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Je me souviens : une nouvelle pièce au dossier

Une nouvelle pièce s’est ajoutée au dossier du Je me souviens en mai dernier lorsqu’un groupe de descendants d’Eugène-Étienne Taché, architecte de l’Hôtel du Parlement et auteur de la devise, a remis au président de l’Assemblée nationale une lettre collective exposant par écrit, pour la première fois à ma connaissance, la thèse selon laquelle la devise Je me souviens est « un abrégé de l’intégral Je me souviens que né sous le lys je croîs sous la rose, ce texte ayant évidemment dû être abrégé pour être inscrit sur la façade du Parlement ». Les signataires soutenaient aussi que Taché aurait « souvent expliqué » son intention à sa famille; cette « mise au point fut à maintes reprises faite par madame Taché, décédée en 1931, à ses trois filles » et ces dernières « ont transmis cette information à leurs propres enfants ».
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Le premier problème avec cette tradition familiale est qu’aucune autre source ne la corrobore.
Aucune des personnes qui ont écrit sur le sujet à l’époque de Taché n’a évoqué l’existence de cet « intégral ». Pourquoi Taché n’en aurait-il pas informé Thomas Chapais, alors président du Conseil législatif et ministre sans portefeuille, ou Ernest Gagnon, secrétaire des Travaux publics, deux hommes qu’il connaissait très bien et qui s’ingéniaient, en 1895 et 1896, à expliquer le sens de la devise? Il leur aurait évité bien des soucis, ainsi qu’à tous les autres qui en ont cherché la source pendant des décennies. Il y a quelque chose qui heurte l’intelligence dans cette idée que seuls les proches de Taché connaissaient ce prétendu « intégral » et en ont préservé le secret pendant presque un siècle. En effet, de la création du Je me souviens, vers 1883, jusqu’à son apparition sur les plaques d’immatriculation, en 1978, on ne trouve aucune source, texte, dictionnaire ou recueil de citations expliquant l’origine et la signification de la devise par cet « intégral » ni d’ailleurs aucune trace écrite de cet « intégral », entre 1908 et 1978, date où une petite-fille de Taché intervient dans The Montreal Star pour dire que Je me souviens est « just part of it ».
Le second problème est que cette croyance est explicitement contredite par des auteurs très crédibles contemporains de Taché.
Dans Le fort et le château Saint-Louis (Montréal, Beauchemin, 1908), après avoir rappelé que Taché a donné au Québec son Je me souviens, Ernest Gagnon écrit qu’on pourrait peut-être lire bientôt « sur un de ses monuments cette autre devise si poétique et si vraie : Née dans les lis, je grandis dans les roses ». Dans un article publié la même année, Gagnon précisait son information : « On a parlé, il y a quelque temps, d’une œuvre d’art représentant une femme, une adolescente gracieuse et belle, symbole de la Nation Canadienne. Cette allégorie de circonstance, qui est encore inédite, devrait être accompagnée de la devise: Née dans les lis, je grandis dans les roses / Born in the lilies, I grow in the roses. »
Le projet de monument ne s’est pas concrétisé, mais Taché a « recyclé » son idée sur la médaille commémorative qu’il a conçue pour le troisième centenaire de la ville de Québec en 1908. On peut en effet y lire : « Née sous les lis, Dieu aidant, l’œuvre de Champlain a grandi sous les roses ».
La citation la plus convaincante est toutefois celle de David Ross McCord (fondateur du Musée McCord), qui écrivait ceci dans un cahier de notes, vers 1900, sous le titre « French sentiment in Canada » :
[Traduction] « … personne ne peut nier la beauté et la simplicité du Je me souviens d’Eugène Taché. Siméon Lesage et lui ont fait plus que quiconque au Canada pour une architecture de qualité dans la province. D’ailleurs, Taché n’est-il pas aussi l’auteur de l’autre devise, Née dans les lis, je croîs dans les roses, à laquelle nous lèverons tous nos verres. Il n’y a rien là pour favoriser la désunion ».
Ce commentaire établit, sans l’ombre d’un doute, que Je me souviens et Née dans les lis, je croîs (ou grandis) dans les roses étaient deux devises distinctes et ne constituaient pas un « poème » comme plusieurs le prétendent. Mieux encore, les deux devises ont un sens différent et McCord préfère nettement la seconde.
Taché s’est peu exprimé par écrit, mais c’était un homme de goût, instruit et cultivé. Ses deux devises sont bien frappées et il est difficile d’imaginer qu’il soit l’auteur d’une phrase aussi maladroite que « Je me souviens que né sous le lys je croîs sous la rose ». On y trouve notamment une évidente faute de concordance des temps (le verbe croître doit être au passé, je crûs ou j’ai crû) et l’ensemble porte à croire qu’il s’agit d’un collage des deux devises réalisé après la mort de leur auteur (1912).
Par qui et pour quoi? Mystère, mais la note de McCord et l’inconfort qu’elle exprime face à la devise révèlent que cette dernière dérangeait ceux qui la considéraient trop exclusivement francophile; on aurait donc utilisé l’autre devise comme complément, contrepartie ou réplique, ce qui a eu pour effet de donner au Je me souviens un sens très particulier : en effet, la proposition principale du prétendu « intégral » serait « Je me souviens que … je croîs [sic] sous la rose ». Dans ce bricolage, la référence aux origines françaises du Québec (« né sous le lys ») devient une proposition secondaire et la devise ainsi « remaniée » évoque les bienfaits de la Conquête, un détournement de sens qui n’est pas innocent.

Les Acadiens et leur hymne national

Les Acadiens célèbrent aujourd’hui leur fête nationale. Ils ont la chance, eux, de pouvoir entonner un hymne officiel. Pas de pays, pas de territoire aux frontières précises? Peu importe. Ils n’ont que faire de l’objection formulée ici lorsque Raoul Duguay a proposé un hymne québécois récemment : « Québec n’est pas un pays », donc il ne pourrait avoir d’hymne national… C’est pourtant une nation reconnue par Ottawa.
Le chant national acadien a été choisi en 1884 lors de la deuxième convention nationale des Acadiens dans les instants qui ont suivi le dévoilement de leur drapeau, un tricolore orné d’une étoile dorée. Quelqu’un entonne alors le chant religieux bien connu Ave Maris Stella (Salut, astre des mers) et l’assemblée décide sur le champ qu’il s’agira désormais de l’hymne national.
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La première strophe se lit comme suit :
Ave maris stella (Salut, Astre des mers)
Dei mater alma (Auguste mère de Dieu)
Atque semper virgo (qui toujours demeuras vierge)
Felix coeli porta (heureuse porte du ciel) (bis)
Amen (Amen)
À partir des années 1960, plusieurs contestent l’Ave Maris Stella, un hymne religieux, mais une majorité d’Acadiens souhaite le conserver. En 1994, à la suite d’un concours pour créer une version française, le texte de Jacinthe Laforest, journaliste à La Voix acadienne est choisi et l’hymne est chanté en français (avec une première strophe latine) à la clôture du premier Congrès mondial acadien.
Ave maris stella
Dei mater alma
Atque semper virgo
Felix coeli porta (bis)
Acadie, ma patrie
À ton nom je me lie
Ma vie, ma foi sont à toi
Tu me protégeras (bis)
Acadie, ma patrie
Ma terre et mon défi
De près, de loin tu me tiens
Mon cœur est acadien (bis)
Acadie, ma patrie
Ton histoire, je la vis
La fierté, je te la dois
En l’avenir je crois (bis)
L’enregistrement ci-joint comprend deux strophes en latin (http://www.youtube.com/watch?v=Xy73pY1LiLY).

« Fantastique »

Dans le Devoir du 29 juillet, Christian Rioux a publié une analyse acide du comportement de nos médias lors du passage des Metallica, U2 et autres Sir Paul au Québec (http://www.ledevoir.com/politique/quebec/328349/comme-les-americains).
Quelques extraits :
« À Paris, à Rome ou à Berlin, ces grandes productions passent plusieurs fois par année. Mais elles font rarement la une des médias généralistes. On en parle évidemment dans les pages culturelles et les médias spécialisés.
Ici, dès qu’une grande vedette anglo-saxonne débarque, le grand chœur des colonisés se répand en courbettes. C’est comme si Metallica nous faisait une faveur inestimable. Comme si les nouveaux dieux nommés Bono ou Lady Gaga nous avaient désignés comme le nouveau peuple élu. Que Sir Paul prononce quelques mots en français sur scène et c’est le délire. Voilà qu’une armée de chroniqueurs et d’animateurs le remercient d’avoir daigné parler la langue de l’autochtone […].
Partout où il va, Paul McCartney prononce quelques mots en allemand, en chinois ou en slovène, et cela n’étonne personne. Sauf ici, où nous avons poussé le mépris de nous-mêmes jusqu’à ne plus juger de notre réussite culturelle qu’à l’aune du regard des autres ».

Les observations de Rioux auraient pu s’appliquer aussi au « Kate and William Tour » qui a suscité le même genre de réactions. Quelques jours plus tard et il aurait pu ajouter le cas Rod Stewart. Sept pages dans le Journal de Québec ce matin, onze dans Le Soleil ! « Full front pages » incluses, comme ils disent. On sait tout : ce qu’il portait, ce qu’il a mangé et bu, la marque et la couleur de la voiture, et ce que son groupe a visité, soit les chutes et un magasin Super C. ! Et dire que le spectacle semble avoir été moyen, selon la critique du Soleil . Daniel Gélinas aurait commenté brièvement : « C’est un bon artiste »… Et nous n’avons pas de réaction du maire. ..
Stewart n’a pas parlé de Lévis mais aurait dit en français « fantastique », une fois, mais c’était peut-être plutôt … « fantastic ». Peut-être connaît-il les Denis Drolet (http://www.youtube.com/watch?v=nliLWKaH0lQ). N’est-ce pas réconfortant?

Métallica et le drapeau du Québec

Selon des informations confirmées par des spectateurs, le drapeau brandi par le bassiste du groupe Metallica en fin de spectacle (http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/dossiers/festival-dete/201107/18/01-4418987-metallica-photos-de-famille.php) était « l’oeuvre » d’un admirateur. Une partie des commentaires émis dans la note d’hier n’est donc pas appropriée, et la note elle-même perd sa cohérence, d’où sa suppression.

« Bonsoir, ils sont… partis! »

Était-ce un défilé de mode, une tournée de promotion, un test de « couronnabilité » effectué sur des sujets lointains? Difficile de conclure que la « mission » ou « l’opération » est réussie, comme l’ont écrit Gilbert Lavoie et André Pratte, et comme l’a proclamé Benoît Pelletier, quand on n’en connaît pas le but?
S’il faut en croire la presse britannique, William et Kate auraient fait preuve de courage en s’embarquant dans la frégate « sailing up the St Lawrence river to Quebec City, traditionally the centre of the separatist movement ». Passons sur l’ignorance du Guardian en politique (Québec, foyer séparatiste!!!) et en géographie (« sailing UP to Québec »!); il demeure que les futurs biographes royaux auront besoin de tout leur esprit critique lorsqu’ils utiliseront les vieux journaux anglais.
Que penseront-ils des nôtres, sinon qu’ils étaient complètement subjugués (i.e. « sous le joug ») dès que Kate souriait ou que William roulait ses manches, que le couple prenait la peine de visiter un hôpital ou une maison de jeunes, comme si ce n’était pas que le minimum du convenu pour les « royals » et leurs représentants dans les anciens « dominions ». Dans l’ouest, on a noté des regards amoureux : pas trop étonnants pour de jeunes mariés. Dans l’est, Williams a fait amerrir son hélico en compagnie d’un moniteur: grosse affaire pour quelqu’un dont c’est le métier, comme un taxi qui « parquerait son char dans le trafic » au centre-ville. Notre presse s’est ébahie particulièrement quand le prince a parlé français à Québec, comme s’il s’agissait d’un exploit olympique, alors qu’il a bien péniblement lu quelques lignes de banalités (comme souligner la bravoure du 22e, et la joie de vivre des Québécois…), 110 mots qu’il avait eu toute la nuit pour examiner. Personne n’a souligné qu’on était loin du français que parlait sa grand-mère à son âge, comme en témoigne le film de son voyage à Québec en 1951.
La bravoure du petit couple aurait consisté à tenir une conférence de presse (une seule) pour expliquer le but sa mission au Canada. Quelqu’un aurait pu demander au prince héritier comment on appelle un pays dont le chef est le souverain régnant d’un autre État, sinon une colonie. Mais on rêve : les princes ne s’abaissent pas à communiquer avec leurs sujets, sauf pour leur faire des « tatas », serrer des mains à l’occasion (lorsqu’il y a autant d’agents derrière eux que derrière la ligne des admirateurs triés sur le volet), parler « de la maternité et de la tarte aux pommes », comme ils disent, dans des atmosphères strictement contrôlées. Encore aurait-il fallu qu’un journaliste ait le front de poser la question. Or, nos journalistes les plus sérieux ont succombé, comme l’écrivait Mario Cardinal dans Le Devoir : « la télévision de Radio-Canada a complètement perdu la mesure ». À RDI, Marc Laurendeau a entrepris de nous démontrer qu’une monarchie constitutionnelle est plus démocratique qu’une république! Alain Dubuc (La Presse) et Donald Charrette (Journal de Québec) nous ont invités à nous résigner au statu quo, vu qu’il serait trop difficile de supprimer la monarchie… Et on ne parle pas ici de jeunes journalistes dépourvus de repères historiques et politiques.
Du côté des politiciens, le ravissement a été tout aussi général, mis à part Amir Khadir, les péquistes et les bloquistes (qui ont d’autres préoccupations). Plusieurs, dont le ministre responsable de la région de Québec, ont résumé leur vision en disant que c’était « bon pour Québec », ce qui n’est pas fondamentalement différent du point de vue de Khadir qui comparait le couple princier à de « bêtes de cirque » en tournée. Il a retiré cette dernière expression, mais n’en pensait pas moins : si c’est une question de promotion touristique, louons-les à tour de rôle. Et n’oublions pas les régions : Princeville, Windsor, Katevale, Saint-Régis…
Ce qui s’est avéré particulièrement paradoxal la semaine dernière fut de lire des chroniques (comme celle de Dubuc, de La Presse) qui ont à la fois réprouvé les manifestants antimonarchistes ET souligné que les Québécois sont à quelque 60% contre la monarchie. Au fond, les vrais courageux dans cette affaire sont les membres du RRQ qui ont choisi de dire ouvertement ce que pense la majorité des Québécois, envers et contre tous ceux qui les ont vilipendés dans les semaines qui ont précédé la visite. Ils ont été beaucoup plus honnêtes que les députés néodémocrates de la région de Québec qui ont fait des pieds et des mains, voire de la gueule, pour figurer devant les « kodaks » alors que le programme de leur parti prône l’abolition de la monarchie! Certains observateurs ont minimisé l’importance de la banderole déployant un « Vive le Québec libre » au moment où le prince lisait son boniment. Reconnaître que la RRQ avait réalisé un coup astucieux aurait témoigné d’un « fair play » qu’on dit britannique : faut croire qu’ils ne sont pas complètement colonisés.