(Allocution livrée lors du dévoilement du monument funériare d’Étienne Chartier à Saint-Gilles le 20 mai 2013)
Comment résumer en cinq minutes la vie d’un personnage aussi complexe que l’abbé Chartier ? Il contesta le régime et fut par conséquent fort contesté lui-même; son ministère pastoral l’a conduit de la Louisiane au cap Breton, en passant par Détroit et le Midwest ; son militantisme politique lui a fait suivre Papineau jusqu’à Paris, et lui a valu d’être surnommé « aumônier des Patriotes ».
Né dans un milieu qu’on dirait aujourd’hui politisé, Étienne Chartier fait de solides études classiques et s’initie au droit auprès des meilleurs avocats de l’époque. Admis au barreau en 1823, il ne pratique pas, dirige brièvement une école à L’Assomption et revient finalement à son premier choix de vocation : la prêtrise.
Il est encore séminariste à Québec quand Charles-François Painchaud l’invite à diriger le nouveau collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière. Chartier propose un système d’éducation axé sur la liberté et la raison. Le mémoire qu’il soumet au fondateur du collège témoigne de l’importance de l’éducation politique qui, pour les Patriotes, était la voie de la libération. En 1829, il est nommé officiellement directeur du collège et, dans son discours d’inauguration, il surprend son auditoire avec ces commentaires sur les autorités britanniques :
« [...] quel respect devait-on attendre d’eux pour les droits d’une province que leur intérêt particulier et leur orgueil national leur suggéraient de regarder et de traiter en province conquise ? […]
Forts d’une supériorité que leur donnait une plus profonde connaissance des institutions anglaises substituées aux institutions françaises dans le pays, forts surtout d’une éducation supérieure à celle de la masse des Canadiens, qu’est-ce que ceux-ci pouvaient attendre d’eux ? Le mépris, qu’ils ne nous ont pas épargné depuis la conquête.
Qu’est-ce donc qui sauvera le Canada du mépris, de la dégradation, de l’esclavage politique ? L’éducation politique […] ». (fin de la citation)
Cette envolée soulève une tempête. Contrairement à ce que certains auteurs ont pu écrire, le jeune directeur conserve l’appui de Painchaud et de son évêque, mais décide lui-même de quitter ses fonctions peu après.
Commence alors une série de courtes affectations : vicaire à Vaudreuil, curé à Sainte-Martine, à Saint-Pierre-les-Becquets, à Saint-Patrice, à Saint-Benoît. Comme plusieurs collègues, Chartier est surchargé de travail dans des paroisses où les occasions de conflits sont nombreuses.
À Saint-Benoît, il se retrouve dans un des principaux foyers d’agitation politique. Déjà partisan de Papineau et des Patriotes depuis plusieurs années, Chartier est emporté par le mouvement ; il s’engage dans les débats au point de critiquer un mandement de son évêque : il y a, écrit-il, « des cas où le souverain peut perdre son pouvoir, à savoir quand il opprime la religion de son peuple ou quand il viole les lois fondamentales de son État ». À la veille de la bataille de Saint-Eustache, le 13 décembre 1837, il se rend dans cette paroisse pour y haranguer les patriotes mais il a tôt fait de comprendre que la cause est perdue et s’enfuit aux États-Unis.
Suspendu de sa cure de Saint-Benoît, banni par lord Durham, Chartier devient curé de St. Augustine, à Philadelphie, puis de Salina, dans l’État de New York. Il garde le contact avec les leaders patriotes réfugiés à la frontière et participe à la préparation du soulèvement de novembre 1838.
En 1839, Chartier séjourne incognito au Bas-Canada dans l’espoir de raviver la cause, mais l’échec du soulèvement de 1838 et ses conséquences l’incitent à revoir ses positions. Il prend bientôt ses distances avec le groupe de Robert Nelson et tente un rapprochement avec Papineau. Il revient déçu d’une rencontre avec ce dernier à Paris et, profitant de l’arrivée d’un nouvel évêque à Montréal, il décide de rompre avec le mouvement révolutionnaire, de revenir au Bas-Canada et de demander à Mgr Bourget de lui pardonner sa conduite inconvenante pour un prêtre.
Mgr Bourget connaissait Chartier depuis le petit séminaire. Il lui demande de se faire oublier un certain temps. En 1842, l’évêque de Vincennes (en Indiana) lui confie la cure de Madison puis la direction de son grand séminaire. Un différend avec cet évêque amène ensuite l’abbé Chartier en Louisiane où il dessert la paroisse des Avoyelles. Cette fois, il conserve de bonnes relations avec son évêque, mais il s’ennuie et souhaite revenir dans son pays. L’évêque de Québec refuse de le recevoir ; celui de Montréal commence par lui confier la paroisse de Sainte-Anne, à Détroit, et, à la fin de 1845, lui accorde la paroisse Saint-Grégoire, au sud de Montréal.
À son retour d’exil, l’abbé Chartier se désengage des affaires publiques et se consacre à son ministère. Il passe cinq ans à Saint-Grégoire, non sans quelques difficultés, mais sans encourir de reproches de Mgr Bourget qui le transfère néanmoins à Sainte-Philomène en 1850. La même année, Mgr Bourget accepte de l’envoyer auprès des Acadiens du cap Breton, là où Chartier avait bien failli se retrouver après son fameux discours de 1829.
Curé de la paroisse d’Arichat et vicaire général du diocèse, Chartier se retrouve sous l’autorité d’un évêque francophobe qui meurt en 1851 et auquel succède un autre Écossais de la même trempe. L’abbé Chartier prend cette fois la chose avec un certain détachement et sa correspondance est même teintée d’humour. En 1852, il demande sa réintégration dans le diocèse de Québec et obtient la cure de Saint-Gilles-de-Beaurivage.
Enfin heureux, libéré des dettes qui l’ont accablé une bonne partie de sa vie, presque serein, mais brisé par 25 ans de pérégrinations, l’abbé Chartier ne profite pas beaucoup de sa nouvelle obédience. Il meurt le 6 juillet 1853, des suites d’une maladie du foie.
D’après Aegidius Fauteux, « sa mort passa presque inaperçue et quelques-uns seulement des journaux du temps crurent devoir la signaler en quelques lignes brèves ».
« L’humble curé de Saint-Gilles avait certainement mérité mieux que cette indifférence, écrit encore Fauteux. Sans doute, il eut de considérables lacunes […], mais il posséda d’autre part plusieurs des qualités qui font le plus honneur à l’homme. Citoyen, il ne fut peut-être pas d’une profonde sagesse, mais il aima immensément son pays […] ».
N’est-ce pas finalement la qualité essentielle d’un patriote ?
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Le livre favori
Trouvé, par hasard, ce texte de Gustave Nadaud (Roubaix, 20 février 1820 – Paris, 28 avril 1893), « goguettier » poète et chansonnier français, publié en 1870.
On le dirait inspiré par la menace du numérique sur l’avenir du livre.
Le livre de choix ou d’étude
Qu’on repasse par habitude
Et les yeux fermés à demi,
Celui qui semble de lui-même
Se rouvrir aux pages qu’on aime,
Ce livre-là, c’est un ami.
Un ami qui vous fait visite
Et qui, venant sans qu’on l’invite,
Jamais ne se montre importun,
On le déguste feuille à feuille,
Ainsi qu’un fruit mûr on le cueille,
On le hume comme un parfum.
Il n’exige pas qu’on l’admire ;
Il vous instruit sans vous le dire,
Professeur indulgent et doux,
On sent l’écrivain dans le livre ;
Il semble tout exprès revivre
Pour venir causer avec vous.
Il charme bien plus qu’il n’étonne ;
Son orgueil n’offense personne,
Il vous maintient à sa hauteur.
On finit le vers qu’il commence ;
S’il ne l’avait écrit d’avance,
On croirait en être l’auteur.
D’autres veulent un grand théâtre ;
Il leur faut la foule idolâtre
Et les chaudes ovations.
Ils cherchent les routes nouvelles,
Et vous emportent sur leurs ailes
Vers les hautaines régions.
On veut les suivre dans l’espace ;
Le souffle manque, l’œil se lasse,
On retombe tout haletant.
On rentre au logis habitable,
Et l’on retrouve sur sa table
Le livre ami qui vous attend.
Gustave Nadaud, Chansons, Plon éditeur, 1870.
« Pays chauve d’ancêtres » (Gaston Miron)
Dans une lettre au Devoir (http://www.ledevoir.com/societe/science-et-technologie/375088/fernand-seguin-meurt-une-seconde-fois), le docteur Yves Lamontagne se désole de voir que Centre de recherche Fernand-Seguin s’appellera désormais le Centre de recherche de l’Institut, conséquence du changement de nom et de statut de l’hôpital Louis-H. LaFontaine qui s’appelle, depuis le début de mars, l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.
On comprend le désappointement du docteur Lamontagne qui a fondé ce centre de recherche nommé en l’honneur du célèbre chroniqueur scientifique québécois que l’administration, écrit-il, décide de « faire mourir une seconde fois », avec un sens inouï de la commémoration, exactement 25 ans après son décès!
Seguin a des parents et des admirateurs qui s’indigneront à juste titre de cette exécution mais qui s’inquiétera de LaFontaine, rayé du même trait de plume technocratique ?
Dans un communiqué émis récemment, l’institut Douglas félicite l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal pour sa nouvelle dénomination. Le geste ne manque pas d’ironie, sûrement involontaire. L’Institut universitaire en santé mentale Douglas est fier du nom qu’il porte, celui du docteur James Douglas, une figure de proue de la psychiatrie. « Le Douglas », comme il aime s’identifier, fait partie du Réseau universitaire intégré de santé McGill (RUIS McGill), autre patronyme qui n’a pas besoin de présentation, et qu’on a choisi de conserver. Pourquoi McGill-Douglas et non LaFontaine-Seguin : a-t-on « le don de nous appauvrir même intellectuellement », comme l’écrit le docteur Lamontagne ?
L’Histoire a de curieux retours. Quand LaFontaine est devenu premier ministre en 1848 (le premier Canadien français titulaire de cette fonction), un de ses gestes les plus marquants fut de faire adopter une loi pour indemniser les victimes de la répression qui a suivi les rébellions de 1837 et 1838. Son « bill des indemnités » a tellement choqué les Anglos-montréalais que des émeutiers ont incendié l’édifice du Parlement et terrorisé la ville pendant plusieurs mois, s’attaquant même à la résidence du premier ministre à deux reprises. Le principal leader des émeutiers dans la soirée funeste du 25 avril 1849 (et dans une autre émeute quelques jours plus tard) était Alfred Perry, le chef d’une brigade de… pompiers!
Perry se vantera d’ailleurs, dans un long récit publié dans le Montréal Daily Star en 1887, d’avoir enfoncé la porte de l’édifice parlementaire avec une échelle comme bélier, brutalisé des fonctionnaires pour entrer dans la salle des séances et finalement mis le feu à l’édifice, causant notamment la perte de notre plus importante bibliothèque. Brièvement détenu, remis en liberté sous la pression populaire (Montréal était majoritairement anglophone à cette époque), Perry n’a jamais été jugé pour ses actes. Considéré comme un « éminent citoyen », il sera en 1881 parmi les fondateurs du « Protestant Hospital for the Insane », qui deviendra en 1965 l’Hôpital Douglas, et, depuis 1959, l’édifice principal de cette institution s’appelle « pavillon Perry ».
L’Histoire est-elle une matière dangereuse?
Le débat sur l’enseignement de l’histoire a repris. En fait, il n’a jamais vraiment cessé, depuis des décennies. On le constatera en lisant l’ouvrage que Septentrion a publié sur ce sujet l’an dernier (http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/livre.asp?id=3499).
Qu’il y ait plus d’histoire à l’école, on ne s‘y oppose pas trop; c’est quand il est question d’histoire nationale que le « diable est aux vaches ». La nation québécoise a beau avoir été reconnue par Ottawa; l’histoire des nations opprimées, « premières », irlandaises, acadiennes et autres, a beau susciter l’émotion légitime instantanée (sans compter les autres communautés culturelles dont les drames sont « reconnus » par la loi dans certains pays et mis à l’abri de la critique par la rectitude politique dans le nôtre), l’histoire des « personnes dont les ancêtres habitaient la Nouvelle-France » (pour utiliser une description technique) pose toujours problème quand il s’agit de la promouvoir dans les écoles. Toute tentative de consacrer plus de temps à raconter aux écoliers ce qui est arrivé à cette population et à ses descendants depuis 1759 soulève les hauts cris et la peur, comme s’il s’agissait de manoeuvres subversives.
Ce ne sont pas les autres nations ou communautés culturelles qui « partent en peur » mais bien ceux-là même qui pourraient voir LEUR histoire mieux enseignée à l’école. Pourquoi l’histoire de leur propre nation les inquiète-elle? On s’en doute un peu: c’est de la « politique » ou des « vieilles chicaces ».
On verra ce qui arrivera de la campagne menée par la Coalition pour l’histoire (www.coalitionhistoire.org). Pour l’heure, rappelons-nous qu’il fut un temps où l’histoire nationale était présente dans d’autres cours, dont le français (par les exercices de lecture) , et même dans les cours … de récréation avec le salut au drapeau!
On l’enseignait même dans les cours de « calligraphie canadienne ».
Les phrases données en exemple dans le cinquième cahier d’exercice publié par la compagnie Langlais, vers 1900, portaient presque toutes sur l’histoire du Québec et du Canada (21 page sur 24).
Quand on a écrit 15 fois « Haldimand gouverna le pays en despote de 1778 à 1785 », on s’en rappelle!
L’odyssée de Yann Martel: plus risquée que celle de Pi?
Dans une fort intéressante entrevue donnée à Guy Fournier et publiée sous le titre « L’odyssée de Yann Martel » dans les journaux de Québécor le 23 février dernier, l’écrivain explique pourquoi il a choisi de vivre à Saskatoon, une ville « à sa mesure » située néanmoins dans des « espaces illimités ».
Né en Espagne, de parents québécois de souche, éduqué en anglais, Yann Martel se dit maintenant Fransaskois mais « d’abord Canadien français » et se sent « à l’aise partout dans ce pays ». Comme il considère la langue comme un simple « véhicule » et non comme un critère d’identité déterminant, l’auteur de Life of Pi ne s’inquiète pas trop de vivre dans une province où la population de langue française est tombée sous le 1% et où le français est carrément combattu notamment par la Saskatchewan Association of Rural Municipalities qui adopte annuellement une résolution contre la Loi sur les langues officielles du Canada.
« Martel est conscient, écrit Guy Fournier, que certains îlots francophones hors Québec sont en grave danger d’assimilation. Malgré son université, où peut s’exprimer une certaine culture française, il n’y a pas assez de francophones à Saskatoon pour qu’on puisse parier sur leur survie à moyen terme ».
« You bet », comme on dit là-bas ! » Entre 1971 et 2006, le taux d’assimilation des Fransaskois est passé de 50% à 75% !
« Parce que sa compagne d’origine britannique ne parle pas encore français, que les petits compagnons de ses enfants sont anglophones, Yann s’adresse à Lola et Théo presque toujours en anglais. Les deux sont encore très jeunes et papa a bon espoir de trouver d’ici peu le moyen de les mettre à l’apprentissage du français ».
Espérons donc que monsieur Martel aura plus de succès avec ses enfants qu’avec son épouse, mais on peut parier sur le terme de l’odyssée de cette branche de la famille Martel. Ce ne sera pas la première famille de ma région partie vers l’Ouest qui sera assimilée après deux ou trois générations. Les enfants de monsieur Martel seront encore bien plus « à l’aise » que lui.