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À l’heure des excuses aux Franco-ontariens…

Directeur d’un « bureau d’enregistrement » (« registrateur », comme on disait), Adolphe Poisson (1849-1922) occupait ses loisirs et, probablement, ses heures creuses à faire de la poésie. De là, peut-être, le titre d’un premier recueil, dont la Revue canadienne souligne la parution dans son édition de 1894,  Heures perdues

Poisson-portrait

Ce « charmant recueil de poésies », écrit-on, « fait grand honneur à notre littérature canadienne », et, pour prouver que Poisson « sait réussir dans tous les genres », passant « du grave au doux du plaisant au sévère », l’éditeur de la revue reproduit le poème intitulé « Francophobie », qu’il appelle pudiquement une « boutade humoristique ».

On comprendra aisément que Poisson utilise l’ironie pour évoquer comment les francophones étaient reçus dans l’Ontario de la fin du XIXe siècle, soit bien avant le Règlement XVII (1912). C’est donc un Canadien anglais qui parle:

FRANCOPHOBIE

Amis, entendez-vous ? Ainsi qu’une marée
Mugissant sous l’effort de ses flots révoltés,
Sur nous se précipite une race exécrée…
           
— Mais ces gens-là sont effrontés !
Ils entament déjà notre plus cher domaine,
Ils avancent par bande ainsi que font les loups,
Sous les yeux vigilants de la louve romaine…
           
— Mais ces gens-là sont des filous !
Prescott, Russell, Essex râlent sous leur contrôle ;
Carleton et Renfrew sont envahis par eux ;
Encore une poussée et l’on nous jette au pôle…
           
— Mais ces gens-là sont dangereux !
Comme une tache d’huile on les voit se répandre
Des bords de l’Acadie aux champs américains,
Et ce qu’on leur refuse ils savent bien le prendre…
           
— Mais ces gens-là sont des coquins !
Voyez ces porteurs d’eau ne rêvant que conquêtes,
Nous dire sans façon : Messieurs, déguerpissez !
Il nous faut vos prés verts et vos villes coquettes…
           
— Mais ces gens-là sont bien pressés !
Dévorés du souci d’être propriétaires,
Ces vils envahisseurs viennent en tapinois
Avec de beaux écus, nous enlever nos terres…
           
— Mais ces gens-là sont des sournois !
Défendant un par un tous les droits qu’on leur nie,
Par des œuvres de paix répondant aux affronts,
Quand nous soufflons la guerre, ils prêchent l’harmonie…
           
— Mais ces gens-là sont des poltrons !
Qu’on leur jette l’insulte, et que pour les confondre
On les traite de gueux, de Chinois, d’étrangers,
Ils vont droit leur chemin sans même nous répondre…
           
— Mais ces gens-là sont enragés !
Grâce à l’inique appui de nos lois arbitraires,
Ils se disent amis et se font dictateurs ;
Pour mieux nous dominer ils nous nomment leurs frères…
           
— Mais ces gens-là sont des menteurs !
Et pour vous démontrer jusqu’où va leur audace,
En face des vainqueurs ils font les conquérants,
Et se croient tous issus d’une héroïque race…
           
— Mais ces gens-là sont ignorants !
Ils ont des écrivains qui se mêlent d’écrire ;
Non contents de la prose ils font même des vers !
En sauteux ? en français ? Je ne saurais vous dire…
           
— Mais ils ont donc tous les travers !
Ils ont des orateurs puissants qui ne le cèdent
À nul de nos meilleurs, et même, les rusés !
Notre langue et la leur également possèdent…
           
— Mais gens-là sont bien osés !
Sous la verge de Rome et sous le fouet jésuite
Se courbent tous les fronts, rampent tous les partis I
Pas un seul n’a pleuré la liberté détruite…
           
— Mais gens-là sont des abrutis !
Tout en se proclamant bons sujets de la Reine,
Ils nous pressent partout, nous disputent nos droits,
Au lieu de nous céder la palme dans l’arène…
           
— Mais ces gens-là sont maladroits !
Ils veulent comme nous leur part de patronage ;
Être dans la milice un peu plus que sergents,
Et partager aussi la poire et le fromage…
           
— Mais ces gens-là sont exigeants !
Ils vont plus loin ! Ils nous volent, les misérables I
Jusqu’à nos plumpuddings et nos roastbeefs fumants !
Profanant sans remords ces mets si vénérables…
           
— Mais ces gens-là sont des gourmands !
Ils sont prétentieux ; même je les soupçonne,
Les naïfs ! de se croire en tous points nos égaux,
Nous qui représentons la race anglo-saxonne !…
           
— Mais ces gens-là sont des nigauds !
De leur ambition ils ne font nul mystère,
Et si l’on en croyait leurs discours imprudents,
Un des leurs serait chef du prochain ministère…
           
— Mais ces gens-là sont impudents !
De robustes enfants leurs chaumières sont pleines,
Ils essaiment partout, passent fleuves et monts,
Ils abattent nos bois, ils labourent nos plaines…
           
— Mais ces gens-là sont des démons !
Vandales d’Amérique, excités par leurs prêtres,
Sûrs des nouvelles lois et forts des vieux édits,
Ils s’emparent du sol pour devenir nos maîtres…
           
— Mais ces gens-là sont des bandits !
Le croirez-vous ? J’ai vu douze enfants par chaumière !
Même, au lieu d’en rougir, ils en sont triomphants !
D’excès si monstrueux la race est coutumière…
           
— Mais ces gens-là font trop d’enfants !
Ils parlent une langue inconnue et barbare,
Trop vulgaire et trop rude aux gosiers écossais ;
Voilà pourquoi chez nous la parler est si rare…
           
— Mais ces gens-là sont des Français !
S’ils n’étaient que Français ! mais ils sont catholiques !
Ils entendent la messe et disent l’oraison,
Au lieu de s’inspirer de nos œuvres bibliques…
           
— Mais ils ont perdu la raison !
Pour comble de scandale, ils vénèrent leurs prêtres,
Ils s’attachent au sol où sont couchés leurs morts ;
Loyaux à la Couronne, ils ignorent les traîtres…
           
— Ces Canadiens ont tous les torts !

———–

P.S.: En 1916,  un certain George A. S. Gillespie a publié une adaptation  anglaise de ce poème, sous le titre Francophobia: a new « Book of Lamentations » with a modern canadian setting. Il faut se féliciter, écrivait-il, d’avoir « changé tout cela »….

Un Jour de l’an remarquable

Notre janvier exceptionnel n’est pas sans précédent, comme on pourra le constater en lisant cet extrait de L’Opinion publique du 17 janvier 1878:

« SOUVENIRS DU JOUR DE L’AN 1878

Nous publions, cette semaine, une combinaison de dessins représentant les scènes qui feront du premier janvier 1878 le Jour de l’an le plus remarquable dans les annales du Canada. Pour cette raison, notre dessin mérite d’être soigneusement conservé. En premier lieu, nous y voyons Jean-Baptiste Canadien, un Indien de Caughnawaga, et ses deux compagnons franchissant, dans un frêle canot, les dangereux rapides de Lachine.

Janvier 1878-11

Partis du village Caughnawaga, à onze heures de l’avant-midi, le jour de l’en, ils arrivaient au bassin Jacques-Cartier vers midi et demi. Les noms des deux compagnons du célèbre guide sauvage sont Jean Stécé, autre Indien, et Charles D’Amour, Canadien-français de la paroisse de Sainte-Philomène. En arrivant au bassin Jacques-Cartier, les téméraires aventuriers furent chaudement accueillis par des centaines de curieux qui s’étaient rendus au port pour être témoins de ce fait unique jusqu’ici dans l’histoire de notre navigation. Une collecte fut faite sur les lieux pour les braves canotiers, ainsi qu’au St. Lawrence Hall, où ils furent ensuite conduits. C’est alors que Jean-Baptiste Canadien éprouva la plus orgueilleuse sensation que sa nature d’Indien pût ressentir, en apprenant, par dépêche télégraphique, à sa sauvagesse et à toutes les sauvagesses de Caughnawaga, son heureuse arrivée en ville.

Janvier 1878-12

Un autre dessin représente le voyage de plaisir à Boucherville par le bateau-à-vapeur Longueuil. Environ 600 personnes prirent part à cette excursion, plus pour la nouveauté de la chose que pour le plaisir, car le vent soufflait très fort et le froid était intense.

Janvier 1878-13

Un troisième dessin représente une course entre plusieurs chaloupes, sous la direction de Joe Vincent, depuis le quai Bonsecours jusqu’au quai de Saint-Lambert.

Janvier 1878-14

Au quatrième plan, on voit un laboureur de Saint-Bruno traçant un sillon en l’honneur du jour.

Janvier 1878-15

Le cinquième dessin représente des moutons broutant l’herbe et trouvant encore leur nourriture sur le versant oriental de la montagne.

Les deux autres dessins n’ont pas besoin d’explication ».

Janvier 1878-17Janvier 1878-16

 

Grignon et le cardinal : une autre belle histoire?

En entrevue au Journal de Montréal, la nouvelle Donalda raconte que l’auteur de la série des Pays d’en haut, « savait que Claude-Henri Grignon avait subi l’influence de l’Église au moment d’écrire son roman, au début des années 1930. Ce dernier aurait reçu plusieurs lettres du cardinal Léger, alors prêtre, lui demandant de dépeindre Donalda en épouse soumise, histoire qu’elle «montre l’exemple» aux femmes » (http://www.journaldemontreal.com/2016/01/07/la-transformation-de-donalda).

Paul-Émile Léger aurait contribué à la « censure » de l’œuvre de Grignon dans les années 1930, une intervention qui aurait échappé à l’étude très fouillée faite par Sirois et Francoli dans l’édition critique parue aux PUM en 1986? Intriguant. Est-ce qu’on entre ici en pleine légende?

Grignon 2

Dans Un homme et son péché, publié en 1933, Grignon définit le caractère d’une Donalda qui sera « soumise, chrétienne, obéissante » (1938). Il expliquera plus tard (dans un texte inédit publié par Sirois et Francoli) qu’elle ne constituait pas une exception. « Combien de mères de famille, combien d’épouses depuis des siècles se sont mariées sans aimer. Elles ne se plaignaient pas. Elles ne se révoltaient pas. Réfugiées dans le silence et la prière, elles trouvaient la force de résister à toutes les tentations […] Aujourd’hui, dans notre temps troublé, dans ce siècle de tumulte et de désordre, la femme, pour un oui ou pour un non, se révolte, se sépare et croit trouver le salut dans le divorce (cette invention de Satan) ». Celui qui, dit-on, « s’intéressait aux débuts du féminisme [?] » (L’Actualité, février 2016, page 55) se riait « des bas-bleus indécrottables, des femmes de lettres [qui] ont moqué et moqueront toujours Donalda pour la raison bien simple qu’elles n’entendent rien à cette grande mystique qui fut un personnage réel ».

Grignon 1

La Donalda du roman ne sera pas fondamentalement différente dans la série radio qui débute en 1938 et dans la série télé qui suit en 1956. Grignon n’avait pas besoin des clercs pour le guider dans sa confection d’un rôle de femme « modèle » et à quel titre l’abbé Léger aurait-il pu influencer un auteur qui écrit seul dans un grenier de Saint-Adèle dans les années trente?

Au moment où Grignon écrit, Paul-Émile Léger est jeune prêtre à Paris. Ordonné en 1929, il a ensuite étudié à l’Institut catholique et enseigné au Séminaire Saint-Sulpice jusqu’en 1933. Il quitte alors Paris pour le Japon où il fonde un séminaire et ne revient au Canada qu’en 1939.

Grignon 3

Paul-Émile Léger serait intervenu, une fois devenu cardinal (après 1953), pour guider Grignon dans la redéfinition d’un « caractère » déjà bien établi depuis vingt ans? S’il y a quelque chose, Donalda fait moins misérable à la télé que dans le roman où elle disparaissait rapidement.

PS (le 7 février 2016): échange sur cette question sur la page FB d’Éric Bédard avec un neveu de Grignon:

Gaston Deschênes Savez-vous à quel endroit l’auteur de la série aurait vu des lettres du Cardinal Léger adressées à CH Grigon? Je suis très intrigué par cette correspondance qui a échappé aux biographes de Léger et aux auteurs de l’édition critique de Un homme… en ’86.
Pierre Grignon Deux lettres du cardinal Léger existent bel et bien et qui faisaient partie des papiers de Claude-Henri Grignon dans les documents personnels qui m’ont été légués. L’une portait sur le modèle de femme chrétienne que Donalda devait continuer à inspirer, l’autre sur la fin du conflit entre le Chapelet et UN HOMME ET SON PÉCHÉ à la même heure à la radio. Je les publierai en temps et lieux.
Gaston Deschênes  Ce que j’ai lu à ce sujet, avant la diffusion de la série actuelle, dans plusieurs articles, laissait croire que le cardinal était intervenu dans les années ’30; que « des » lettres avaient influencé Grignon dans la construction du personnage de Donalda; et que, jointes à la pub qui parle de « version non censuré », ces lettres expliqueraient la « censure » des versions antérieures. Je pense que la publication des lettres dont vous parlez permettrait de mieux se faire une idée. Ce que j’ai lu de CHG me porte à penser qu’il était peu influençable et libre d’esprit.”

 

Indemnité et allocation de dépenses dans le Rapport L’Heureux-Dubé

 [Cette note fait suite à celle du 2 décembre 2013 (https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2013/12/02/le-salaire-du-depute-administrateur/) qui constituait une première réaction au rapport du Comité consultatif indépendant mandaté par l’Assemblée nationale pour étudier les conditions de travail des députés et leur régime de retraite, comité et rapport connus sous le nom de « L’Heureux-Dubé »)]

Évaluer le salaire des parlementaires est une démarche très complexe, que ce soit pour savoir ce qu’ils gagnent vraiment, comment ce qu’ils gagnent se compare avec d’autres parlementaires et ce qu’ils devraient gagner.

Rémunération de base et autres

On s’émeut souvent de constater que les députés gagnent 90 000 $ par année (2015). Le salarié moyen trouve que c’est beaucoup, d’autres que c’est bien peu, quand on compare ce revenu à certaines catégories d’employés de l’État, et même probablement misérable, comparé aux salaires de deux ou trois fois supérieurs touchés par les membres du comité L’Heureux-Dubé au cours de leurs carrières.

En fait, c’est une minorité de membres de l’Assemblée qui est réduite à cette indemnité de base car la majorité (dont tous les ministériels) touche une indemnité additionnelle attachée à une fonction parlementaire ou ministérielle. Le Rapport L’Heureux-Dubé (p. 67) précise d’ailleurs que notre assemblée est celle qui accorde le plus grand nombre d’indemnités additionnelles au Canada. Ces indemnités représentent entre 15 et 105% (pour le premier ministre) de l’indemnité de base, ce qui fait que les députés touchent, en moyenne, et selon leurs « mérites », environ 20% de plus que l’indemnité de base.

L’État rembourse naturellement les dépenses que cette fonction complexe implique : location d’un ou de plusieurs locaux dans la circonscription, dépenses de bureau, embauche du personnel approprié, déplacements dans la circonscription et de celle-ci à Québec, etc. (http://www.assnat.qc.ca/fr/abc-assemblee/fonction-depute/indemnites-allocations.html).Comme toute autre personne exécutant des fonctions pour l’État. Enfin, parfois un peu plus. Le nombre d’aller-retour Québec-circonscription est progressivement passé à 60, incluant quelques voyages pour la famille (même s’il y a au moins quelques mois sans travaux à Québec), l’allocation de logement permet d’acheter à Québec une résidence secondaire qui demeure propriété du député à la fin du mandat, l’intense réseau de relations interparlementaires favorise les voyages à l’étranger, parfois accompagnés, et les réunions avec buffet font partie de la routine.

L’intégration de l’allocation de dépenses à l’indemnité parlementaire

Le Comité L’Heureux-Dubé ne nous simplifie pas la compréhension des choses en proposant deux opérations simultanées, soit l’intégration de la traditionnelle allocation de dépenses non imposable à la rémunération de base et ensuite une hausse de salaire.

Le Comité propose que l’allocation de dépenses qui était, en 2013, de 16 027$ non imposables soit transformée en salaire imposable et d’ajouter en conséquence 30 500 $ à l’indemnité actuelle de 88 186 $ (toujours en 2013) pour former une indemnité de base de 118 686 (recommandation 1) ; il propose ensuite (recommandation 2) de porter cette indemnité de base à 136 010$, soit le « maximum de l’échelle de traitement du niveau 4 de la catégorie des dirigeants et des membres d’un organisme ou d’une entreprise du gouvernement » (une catégorie correspondant davantage à la fonction de député, selon une étude du Groupe Hay dont la pertinence mériterait ici un trop long développement) ; et, enfin (recommandation 3), que cette indemnité soit majorée chaque année du pourcentage de hausse consentie à cette catégorie d’emplois1.

Si les citoyens (et certains médias) estiment qu’il y a une augmentation de 54%, on rétorquera qu’elle n‘est en fait que de 15% si on part du « vrai salaire » (118 686$)

Dans un livre publié par l’Assemblée nationale à la fin des années 1970 et réédité en 1995 (Le député québécois), on pouvait lire ceci au sujet de l’allocation de dépenses : « Il ne s’agit pas d’un salaire. Cette allocation est versée pour couvrir les dépenses […] encourues par les députés dans l’exercice de leurs fonctions, notamment pour leur participation obligée à de nombreuses activités sociales ». Cette section du livre s’appuyait sur le constat d’un autre comité extraparlementaire et citait d’ailleurs ce passage de son rapport publié en 1987 :

« Le comité regrette que, trop souvent, une méconnaissance malheureuse de la réalité du travail de député ait amené certains observateurs politiques à considérer cette allocation de dépenses non imposable comme une seconde source de revenus devant être additionnée avec les indemnités parlementaires » (Rapport du comité sur la rémunération et allocation de dépenses des membres de l’Assemblée nationale, Québec, Assemblée nationale, 20 octobre 1987, p. 39-40).

Il n’est pas évident de saisir ce qui s’est passé depuis pour que cette « allocation parfaitement justifiée » (disait le rapport de 1987) puisse maintenant « disparaître ». Peut-être en a-t-on moins besoin depuis qu’il existe un « programme Soutien à l’action bénévole » qui met à la disposition de chacun des membres de l’Assemblée nationale une « enveloppe » permettant d’en distribuer de plus petites dans sa circonscription. Michel Hébert en a parlé avec une certaine ironie dans une chronique l’an dernier : « Des comités de loisirs à gratiner ou des organismes communautaires à subventionner ; un chèque discrétionnaire par-ci par-là, des fonds tirés du programme de soutien à l’action bénévole; c’est une discrète petite caisse, gérée par le ministère de l’Éducation, et qui permet au député de se faire valoir sans que ça lui coûte un sou…»  (http://www.journaldemontreal.com/2014/07/17/linsoutenable-legerete-liberale).

Comment les parlementaires dépensent-ils cette allocation de dépenses? Suffit-elle aux besoins? Le Comité L’Heureux-Dubé a posé la question aux parlementaires dans un sondage dont on n’a malheureusement que les questions (pages 115-116). De façon à simplifier l’administration, l’allocation est versée aux parlementaires sans pièces justificatives. On ne peut donc en contrôler l’utilisation. Le Comité peut bien recommander que l’Assemblée rende publique « l’information sur les dépenses des députés », mais quand l’allocation sera intégrée à l’indemnité, il n’en restera aucune trace.

Les conséquences de l’intégration

La transformation de l’allocation non imposable en salaire imposable ne fera pas de différence pour le fisc, mais aura des conséquences sur la masse salariale.

Les indemnités de fonction augmenteront sensiblement puisqu’elles sont établies en pourcentage d’une indemnité de base haussée de 88 186 $ à 136 010$. Le Comité a même jugé bon d’ajuster les pourcentages à la baisse pour atténuer les effets et même de supprimer quelques indemnités qui auraient pu paraître démesurées par rapport aux tâches qu’elles rémunèrent (voir le tableau de la page 117). Le tableau qui suit illustre l’effet de l’intégration de l’allocation de dépenses à l’indemnité parlementaire totale d’environ 70 titulaires de fonction (sur environ 90).

 Effets de la hausse de l’indemnité de base sur les indemnités additionnelles et l’indemnité totale pour quelques fonctions (données de 2013)

Fonctions (nombre)

Indemnité add. actuelle (% de l’ind. de base)

Indemnité add. proposée (%de l’ind. de base )

Augm. (%)

Indemnité totale actuelle

Indemnité totale proposée

Augm.  (%)

Ministres (26), Président et chef de l’Opposition

66 140 (75%)

81 606 (60%)

15 466 (23)

154 326

217 616

63 290 (41)

Présidents de commission (10)

22 047 (25%)

27 202 (20%)

5 155 (23)

110 233

163 212

57 389 (52)

Adjoints parl. (20) et vice-p. de commission (12)

17 637 (20%)

20 402 (15%)

2 765 (16)

105 823

156 412

50 589 (48)

L’effet de cette intégration sur les allocations de transition sera atténué aussi car le Comité recommande qu’elles soient calculées en fonction de l’indemnité de base (136 010$), sans tenir compte des indemnités additionnelles. Le Comité recommande de serrer la vis à ceux qui quittent avant la fin de leur mandat (et la loi adoptée en décembre a concrétisé cette recommandation), mais, sauf erreur, ces mesures ne toucheront qu’une minorité des bénéficiaires de cette allocation qui restera automatique (et plus généreuse, l’indemnité de base étant beaucoup plus élevée) pour tous ceux qui se retirent en fin de mandat ou sont défaits, ce qui constitue le sort de la grande majorité des parlementaires. Il sera même encore possible de toucher à la fois l’allocation de transition et des prestations de retraite, mais ces dernières seront soustraites du montant de l’allocation.

L’intégration de l’allocation de dépenses à l’indemnité aura aussi des effets sur les prestations de retraite qui seront calculées par rapport à l’indemnité totale. Mais, comme le Comité recommande des modifications substantielles au régime de retraite (réduction du taux annuel d’accumulation du crédit de rente à 2%, réduction du maximum de 100% à 70%, etc.), il est hasardeux d’évaluer comment la hausse substantielle de l’indemnité de base influencera les chèques de retraite. On dit que ces modifications seraient telles que la rémunération globale (indemnité, allocation de transition, pension, etc.) s’en trouverait réduite (http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/politique/201511/15/01-4921234-baisse-de-salaire-des-elus-de-2600-.php), voire que l’État pourrait même économiser…

On y reviendra.

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1. C’est donc le Conseil des ministres, formé de députés de la majorité, qui décidera ultimement de la hausse annuelle de l’indemnité en fixant celle des dirigeants d’organismes.

« Chapleau fait son jour de l’An »

Il y a 85 ans, Ovila Légaré enregistrait une chanson folklorique qui deviendra un classique du temps des Fêtes et se hissera même au quinzième rang du palmarès en 1951, Chapleau fait son jour de l’An. Jour de l'an 1881-départ

Ovila Légaré  

Né à Montréal le 21 juillet 1901, Ovila Légaré gagnait sa vie comme étalagiste et concepteur d’affiches pour des magasins de la rue Sainte-Catherine mais se passionnait pour le folklore, probablement influencé par des grands-parents amateurs de ce genre musical.

Au début des années 1920, il rencontre Conrad Gauthier et Charles Marchand dans les « Soirées de familles » organisées par Édouard-Zotique Massicotte au Monument National ; il participe ensuite aux « Veillées du bon vieux temps » animées par Gauthier.

Chapleau Ovila Légaré

À la même époque, Légaré s’initie au métier d’acteur qu’il exercera ensuite pendant un demi-siècle au théâtre, à la radio, à la télévision et au cinéma. En 1927, il tient un rôle dans Jos Montferrand au Monument National et il chante en deuxième partie du spectacle, ce qui lance sa carrière de folkloriste.

La même année, il enregistre son premier 78 tours (Pierrot n’a pas d’culottes / Brasse ton petit sac de blé) et, au tournant des années trente, il en produit des dizaines chez la compagnie montréalaise Starr dont ses grands succès, Dans l’temps du Jour de l’An, La Bastringue et Chapleau fait son Jour de l’An.

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Cette dernière chanson est enregistrée à l’automne 1930 et lancée au début de 1931. Légaré est « accompagné à la guimbarde et à l’harmonica » par La Bolduc qui est entrée dans la troupe des « Veillées » de Gauthier par l’entremise de Légaré et y participe comme musicienne.

L’œuvre est souvent attribuée à Légaré mais ce serait étonnant puisque l’étiquette du disque mentionne qu’il s’agit d’une « vieille chanson » et que Légaré n’avait alors que 30 ans. L’a-t-il recueillie auprès de ses acolytes des « Soirées de familles » ou des « Veillées du bon vieux temps » ? L’a-t-il obtenue de Marius Barbeau ? Le mystère qui entoure les origines de cette chanson est commun à bien d’autres œuvres folkloriques interprétées par Légaré dont la fameuse Des mitaines pas d’pouces identifiée elle aussi comme « vieille chanson ».

Chapleau Adolphe-gravure

Une satire sur Adolphe Chapleau?

Ce serait aussi plus logique de voir cette chanson apparaître dans les dernières décennies du XIXe siècle car il s’agirait là d’une satire dirigée contre Adolphe Chapleau (1840-1898), avocat et homme politique québécois. Premier ministre du Québec de 1879 à 1882, Chapleau passe ensuite au niveau fédéral, une expérience dont il sortira déçu, parce que MacDonald n’en fera pas son lieutenant, et discrédité politiquement à la suite des positions de son parti dans l’affaire Riel et le dossier des écoles du Manitoba. Il terminera sa carrière comme lieutenant-gouverneur du Québec de 1892 à 1898.

Jour de l'an 1881-vingtième

La chanson popularisée par Légaré met en scène un Chapleau qui fait ses visites du Jour de l’an. Après quelques visites bien arrosées, il en perd son chapeau et ses mitaines, sa carriole prend le champ et c’est un bon Samaritain qui le monte dans son berlot et l’amène chez lui où il cuve son vin pendant deux jours, « la tête lourde, la bouche épaisse »…

Adolphe Chapleau avait effectivement une réputation de bon vivant. Dans le troisième tome de son Histoire de la province de Québec, Rumilly évoque les mœurs sociopolitiques de la fin du XIXe siècle :

« La plupart de ces hommes, ayant de très beaux dons d’intelligence, étaient fils ou petits-fils de cultivateurs. Ils avaient attelé des chevaux et braconné dans les bois avant d’apprendre le latin. […] Robustes, ils mordaient dans la vie à pleines dents; c’étaient de gros mangeurs (après la perdrix, la tourtière, après la tourtière, les pattes de cochon, après les pattes de cochon, les beignes!), de gros buveurs et de gros travailleurs. Plus d’un brûlait la chandelle par les deux bouts. Montréal et Québec comptaient des restaurants dont la cuisine et la cave, justement réputées, attiraient ces gourmets qui étaient aussi des gourmands. Et, par exemple, chez le vieux Français Ollivon […], Raymond Préfontaine [député à Québec et Ottawa, ministre fédéral, maire de Montréal] discutait avec le gros Mousseau [député à Québec et Ottawa, ministre fédéral, premier ministre à Québec], non pas de l‘abolition ou du maintien du Conseil législatif, mais de la saveur comparée des divers apéritifs. Dansereau, le fort gaillard qui pouvait boire deux bouteilles de cognac par jour sans que cela parût trop […], trinquait avec Arthur Buies, toujours maigre et gueux, ou bien avec Hector Berthelot ou bien avec Fréchette [poète, greffier du Conseil législatif]. Chapleau et Mercier se tutoyaient, et il arrivait qu’on invitât le curé Labelle auprès de qui les plus gros mangeurs semblaient avoir des appétits d’enfants! »

Chapleau Adolphe - caricature

Chapleau fait son Jour de l’An

Le texte de la chanson est ici transcrit d’après l’enregistrement de 1930 sur étiquette Starr. Il en existe évidemment plusieurs versions. À la première strophe, où il est question d’un individu (ou d’un restaurant?) nommé Batifiole, un interprète invité à « Soirées canadiennes » a plutôt chanté « en sortant sa petit’ fiole », ce qui serait bien de circonstance. Par ailleurs, à la dernière ligne du deuxième couplet, plusieurs ont compris « Pis y était comm’ un croxignole » mais ce serait plutôt « Piété comm’ un croxignole, « piété » étant un canadianisme signifiant « habillé luxueusement ».

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Chapleau fait son Jour de l’An

(« vieille chanson avec violon et musique à bouche »)

- 1 -
En sortant d’chez Ferdinand
Chapleau s’sent le cœur content
Mais en sortant d’chez Batifiole
Plus il va, plus il caracole.

(Refrain)
Fu, fu, fu, mais c’pendant
Les pieds plus légers qu’la tête
Fu, fu, fu, mais c’pendant
Chapleau fait son Jour de l’An.

- 2 -
Le jour de l’an au matin
Mit l’effronté su’l'chemin
Il embarque dans sa carriole
Piété* comm’ un croxignole**.
- 3 -
Il échappe son chapeau
Son ch’val cré qu’c'est un siau d’eau
Il échappe ses mitaines
Son ch’val cré que c’est d’l'avoine.
- 4 -
En r’virant au bout du rang
Son ch’val prend le mors aux dents
Chapleau r’vole de d’sus son siège
À quatr’ patt’ dans un banc d’neige.
- 5 -
Anthime qui vient à passer
S’en vient pour le ramasser
Il tire par son fond d’culottes
Et dans son barlot l’emporte.
- 6 -
Chez lui sa femme l’a couché
Après l’avoir déchaussé
Il dormit quarante-huit heures
Sans grouiller dans sa demeure.
- 7 -
Au bout d’la deuxième journée
Il commence à s’étirer
Il se sent mal à son aise
La tête lourde, la bouche épaisse.

(Dernier refrain)
Fu, fu, fu, mais c’pendant
Les pieds plus légers qu’la tête
Fu, fu, fu, mais c’pendant
Il a fait son Jour de l’An.
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* Habillé avec luxe
**Ou croquignole, sorte de beignet.

Jour de l'an 1881-retour

On peut écouter Chapleau fait son Jour de l’An sur plusieurs sites :