La valse des statistiques du 400e est commencée et durera plusieurs mois puisque les livres ne seront pas fermés et que le bilan de la Société du 400e ne sera pas connu avant le début de 2009.
Convoqué par le conseil municipal, le directeur général du 400e a lancé les premiers chiffres : 8 millions de personnes auraient participé aux quelque 290 événements. Le Red Bull Crashed Ice, le championnat mondial de Hockey, le Festival d’été, les Fêtes de la Nouvelle-France et le Congrès eucharistique sont-ils comptés? On verra au rapport final.
Quelques jours plus tard, c’était la fermeture de l’Espace 400. On y aurait compté 1,2 million de visiteurs dont 600 000 spectateurs pour le Moulin à images. Sur quelles évaluations de foule s’appuient ces chiffres? En fait, cela n’a pas tellement d’importance. En a-t-on eu pour notre argent, pour les fonds publics investis plus précisément? Impossible de le dire. Quand presque tout est gratuit, comment mesurer la rentabilité ou la satisfaction, mais on retiendra une chose : il y avait du monde et tout s’est déroulé correctement, à part quelques embouteillages et des petites prises de bec sans conséquences entre spectateurs du Moulin. Quand les restaurants ne suffisent plus à la tâche, et qu’il s’en trouve même pour fermer pour cause d’épuisement, c’est qu’il y a beaucoup de monde. Si le succès se mesure à cette aune, c’est réussi.
Les chiffres laisseront cependant libre cours aux interprétations. Dans son bilan esquissé à la fermeture de l’Espace 400e, le directeur général rappelait que ce lieu lui semblait une sorte d’Expo 67. La comparaison ne manque pas de pertinence. Du 3 juin au 28 septembre, on y offrait « 120 jours de rencontres inoubliables avec des artistes, chanteurs, musiciens, danseurs, acrobates, historiens, conférenciers, des gens d’ici et d’ailleurs venus célébrer les 400 ans de Québec ». Les historiens semblaient détonner dans la liste? Ils participaient aux « Grandes Rencontres », qui constituaient le volet intellectuel élaboré sous la direction de l’anthropologue Bernard Arcand et s’annonçaient « fascinantes tantôt écolos, tantôt gastronomiques ou encore historiques ».
On notera l’ordre de préséance qui concorde assez bien avec les statistiques fournies par le site Internet du 400e. Espace 400e a accueilli « 700 artistes d’ici et d’ailleurs » sur sa Grande place et « 6 500 artistes locaux, amateurs et passionnés, ont fait montre de leur talent sur la Scène des Jardins éphémères IGA ». Ont fermé la marche les « 78 conférences et classes de maître ». dont environ le tiers portaient sur l’histoire.
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Les « ivrognes » de Québec
Jean-Simon Gagné a frappé juste avec sa chronique sur les projets de construction dans le Vieux-Québec («Promesses d’ivrogne», Le Soleil, 28 septembre): « Un promoteur veut ériger un édifice moderne à l’intérieur du périmètre historique? Hips! D’accord pour cette fois. Après, c’est fini. Un bâtiment aura quelques étages de plus que la limite autorisée? Hips! On fera une entorse au règlement, même si on avait promis de ne plus faire ce genre de chipotage. [...] Un projet immobilier est mené sans trop de consultations publiques? Hips! Toutes nos excuses. On ne le referra plus. Promis, juré. Hips! Jusqu’à la prochaine».
Ce point de vue tranche avec celui de son président de corporation qui a cependant soulevé un aspect intéressant, soit l’imposture des croquis d’architecte offerts en pâture aux administrateurs municipaux trop crédules.
Je me souviens des croquis montrant le projet de stationnement du carré d’Youville. On aurait juré une reconstitution des jardins de Babylone. L’auteur du croquis semblait avoir réalisé son oeuvre debout sur le toit de l’édifice d’en face. Ce n’est évidemment pas ce que le piéton normal a vu par la suite et peut encore admirer aujourd’hui.
Cette fois, le croquis montre une fontaine, qui ne pourra tout de même pas remplacer l’arrêt d’autobus, et une calèche, à un endroit où il n’en circule pas, sauf peut-être pour l’aller-retour vers l’écurie. C’est avec ce matériel publicitaire qu’on vend le projet aux administrateurs municipaux? Et l’enveloppe extérieure de l’édifice qui fait le coin, on dit qu’elle sera intégralement préservée? Il faut immédiatement prendre des photos.
Dans ce dossier qui touche une place importante (mais malheureusement déjà passablement massacrée du côté ouest), je suis étonné de la discrétion du ministère de la Culture qui s’acharne pourtant à préserver les ruines du patro Saint-Vincent-de-Paul. Étonné aussi qu’on ne réponde pas au promoteur du projet du Capitole comme on le fait aux artistes qui déplorent les coupures fédérales: « Si vos affaires ne sont pas assez payantes dans les conditions (normes) actuelles, faites autre chose ».
Pas de vague
La Grande vague, cette oeuvre monumentale de l’artiste québécois Marc Lincourt, ne se rendra pas à Québec. La ville n’aurait plus les ressources pour assumer le frais de la traversée et la Société du 400e semble vouloir garder ses fonds de tiroir pour finir l’année sur un mode festif.
L’œuvre de Marc Lincourt évoque une gigantesque vague de 10 mètres de long composée de 400 livres portant chacun le nom d’une famille venue en Nouvelle-France. Elle a suscité une vive émotion chez certains membres de la délégation québécoise officielle (dont l’épouse du chef des Hurons) qui l’ont vue à Brouage en mai et elle a été l’un des grands succès des célébrations du 400e en France.
Cette œuvre réalisée en hommage aux familles-souches ne viendra pas dans la ville qui se targue d’être le berceau de l’Amérique française : est-on surpris? Avant même le début des fêtes, quand la Société du 400e a refusé de donner du lustre au 24 juin 2008, d’honorer les anciennes familles terriennes, d’appuyer les projets des familles-souches (qui ont vu avorter l’exposition qui leur était dédiée au Musée de la Civilisation et se sont retrouvés avec une participation – payante – à marathon…), pour ne citer que ces exemples, on avait compris que l’émotion et la fierté des descendants des compagnons de Champlain, qui forment maintenant une nation, ne faisaient pas partie des priorités du 400e de ce côté-ci de l’Atlantique. Le mot-clé était plutôt « pas de vague ».
Une femme assaillie
L’ex-copine de l’ex-ministre beauceron a eu beau se couvrir littéralement jusqu’au cou, elle a monopolisé l’attention à la réception donnée pour souligner les 50 ans de l’éditeur qui l’a séduite, la bien-nommée maison des « Éditions de l’Homme ». D’après le reportage du Journal de Montréal, « tous les regards se sont tournés » quand elle s’est présentée « vêtue d’une robe saillante [sic] noire », comme le précise le texte et un bas de vignette.
Une tenue « seyante » n’aurait évidemment pas attiré les flashs et les caméras, mais une robe « saillante » éveille naturellement la curiosité. On présume que la journaliste n’a pas voulu évoquer les saillies littéraires (« traits d’esprit brillants ») ou vétérinaires (« de salire, couvrir une femelle »). Mais aurait-elle eu à l’esprit les structures architecturales qui s’avancent, débordent ou dépassent, comme un « balcon qui saille »?
Peut-être aussi que le chef de pupitre s’est bien amusé. Ça arrive.
Seulement de bien belles images : dommage!
La plupart des gens qui ont vu le Moulin à images ont justement vu… des images, des images qu’ils n’avaient probablement jamais vues, mais n’ont pas appris grand chose qu’ils ne connaissaient pas. « C’est beau, mais qu’est-ce que c’est? C’est qui, ce personnage? », se sont demandé bien des Québécois devant les images qui défilaient à vive allure: que dire alors des visiteurs et des touristes?
Bien sûr, les Québécois ont reconnu leurs classiques, de Champlain à Chez Gérard, du pont de Québec à la Dominion Corset, mais ces personnages qu’ils ont vu défiler en rafale, ces centaines de photos, de portraits et de statues, auraient été des Albertains qu’ils n’auraient pas fait de différence.
La presse a été élogieuse, à juste titre, car le Moulin est une idée de génie parfaitement réalisée, un chef- d’œuvre de technique et d’infographie. Robert Lepage a livré ce qu’il avait annoncé, une vision impressionniste de l’histoire de Québec; ce sont les porte-parole du 400e qui, en fin de juin, soulagés de voir enfin un projet bien reçu, se sont empressés de présenter cette oeuvre artistique comme la réponse définitive à ceux qui estimaient que 2008 manquait de contenu historique.
Plusieurs auraient souhaité une narration, des explications, et le livre qui est sorti des presses en août (Nicolas Ruel, Le Moulin à images, Robert Lepage inc./Ex Machina, 90 pages) aurait pu répondre à leur souhait mais il ne contient lui aussi que des images. Aucun texte explicatif, sauf sur des aspects techniques.
Cette absence a été qualifiée de « bémol » par le critique du Soleil (« Le Moulin à rêver », 24 août 2008). Le commentaire est généreux : peut-être faudrait-il parler de fausse note. Les images du livre sont à la mesure du Moulin mais, depuis le temps qu’on travaille sur ce projet, il n’aurait pas été difficile (et surtout pas coûteux) d’ajouter quelques bas de vignettes qui auraient donné une valeur supplémentaire à la publication. On a voulu profiter de la vague? Éviter de donner prise à des critiques sur le contenu historique? Tous ne partagent pas l’enthousiasme de François Bourque (« À la prochaine… », Le Soleil, 8 septembre 2008) pour qui le contenu du Moulin est « inattaquable » et « hors d’atteinte des critiques » : au fait, y a-t-il quelqu’un qui en a fait une analyse sérieuse sur le plan historique mais, d’abord, comment critiquer une vision impressionniste?
On s’y remettra peut-être l’an prochain. En attendant, ce livre servira de carte de visite à Ex Machina pour vendre son savoir-faire à des clients qui seront sûrement, eux aussi, impressionnés par les images. Et ne se soucient guère des bas de vignettes.