Le Journal de Québec nous rappelait cette semaine que les sociétés d’État avaient dépensé je ne sais plus combien de millions en loges « corporatives ». Loto-Québec se distinguait au palmarès avec ses sièges de luxe aux matches des Alouettes, de l’Impact (soccer) et surtout des Canadiens.
Au moins deux entreprises publiques nous ont appris récemment qu’elles abandonnaient leurs loges au Centre Bell. Pas Loto-Québec, qui considère ses loges comme une affaire d’État. « Tant les clients au casino que les détaillants qui vendent les billets de loto, nous en avons besoin. Et les gens nous le disent clairement, assister à un match dans une loge au Centre Bell, c’est leur gratuité préférée », a déclaré son porte-parole, sans trop expliquer en quoi « la réalité commerciale de Loto-Québec diffère des autres sociétés d’État ». L’Hydro et la SAQ ont aussi des employés, des clients et des fournisseurs. Leurs dirigeants prennent les moyens qu’ils jugent utiles pour que les revenus excèdent les dépenses. Loto-Québec semblent se distinguer en ajoutant des petits cadeaux supplémentaires pour encourager les détaillants à vendre de billets et les joueurs à jouer. La question n’est pas de savoir si ces derniers préfèrent le Canadien aux Alouettes, mais si la politique des petits cadeaux est justifiée. Et pourquoi la SAQ n’encouragerait-elle pas ses clients à boire davantage?
Le gouvernement du Québec a souvent justifié sa présence dans le monde des loteries en soutenant qu’il empêche ainsi le crime organisé d’en prendre le contrôle. Il n’encourage « évidemment » pas le jeu… mais en profite largement et se trouve lui aussi en conflit d’intérêts quand vient le temps d’évaluer les dépenses de promotion de Loto-Québec.
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Les intérêts convergents de Christian et Laurent
La réaction du ministre des Affaires municipales au déplacement d’une trentaine de fonctionnaires fédéraux de Rimouski à Thetford-Mines témoigne de la minceur naturelle du sens de l’éthique chez certains politiciens (http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/politique/201203/09/01-4504206-centre-dassurance-emploi-transfere-a-thetford-mines-paradis-a-fait-son-travail-estime-lessard.php). Je dis bien « certains », mais ils font de l’ombre à tous les autres.
Qu’il y ait derrière l’installation de ce bureau d’assurance emploi à Thetford-Mines une possibilité de conflit d’intérêts (l’immeuble appartenant à une entreprise dont le principal actionnaire est un associé du père du ministre Paradis et ex-associé du ministre) ne dérange pas le ministre québécois mais ce n’est pas le plus troublant de l’affaire.
Le problème se situe plutôt dans l’apologie d’une dimension détestable du travail de député. « Quand un député travaille pour avoir des jobs chez lui, faut-il le dénoncer? », déclare le ministre québécois, comme si le ministre fédéral de l’Industrie avait rapatrié d’un coup tous les emplois délocalisés vers l’Asie et le Mexique depuis la Confédération. On veut bien que « Christian » (comme il dit) s’acquitte de son devoir « de prêcher pour sa région » mais, dans le cas qui nous occupe, « Christian » a simplement chipé des fonctionnaires à une circonscription représentée par un adversaire politique avec la complicité de sa collègue ministre des Ressources humaines (et il intente une poursuite contre le député perdant qui ose se plaindre !).
Cette manœuvre, dont le résultat est parfaitement nul en termes de développement économique, bénéficie essentiellement à une ville de la circonscription fédérale de « Christian », ville qui se trouve aussi dans la circonscription provinciale de « Laurent ». Ce dernier est de plus ministre responsable de la région où s’installeront les fonctionnaires déplacés et, pour couronner le tout, ancien maire … de Thetford-Mines. On comprend qu’il n’ait pas trop conscience des conflits d’intérêts.
Faut-il enfin rappeler que le titre exact du ministre québécois est « ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire » ? Il évoquait son appui indéfectible aux régions quand il s’agissait de protéger les intérêts électoraux du parti dans le dossier de la carte électorale (quitte à saboter la réputation du Directeur général des élections), mais ne se formalise pas maintenant, toujours inspiré par les mêmes intérêts, de voir des emplois d’une région déjà défavorisée partir vers le « centre du Québec ».
Difficile à suivre. Heureusement, les intérêts sont constants.
Petites nouvelles de « l’Outaouais supérieur »
Combien vaut une sinécure ?
Le gouverneur général ne paie pas d’impôt sur son salaire de 135 000 $ et peut toucher une pension équivalente à 100 % de son salaire pour le reste de ses jours après cinq ans en poste.
L’affaire a fait un peu de bruit récemment. Le Bloc a déposé une motion pour le faire payer, les conservateurs demandent la collaboration du gouverneur général, les libéraux envisagent de revoir son traitement en conséquence, traitement qui a probablement été maintenu relativement bas moyennant compensation, tout comme c’est l’usage dans le milieu : ne pas trop augmenter le salaire des parlementaires, tout en multipliant les indemnités supplémentaires ; ne pas toucher au salaire des juges, tout en « allégeant » leurs cotisations au fonds de pension… et leurs frais de stationnement.
La fonction de gouverneur général est honorifique et le traitement qui y est rattaché devait l’être aussi. Le gouverneur général est « logé, nourri, blanchi », assisté, documenté, transporté et probablement habillé à même les fonds publics. Pourquoi faut-il une rémunération pour faire de la figuration ? Surtout quand le titulaire touche une généreuse pension du secteur public comme c’est le cas actuellement pour David Johnston qui a fait une longue carrière universitaire.
Il ne serait pas difficile de trouver des candidats parmi les retraités de toutes espèces qui vont se multiplier au Canada. Il suffira de fournir aussi des fringues aux conjoints.
La production continue de drapeaux usés
Tel que révélé par Le Devoir de 9 février, le ministère fédéral des Travaux publics a fait installer un mât près de l’édifice de l’Ouest qui est en rénovation et qui ne pourra hisser l’unifolié à son emplacement habituel pendant environ six ans. Achat, installation, etc. : 25 000 $. Pourtant, de l’endroit où s’élève le nouveau mat, on peut voir environ 25 unifoliés…
Explication du ministère : il faut « assurer la continuité du programme de distribution des drapeaux canadiens de la colline parlementaire aux citoyens pendant la durée des travaux ». Combien de citoyens, surtout à l’est de l’Outaouais, savent qu’ils peuvent obtenir un drapeau fédéral usé ? Les drapeaux de la colline parlementaire sont changés régulièrement (tous les jours de la semaine, sauf exception, pour l’édifice du Centre, une fois par semaine pour les édifices de l’Ouest et de l’Est) et ensuite distribués à ceux qui en font la demande… et qui sont assez patients : il y a une liste d’attente de 35 ans pour le drapeau de l’édifice du Centre et de 23 ans pour les deux autres ! Certains l’auront peut-être à temps pour recouvrir leur cercueil…
Ce programme était donc menacé de dysfonctionnement, faute d’approvisionnement. Six fois 52 semaines : 300 unifoliés de moins à distribuer ! L’unité nationale était en jeu, d’où l’urgence de maintenir la production de drapeaux usés.
Père absent, vote manqué ?
Une jeune mère-députée allaite son bébé à son bureau du Parlement fédéral. En congé de paternité, le père est sur place, quelque part autour. Oups ! la cloche sonne pour un vote et le père n’est pas là pour prendre le relais. Est-il aux toilettes ? à la buvette ? sorti fumer ? en train de « cruiser »? L’histoire ne le dit pas. La mère se précipite en chambre pour voter, avec son bébé, qui est finalement pris en charge par un page et « évacué ».
Drame. Émotion dans les médias. Pourquoi donc ne peut-on pas amener ses enfants en Chambre ? Dans quel pays sommes-nous ? Il faut que le Président des Communes réexamine les règlements. Va-t-il établir des normes: combien d’enfants ? jusqu’à quel âge ? jusqu’à quelle heure ?… Et pourquoi ne pas admettre les conjoints: la politique brise tant de ménages… Voyons donc : conjoint de fait, marié, du même sexe ? Il faudra bien quelqu’un pour gérer le programme…
Tout cela pour un père « distrait ». Les grandes réformes ont parfois de bien petites explications.
Le Sénat historien
On aurait pu penser que les sénateurs seraient plus sages que les députés (https://blogue.septentrion.qc.ca/wp-content/uploads/archives/gastondeschenes/2011/12/les_deputescenseurs_1.php), mais non : le Sénat français a adopté à son tour la proposition de loi qui prévoit de sanctionner toute personne qui aurait « contesté » ou « minimisé de façon outrancière (…) l’existence des génocides reconnus par la loi », i.e. les génocides juifs et arméniens.
Profondément divisés et rompant avec les « lignes de partis », les sénateurs ont voté à 127 contre 86, 60 % de leurs collègues étant absents, certains étant visiblement partis faire la « petite marche » classique du parlementaire qui ne veut pas prendre position.
Les sénateurs ont approuvé la proposition malgré l’avis défavorable de leur Commission des lois (http://www.senat.fr/rap/l11-269/l11-2691.pdf) selon laquelle « il n’appartenait pas à la loi, et en particulier à la loi pénale, d’intervenir dans le champ de l’histoire et de disposer en matière de vérité historique ». Elle a en outre considéré que cette loi pourrait entrer en contradiction avec plusieurs principes constitutionnels, en particulier le principe de légalité des délits et des peines, le principe de liberté d’opinion et d’expression et le principe de liberté de la recherche historique.
Car il est maintenant interdit de douter explicitement de l’existence du génocide arménien et dangereux de faire des recherches sur ce qui s’est passé en Arménie entre 1915 et 1923 : ce serait risquer d’aboutir à des résultats contraires à la « vérité » préétablie par le Parlement ou de minimiser « de façon outrancière » le génocide. Rien ne garantit la précision de l’instrument utilisé pour calculer l’outrance…
Il faut lire l’exposé de motifs de la proposition (http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion3842.asp) présentée par la députée Valérie Boyer. On y rappelle que la France a des lois pour définir les génocides et autres crimes contre l’humanité, dont la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 qui a reconnu le génocide arménien de 1915 et la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 sur la traite et l’esclavage, mais seule la contestation du génocide juif constitue un délit (introduit par la loi Gayssot du 13 juillet 1990), « de sorte que les victimes rescapées de crimes contre l’humanité se trouvent inégalement protégées » ! D’où la nécessité d’instituer, pour la négation du génocide arménien, des peines semblables à celles que la loi Gayssot a édictées en 1990, soit un an de prison et 45 000 € d’amende.
Livrés aux groupes de pression et mus par l’électoralisme (la communauté arménienne en France est la plus importante d’Europe occidentale, avec environ 600 000 membres), les députés n’ont rien retenu des avertissements de la communauté historienne et ont préféré s’enliser dans une rectitude qui fait peur. Le ministre des Relations avec le Parlement a justifié cette proposition de loi par la nécessité de lutter contre le « poison » négationniste, une expression qui rappelle une autre époque.
Reste le Conseil constitutionnel qui pourrait se prononcer sur la constitutionnalité du délit créé par cette loi, mais comment refuser aux Arméniens ce qu’on a accordé aux Juifs ?
Une autre Journée du drapeau bâclée
Dans un communiqué émis à 8h00 le 20 janvier et répété à la mêm heure le 21, le ministre responsable de l’application de la Loi sur le drapeau « invite la population à souligner le 64e anniversaire de l’adoption du fleurdelisé, en ce samedi 21 janvier 2012, jour du Drapeau, qui commémore un moment important de notre histoire ».
(http://communiques.gouv.qc.ca/gouvqc/communiques/GPQF/Janvier2012/20/c5545.html)
C’est un immense progrès. Du temps des Weil et Normandeau, le communiqué sortait dans l’après midi du 21 janvier. Puis, en 2011, le ministre Fournier a « oublié ». À son cabinet, un attaché politique avait d’abord dit ignorer (!) l’existence d’une telle journée, pour ensuite voir le service des communications du ministère « admettre » que c’était un « oubli » de sa part. La faute aux fonctionnaires, qui n’auraient pas pris de risques cette année en programmant la diffusion à 8h00, un samedi matin.
Le ministre de la Justice invite la population à souligner la Jour du drapeau qui « est l’occasion de nous rassembler autour de cet emblème qui incarne si puissamment nos valeurs, nos aspirations communes et notre détermination à bâtir ensemble le Québec de demain ». Mais il ne faut quand même pas trop en demander, surtout pas l’heure et le lieu du rassemblement. En fait, ni le ministre responsable de l’application de la loi, ni le premier ministre, chef du gouvernement dont le fleurdelisé est le principal emblème, n’ont inscrit quoi que ce soit à leur agenda.
Ils le feront peut-être l’an prochain quand le fleurdelisé aura 65 ans, l’âge de la pension fédérale.