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Un député errant

(Texte rédigé en collaboration avec André Gaulin, ancien député de Taschereau, et Matthias Rioux, ex-ministre et ancien député de Matane)

La colline parlementaire s’est enrichie le 6 juillet d’un nouveau monument, une reproduction agrandie du « Député arrivant à Québec », une œuvre d’Alfred Laliberté (1877-1953) réalisée vers 1930.

Il faut se réjouir de voir que le projet d’Eugène-Étienne Taché se poursuit : « Je me souviens », a-t-il fait écrire au-dessus de la porte de l’édifice qu’il a conçu pour inviter ses compatriotes à se souvenir de leurs grands personnages, à commencer par les Amérindiens, rappelons-le, jusqu’aux femmes entrées récemment dans la vie parlementaire.

Ce monument représente un député débarquant dans la capitale pour siéger au Parlement du Bas-Canada (1792-1828). Le thème est tout à fait à-propos, mais ce « Député arrivant à Québec » n’est pas débarqué au bon endroit.

Député arrivant - original

La proposition

Dans le dernier numéro du bulletin Le temps de parole (juin 2018, p. 7), on peut lire que les membres de l’Amicale des Anciens parlementaires du Québec ont adopté à l’unanimité, en 2015, « une motion, proposée par notre collègue André Gaulin, pour souligner le 225e anniversaire des institutions parlementaires et du premier Parlement du Québec ».

En réalité, la motion se lisait comme suit :

« Que l’Amicale des Anciens parlementaires du Québec assure le suivi à donner pour que mémoire soit faite du premier Parlement du Québec (1792-1838) dans le Parc Montmorency de la Capitale, Parlement dont on soulignera le 225e anniversaire en décembre 2017. »

Autrement dit, l’objectif de la proposition était de rappeler la présence de nos premiers parlementaires à l’endroit où ils ont siégé pendant près de cinquante ans; le 225e anniversaire des institutions parlementaires couvrant plus largement par la suite un ensemble d’activités.

C’est seulement en ayant cela en tête qu’on peut comprendre la suite des événements, tels que rapportés par le président de l’Amicale à l’assemblée générale de mai 2018 :

« L’Amicale en a informé le président de l’Assemblée nationale afin qu’il puisse y donner suite en concertation avec les autorités canadiennes. Après une première analyse des nombreux dossiers soumis, Patrimoine Canada a retenu la proposition de la mise en place d’un monument visant à commémorer cet événement important pour le Québec.

[…] Patrimoine Canada a accepté de contribuer, pour un montant de 215 000 $, à la mise en place d’un monument constitué de la sculpture d’Alfred Laliberté intitulée « Le député arrivant à Québec », monument qui sera érigé sur les terrains de l’Assemblée nationale et inauguré en juillet prochain. »

La réponse

On comprend alors ce qui manque dans ce résumé : le parc Montmorency est propriété fédérale et Patrimoine Canada a refusé d’y permettre le moindre rappel du passage des députés bas-canadiens, pas même « une simple plaque commémorative », « un minimum », comme l’écrivait l’auteur de la motion, en octobre 2015, au 3e vice-président de l’Assemblée nationale, chargé du Comité du 225e. Dans sa grande générosité, et ne regardant jamais à la dépense quand il s’agit de commémoration, Patrimoine Canada a offert un « prix de consolation », ce qui lui a permis d’acheter la présence d’un ministre fédéral à l’inauguration du monument et de faire des invitations aux médias, conjointement avec le président de l’Assemblée nationale. De telle sorte que des invités qui avaient accepté l’invitation du président se sont désistés quand ils ont constaté que le fédéral avait imposé sa présence, insolite en la circonstance.

Député arrivant - 7 juillet

Devant le refus de Patrimoine Canada, on se serait attendu à ce que l’Assemblée nationale se tourne plutôt vers le gouvernement du Québec pour obtenir une contribution financière qui n’aurait pas trop grugé des surplus actuels : l’a-t-elle seulement sollicité?

***

Au final, la proposition de l’Amicale a été récupérée in extremis dans la programmation du 225e et dénaturée. Non content de bloquer l’accès à son parc, le gouvernement fédéral a profité de l’inertie du gouvernement du Québec en matière de commémoration pour venir patronner un monument sur la colline parlementaire québécoise, un geste sans précédent. Où était donc la Commission de la capitale nationale du Québec particulièrement responsable de la commémoration et de l’embellissement de la colline parlementaire?

Cette triste affaire illustre une fois de plus à quel point le gouvernement fédéral contrôle le message, avec l’argent des contribuables, dans la plupart des sites historiquement significatifs de la capitale du Québec, des Plaines d’Abraham au parc Cartier-Brébeuf, en passant par les fortifications et le port, imposant ses normes, couleurs et souvenirs, et ─ dans le cas présent ─ faisant fi des nôtres. Après avoir refusé l’accès du « Député » au site où il a siégé, il faut être assez culotté (ou vraiment inconscient) pour venir à l’inauguration de ce monument et déclarer (par la voix de la ministre Mélanie Joly) que le gouvernement du Canada « est fier de contribuer à la réalisation de nouveaux monuments qui mettent en valeur les moments charnières de l’histoire du Québec » et que ce bronze « rappellera aux générations à venir le rôle fondamental qu’ont joué les premiers députés dans l’édification de NOTRE pays ». Voilà : il en coûtera quelque 200 000 dollars pour remettre encore une fois le Québec à sa place.

Comme le dirait Roland Giguère, « la grande main qui pèse sur nous [...] finira par pourrir [et] nous pourrons nous lever et aller ailleurs ».

Les « Gens de mon pays » de Roméo Bouchard

Gens de mon pays

J’ai lu avec beaucoup de plaisir les « Gens de mon pays » de Roméo Bouchard (Écosociété, 2018, 152 p.). Je partage avec l’auteur un profond attachement à la région qu’il habite, ce qui me place évidemment dans la catégorie des critiques partiaux.

Le titre emprunté à Vigneault n’est pas original, mais convient tellement bien au contenu de l’ouvrage et aux sentiments que l’auteur éprouve envers ses « sujets » qu’on ne lui tiendra pas rigueur.

Entre un chapitre initial qui rappelle les origines de la paroisse de Saint-Germain de Kamouraska et un chapitre final sur le territoire de la municipalité, Roméo Bouchard brosse le chaleureux portrait d’une quinzaine de personnes qu’il a côtoyées, accompagnées, aidées et (généralement) aimées: même l’ancien maire Bérubé, qu’on rangerait plutôt parmi les « ennemis jurés », s’en tire avec un portrait respectueux.

À travers ces portraits sympathiques, l’auteur évoque les nombreux combats qu’il a menés à Saint-Germain depuis qu’il est venu s’y établir en 1975 pour cultiver la terre, sans savoir qu’il y brasserait bien des choses, à commencer par une affaire de lisier… Avec les autres « barbus » qui formaient son clan, on peut deviner qu’il ne devait pas être reposant.

Au fil des pages, on sent que l’étranger de 1975 a su gagner la confiance des « Saint-Germains » et qu’il s’est aussi passablement assagi, sans désarmer pour autant. « Gens de mon pays » est l’hommage de Roméo Bouchard à sa patrie d’adoption et à ses habitants, une ode au Québec rural dans son ensemble. Il consacre les dernières pages aux peintres qui fréquentent Saint-Germain l’été : « Ils fixent sur leurs toiles, pour les générations à venir, les derniers paysages ruraux, les vestiges d’une culture et d’un mode de vie en voie de disparition ».

Mauvais printemps pour le Parlement

Traditionnellement, le lieutenant-gouverneur venait chaque année, en personne, procéder à l’ouverture de la session, avec « son » discours du trône, et revenait la fermeture quelques mois plus tard. Puis, on a de plus en plus prorogé la session par proclamation, sans déranger Son Excellence. À partir des années 1980, les sessions se sont souvent allongées sur deux ans, ce qui a réduit ses apparitions. Et voilà que nous venons de marquer une autre étape : pour la première fois de l’histoire parlementaire, une législature « normale » de quatre ans n’a tenu qu’une seule session. On n’a pas revu le vice-roi depuis l’ouverture de la session en 2014, ce qui a privé les simples députés de leurs vingt minutes de gloire qui consiste à participer au débat sur le message inaugural.

La session actuelle (car elle n’est qu’ajournée au 18 septembre, en principe) sera la plus longue de tous les temps, mais il est justement temps qu’elle finisse, car le Parlement ne cessait d’y laisser des plumes. Ramassons-en quelques-unes.

Seul Le Devoir a fait état d’un autre abus du pouvoir réglementaire que les lois accordent à l’exécutif. En juin 2017, le Parlement a adopté un projet qui visait à stopper la destruction des milieux humides en appliquant le principe « d’aucune perte » ; en vertu de cette loi, les promoteurs qui portent atteinte à des milieux humides doivent verser une compensation financière dans un fonds de restauration. Or, en mai dernier, le ministère du Développement durable a adopté un règlement qui réduit substantiellement les compensations financières exigées, « ce qui est en porte à faux avec la volonté d’aucune perte », selon une analyse d’impact réalisée par le ministère lui-même. En d’autres mots, le gouvernement a contredit, par décret, l’esprit même de la loi 132. Dans l’indifférence générale.

Plus remarqué, mais quand même pas pour qu’on se batte dans les autobus : dans une décision rendue par la présidence le mardi 12 juin, la ministre Kathleen Weil a été reconnue coupable d’outrage au Parlement pour avoir divulgué le contenu du projet de loi sur l’accès à l’information à des journalistes avant même qu’il ne soit déposé en Chambre.

La situation ne manquait pas d’ironie, comme l’a souligné Michel David : « Une ministre responsable des Institutions démocratiques qui est blâmée pour outrage au Parlement, c’est un comble » (https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/530496/le-bulletin-ministeriel).

Ce n’est pas la première fois que les députés d’opposition portent plainte pour outrage mais on ne se souvient plus de la dernière fois où un membre du gouvernement a été blâmé. Le leader de l’opposition officielle a soulevé la question le 17 mai, mais le président (qui avait d’autres préoccupations…) a pris quatre semaines pour rendre sa décision. Il fallait ensuite que la Commission de l’Assemblée nationale (CAN) siège pour décider s’il y aurait une sanction qui aurait pu aller jusqu’à la perte du siège. Manque de pot, la Commission a manqué de temps pour compléter le processus. De toute manière, la CAN a une majorité libérale. Donc…

Parlant de la majorité, elle s’est manifestée avec force dans le dossier du député de Brôme-Missisquoi qui a été blâmé par la nouvelle Commissaire à l’éthique pour avoir favorisé sa fille et son gendre avec son allocation de logement. Là aussi, il fallait que la décision soit entérinée par les députés et les libéraux se sont rangés derrière leur doyen. Pour ne pas « créer d’injustice », d’après le premier ministre… Selon le leader du gouvernement, dont les raisonnements créatifs nous manqueront sûrement, il n’était « pas question par ce geste de désavouer Me Ariane Mignolet ou son institution », mais il a quand même demandé une opinion juridique externe pour essayer de la contredire, influencer l’opinion publique et, surtout, son caucus.

« Le premier commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale était un chien de garde qui ne mordait pas, a écrit Rémi Nadeau. Sa successeure a mordu dès la première occasion, mais le gouvernement libéral a choisi de lui arracher les dents… » (http://www.journaldequebec.com/2018/06/20/coucouche-panier). Convenons pas ailleurs  que la Commissaire s’est un peu tiré dans le pied en blâmant le député tout en écrivant que les règles devaient être revues.

Même le président de l’Assemblée nationale a terminé la session, sa présidence et sa carrière parlementaire avec des plumes en moins. Michel David a tout dit, en quelques mots, dans son bulletin de fin de session : « Pendant des années, on a loué le travail de Jacques Chagnon (Westmount–Saint-Louis) à la présidence de l’Assemblée nationale. Tout s’est écroulé au moment où il s’apprêtait à prendre sa retraite. Ses efforts pour améliorer l’image de l’institution parlementaire ont été anéantis par les révélations sur le train de vie princier qu’il menait aux frais des contribuables et son étonnement offusqué face aux réactions qu’elles ont provoquées » (https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/530635/bulletin-de-l-opposition)..

À ce palmarès navrant, il faut ajouter que le Parlement a terminé la session avec un « salon de bronzage » bondé (https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2018/05/22/un-salon-de-bronzage-achalande/). C’est rarement bon signe quand cette « arrière-boutique » de la salle des séances fait son plein de membres exclus des caucus pour des motifs souvent peu glorieux. La semaine dernière, on y retrouvait les cas symptomatiques d’un Parlement mûr pour un renouvellement : problèmes d’éthique, problèmes de conduite et autres…

À la prorogation, probablement en août, on nettoiera l’ardoise et, à l’ouverture, on recommencera à neuf, en principe, en souhaitant, là comme ailleurs, du changement.

Nous l’avons échappé belle!

Le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/le-debat-qui-a-fragilise-notre-democratie-8d4fdc12d8ecc11e035dfd6819c289ab) est monté sur ses grands chevaux et littéralement parti à l’épouvante. Imaginez : « nous sommes passés proche d’une catastrophe démocratique », nous « avons failli nous réveiller, la semaine dernière, dans un monde bien différent de celui dans lequel nous avons l’habitude de vivre ». Pourquoi? Horresco referens, aurait dit monsieur Landry. Parce que des députés ont posé des questions sur ce qui arrivera à La Presse lorsque ses propriétaires seront libérés d’une contrainte établie il y a 50 ans. (Incidemment, personne ne s’est demandé pourquoi les propriétaires de dudit journal n’ont pas demandé l’abrogation de cette loi au cours du dernier demi-siècle, mais seulement à quelques jours de la fin de la session, obligeant le gouvernement à demander une entorse au Règlement de l’Assemblée).

Giroux

Des dérailleurs ont « réussi [...]  à ébranler fortement les colonnes du temple de la démocratie ». Rien de moins! Quelqu’un a senti la secousse, à part monsieur Giroux? La « brèche au cœur même de notre système démocratique »? On vivait déjà depuis 50 ans avec une loi « qui ne s’applique à aucune autre entreprise de presse au pays » et qui, elle, intervenait dans la vie d’un organe de presse. Nous vivions dangereusement, sans le savoir.

« Il ne faut plus que cela se produise »: que les députés se le tiennent pour dit. Mais se produise quoi? La loi vétuste a été abrogée (le Parti libéral n’allait tout de même pas oublier ses alliés) et il n’en existe aucune autre du même acabit.

Monsieur Giroux peut dormir tranquille. Ce n’est pas comme le blâme contre Yves Michaud, une entorse bien réelle à la liberté d’expression commise par les parlementaires (tiens donc!), toujours « valide » 18 ans plus tard, qui a laissé la FPJQ indifférente, refusant même de répondre à Michaud, ancien journaliste lui-même, quand ce dernier a demandé l’appui de la confrérie. Maintenant que cette dernière est sauvée de l’apocalypse, elle pourrait s’intéresser à cette infamie sans précédent dans les démocraties occidentales.

Un « salon de bronzage » achalandé

Il est temps que la législature finisse : le « salon de bronzage » déborde! En fait, il n’a jamais été aussi fréquenté depuis la crise du « beau risque » en 1984. Ces derniers temps, ça ne « dérougit » pas…

L’expression n’est pas très utilisée : elle désigne, dans le jargon parlementaire,  la partie arrière de la salle de séances de l’Assemblée nationale, sous la tribune de la presse, là où le plafond est bas, et les lumières aussi. « C’est sans doute, tantôt, l’éclairage de cette partie de l’Assemblée nationale qu’on a appelé le salon de bronzage qui a fait que vous n’avez pas pu me reconnaître », se plaignait en 1995 un ancien député de Mercier (Journal des débats, 24 mai 1995).

Le "salon de bronzage", lorsque le député de Chomedey y a fait sa fameuse déclaration.

Le « salon de bronzage », lorsque le député de Chomedey y a fait sa fameuse déclaration. Depuis, il en est sorti.

Il y a de tout dans ce qu’on pourrait aussi appeler le « Refugium peccatorum ». Car on ne s’y installe pas de bon gré. Généralement.

Le député de Gaspé s’y trouve depuis mai 2007, expulsé de son parti parce qu’il aurait accepté des cadeaux de la firme Roche alors qu’il était directeur général de la ville de Gaspé. Son chef lui a offert de réintégrer son caucus, mais il a décidé de continuer de siéger comme indépendant jusqu’à la fin de son mandat.

Le député caquiste de Groulx et ─ dernier en liste ─ le député libéral de Beauce-Sud ont été relégués au fond de la salle à la suite de révélations sur la gestion des allocations que l’Assemblée leur fournit. Une enquête est en cours sur le second.

Trois députés libéraux (Brome-Missisquoi, Laurier-Dorion et Argenteuil) ont quitté leur caucus à la suite d’allégations concernant, disons, pour simplifier, des comportements « inappropriés » (qui n’ont pas fait l’objet d’accusations).

Enfin, signe des temps, le « salon de bronzage » a un genre de cliente « trans », la député de Vachon, qui a inventé la notion de « transparlementarisme » lorsqu’elle a été élue chef du Bloc québécois au Parlement fédéral et qu’elle a néanmoins décidé de conserver son siège à Québec.

Les trois représentants de Québec solidaire sont aussi des indépendants aux fins du Règlement de l’Assemblée nationale. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, ils doivent un gros merci aux sept autres: sans eux, ils risqueraient d’occuper des sièges sous les modestes plafonniers du « salon de bronzage ».