Tous les articles par Gaston Deschênes

« Pays chauve d’ancêtres » (Gaston Miron)

Dans une lettre au Devoir (http://www.ledevoir.com/societe/science-et-technologie/375088/fernand-seguin-meurt-une-seconde-fois), le docteur Yves Lamontagne se désole de voir que Centre de recherche Fernand-Seguin s’appellera désormais le Centre de recherche de l’Institut, conséquence du changement de nom et de statut de l’hôpital Louis-H. LaFontaine qui s’appelle, depuis le début de mars, l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.
On comprend le désappointement du docteur Lamontagne qui a fondé ce centre de recherche nommé en l’honneur du célèbre chroniqueur scientifique québécois que l’administration, écrit-il, décide de « faire mourir une seconde fois », avec un sens inouï de la commémoration, exactement 25 ans après son décès!
Seguin a des parents et des admirateurs qui s’indigneront à juste titre de cette exécution mais qui s’inquiétera de LaFontaine, rayé du même trait de plume technocratique ?
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Dans un communiqué émis récemment, l’institut Douglas félicite l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal pour sa nouvelle dénomination. Le geste ne manque pas d’ironie, sûrement involontaire. L’Institut universitaire en santé mentale Douglas est fier du nom qu’il porte, celui du docteur James Douglas, une figure de proue de la psychiatrie. « Le Douglas », comme il aime s’identifier, fait partie du Réseau universitaire intégré de santé McGill (RUIS McGill), autre patronyme qui n’a pas besoin de présentation, et qu’on a choisi de conserver. Pourquoi McGill-Douglas et non LaFontaine-Seguin : a-t-on « le don de nous appauvrir même intellectuellement », comme l’écrit le docteur Lamontagne ?
L’Histoire a de curieux retours. Quand LaFontaine est devenu premier ministre en 1848 (le premier Canadien français titulaire de cette fonction), un de ses gestes les plus marquants fut de faire adopter une loi pour indemniser les victimes de la répression qui a suivi les rébellions de 1837 et 1838. Son « bill des indemnités » a tellement choqué les Anglos-montréalais que des émeutiers ont incendié l’édifice du Parlement et terrorisé la ville pendant plusieurs mois, s’attaquant même à la résidence du premier ministre à deux reprises. Le principal leader des émeutiers dans la soirée funeste du 25 avril 1849 (et dans une autre émeute quelques jours plus tard) était Alfred Perry, le chef d’une brigade de… pompiers!
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Perry se vantera d’ailleurs, dans un long récit publié dans le Montréal Daily Star en 1887, d’avoir enfoncé la porte de l’édifice parlementaire avec une échelle comme bélier, brutalisé des fonctionnaires pour entrer dans la salle des séances et finalement mis le feu à l’édifice, causant notamment la perte de notre plus importante bibliothèque. Brièvement détenu, remis en liberté sous la pression populaire (Montréal était majoritairement anglophone à cette époque), Perry n’a jamais été jugé pour ses actes. Considéré comme un « éminent citoyen », il sera en 1881 parmi les fondateurs du « Protestant Hospital for the Insane », qui deviendra en 1965 l’Hôpital Douglas, et, depuis 1959, l’édifice principal de cette institution s’appelle « pavillon Perry ».
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L’Histoire est-elle une matière dangereuse?

Le débat sur l’enseignement de l’histoire a repris. En fait, il n’a jamais vraiment cessé, depuis des décennies. On le constatera en lisant l’ouvrage que Septentrion a publié sur ce sujet l’an dernier (http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/livre.asp?id=3499).
Qu’il y ait plus d’histoire à l’école, on ne s‘y oppose pas trop; c’est quand il est question d’histoire nationale que le « diable est aux vaches ». La nation québécoise a beau avoir été reconnue par Ottawa; l’histoire des nations opprimées, « premières », irlandaises, acadiennes et autres, a beau susciter l’émotion légitime instantanée (sans compter les autres communautés culturelles dont les drames sont « reconnus » par la loi dans certains pays et mis à l’abri de la critique par la rectitude politique dans le nôtre), l’histoire des « personnes dont les ancêtres habitaient la Nouvelle-France » (pour utiliser une description technique) pose toujours problème quand il s’agit de la promouvoir dans les écoles. Toute tentative de consacrer plus de temps à raconter aux écoliers ce qui est arrivé à cette population et à ses descendants depuis 1759 soulève les hauts cris et la peur, comme s’il s’agissait de manoeuvres subversives.
Ce ne sont pas les autres nations ou communautés culturelles qui « partent en peur » mais bien ceux-là même qui pourraient voir LEUR histoire mieux enseignée à l’école. Pourquoi l’histoire de leur propre nation les inquiète-elle? On s’en doute un peu: c’est de la « politique » ou des « vieilles chicaces ».
On verra ce qui arrivera de la campagne menée par la Coalition pour l’histoire (www.coalitionhistoire.org). Pour l’heure, rappelons-nous qu’il fut un temps où l’histoire nationale était présente dans d’autres cours, dont le français (par les exercices de lecture) , et même dans les cours … de récréation avec le salut au drapeau!
On l’enseignait même dans les cours de « calligraphie canadienne ».
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Les phrases données en exemple dans le cinquième cahier d’exercice publié par la compagnie Langlais, vers 1900, portaient presque toutes sur l’histoire du Québec et du Canada (21 page sur 24).
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Quand on a écrit 15 fois « Haldimand gouverna le pays en despote de 1778 à 1785 », on s’en rappelle!
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L’odyssée de Yann Martel: plus risquée que celle de Pi?

Dans une fort intéressante entrevue donnée à Guy Fournier et publiée sous le titre « L’odyssée de Yann Martel » dans les journaux de Québécor le 23 février dernier, l’écrivain explique pourquoi il a choisi de vivre à Saskatoon, une ville « à sa mesure » située néanmoins dans des « espaces illimités ».
Né en Espagne, de parents québécois de souche, éduqué en anglais, Yann Martel se dit maintenant Fransaskois mais « d’abord Canadien français » et se sent « à l’aise partout dans ce pays ». Comme il considère la langue comme un simple « véhicule » et non comme un critère d’identité déterminant, l’auteur de Life of Pi ne s’inquiète pas trop de vivre dans une province où la population de langue française est tombée sous le 1% et où le français est carrément combattu notamment par la Saskatchewan Association of Rural Municipalities qui adopte annuellement une résolution contre la Loi sur les langues officielles du Canada.
« Martel est conscient, écrit Guy Fournier, que certains îlots francophones hors Québec sont en grave danger d’assimilation. Malgré son université, où peut s’exprimer une certaine culture française, il n’y a pas assez de francophones à Saskatoon pour qu’on puisse parier sur leur survie à moyen terme ».
« You bet », comme on dit là-bas ! » Entre 1971 et 2006, le taux d’assimilation des Fransaskois est passé de 50% à 75% !
« Parce que sa compagne d’origine britannique ne parle pas encore français, que les petits compagnons de ses enfants sont anglophones, Yann s’adresse à Lola et Théo presque toujours en anglais. Les deux sont encore très jeunes et papa a bon espoir de trouver d’ici peu le moyen de les mettre à l’apprentissage du français ».
Espérons donc que monsieur Martel aura plus de succès avec ses enfants qu’avec son épouse, mais on peut parier sur le terme de l’odyssée de cette branche de la famille Martel. Ce ne sera pas la première famille de ma région partie vers l’Ouest qui sera assimilée après deux ou trois générations. Les enfants de monsieur Martel seront encore bien plus « à l’aise » que lui.

Ringuet, Arcand et le spectre de la disparition

À sa deuxième année d’existence, Septentrion publiait Ringuet en mémoire, 50 ans après Trente arpents, les actes d’un colloque organisé par l’UQTR à l’occasion du cinquantième anniversaire de ce classique de la littérature québécoise. L’ouvrage est naturellement passé « sous le radar », ce qui a eu « l’avantage » de ne pas attirer l’attention sur une bourde originale, une erreur dans le titre même du livre qui est devenu Ringuet en mémoire, 50 ans après Trente après! Le métier d’éditeur n’a-t-il pas pour intérêt marginal de nous apprendre à faire de nouvelles formes d’erreur?
Cette bêtise m’est revenue à la mémoire quand est sorti dernièrement le livre de Denys Arcand, Euchariste Moisan (Leméac) qui constitue en quelque sorte un résumé du Trente Arpents de Ringuet. Moisan est le « héros » du roman, un agriculteur fier et prospère qui, de malchance en faux pas, se retrouve veilleur de nuit dans un entrepôt en Nouvelle-Angleterre, ruiné, déshonoré et menacé d’assimilation comme des milliers d’autres compatriotes exilés. C’est là que le cinéaste le « retrouve » et lui fait raconter sa vie dans un long monologue de 79 pages.
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Si les médias ont évidemment ignoré les actes du colloque de 1988, l’opuscule de Denys Arcand a bénéficié d’une large couverture de presse : une page dans Le Soleil, plus d’une dans La Presse, deux dans le Journal de Québec, pour ne parler que des médias écrits. C’est l’effet de « la vedette qui publie ». La Presse a même titré « Pourquoi Ringuet n’est pas ringard ». Le texte de Chantal Guy rappelait que les étudiants de son époque n’avaient retenu qu’une « grosse déprime » de ce roman, et de la littérature québécois en général, alors qu’ils n’avaient aucun problème avec la noirceur des romans russes, américains ou français :
« On ne peut pas lire ce roman, écrivait-elle, sans ressentir de la pitié pour cet homme et un profond désespoir. Voilà sûrement pourquoi on ne le lit pas. Ça fait trop mal. Mais si ça fait mal, c’est bien parce que ça nous parle, parce que c’est une douleur et une peur qu’on ressent encore. En ce sens, dans son esprit même, Trente arpents est toujours d’actualité. Ce qui est encore plus désespérant… » (http://www.lapresse.ca/arts/livres/chroniques/201301/25/01-4615138-pourquoi-ringuet-nest-pas-ringard.php)
Cinéaste, mais historien de formation, Arcand n’avait pas encore lu ce roman qui évoque « la menace constante d’une disparition du peuple canadien-français ». Au-delà des grandes qualités littéraires de l’ouvrage, il a ressenti un choc :
« C’est terrifiant. Mais le destin du Québec a toujours été très étonnant. Normalement, en 1763, si on regardait ça, on se disait que dans une génération, les Canadiens français auraient disparu. Même chose pendant l’exode aux États-Unis. Eh bien non, ils sont encore là, ça continue. Il y a comme une sorte de miracle québécois, mais qui est toujours horriblement menacé. C’est toujours d’actualité et c’est ça qui est absolument affolant. […]. Un peuple conquis, c’est ça, le grand problème. Nous étions faits pour être français. Mais nous ne le sommes pas. Nous n’avons pas pu l’être. Dans une mer anglophone, ça va toujours être là. Peut-être qu’on n’en sortira jamais » (http://www.lapresse.ca/arts/livres/entrevues/201301/25/01-4615129-denys-arcand-le-spectre-de-la-disparition.php).

Le patrimoine de Québec menacé : une « légende urbaine »?

La conseillère municipale du district de la Chute-Montmorency et responsable de la culture et du patrimoine a réagi à une chronique de Jean-Simon Gagné (http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/chroniqueurs/201301/15/01-4611675-ceci-nest-pas-un-texte-sur-le-patrimoine.php) en dressant une liste de sept « sauvetages du patrimoine signés Équipe Labeaume » (Le Soleil, 26 janvier 2013). Cette nomenclature se termine par la phrase classique (« Je pourrais poursuivre cette énumération longtemps ») qui ne cache jamais le fait que le meilleur est derrière.
La liste des « sauvetages » doit être entendue avec les bémols appropriés et une distribution correcte des mérites. Les Nouvelle Casernes apparaissent en tête, mais on se rappellera que leur sauvetage relèvera d’abord du gouvernement du Québec… s’il trouve les crédits que les libéraux avaient oubliés quand ils ont fait leur annonce électorale surprise en juillet dernier. Le mérite du sauvetage de la maison Loyola revient d’abord à la fondation Jules-Dallaire qui a permis d’acquérir le bâtiment historique ainsi qu’aux grandes corporations et au ministère de la Culture qui ont fourni le financement. Le monastère des Augustines était-il en danger? Si son avenir est assuré, c’est essentiellement grâce à la Fiducie du patrimoine culturel mise sur pied par cette communauté. Le temple Wesley, qui deviendra la maison de la littérature? Bon point : la ville a restauré et réaménagé son propre bâtiment. Quant à l’église « éreintée » de Saint-Denys-du-Plateau, dont le caractère patrimonial en fera sourire plusieurs, qu’en restera-t-il de vraiment d’authentique une fois le recyclage terminé?
La liste comprend aussi deux « sauvetages » dans l’arrondissement de la conseillère, soit le Couvent de Beauport (une « perle du patrimoine » achetée par la ville) et le quartier Everell (désormais sous le contrôle de la Commission d’urbanisme), mais peut-on convenir que ces deux dossiers, si importants soient-ils pour les Beauportois, ne sont pas de grands enjeux pour le patrimoine de la capitale?
Les vrais enjeux sont ailleurs, particulièrement là où il y a des conflits avec des promoteurs, ce qui n’a pas été le cas dans la plupart des « sauvetages » évoqués ci-dessus. L’avenir du patrimoine de Québec ne se jouera pas dans les anciennes banlieues mais au cœur de la ville, dans le Vieux-Québec, le secteur de la Grande Allée, le Vieux-Sillery.
Parmi les dossiers déterminants figure celui de l’agrandissement de l’Hôtel-Dieu dont les plans finiront bien un jour par apparaître : jusqu’où la ville acceptera-t-elle de voir aggravé ce qui constituait déjà une erreur dans les années cinquante? Autre dossier d’envergure (et bien plus corsé que la protection des résidences de villégiature du quartier Everell) : le développement de terrains patrimoniaux dans l’arrondissement historique de Sillery. Le maire de Québec « se désengage complètement de la planification du développement des domaines patrimoniaux de Sillery [et] renvoie la balle aux représentants du ministère de la Culture », pouvait-on lire dans Le Soleil le 14 septembre dernier. La ville (en conséquence?) n’était pas représentée, le 22 janvier dernier, à l’annonce de la consultation, une initiative pour laquelle on semble « peu emballé » à Québec, selon Le Devoir.
Ce désintérêt cadre mal avec l’acte de foi qui nous est proposé par madame la conseillère. Sa lettre nous laisse aussi sur notre appétit quand elle évoque « la vingtaine de démolitions qui ont été évitées sur Grande Allée grâce à l’intervention de la Commission d’urbanisme ». Une vingtaine de démolitions demandées par « des promoteurs gourmands »? Sur Grande Allée seulement? Récemment? On voudrait bien en savoir davantage, mais on sait déjà qu’il faut continuer de s’inquiéter : les dangers qui menacent le patrimoine de Québec sont peut-être encore pires qu’on le pense.