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Petites nouvelles de « l’Outaouais supérieur »

Combien vaut une sinécure ?
Le gouverneur général ne paie pas d’impôt sur son salaire de 135 000 $ et peut toucher une pension équivalente à 100 % de son salaire pour le reste de ses jours après cinq ans en poste.
L’affaire a fait un peu de bruit récemment. Le Bloc a déposé une motion pour le faire payer, les conservateurs demandent la collaboration du gouverneur général, les libéraux envisagent de revoir son traitement en conséquence, traitement qui a probablement été maintenu relativement bas moyennant compensation, tout comme c’est l’usage dans le milieu : ne pas trop augmenter le salaire des parlementaires, tout en multipliant les indemnités supplémentaires ; ne pas toucher au salaire des juges, tout en « allégeant » leurs cotisations au fonds de pension… et leurs frais de stationnement.
La fonction de gouverneur général est honorifique et le traitement qui y est rattaché devait l’être aussi. Le gouverneur général est « logé, nourri, blanchi », assisté, documenté, transporté et probablement habillé à même les fonds publics. Pourquoi faut-il une rémunération pour faire de la figuration ? Surtout quand le titulaire touche une généreuse pension du secteur public comme c’est le cas actuellement pour David Johnston qui a fait une longue carrière universitaire.
Il ne serait pas difficile de trouver des candidats parmi les retraités de toutes espèces qui vont se multiplier au Canada. Il suffira de fournir aussi des fringues aux conjoints.
La production continue de drapeaux usés
Tel que révélé par Le Devoir de 9 février, le ministère fédéral des Travaux publics a fait installer un mât près de l’édifice de l’Ouest qui est en rénovation et qui ne pourra hisser l’unifolié à son emplacement habituel pendant environ six ans. Achat, installation, etc. : 25 000 $. Pourtant, de l’endroit où s’élève le nouveau mat, on peut voir environ 25 unifoliés…
Explication du ministère : il faut « assurer la continuité du programme de distribution des drapeaux canadiens de la colline parlementaire aux citoyens pendant la durée des travaux ». Combien de citoyens, surtout à l’est de l’Outaouais, savent qu’ils peuvent obtenir un drapeau fédéral usé ? Les drapeaux de la colline parlementaire sont changés régulièrement (tous les jours de la semaine, sauf exception, pour l’édifice du Centre, une fois par semaine pour les édifices de l’Ouest et de l’Est) et ensuite distribués à ceux qui en font la demande… et qui sont assez patients : il y a une liste d’attente de 35 ans pour le drapeau de l’édifice du Centre et de 23 ans pour les deux autres ! Certains l’auront peut-être à temps pour recouvrir leur cercueil…
Ce programme était donc menacé de dysfonctionnement, faute d’approvisionnement. Six fois 52 semaines : 300 unifoliés de moins à distribuer ! L’unité nationale était en jeu, d’où l’urgence de maintenir la production de drapeaux usés.
Père absent, vote manqué ?
Une jeune mère-députée allaite son bébé à son bureau du Parlement fédéral. En congé de paternité, le père est sur place, quelque part autour. Oups ! la cloche sonne pour un vote et le père n’est pas là pour prendre le relais. Est-il aux toilettes ? à la buvette ? sorti fumer ? en train de « cruiser »? L’histoire ne le dit pas. La mère se précipite en chambre pour voter, avec son bébé, qui est finalement pris en charge par un page et « évacué ».
Drame. Émotion dans les médias. Pourquoi donc ne peut-on pas amener ses enfants en Chambre ? Dans quel pays sommes-nous ? Il faut que le Président des Communes réexamine les règlements. Va-t-il établir des normes: combien d’enfants ? jusqu’à quel âge ? jusqu’à quelle heure ?… Et pourquoi ne pas admettre les conjoints: la politique brise tant de ménages… Voyons donc : conjoint de fait, marié, du même sexe ? Il faudra bien quelqu’un pour gérer le programme…
Tout cela pour un père « distrait ». Les grandes réformes ont parfois de bien petites explications.

Le Sénat historien

On aurait pu penser que les sénateurs seraient plus sages que les députés (https://blogue.septentrion.qc.ca/wp-content/uploads/archives/gastondeschenes/2011/12/les_deputescenseurs_1.php), mais non : le Sénat français a adopté à son tour la proposition de loi qui prévoit de sanctionner toute personne qui aurait « contesté » ou « minimisé de façon outrancière (…) l’existence des génocides reconnus par la loi », i.e. les génocides juifs et arméniens.
Profondément divisés et rompant avec les « lignes de partis », les sénateurs ont voté à 127 contre 86, 60 % de leurs collègues étant absents, certains étant visiblement partis faire la « petite marche » classique du parlementaire qui ne veut pas prendre position.
Les sénateurs ont approuvé la proposition malgré l’avis défavorable de leur Commission des lois (http://www.senat.fr/rap/l11-269/l11-2691.pdf) selon laquelle « il n’appartenait pas à la loi, et en particulier à la loi pénale, d’intervenir dans le champ de l’histoire et de disposer en matière de vérité historique ». Elle a en outre considéré que cette loi pourrait entrer en contradiction avec plusieurs principes constitutionnels, en particulier le principe de légalité des délits et des peines, le principe de liberté d’opinion et d’expression et le principe de liberté de la recherche historique.
Car il est maintenant interdit de douter explicitement de l’existence du génocide arménien et dangereux de faire des recherches sur ce qui s’est passé en Arménie entre 1915 et 1923 : ce serait risquer d’aboutir à des résultats contraires à la « vérité » préétablie par le Parlement ou de minimiser « de façon outrancière » le génocide. Rien ne garantit la précision de l’instrument utilisé pour calculer l’outrance…
Il faut lire l’exposé de motifs de la proposition (http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion3842.asp) présentée par la députée Valérie Boyer. On y rappelle que la France a des lois pour définir les génocides et autres crimes contre l’humanité, dont la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 qui a reconnu le génocide arménien de 1915 et la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 sur la traite et l’esclavage, mais seule la contestation du génocide juif constitue un délit (introduit par la loi Gayssot du 13 juillet 1990), « de sorte que les victimes rescapées de crimes contre l’humanité se trouvent inégalement protégées » ! D’où la nécessité d’instituer, pour la négation du génocide arménien, des peines semblables à celles que la loi Gayssot a édictées en 1990, soit un an de prison et 45 000 € d’amende.
Livrés aux groupes de pression et mus par l’électoralisme (la communauté arménienne en France est la plus importante d’Europe occidentale, avec environ 600 000 membres), les députés n’ont rien retenu des avertissements de la communauté historienne et ont préféré s’enliser dans une rectitude qui fait peur. Le ministre des Relations avec le Parlement a justifié cette proposition de loi par la nécessité de lutter contre le « poison » négationniste, une expression qui rappelle une autre époque.
Reste le Conseil constitutionnel qui pourrait se prononcer sur la constitutionnalité du délit créé par cette loi, mais comment refuser aux Arméniens ce qu’on a accordé aux Juifs ?

Une autre Journée du drapeau bâclée

Dans un communiqué émis à 8h00 le 20 janvier et répété à la mêm heure le 21, le ministre responsable de l’application de la Loi sur le drapeau « invite la population à souligner le 64e anniversaire de l’adoption du fleurdelisé, en ce samedi 21 janvier 2012, jour du Drapeau, qui commémore un moment important de notre histoire ».
(http://communiques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/GPQF/Janvier2012/20/c5545.html)
C’est un immense progrès. Du temps des Weil et Normandeau, le communiqué sortait dans l’après midi du 21 janvier. Puis, en 2011, le ministre Fournier a « oublié ». À son cabinet, un attaché politique avait d’abord dit ignorer (!) l’existence d’une telle journée, pour ensuite voir le service des communications du ministère « admettre » que c’était un « oubli » de sa part. La faute aux fonctionnaires, qui n’auraient pas pris de risques cette année en programmant la diffusion à 8h00, un samedi matin.
Drapeau + tour.jpg
Le ministre de la Justice invite la population à souligner la Jour du drapeau qui « est l’occasion de nous rassembler autour de cet emblème qui incarne si puissamment nos valeurs, nos aspirations communes et notre détermination à bâtir ensemble le Québec de demain ». Mais il ne faut quand même pas trop en demander, surtout pas l’heure et le lieu du rassemblement. En fait, ni le ministre responsable de l’application de la loi, ni le premier ministre, chef du gouvernement dont le fleurdelisé est le principal emblème, n’ont inscrit quoi que ce soit à leur agenda.
Ils le feront peut-être l’an prochain quand le fleurdelisé aura 65 ans, l’âge de la pension fédérale.

La Marche des rois (suite)

Henri Bourassa doit tournoyer dans sa tombe. Après avoir passé le XXe siècle à se détacher pacifiquement mais résolument du Royaume-Uni, le Canada est en train de s’y recoller sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper.
Des générations d’étudiants en droit et en science politique ont appris que la reine était devenue un simple symbole et que ses pouvoirs (comme ceux de ses représentants) étaient tombés en désuétude. C’est à qui imaginerait une situation de crise ultra compliquée où le gouverneur général aurait un rôle à jouer pour assurer la pérennité de nos institutions (et justifier son existence). Puis, quand Michaëlle Jean a eu l’occasion « rêvée » d’agir, et de refuser une scandaleuse demande de prorogation, elle s’est comportée comme une distributrice de luxe.
Le gouvernement fédéral présente maintenant la monarchie comme un trait distinctif de la culture politique du Canada, ce qui le distingue des Américains… Plus pragmatique, la ministre québécoise des Relations internationales voit les visites royales comme une sorte d’investissement dans le tourisme : la monarchie est revenue à la mode, en version pipolisée, pour divertir et faire rêver les vieilles colonies.
Rêvons donc en imaginant que le regretté journaliste Rémi Tremblay, dont il a déjà été quelques fois question ici (https://blogue.septentrion.qc.ca/wp-content/uploads/archives/gastondeschenes/2011/05/a_la_maniere_de_remi_tremblay_1.php), a remis sa plume satirique à l’œuvre, au risque de froisser la mémoire de Daudet, du curé Domergue, voire du « bon roi René », tous artisans de la traditionnelle Marche des rois (cf. https://blogue.septentrion.qc.ca/wp-content/uploads/archives/gastondeschenes/2012/01/la_marche_des_rois_i.php)
***
La marche des « rois nègres »
(Version 2012 harperisée de La marche des rois. Pour un accompagnement musical, ouvrir http://www.lirecreer.org/biblio/comptines/marche_des_rois/index.html dans une autre fenêtre)
Reine et carosse.jpg
1.
Un bon matin, Harper s’est mis en train
De ramener son peuple au Moyen Âge.
Un bon matin, Harper s’est mis en train
De fêter le règne élisabéthain.
Vinrent d’abord, livrés franc de port,
Plein de photos, de fanions et de messages,
Et puis, encore au frais du Trésor,
Même un portrait du vieux prince consort.
2.
James Moore l’a dit : le ciel nous a bénis
D’avoir vécu sous la reine d’Angleterre.
James Moore l’a dit : le ciel nous a bénis
Et la monarchie nous a définis.
Rien de trop beau, vu de Toronto :
On a remis du « royal » aux militaires
Et James Baird a troqué les tableaux
D’Alfred Pellan pour la reine en photo.
3.
Pour des idées de vrais colonisés,
On peut compter sur ces thuriféraires.
Pour des idées de vrais colonisés,
Les budgets ne sont jamais épuisés.
Rien de trop fort pour les dinosaures
Adulateurs de smalas parasitaires
Et, cet été, on paiera encore
Pour héberger le plus vieux des Windsor.
***
Ceux et celles qui auraient la rectitude écorchée par le titre peuvent relire ce qu’écrivait André Laurendeau sur « la théorie du roi-nègre », propos publiés dans Le Devoir d’Henri Bourassa le 4 juillet 1958 :
« Les Britanniques ont le sens politique, ils détruisent rarement les institutions politiques d’un pays conquis. Ils entourent le roi nègre mais ils lui passent des fantaisies. Ils lui ont permis à l’occasion de couper des têtes : ce sont les mœurs du pays. […]
« Il faut obtenir du roi nègre qu’il collabore et protège les intérêts des Britanniques. Cette collaboration assurée, le reste importe moins. Le roitelet viole les règles de la démocratie ? On ne saurait attendre mieux d’un primitif…
« […] Le résultat, c’est une régression de la démocratie et du parlementarisme […]. »

La Marche des rois (I)

On célébrait davantage et plus religieusement le 6 janvier « autrefois » (disons du temps de ma jeunesse…). Pour les catholiques, l’Épiphanie commémore un événement relaté dans l’Évangile selon Mathieu, la visite de l’enfant Jésus par les rois mages Gaspard, Melchior et Balthazar, d’où le nom de « Fête des rois ». L’Épiphanie terminait le « temps de Fêtes » et sonnait le début d’une diète plus équilibrée.
Marche des rois Bonne chanson-Web.JPG
Le cantique qu’on entonnait en chœur le 6 janvier est sûrement resté accroché à la mémoire des plus vieux :
« De bon matin j’ai rencontré le train
De trois grands rois qui allaient en voyage
De bon matin j’ai rencontré le train
De trois grands rois dessus le grand chemin ».
Les origines de ce noël populaire remonteraient au XVe siècle. Certaines sources l’attribuent à René 1er (1409-1480), surnommé par ses sujets provençaux le « Bon Roi René », qui fut duc d’Anjou, comte de Provence, roi de Naples et roi titulaire de Jérusalem. Transmis de génération en génération par tradition orale, ce cantique fut publié pour la première fois dans le Recueil des noëls provenceaux composé par le sr Nicolas Saboly,… Nouvelle édition, augmentée du Noël fait à la mémoire de M. Saboly, et de celui des Rois, fait par J.-F. D., ouvrage imprimé à Avignon en 1763.
Le premier des huit couplets de La Marcho Di Rei allait comme suit :
De matin, Ai rescountra lou trin
De tres grand Rèi qu’anavon en vouiage ;
De matin, Ai rescountra lou trin
De tres grand Rèi dessus lou grand camin.
Ai vist d’abord De gardo cors,
De gènt arma em’uno troupo de page,
Ai vist d’abord De gardo cors,
Tóuti daura dessus si just-au-cors.
Le « J.-F. D. » mentionné dans le titre du recueil était l’ancien curé d’Aramon (commune du Gard), Joseph-François Domergue, né en 1691, mort à Avignon en 1729. C’est lui qui a écrit, ou simplement consigné par écrit, selon une autre hypothèse, les paroles du cantique populaire qu’il disait chanté sur l’« air de la Marche de Turenne », une œuvre attribuée à Jean-Baptiste Lulli – ou Lully – (1632-1687), compositeur français d’origine italienne.
Si Lulli a composé la musique, sur quel air pouvait bien chanter le roi René deux siècles plus tôt ? Lulli a peut-être composé sa Marche de Turenne en s’inspirant d’un air qui circulait déjà. À moins que la paternité du « bon roi René » ne soit que légende ? Tout n’est qu’hypothèse sur cette question que l’auteur des Miettes de l’histoire de Provence (1902) comparait au tonneau des Danaïdes, « tonneau sans fond dans lequel chaque controversiste apporte en pure perte son seau, toujours absolument vide de sérieux arguments ».
La suite de l’histoire est mieux connue. En 1872, Georges Bizet (1838-1875) compose une musique de scène pour L’Arlésienne, drame en trois actes qu’Alphonse Daudet (1840-1897) a tiré d’une nouvelle de ses Lettres de mon moulin (1869). Bizet s’inspire d’authentiques chants provençaux dont la célèbre « Marche des Rois ».Créée à Paris le 1er octobre 1872, la pièce de Daudet est retirée de l’affiche après vingt représentations mais Bizet extrait de sa musique une suite orchestrale qui remportera un succès jamais démenti.
Marche des rois-Daudet-Bizet.jpg
Quant au texte de la « Marche des rois », tel qu’on le connaît aujourd’hui, et dont on trouvait un couplet au dernier acte de la pièce éditée en 1872, Daudet l’a probablement rédigé en français moderne à la même époque. On l’a vue éditée au moins une fois avec la mention « Musique de Georges Bizet » mais on reconnaît généralement qu’elle est l’œuvre de Lulli, et que Bizet n’a fait que l’arranger pour L’Arlésienne, comme l’écrit d’aileurs Daudet.
(Pour écouter: http://www.youtube.com/watch?v=BQx7vH_6SQ0)
I
De bon matin, j’ai rencontré le train
De trois grands Rois qui allaient en voyage
De bon matin, j’ai rencontré le train
De trois grands Rois dessus le grand chemin.
Venaient d’abord des gardes du corps,
Des gens armés avec trente petits pages,
Venaient d’abord es gardes du corps,
Des gens armés dessus leurs justaucorps.
II
Puis sur un char doré de toutes parts,
On voit trois Rois modestes comme des anges,
Puis sur un char doré de toutes parts,
Trois Rois debout parmi les étendards.
L’étoile luit et les Rois conduit
Par longs chemins devant une pauvre étable,
L’étoile luit et les Rois conduit
Par longs chemins devant l’humble réduit.
III
Au Fils de Dieu qui naquit en ce lieu
Ils viennent tous présenter leurs hommages,
Au Fils de Dieu qui naquit en ce lieu
Ils viennent tous présenter leurs doux vœux.
De beaux présents, or, myrrhe et encens,
Ils vont offrir au maître tant aimable,
De beaux présents, or, myrrhe et encens,
Ils vont offrir au bienheureux enfant.
(Deuxième partie la semaine prochaine)
(Sources principales : http://www.nimausensis.com/Gard/ImageMois/MarcheDesRois/LesRoisMages.htm; http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Arl%C3%A9sienne_(Bizet).