Tous les articles par Gaston Deschênes

Pris sur le fait

Au milieu des années 1970, quand le député de Charlevoix était ministre des Transports, on disait à la blague qu’on ne pouvait rester trop longtemps sur le bord d’une route de son comté sans risquer de se faire asphalter!

De la même manière, ceux qui fréquentaient (trop?) le Café du Parlement risquaient pour leur part de figurer sur les cartes postales officielles de l’Assemblée nationale.

Café du Parlement0001

À preuve, cette pièce de collection (et à conviction) qui date des environs de 1977 et montre, au centre, un trio de fonctionnaires attablés un matin d’été, soit une jeune femme aux épaules dénudées assise en face d’un moins jeune homme, le soussigné, avec son fameux safari marine (et les coudes sur la table…), et en compagnie (de dos) d’un collègue à la calvitie précoce.

C’était la belle époque où les photographes pouvaient travailler sans demander de permissions, surtout aux figurants pris sur le fait d’une pause allongée.

Je me souviens (c1907)

Il a déjà été question de Rémi Tremblay (1847-1926) dans ce blogue. Ce journaliste se plaisait à décrire l’actualité en parodiant des chansons populaires, à la mode ou folkloriques. Ses pièces étaient souvent légères, et sans prétention littéraire, mais il en a produit de plus tragiques, comme Aux Chevaliers du nœud coulant (allusion aux bourreaux de Louis Riel…) qui lui fit perdre son poste de traducteur aux Communes. Celle qui suit constitue un véritable cours d’histoire pour les Canadiens français et prend pour titre la devise créée par Taché qui deviendra officielle en 1939.

Tremblay, Rémi

Je me souviens du temps où les tendres caresses
De parents vénérés savaient sécher mes pleurs,
Où Clio, me narrant les antiques prouesses,
M’entrouvrait du passé les vastes profondeurs.
Je me souviens des jours de ma première enfance,
J’étais naïf alors et je le redeviens.
Des vieux actes de foi, d’amour et d’espérance,
Je me souviens.

Je me souviens d’un temps, qui reviendra peut-être,
Où le mérite avait le pas sur l’entregent,
Où l’on sacrifiait volontiers son bien-être
Au devoir, sans passer pour inintelligent,
Où le vice doré n’osait lever la tête,
Où la seule vertu comportait tous les biens.
D’un temps où l’on était tout simplement honnête.
Je me souviens.

Je me souviens — Voyez, si j’ai bonne mémoire
Alors que sur mon front douze lustres ont lui —
Je me souviens d’exploits consignés dans l’histoire
Qui scandaliseraient nos hommes d’aujourd’hui.
Si l’on mourait encor pour défendre sa race,
Lorsqu’ils verraient surgir des héros canadiens,
Nos froids calculateurs se voileraient la face.
Je me souviens.

Je me souviens aussi des jours de défaillance.
Où nos chefs, oublieux de notre dignité
Ont, après un semblant de molle résistance,
Laissé porter atteinte à notre liberté.
De tous les tyranneaux qui se disaient nos maîtres,
De ceux qui se sont faits leurs perfides soutiens,
Des lâches apostats, des vendus et des traîtres,
Je me souviens.

Je me souviens aussi des braves patriotes
Morts au champ de l’honneur: de tous ceux qui, jadis,
Ont su rester debout en face des despotes,
Réfractaires et sourds aux lâches compromis.
De ces fiers laboureurs qui, prompts comme la foudre,
Savaient se transformer en soldats-citoyens,
(Sans vivres, sans argent, sans fusils et sans poudre.)
Je me souviens.

Je me souviens de ceux qui, dans une autre sphère,
Ont su, par leurs écrits, leurs actes, leurs discours,
Assurer, sur le sol du nouvel hémisphère,
Des généreux efforts le précieux concours.
Des hardis découvreurs, prêtres et moralistes,
Poètes, romanciers, doctes historiens,
Apôtres du progrès, orateurs, journalistes,
Je me souviens.

Je me souviens. Malgré ce qu’on a feint de croire,
Je n’admettrai jamais qu’un malheureux traité,
Nous dérobant le fruit d’une ultime victoire,
Nous décerne un brevet d’infériorité.
Nos pères, en tous lieux signalant leur vaillance,
Se sont montrés du droit inflexibles gardiens.
Admirant leurs hauts faits, des gloires de la France,
Je me souviens.

Rémi Tremblay
Tremblay, Rémi -livre

 



«One Canada, One Nation»

Curieuse pub dans Le Soleil de ce jour. Le « Centre des arts de la Confédération » (pour les non-initiés, centre culturel de l’IPE auquel nous avons tous contribué à raison de 30 cents par tête en 1964) offre un spectacle intitulé « Le père fondateur, son histoire, notre Canada ». Il faut bien lire pour comprendre qu’il s’agit de la « TournéeSirJohnA » qui met en scène John A. Macdonald.

Père fondateur

Il y aurait beaucoup à dire sur ce document historique : le spectacle est gratuit (« quand c’est gratuit, VOUS êtes souvent le produit!…»), il est hébergé (gratuitement?) à l’amphithéâtre Daniel-Johnson de l’édifice Marie-Guyart, etc.

Le meilleur est cependant sur la dernière ligne : « 12 villes. 36 représentations. 1 nation ». Une nation? Le message n’était pas assez clair qu’il fallait le terminer par ce point d’orgue insolite qui nous ramène pratiquement au temps des « mammouths laineux » de la politique canadienne (1958-1962), quand le premier ministre conservateur Diefenbaker proclamait « One Canada, one Nation », refusant d’admettre la dualité linguistique et culturelle du Canada et de reconnaître un statut privilégié aux Canadiens français, ce qui aurait favorisé une province aux dépens d’une autre. On était 25 ans avant l’invention du concept de « société distincte », qui aurait sûrement achevé le vieux Dief, mais son esprit flotte toujours un demi-siècle plus tard.

« Le « trip » musical de l’année »

Le placard publié dans Le Soleil du 10 avril nous donne le palmarès de la chanson selon le Festival d’été dit « de Québec ».

FEQ Soliel 10-4-2015

Dans la foule des artistes anglo-américains apparaissent d’abord deux Français et deux Montréalais qui chantent en anglais; puis, beaucoup plus bas (neuvième rang), Vincent Vallières suivi de la portion congrue de ceux et celles qui chantent au Québec dans la langue de la majorité. Ne cherchez pas Alexandre Belliard et les « Légendes d’un peuple », il est probablement dans les « plusieurs autres ».

En 2010, dans le programme qui avait suscité une certaine contestation (JdeQ, 1er mai 2010), Vigneault était en quatrième ligne immédiatement suivi des « Chansons d’abord ». Bref, on progresse vers le bas.

« Chanter dans la langue qu’ils veulent, c’est un choix artistique », dit le DG du FEQ. Comme choisir entre une guitare Godin, une Boucher ou une Beaulieu…

Québec, capitale de la francophonie en Amérique? Yes, sir Losique!

Dans Le Soleil du 28 mars dernier, le président du FFM s’est étonné des prétentions de Québec au titre de « capitale de la francophonie en Amérique ». Selon Serge Losique, sans Montréal, « il n’y aurait pas de francophonie en Amérique »! (http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/points-de-vue/201503/27/01-4856187-quebec-capitale-de-la-francophonie-en-amerique.php)

Les lecteurs du Soleil sont restés cois. Se sont-ils amusés de ce cinéma? Ou rentrés dans le rang? Il faut pourtant rappeler certaines choses.

Hochelaga était un désert (même les Iroquois l’avaient abandonnée) quand Champlain fonde Québec (la « capitale d’un empire », comme en rêvait Frontenac). Il faudra près de deux siècles pour que la population de Québec soit surpassée par celle de Montréal, vers 1840, mais cette dernière est alors majoritairement anglophone. Le gouvernement tente d’y installer le gouvernement du Canada-Uni, mais des émeutiers tories brûlent le Parlement (qui y est demeure seulement le temps d’une législature), excédés d’y voir un gouvernement dirigé par un premier ministre francophone indemniser les victimes bas-canadiennes des répressions de 1837-1838, avec l’appui d’un gouverneur qui parle français.

En 1867, le gouvernement de la province de Québec retrouve évidemment son ancienne capitale qui, à la fin du XIXe siècle, devient le point de ralliement des Canadiens français du continent (une expression qui inclut alors les Franco-américains). En 1880, Québec accueille la grande convention qui entend la première interprétation du « chant national des Canadiens français », Ô Canada.

Capitale-Fete nationale 1880

En 1912, le premier Congrès de la langue française y rassemble des délégués des communautés francophones du Canada et des États-Unis; l’Académie française est représentée.

Capitale-Congrès 1

Vingt-cinq ans plus tard, le deuxième congrès accueille en plus une délégation louisianaise et une délégation haïtienne, ainsi que des invités belges. Au troisième, en 1952, il y a aussi des Mauriciens.

Congrès 3

Le « Comité permanent des congrès de langue française » créé en 1912 deviendra le « Conseil de la vie française en Amérique » en 1956.

Après la Révolution tranquille, le Québec n’a plus les mêmes relations avec la francophonie canadienne mais ses horizons s’ouvrent sur le monde.

Capitale- Superfrancofête

Il y aura donc la Superfrancofête en 1974, les sommets francophones en 1987 et en 2008 ainsi que premier Forum mondial de la langue française en 2012. Tous à Québec, évidemment.

Capitale-Sommet 2008

Si « Capitale de la francophonie en Amérique » n’est pas nécessairement la meilleure expression pour décrire le statut de Québec, ce n’est quand même pas une surprise et l’idée d’un réseau de villes francophones est un projet prometteur. Pour lui donner de la cohérence, peut-être faudrait-il cibler prioritairement les villes des États-Unis qui portent la marque du passage des Canadiens français et partagent des racines avec les Québécois. Enfin revenue du rapaillage de « brandings » et en voie de guérison de son allergie au titre de « Vieille Capitale », Québec s’est donnée un slogan (« l’Accent d’Amérique ») qui dépasse les limites d’une ville « ordinaire » et elle devrait remettre au premier plan son trait de caractère le plus solide, celui qui est inscrit incontestablement dans son histoire et que David Mendel célèbre dans un livre si justement nommé : Québec, berceau de l’Amérique française.

Capitale-Québec berceau

PS : Montréal « deuxième ville francophone du monde »? Même en considérant l’agglomération et en présumant que tout le monde y parle français, elle est peut-être la quatrième, après Kinshasa et Abidjan, et n’a pas beaucoup de chances de reprendre son rang compte tenu (on peut le dire ici sans perdre des votes) « de la démographie et de l’immigration ».