535.

Il considérait indiscutable que le « pays des Hurons » se trouvait en fait en Ontario, près du lac qui porte leur nom, et que ses habitants l’ont quitté pour se réfugier à Québec en 1650. Quant au « fameux sauf-conduit de 1760 du général James Murray », qu’on a transformé en « traité huron-britannique », il ne donne aucune prise à une revendication territoriale, comme on peut le constater en lisant le jugement de la Cour suprême.

Ce long texte, appuyé sur des sources historiques, ethnologiques et archéologiques, n’a pas suscité de réplique dans les médias de Québec. Le sujet aurait pourtant bien mérité une discussion. À Montréal, sur un sujet similaire (« Montréal, territoire mohawk non cédé »), plusieurs points de vue ont été exprimés par des spécialistes qui ont quasi unanimement mis en doute la prétention mohawk*. Le Soleil en a parlé, en concluant, lui-aussi, que cette prétention était douteuse, pour le moins (https://www.lesoleil.com/actualite/verification-faite-montreal-territoire-mohawk-ac25827f59199aebd1b524b19532c472), mais n’a pas fait le même exercice de vérification pour le territoire huron, sauf pour la seigneurie de Sillery dans un texte de François Bourque (https://www.lesoleil.com/actualites/chasse-croise-en-terre-huronne-507fe38a359db4d8dc1cc7b5f1fbb43b?utm_source=dlvr.it&utm_medium=facebook).

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Il est intéressant d’aller voir ce qu’en pensait Marguerite Vincent Tehariolina, l’auteure du classique La nation huronne édité la première fois par Le Pélican en 1984 et réimprimé par le Septentrion en 1995, toujours préfacé par le grand chef Max Gros-Louis. Cet ouvrage (épuisé) était le résultat de plus de trente ans de recherches.

Le chapitre IV de l’ouvrage est intitulé « L’exode des Hurons vers une nouvelle patrie ». Il rappelle que 300 Hurons ont « quitté l’Huronnie [sic] » en 1650 et furent « accueillis, nourris et vêtus par les Ursulines, les Hospitalières et les Jésuites » (58). Une adresse prononcée par le grand chef Picard devant la reine en 1959 précise que « plus de trois siècles se sont écoulés depuis que nos ancêtres ont quitté leur pays après mille vicissitudes et se sont réfugiés sous les canons de la ville de Québec d’alors » (338).

Le chapitre XXIV de l’ouvrage traite des « Hurons illustres ». Le plus ancien est Dagandawida (305), « Huron natif de la Baie de Quinté, au pied du lac Ontario » (dont les dates de naissance et de décès ne sont pas mentionnées); le suivant est Kondiaronk, l’un des plus célèbres signataires de la Grande Paix de Montréal en 1701 (306). On passe ensuite à divers personnages des XIXe et XXe siècles, des prêtres et des chefs hurons, dont Ludger Bastien qui est identifié tantôt comme « premier député huron » (317), tantôt comme « premier métis siégeant au parlement » (318) Le chef « huron » Thonnakona-Donnacona qui aurait accueilli Jacques Cartier en 1535? Pas un mot. Ni pour Stadaconé comme « village huron ».

Aucune des nombreuses adresses aux autorités britanniques reproduites dans cet ouvrage (329-338) ne fait état d’un quelconque « traité huron-britannique »; Marguerite Vincent n’en parle pas non plus dans son texte qui ne dit à peu près rien de la guerre de la Conquête. Dans son chapitre XIII, intitulé « Situation économique des Hurons vers le XVIIIe siècle et défense des Hurons pour conserver leur territoire » (135 et ss.), elle mentionne à deux reprises (142 et 145), sans jamais le qualifier de « traité », l’existence du « certificat de protection du Général Murray » donné le 5 septembre 1760, trois jours avant de la capitulation de Montréal (8 septembre), au « chef de la tribu des Hurons [venu] pour se soumettre au nom de sa nation à la Couronne Britannique » et conclure une sorte de « paix séparée ».

Bref, entre le contenu de l’ouvrage de Marguerite Vincent et ce que Gilles Drolet appelle la « nouvelle auto-histoire imaginée par les Hurons », il y a des différences notables et une volonté de réécriture.

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*La Société historique de Montréal a organisé une table ronde sur le sujet mais la personne qui devait apporter le point de vue mohawk s’est finalement désistée.

Un monument à Kamouraska pour rappeler « l’année des Anglais » (1759)

(Allocution prononcée lors du dévoilement  du monument le 7 septembre 2019)

Le Musée de Kamouraska pose aujourd’hui un geste de mémoire. Ce monument rappelle le débarquement d’un détachement militaire anglais le 9 septembre 1759 et le début d’une opération de dévastation qui durera huit jours.

Monument Kamouraska-photo B. Généreux 3

Pendant plus de deux siècles, les gens de Kamouraska, et de la Côte-du-Sud en général, sont demeurés dans le brouillard concernant cet événement. Certains doutaient du passage des Anglais dans nos paroisses; d’autres se fiaient au roman de Philippe Aubert de Gaspé; d’autres encore, à la tradition orale. Dans sa monographie sur Kamouraska, Alexandre Paradis laissait entendre qu’il y avait eu une escarmouche près de la route de Saint-Germain, que les soldats anglais avaient exercé des représailles jusque dans l’enceinte du moulin banal, mais que les Canadiens avaient ensuite pris leur revanche. Il qualifiait la chose de « petite invasion ».

Dans ses Anciens Canadiens, Philippe Aubert de Gaspé situait le débarquement à Rivière-Ouelle. Les troupes anglaises, écrivait-il, sont accueillies par « quelques habitants de la paroisse, embusqués sur la lisière du bois » ; elles perdent quelques hommes et le commandant décide alors de se venger en mettant le feu à toutes les habitations.

Ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé. Ce n’est pas parce que les troupes ont été attaquées qu’elles ont tout ravagé. L’incendie de la Côte-du-Sud était prémédité. Plusieurs mois auparavant, Wolfe avait lui-même annoncé au major général Amherst ce qu’on pourrait appeler son « plan B »: (je cite)

« Si, pour cause d’un accident dans le fleuve, de la résistance de l’ennemi, de maladies ou de pertes militaires, nous jugions peu probable que Québec tombe entre nos mains […], je propose que nos canons mettent le feu à la ville, qu’ils détruisent les récoltes, les maisons et le bétail […], et je propose d’expédier en Europe le plus grand nombre possible de Canadiens en ne laissant derrière moi que famine et désolation ».

C’est justement ce qui se produit à la fin de l’été 1759.

Wolfe est alors désespéré. Depuis la fin de juin, l’armée britannique assiège Québec où sont regroupés les hommes en état de combattre. De Pointe-Lévy, Monckton bombarde Québec. Campé sur la rive est de la rivière Montmorency, Wolfe ne sait comment attaquer la ville. Le 31 juillet, il tente vainement de traverser au pied de la chute. Indécis, malade, contesté par ses adjoints, il voit le temps passer et appréhende le moment où il faudra lever le siège et quitter avant l’hiver.

En juin, Wolfe avait invité les Canadiens à demeurer à l’écart du conflit, mais cet avertissement n’a pas eu l’effet souhaité. Son poste et celui de Monckton sont constamment attaqués, à revers, par des vieillards et des enfants. À la mi-juillet, il avait donné jusqu’au 10 août aux habitants pour rentrer tranquillement chez eux.

Sans attendre cette date-butoir, dès le début d’août, Wolfe fait incendier Baie-Saint-Paul et La Malbaie par Goreham qui fait un crochet à la Grande-Anse (Sainte-Anne et Saint-Roch). Quelques paroisses de Lotbinière et toute la côte de Beaupré, de la rivière Montmorency jusqu’au cap Tourmente, sont aussi incendiées. Au début de septembre, il ne reste que la Côte-du-Sud à brûler.

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Grâce à la découverte du rapport du major George Scott et des mémoires de deux soldats, Pearson et Perry, on sait maintenant, assez exactement, ce qui s’est passé sur la Côte-du-Sud où il ne restait que les femmes, les enfants, les vieillards et quelques hommes en état de combattre, tous les miliciens ayant été regroupés à Québec.

Embarqué à Pointe-Lévy le 1er septembre, le détachement descend à l’île Madame. Scott y laisse la moitié des hommes, sous les ordres de Goreham, avec instruction de débarquer le 9 septembre à la rivière du Sud (Saint-Thomas). Scott arrive devant Kamouraska le 7 septembre.

Le débarquement proprement dit commence le dimanche 9 septembre, à deux heures et demie du matin. Douze heures plus tard, le détachement se regroupe à environ trois milles à l’est de l’ancienne église de Kamouraska et sort victorieux d’une escarmouche au cours de laquelle un soldat est tué et un autre blessé. Chez les habitants, l’affrontement aurait fait un mort et deux blessés. Avec cinq prisonniers, le détachement se dirige ensuite vers l’église de Kamouraska et brûle 56 maisons sur son chemin.

Le soldat Perry faisait probablement partie du premier groupe débarqué dans la nuit du 8 septembre et chargé de la mission de renseignement. Dans ses mémoires, cinquante ans plus tard, il se souvient avoir ramené à bord « un grand nombre de cochons, d’oies et de volailles » et d’avoir trouvé, dans une maison, « de grandes réserves de provisions de toutes sortes dont beaucoup de saumon mariné », ce qui leur fournit de quoi se faire un bon dîner.

Le 10 septembre, les hommes de Scott incendient 109 maisons à Kamouraska.

Le 11, le détachement détruit 121 maisons en se rendant à l’église de Rivière-Ouelle. Kamouraska aurait donc perdu environ 225 maisons en trois jours. C’est beaucoup puisque le recensement de 1762 donne environ 135 familles dans cette paroisse. Scott n’aurait rien épargné. Peut-être utilise-t-il le terme « houses » pour désigner autre chose que des habitations. Dans son bilan final, il parle de « good buildings ». Ses statistiques peuvent aussi être imprécises.

Le soldat Perry donne des détails sur le modus operandi des troiupes : (je cite)

[traduction] Le gros du détachement remontait le fleuve en incendiant et en détruisant tout sur son passage : notre compagnie les suivait à quelque distance, en rassemblant le bétail, les moutons et les chevaux, et en mettant le feu aux bâtiments isolés, etc. Nous marchions ainsi au rythme d’environ douze milles par jour. Tous les six milles, nous trouvions une église en pierre et nous nous arrêtions habituellement dans l’une pour prendre notre dîner et dans la suivante pour le souper, et ainsi de suite. Nous vivions bien, mais notre travail était ardu vu qu’il nous fallait grimper des collines et enjamber des clôtures à longueur de journée. Nous nous mettions en marche dès la barre du jour dans le but de faire des prisonniers, ce dont nous étions rarement privés. Nous subissions souvent des tirs ennemis et plusieurs des nôtres furent tués ou blessés lors de ces excursions. Quand il nous fallait traverser un pont, [les Français] le détruisaient, se cachaient sur l’autre rive et tiraient sur nous à l’improviste. »

Perry exagère un peu les pertes anglaises et le nombre de leurs prisonniers, car Scott mentionne seulement deux morts dans son camp et quinze prisonniers; Perry a cependant raison de dire qu’il y a eu plusieurs embuscades.

En route vers Rivière-Ouelle, les Anglais tombent justement dans une embuscade mais ils s’en tirent avec un seul blessé. Ils s’installent encore une fois à l’église.

Le 12 septembre reviennent sur leur pas et brûlent 55 maisons, entre le cap au Diable et la rivière Ouelle.

Le 13, nouvelle embuscade et 216 maisons brûlées en remontant la rive est de la rivière Ouelle.

Le 14, 241 maisons brûlées entre Rivière-Ouelle et Saint-Roch. Trois Canadiens sont tués dans une autre escarmouche.

Le 15, Scott fait dévaster l’arrière-pays de Saint-Roch et en ramène des bestiaux. En fin d’après-midi, pendant que ses hommes se reposent, il reçoit l’ordre de revenir à Québec. Il est cependant convenu de marcher encore quelques lieues vers un endroit où l’embarquement sera plus facile.

Le 16 septembre, la troupe marche de Saint-Roch jusqu’à l’anse à Gilles. Elle incendie 140 maisons, perd un homme dans une escarmouche et capture six femmes et cinq enfants. Le vent d’ouest empêche l’embarquement. La troupe campe vraisemblablement à l’anse à Gilles.

Le lendemain matin, c’est la marée qui empêche les vaisseaux de s’approcher tôt le matin, et on profite du délai pour brûler 60 maisons entre l’anse à Gilles et Cap-Saint-Ignace.

Dans son bilan, Scott écrit que ses hommes ont incendié près de 1000 « bons bâtiments », soit vraisemblablement la quasi totalité des maisons du bord de l’eau. Il ramène quinze prisonniers, revendique cinq morts chez les Canadiens et compte deux morts et quatre blessés dans ses rangs.

Pendant cette semaine tragique, les Sud-côtois ont résisté dans la mesure de leurs moyens, multipliant les embuscades sur le chemin des incendiaires. L’Histoire retiendra le nom de Charlotte Ouellet qui a pris les armes avec d’autres femmes à Sainte-Anne. Dans la région de L’Islet, les hommes de Scott ont fait six prisonnières qui sont probablement aussi des résistantes.

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Jusqu’à la fin du siècle dernier, il n’y avait pratiquement pas de lieux de mémoire consacrés à l’incendie de la Côte-du-Sud. À Beaumont, une plaque rappelait succinctement (17 mots) que Monckton s’était emparé de l’église et y avait affiché le placard de Wolfe invitant la population à demeurer neutre.

Église de Beaumont -plaque MCCQ-DP-MCC-2003-2017

Le 24 juin 1997, on a inauguré, devant l’édifice municipal de Saint-Jean-Port-Joli, un obélisque conçu par Armand Robitaille qui salue le courage des familles de la Côte-du-Sud qui se sont relevées après le ravage de leurs propriétés.

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Le 13 septembre 2009, on a dévoilé à Montmagny un monument qui rappelle la mort du seigneur Jean-Baptiste Couillard et de ses trois compagnons, tous tués le 14 septembre 1759, « par les Anglais » dirigés par Goreham. L’œuvre de Lucie Garant représente la silhouette d’un homme blessé mais résistant.

Monument 1759-GD

Le monument que nous dévoilons aujourd’hui constituera une pièce essentielle dans le parcours mémoriel qui s’est bâti depuis une vingtaine d’années. Ces monuments à Kamouraska, Saint-Jean-Port-Joli et Montmagny marquent des moments forts de cette semaine de septembre 1759. À chaque endroit, les touristes et les gens d’ici auront une occasion de se souvenir et seront incités à apprendre davantage sur ce chapitre de notre histoire.