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Les députés-censeurs

L’Assemblée nationale française « lâchée lousse ». Ou livré aux groupes de pression ?
Une députée française a fait adopter une proposition de loi qui prévoit un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour toute personne qui nierait publiquement l’existence du génocide arménien (http://www.france24.com/fr/20111222-proposition-loi-condamnant-genocides-votee-a-lassemblee-nationale). Autrement dit, vous pouvez penser qu’il n’y a peut-être pas eu de génocide en 1915-1916 (au sens où on a défini ce concept trente ans plus tard…) en Arménie, mais « seulement » une guerre meurtrière, mais ne le dites pas à haute voix.
Le gouvernement ne s’est pas compromis, le ministre des Relations avec le Parlement ayant indiqué qu’il s’en remettrait à la « sagesse » des députés, une sagesse assez mince, dans tous les sens du terme, car il n’y en avait qu’une cinquantaine de députés (sur 577 !!!) en Chambre au moment du vote majoritaire à main levée.
Les historiens français ont évidemment réagi : il a quand même des gens qui y ont gardé toute leur tête en cette époque de rectitude exacerbée (http://www.lefigaro.fr/politique/2011/12/21/01002-20111221ARTFIG00552-genocide-armenien-les-historiens-critiquent-la-loi.php). Ils l’avaient fait en 1990, quand l’Assemblée nationale a adopté la loi Gayssot pour pénaliser la négation du génocide juif. En 2006, 19 historiens français, parmi les plus réputés, avaient signé une pétition demandant l’abrogation de la loi Gayssot, de la loi reconnaissant le génocide arménien, de la loi reconnaissant la traite et l’esclavage en tant que crime contre l’humanité et enfin de la loi sur l’intégration dans les programmes scolaires du rôle positif de la colonisation française : ils y rappelaient des principes : l’histoire n’est pas la morale, n’est pas l’esclave de l’actualité et n’est pas un objet juridique.
Les députés n’ont évidemment pas écouté les historiens qui rappliquent en 2011 en espérant convaincre le Sénat de ne pas créer un nouveau délit d’opinion :
- Pierre Nora : « Ce n’est pas aux politiques d’écrire l’histoire ! » ;
- Christian Delporte : « Nous sommes contre l’histoire officielle et nous estimons qu’il ne doit pas y avoir d’entrave au travail de l’historien. Or, dès l’instant qu’il y a une loi, il y a des risques de poursuite. L’histoire est avant tout une source de débat et doit le rester dans une démocratie » ;
- Gilles Manceron : « Va-t-on faire une loi pour tous les crimes du monde ? Pour ceux commis par les communistes en Russie ou pour le génocide des Indiens en Amérique ? »
Si les parlementaires décident maintenant de ce qui est « vrai » en histoire, on pourrait faire de même ici pour l’extermination des Renards par le Français, des Béotuks par les Anglais de Terre-Neuve ou des Hurons par les Iroquois.

Le temps des cadeaux

C’est Noël : on va parler de cadeaux.
Le Centre Bell en sera privé
Il n’y a pas de lien avec ce qui se passe derrière le banc du Canadien mais le Centre Bell va perdre quelques dollars venant du gouvernement. Hydro-Québec, la Société des alcools et la Caisse de dépôt abandonnent leurs loges « corporatives » (http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/quebec/201112/21/01-4479829-la-caisse-de-depot-abandonne-sa-loge-au-centre-bell.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=lapresseaffaires_LA5_nouvelles_98718_accueil_POS15). Les Québécois ne verront pas de différences sur leurs rapports d’impôt mais l’État économisera presque un million par année.
Le seul organisme d’État qui résiste est Loto-Québec, qui dépense environ un demi-million pour deux loges, l’une pour ses meilleurs parieurs, l’autre pour ses dépanneurs « qui travaillent de longues journées et font face à une forte concurrence », dont celle que la société d’État leur fait avec son poker en ligne ! Mais, c’est un autre dossier.
Loto-Québec et le gouvernement continuent leur double langage. L’État justifie sa présence dans le jeu en disant qu’il empêche le crime organisé d’en profiter (tout en laissant proliférer les sites Internet illégaux sur les réserves, où il n’y a évidemment pas de crime organisé…). C’est donc un mal nécessaire… qu’il encourage avec des petits cadeaux aux plus « méritants ». Cherchez la cohérence.
Les démissionnaires passent à la caisse
Le député d’Argenteuil a démissionné le 16 décembre. Trop jeune pour toucher sa pension, dont on a fixé l’accès à 55 ans au début des années 1980, il bénéficiera de l’allocation de transition maximale (un an de salaire), créée à la même époque pour permettre aux jeunes retraités sans pension de « se r’virer de bord », ce qui ne devrait être un problème pour cet homme d’affaires qui a précisément perdu sa limousine à cause d’un conflit d’intérêts « appréhendé » entre ses activités de ministre et ses intérêts dans une entreprise de construction. On lui souhaite un bon fiscaliste pour éviter d’en payer un coup sur ce qui pourrait bien devenir une double rémunération en 2012.
Plusieurs autres députés pourraient quitter l’an prochain. La brochette comprendrait de nombreux vétérans admissibles à la pension des parlementaires AINSI qu’à la pension fédérale mais AUSSI l’allocation dite « de transition ». Transition vers quoi ? Sûrement un monde meilleur.
Pour les Bronfman, une double surprise ?
La famille Bronfman vient d’embaucher des lobbyistes afin d’influencer les parlementaires et convaincre l’Assemblée nationale d’adopter une loi privée touchant la répartition du patrimoine d’une dizaine de fiducies familiales créées en 1942 pour assurer la pérennité du capital et surtout payer le moins d’impôt possible (http://fr.canoe.ca/infos/quebeccanada/politiqueprovinciale/archives/2011/12/20111220-173315.html).
Une première tentative a été effectuée au printemps avec le bill 205 qui a été étudié brièvement dans l’ombre du fameux 204. Alerté par un reportage du canal Argent, le Parti québécois avait tiqué et le député François Rebello avait posé plusieurs questions au gouvernement et même écrit au ministre au sujet de l’impact de ce projet sur le fisc québécois.
Quand les lois d’application générale ne suffisent pas et qu’il faut recourir à un projet de loi d’intérêt privé, on peut sans l’ombre d’un doute conclure qu’il y a un « problème » entre les intérêts privés et l’intérêt public. Et si de plus le ministre ainsi que les avocats et les lobbyistes de la requérante ne veulent pas donner d’explications, serait-ce qu’il y a quelque chose d’inexplicable ? Comme un « cadeau » dont le donateur ignorerait la valeur ?

La légitimité des indépendants

L’éditorialiste Jean-Pascal Beaupré (« Fausse représentation », La Presse, 5 décembre 2011) se demande si les députés qui siègent actuellement comme indépendants ont « la légitimité de représenter les électeurs de leur circonscription ». À cette question, il faut répondre : « Oui, certainement (sauf peut-être le cas très particulier qui est actuellement sub judice). »
La Loi sur l’Assemblée nationale édicte que le député « jouit d’une entière indépendance dans l’exercice de ses fonctions » (art. 43). Pour mieux éclairer nos lanternes, il faudrait peut-être amender cette loi en nous inspirant de l’article 38 de la Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne, texte si judicieusement cité dans le projet de réforme parlementaire déposé par le ministre Jacques Dupuis en juin 2004 : « Les députés du Bundestag allemand sont élus au suffrage universel, direct, libre, égal et secret. Ils sont les représentants de l’ensemble du peuple, ne sont liés ni par des mandats ni par des instructions et ne sont soumis qu’à leur conscience » (La réforme parlementaire, p. 18).
En droit québécois, comme le précisent Brun, Tremblay et Brouillet dans leur Droit constitutionnel (5e édition, p. 306), le député est « absolument libre, durant son mandat, d’agir selon ses seules convictions dans la poursuite du bien commun; il n’est jamais lié par les désirs de ses commettants ». Nul ne peut « essayer d’influencer le vote, l’opinion, le jugement ou l’action du député par fraude, menace ou par des pressions indues » (Loi sur l’Assemblée nationale, art. 55). Bien sûr, cet article ne met pas le député à l’abri de la discipline de parti mais ce n’est pas un objet, un numéro ou un robot, ni un soldat, et son chef a l’obligation de convaincre, non pas d’imposer. Le projet de réforme précité voulait alléger cette discipline « afin de permettre aux députés d’exercer leur mandat en tenant compte aussi: des attentes des électeurs de leur circonscription ou de l’ensemble des citoyens; de leurs propres convictions ou conclusions sur une question; des impératifs de leur conscience ».
Tels sont justement les motifs qui ont amené la plupart des députés indépendants d’hier et d’aujourd’hui sur les banquettes arrière et, malgré ce que peuvent en penser certains citoyens, ils n’ont pas pris leur décision de gaieté de cœur, « pour se faire remarquer », comme on l’entend parfois. Sauf exception, devenir indépendant est un choix très difficile qui marque souvent le début de la fin d’une carrière parlementaire.
« Ils ont été élus grâce au chef et au parti : qu’ils y restent loyaux ! », entend-on aussi. Il y a du vrai dans cette perception (les élus sont redevables au chef et au parti dans des proportions qu’il serait bien présomptueux d’évaluer), mais elle s’applique plutôt mal à la plupart des indépendants actuels. Les députés Caire et Picard ont été élus avec un chef qui avait leur loyauté mais qui a été remplacé au terme d’un congrès bizarre dont ils n’acceptent pas les résultats. Les dissidents du PQ ont, pour la plupart, fait défection après avoir vu leur parti appuyer une cause (le projet de loi 204) qui ne figurait pas à son programme et qui cadrait d’ailleurs assez mal avec sa philosophie. Si leur chef avait été plus souple sur la discipline, ils seraient peut-être encore sous sa houlette. Ils ont préféré suivre leurs convictions, eux, et siéger comme indépendants (tel que permis explicitement par le Règlement de l’Assemblée nationale), ce qui n’a visiblement pas provoqué de soulèvements dans leurs circonscriptions.
Au moment où un fort courant d’opinion remet en question la « ligne de parti » qui limite la liberté d’expression et impose la « discipline de vote », il est pour le moins étonnant de voir un éditorialiste proposer une mesure qui aurait pour effet d’enfermer définitivement les députés dans le corset partisan. Sur le plan éthique — où il veut nous amener — ce serait bien le bouquet si les députés qui votent, à visière levée, selon « les impératifs de leur conscience » étaient ostracisés sans appel alors que ceux qui renient leurs principes peuvent continuer de voter machinalement, peinards et incognito.

Le « sénateur justicier »

Je n’ai pas d’atomes crochus avec le sénateur Boisvenu. Ce monsieur a vécu de grandes épreuves et, par respect pour lui, plusieurs l’ont ménagé lorsqu’il s’est mis à intervenir publiquement sur le « droit des victimes ». Depuis quelque temps, on peut cependant dire qu’il liquide rapidement le capital de sympathie qu’il possédait.
Contrairement à Jean Lapointe, qui a compris que sa cause n’avançait pas (quand l’heure de la retraite a sonné), et à Jacques Demers, qui ne le comprendra probablement pas, le sénateur Boisvenu défend un dossier qui correspond aux visées du gouvernement conservateur et qui va malheureusement aboutir.
Je ne suivrais pas cependant le raisonnement de Debora de Thomassis, vice-présidente de l’Association des avocats de la défense de Montréal, qui invite le sénateur à s’enregistrer comme lobbyiste « s’il veut faire du lobbying » (http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2011/11/20/002-barreau-boisvenu-defense.shtml). Il y a des limites à dire n’importe quoi, même sous le coup de la colère. Le sénateur Boisvenu est parfaitement justifié de défendre son point de vue (pour une fois qu’un sénateur s’active concrètement…); c’est à ses interlocuteurs de démonter ses « raisonnements ».
Je ne suis pas non plus Me Jean-Claude Hébert qui a bien démontré (http://www.cyberpresse.ca/debats/opinions/201111/24/01-4471290-le-senateur-justicier.php) comment l’analyse du « sénateur justicier » est « stupéfiante » et son argumentaire, « déroutant », mais qui se laisse aller à des considérations moins pertinentes quand il écrit que le sénateur Boisvenu « usurpe une responsabilité des élus » et devrait « se tenir coi jusqu’à l’adoption du projet de loi C-10 par la Chambre des communes », réservant son point de vue pour l’étude du projet « en comité parlementaire du Sénat ».
Qu’on le veuille ou non, le Sénat participe à la fonction législative et rien, dans notre droit, n’empêche un sénateur de se prononcer sur une question à l’étude devant le Parlement. Ni de dire des bêtises.

Et la langue, on la conserve?

Un petit producteur fait beaucoup parler de lui dans le monde de l’alimentation depuis quelques années. Reportages dans tout ce qu’on trouve d’émissions et de médias branchés, prix et distinctions, éloges de toutes sortes, certainement mérités.
Dans son édition de décembre, L’Actualité consacre une page à cette « conserverie gastronomique artisanale » qui veut contribuer à la « redécouverte du patrimoine culinaire ». Allier conserves et gastronomie n’est pas banal. Les propriétaires, dont les noms évoquent les familles-souches québécoises, critiquent l’industrialisation, valorisent le rapprochement avec les producteurs, parlent artisanat et terroir. Mieux encore, l’entreprise qui a débuté comme restaurant à Montréal est maintenant installée en campagne et favorise la conciliation travail-famille. Et elle participera à la guignolée des médias avec des boîtes numérotées ornées d’une étiquette signée Claude Robinson. Avant d’ouvrir la boîte, on sent déjà les bons sentiments.
Un bémol? Le journaliste note que l’entreprise se distingue aussi par « un nom curieux » : elle s’appelle « LE NAKED LUNCH », nom « bien de chez nous » dûment inscrit au Registre des entreprises du Québec, « patenté » au fédéral (OPIC) et donc « avalé » par notre bienveillant Office québécois de la langue française.
Tout est correct / It’s all right.
Merci / Thank you.
Allez-en paix / Ite missa est.
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