Tous les articles par Gaston Deschênes

Les loisirs d’un député de campagne

Quand les parlementaires veulent bonifier leurs conditions de travail (ce qui s’est produit plusieurs fois, au cours des 40 dernières années), les observateurs de la scène politique entendent, chaque fois, les mêmes justifications : de longues heures de travail, des séances interminables, des tonnes de dossiers, des lettres innombrables, du confessionnal le lundi, des sollicitations sans répit, les grosses noces, les bingos paroissiaux et les soupers aux hot-dogs… Un job qui tue les couples et les familles, des enfants élevés au téléphone… Il n’est évidemment pas question qu’un député poursuive sa carrière professionnelle.
On parle ici de Québec. La situation serait-elle différente à Ottawa ?
On apprenait récemment que le député indépendant de Portneuf-Jacques-Cartier à la Chambre des communes reprenait le micro à la Radio touristique. On le voyait déjà dans des commerciaux de balayeuses. On apprend de plus maintenant qu’il va commenter l’actualité à l’émission « L’Estrie d’Show » de la station Génération Rock de Sherbrooke. On ne sait s’il conduit encore des autobus de touristes.
Il ne fait rien d’illégal et on entend déjà les « j’ai bien le droit de gagner ma vie ». Évidemment. Les citoyens ont aussi le droit de se poser des questions sur leur député, compte tenu du salaire fort confortable que le Parlement lui paie pour exercer des fonctions qui sont, paraît-il, extrêmement lourdes et accaparantes. Y aurait-il moins de travail à Ottawa? Pour une rémunération bien meilleure?
Les députés qui sont peu visibles au Parlement invoquent généralement le manque de temps ou de ressources mais aussi le « système » qui leur laisse peu de marge de manœuvre. Ils mettent souvent en cause la discipline de parti. Et ceux qui sont tentés par la dissidence ou l’indépendance, pour « se donner de la corde », changent généralement d’idée après avoir réfléchi aux difficultés qu’ils pourraient avoir à se faire réélire sans l’appui du parti. Et du chef.
Ce n’est pas le cas du député de Portneuf-Jacques-Cartier qui a réussi le tour de force de se faire élire tout seul. Il est libre comme l’air, libre de dire ce qu’il veut au Parlement, d’exprimer ses opinions sur n’importe quel sujet, d’intervenir dans les commissions parlementaires, de présenter des projets de loi (sans trop d’espoir de les faire adopter, bien sûr, mais ça peut passer des messages), etc. Il a un budget pour ses recherches et peut faire appel à des professionnels du Service de la recherche de la Bibliothèque (beaucoup mieux pourvue que celle de Québec) pour lui préparer des dossiers. En élisant un indépendant, plusieurs se disaient qu’il serait intéressant de le voir brasser la cage. Pour l’instant, la seule déclaration dont on a eu entendu parler était une sortie assez mal venue contre un juge. Mais, Dieu sait comment les médias peuvent donner des échos partiels de ce qui se passe au Parlement…
Le député de Portneuf-Jacques-Cartier travaille probablement très fort en coulisses, et dans sa circonscription, où « le bien ne fait pas de bruit ». Sa grande capacité de travail semble lui permettre d’avoir deux ou trois side lines. Tout en soignant un cancer.
On savait déjà que c’était un cas.

400e de Québec : le déboulonnage de Champlain fait-il partie du programme ?

Un lobby s’active depuis une dizaine d’années pour rehausser la mémoire de Pierre Dugua de Mons et lui attribuer le titre de fondateur de Québec « avec son lieutenant Champlain ».
Ancien compagnon d’armes d’Henri IV, Pierre Dugua de Mons crée une compagnie de traite en 1603 et obtient le monopole du commerce des fourrures en Nouvelle-France. En 1604, il s’établit en Acadie, sur l’île de Sainte-Croix (aujourd’hui Dochet Island, au Maine). Après un hiver catastrophique, il déménage le camp à Port-Royal et retourne en France pour régler des conflits commerciaux. Son monopole est révoqué en 1607, ce qui met fin à la tentative de Port-Royal. En 1608, son monopole est rétabli pour un an et Champlain le convainc de fonder une colonie sur le Saint-Laurent. Dugua de Mons soutiendra Champlain jusqu’en 1612, même après avoir perdu de nouveau son monopole. Il meurt en 1628 sans être jamais revenu en Amérique.
« Sans de Monts, a écrit Marcel Trudel, on peut présumer qu’il n’y eût pas eu de Champlain ». C’est l’opinion que le lobby brandit inlassablement même s’il s’agit là d’une avancée très prudente et mesurée, voire ambiguë, de la part de Trudel (qui parle de Dugua comme un des fondateurs de la Nouvelle-France, et non de Québec, où il n’a pas mis les pieds). Les rois d’Espagne et de France ont soutenu Colomb et Cartier, ce qui n’en fait pas pour autant les découvreurs de l’Amérique et du Canada.
Et pourquoi l’œuvre de Dugua de Mons aurait-elle été occultée ? L’histoire du Québec ayant été surtout écrite et enseignée par des religieux, on aurait ostracisé Dugua parce qu’il était protestant. Voilà l’Argument qui vaut pour le passé et la suite du débat, car le fait de ne pas reconnaître les mérites de Dugua ne démontre-t-il pas un certain sectarisme ? On sait que les Québécois sont sensibles à la culpabilisation.
Le lobby Dugua a des ramifications en France où les titres de gloire de Dugua de Mons sont étonnants. Une plaque installée en 1957 à Royan (où il est né et décédé) le disait « fondateur de l’Acadie et du Canada ». Sur son lieu de sépulture, une autre plaque posée en 1986 le présente maintenant comme « fondateur de l’Acadie en 1605 et de Québec en 1608 avec son lieutenant Champlain ». Sur une stèle réalisée en 1988, on peut lire : « A Pierre Dugua, sieur de Mons, lieutenant-général du Roi, fondateur de l’Acadie et de Québec avec son lieutenant Champlain », cette dernière précision semblant ajoutée après coup. Une plaque sur la promenade Pierre-Dugua honore le « co-fondateur de Québec ». À Pons, où il fut gouverneur, il y a depuis 1992 une « rue Pierre Dugua sieur de Mons, fondateur de l’Acadie et de Québec » et une plaque au château (2004) dédiée au « fondateur de l’Acadie en 1604 et en 1608 de Québec avec Champlain ».
Un écrivain de Royan est à l’origine de cette révision de l’histoire de la fondation de Québec. Jean Liebel a donné une conférence à Québec en 1977 sous le titre « Pierre du Gua, sieur des Mons, présumé fondateur de Québec ». Le résultat de ses recherches, demeuré longtemps dans les cartons de la bibliothèque de Royan, est finalement publié en 1999. L’ouvrage porte le même titre que la conférence mais le mot « présumé » est disparu et Dugua « reste dans l’histoire comme le fondateur de Québec, brillamment secondé par son lieutenant Samuel Champlain ».
Champlain ne serait donc plus qu’un brillant second.
À Québec, les opinions sont exprimées publiquement avec plus de nuances. En 1999, par exemple, la Société historique de Québec a publié une brochure intitulée Pierre Dugua de Mons, cofondateur de Québec (1608) et fondateur de l’Acadie (1604-1605) dont la troisième édition (2003) porte un titre moins explicite : Pierre Dugua De Mons, et les fondations de l’île Sainte-Croix, Port-Royal et Québec (1603-1612).
Reculer pour mieux sauter ? Au Tribunal de l’Histoire, en 2004, la question n’était pas très engageante : le public a jugé que « le rôle de Pierre Dugua de Mons dans la fondation de Québec avait été largement sous-estimé » (une procédure d’appel aurait cependant beaucoup de chances de succès en s’appuyant sur la partialité des « instructions du juge au jury »…). Mais, au cours de la saison 2007-2008, le public pourra assister à des « duels » où Champlain et Dugua de Mons se disputeront le titre de fondateur de la ville.
Une plaque dévoilée à Québec en 1999 reconnaît déjà à Dugua « un rôle de premier plan dans la fondation du premier établissement permanent en Amérique du Nord. ». Le 3 juillet prochain, un monument sera inauguré en sa mémoire. Qu’y lira-t-on ? On peut s’attendre à tout. Le site de l’établissement de Sainte-Croix, où Dugua de Mons a passé l’hiver 1604, trois ans avant l’établissement de Jamestown, est maintenant en territoire américain : Dugua de Mons pourrait bien devenir fondateur du Maine et des États-Unis !

Votre fleurdelisé est-il difforme ?

À la recherche d’une hampe pour accrocher plus sûrement le fleurdelisé dérobé l’an dernier, je me retrouve chez un important fabricant-distributeur de drapeaux en périphérie de Québec.
Ferrure, hampe appropriée… Vient le tour du drapeau. Le classique « quatre par six » est sûrement trop grand pour une résidence… Disons un « deux par trois », ou « 24×36 », puisqu’on parle en pouces ?
Voici un « 27×54 », un « 36×72 »…
— « Est-ce que le drapeau du Québec n’est pas normalement 50 % plus long que haut ? »
— « …. Il faut s’adapter aux dimensions des autres pays. »
S’adapter ? Les proportions du drapeau font maintenant l’objet d’accommodements ! Mais accommoder qui, à part la machinerie ?
Passent alors dans mon esprit les querelles de drapeaux que Denis Vaugeois m’a racontées autrefois. Même la forme du drapeau québécois alimentait les conflits Québec-Canada. Les proportions du drapeau du Canada sont de deux longueurs sur une largeur (deux fois plus long que haut, ou d’un rapport 1:2). Mais la Loi sur le drapeau et les emblèmes du Québec (L.R.Q., chapitre D-12.1) est formelle : « La largeur et la longueur du drapeau sont de proportion de deux sur trois. » Et ce n’est rien d’exceptionnel. Pourtant, on fabrique et on vend des drapeaux qui ne respectent pas ce rapport 2:3, « pour répondre à des demandes venant même de certains organismes publics », m’avait répondu un fabricant il y a plusieurs années… Est-ce encore le cas?
Sceptique et presque confondu, en attendant de me trouver un fleudelisé légal, je suis parti avec celui qui correspondait le plus à mes besoins, un « 27×54 » que je pourrai toujours exhiber comme rareté, ou espèce disparue, quand le gouvernement décidera de faire appliquer la loi qui définit ses propres symboles d’identité.

Le lieutenant-gouverneur

Les malheurs de la vice-reine sortante ont occulté les premiers pas du nouveau représentant royal, ce qui a probablement fait son bonheur. Le jour de sa nomination, les journalistes étaient frustrés de ne pas obtenir d’entrevue mais on n’en a pas entendu parler depuis.
Plusieurs ont été étonnés par cette nomination. Le nouveau titulaire a occupé l’un de plus hauts postes de la fonction publique québécoise (secrétaire général de l’Assemblée nationale) pendant plusieurs années tout en demeurant presque inconnu du public. On pouvait le voir à la télévision tous les jours de session dans un rôle quasi muet, sa contribution la plus bruyante étant de donner le résultat des votes. Autrefois, il officiait lors l’élection du président, au début de la législature, mais le casting parlementaire veut maintenant que ce rôle soit joué par le doyen de l’Assemblée.
Du point de vue administratif, le rôle du secrétaire général est semblable à celui d’un sous-ministre : il dirige les services administratifs de l’Assemblée nationale; mais l’essentiel de sa fonction consiste à servir de « secrétaire » à l’Assemblée qu’il conseille en matière de procédure parlementaire. C’est sous sa responsabilité que sont préparés ou conservés les documents officiels : Feuilleton, Procès-verbal, originaux des lois, documents déposés, etc. Cette fonction requiert une stricte neutralité, une attitude réservée en toutes circonstances et la capacité de demeurer imperturbable, malgré tout ce qu’il peut entendre au Salon bleu. Et, de ce point de vue, le nouveau titulaire est sûrement bien préparé pour occuper une fonction qui n’a plus de contenu politique et qui implique un devoir de réserve. Il n’a pas joué sur le terrain politique jusqu’à maintenant et il y a peu de risques qu’il s’y aventure compte tenu des circonstances.
Cette nomination tranche radicalement avec la tradition. Depuis 1867, tous les lieutenants-gouverneurs avaient une expérience politique. Gouin et Chapleau étaient d’anciens premiers ministres. Sauf madame Thibault (qui a échoué dans ses tentatives pour se faire élire à Québec et à Ottawa), tous les autres avaient été parlementaires (député, conseiller législatif ou sénateur) ou ministres, à Québec mais surtout à Ottawa, et d’ailleurs exclusivement sur la scène fédérale depuis près d’un demi-siècle (Comtois, 1961).

Petit « n » et Grande Bibliothèque

« Bibliothèque et Archives nationales du Québec s’est insurgé… »
« Bibliothèque et Archives nationales du Québec… présente une conférence… »
« …à titre de présidente de Bibliothèque et Archives nationales du Québec… »
Quelque chose sonnait drôle à mes oreilles dans le libellé des dernières nouvelles concernant cette institution et je me suis finalement rendu à l’évidence : elle porte un nom « anglais ». Toutes les composantes sont françaises mais l’ensemble ne l’est pas, comme si le génie de la langue n’avait pas été invité au mariage de la Bibliothèque avec les Archives.
Le même processus a donné le même résultat à Ottawa mais « Bibliothèque et Archives Canada » s’est parfaitement fondue (fondu ?) dans la foule des Condition féminine Canada, Construction de Défense Canada, Élections Canada, Financement agricole Canada, Mesures Canada et autres XYZ Canada qui peuplent l’administration fédérale et ne demandent qu’à vivre… dans les deux langues, au risque de les écorcher toutes les deux ou de se confondre avec les grandes entreprises comme Ford ou Bell Canada. « Bibliothèque et Archives nationales du Québec » ne sonne pas français, tout comme ces titres de « vice-président corporations », « vice-présidente affaires ci ou ça » et autres appellations de la même farine qui pullulent dans les entreprises et même dans les institutions publiques. Le sujet a été soulevé en décembre 2004 lors de l’étude de la « Loi sur Bibliothèque et Archives nationales du Québec » [sic] en commission parlementaire. Les députés du Parti québécois ont proposé en vain un amendement. Conclusion de la ministre : « Il faudra s’habituer » !
Cette institution méritait mieux et il est ironique d’apprendre qu’elle a choisi d’écrire son sigle avec un petit « n » – BAnQ – (et l’a fait enregistrer en 2006 comme « marque de commerce ») dans le but « d’éviter la prononciation syllabique  » banque  » qui non seulement pourrait entraîner de la confusion mais est bien éloignée de la réalité de [l’] institution ». Ne pas être confondu avec les institutions bancaires (qui ont quand même le mérite d’afficher des noms bien français comme LA Banque nationale, LA Laurentienne, LA Banque royale, etc.) : voilà le premier motif de ce choix bizarre , tel qu’exposé dans un texte du journal interne de l’institution, en mars dernier.
Dans ce petit « n » incongru, plusieurs verront surtout une faute de typographie, tellement le mélange de majuscules et de minuscules est inattendu dans les sigles. D’après le même texte justificatif, « aucune règle du français n’empêche de le faire ». Évidemment. Et il n’y a pas non plus de règles empêchant d’écrire les lettres d’un sigle en indice, en exposant ou dans un autre alphabet ! Il faut quand même rappeler que, selon l’Office québécois de la langue française, les sigles s’écrivent en majuscules et « se prononcent alphabétiquement, c’est-à-dire en épelant le nom des lettres qui le composent » (Le français au bureau, sixième édition, p. 456) ; ce sont les acronymes qui se prononcent syllabiquement (et s’écrivent alors en minuscules, comme Onu). Si on veut que toutes les lettres soient prononcées, mieux vaudrait donc écrire BANQ (qui se prononce b-a-n-q). Minuscules ou majuscules, il y aura toujours des comiques pour « emprunter des livres à la banque ». Et, de toute manière, personne n’emprunte ses livres « à Bibliothèque et Archives nationales du Québec » : ça se dit affreusement mal et on va naturellement « à la Grande Bibliothèque ».
Argument massue final pour le petit « n » : nos homologues français écrivent BnF (qu’on prononce nécessairement « b-n-f »…). Ce cas exceptionnel serait-il à l’origine de la coquetterie montréalaise ? L’institution de nos cousins a au moins un nom bien français : LA Bibliothèque nationale de France. Il faut dire aussi qu’elle a préféré le célibat au mariage difficile avec les archives.