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Le « traité » de Murray: un cas de révisionnisme historique

Il y a 250 ans, le 5 septembre 1760, le chef des Hurons rencontrait James Murray, à Longueuil, pour convenir des termes d’un traité. En 1990, 230 ans plus tard, les tribunaux ont validé ce traité « reconnaissant aux Hurons leurs droits ancestraux de l’occupation du territoire », selon les propos livrés par leur chef actuel au Soleil le 24 mai dernier.
Ceux qui ont une foi aveugle envers les tribunaux se satisferont de cette version, mais, pour ceux qui se montrent sceptiques lorsque les savants juges trichent Thémis avec Clio et s‘avisent de réinterpréter le passé, l’histoire est un peu différente.
En septembre 1760, les Hurons jugent désespérée la situation de leurs alliés français, ceux qui les avaient accueillis à Québec, un siècle plus tôt, après la destruction de la Huronie. Les Anglais ont pris Québec en septembre 1759 et assiègent maintenant Montréal. Les quelque 30 ou 40 Hurons qui étaient alors sous les armes aux côtés des Français décident de laisser ces derniers avec leurs problèmes, de conclure une paix séparée avec les Anglais, de se « soumettre à Sa Majesté britannique » et de retourner chez eux à Lorette, près de Québec, où vit la tribu composée d’une centaine de personnes. Pour ce faire, ils doivent traverser un territoire (entre Montréal et Québec) occupé par des garnisons anglaises qui en ont gros sur le cœur contre les Indiens, de redoutables guerriers qui leur en ont fait voir de toutes les couleurs. D’où la nécessité d’un sauf-conduit. C’est ce que tout le monde avait compris des termes utilisés par Murray dans le document qu’il signe, seul, le 5 septembre pour certifier que les Hurons se sont mis « sous sa protection », ne doivent pas être molestés par les soldats qu’ils pourraient rencontrer en retournant chez eux.
La Cour suprême a donné une tout autre interprétation de l’histoire et transformé en « traité » un document qui avait toujours été considéré jusque là comme un certificat, même par les Hurons, notamment par Marguerite Vincent Téharionila qui le désignait comme un « certificat de protection du général Murray à la nation huronne » , dans son ouvrage La nation huronne édité au Pélican avec une préface du chef huron Max Gros-Louis en 1984, l’année même où il est déposé en cour.
La Cour suprême aurait-elle émis le même jugement si elle avait eu la version originale du document? Car il faut rappeler que l’avocat des Hurons n’avait pas de texte original à présenter au juge de première instance, seulement une copie manuscrite et une copie imprimée, deux documents présentés in extrémis et plus que très sommairement examinés par la Cour. Un « expert » a prétendu que la copie imprimée l’avait été à Halifax dès 1760 (!), ce qui démontrait son importance (!!), une opinion qui ne tient pas la route pour des raisons techniques mais surtout à cause de la facture du document imprimé, comme l’a démontré plus tard Denis Vaugeois (dans La Fin des alliances franco-indiennes – Enquête sur un sauf-conduit devenu un traité en 1990, Boréal, 1995), en examinant sa typographie. Quelques mots de la copie manuscrite déposée en preuve en 1980 étaient soulignés une, deux ou trois fois et on découvrira plus tard qu’il s’agissait de signes conventionnels d’imprimerie indiquant les mots à mettre respectivement en italiques, en petites capitales et en capitales, ce qui correspondait exactement à la version imprimée. Il s’agissait donc d’une copie faite, au début des années 1800, pour guider la composition et l’impression du document original, sans altérer ce dernier. Et, quand on mit finalement la main sur cet original, en 1996, ce fut pour découvrir que le copiste avait commis quelques « oublis », écrivant notamment « being allowed [the] liberty of trading with the English » au lieu de « being allowed [the] liberty of trading with the English garrisons », comme le précisait l’original, ce qui limitait singulièrement ce droit de commercer et confirmait le caractère ponctuel de ce sauf-conduit.
Les savants juges en auraient-ils tenu compte, eux qui n’avaient pas pris en considération le fait que le « traité » n’était signé que par une partie et n’avait jamais été vu comme autre chose qu’un certificat de protection ou laissez-passer? Peut-être pas, mais il faut savoir par ailleurs que la Cour ne s’est pas étendue sur la portée du « traité ». Son jugement précise que les Hurons « étaient présents dans la région de Québec depuis environ 1650 après avoir dû quitter leurs terres ancestrales situées sur un territoire qui est aujourd’hui en Ontario » et qu’en 1760 « ils étaient établis à Lorette sur des terres que leur avaient concédés les Jésuites 18 ans plus tôt et ils fréquentaient alors le territoire du Parc de la Jacques-Cartier » (R. c. Sioui, (1990) 1. R.C.S. 1032). Et plus loin, la Cour ajoute que leur « …présence relativement récente dans la région de Lorette suggère que les Hurons n’avaient pas la possession historique de ces terres » (R. c. Sioui, (1990) 1. R.C.S. 1070). Bref, pour la Cour suprême, le certificat de Murray est peut-être un « traité » mais elle n’en a pas défini la portée et n’en a surtout pas déduit des « droits ancestraux de l’occupation du territoire ».
C’est donc avec un gros grain de sel qu’il faut lire le communiqué émis le 2 septembre pour inviter les médias à une « fête » soulignant le 250e anniversaire du jour où « deux nations, les Hurons-Wendat et les Britanniques, signaient un traité de paix, d’harmonie et d’alliance » dont le contenu « prévoyait et prévoit toujours clairement la reconnaissance et la protection de droits relatifs à nos territoires traditionnels ». Comment expliquer qu’on n’ait jamais fêté, auparavant, ce qui serait aujourd’hui « l’événement historique le plus important pour la nation huronne-wendat »? En réalité, avant que les tribunaux ne confèrent au « certificat de Murray » une étonnante signification, personne n’aurait imaginé « fêter » l’anniversaire une simple reddition.
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Pour le bénéfice de ceux et celles qui en parlent sans nécessairement l’avoir lu, voici le fameux document reproduit, transcrit et traduit dans André Münch dans L’expertise en écritures et en signatures (Septentrion, 2000, p. 139-141) d’après l’original déposé le 4 août 1810 au greffe du notaire Barthélémy Faribault fils (ANQ-Q CN301, S99 [12/11_f]).
« These are to Certify that The Chief of the Huron Tribe of Indians, having come to me in the name of His Nation, to Submit to His Britanick Majesty, & make Peace, has been received Under my Protection, with his whole tribe; and henceforth no English Officer or party is to molest, or interrupt them in returning to their settlement at Lorette; and They are received upon the same terms with the Canadians, being allowed the free Exercise of their Religion, their Customs & and Liberty of trading with the English Garrisons recommending it to the Officers Commanding the Posts, to treat them kindly.
Given under my hand at Longueiul, this 5th day of September 1760.
Ja : Murray
By the Genl’s Command,
John Cosnan,
Adjut. Genl. »

La galerie des juges

Dans sa série « Où vont vos impôts? », le Journal de Québec s’est intéressé dimanche au déménagement de 10 photos de juges de Québec à Montréal, opération pour laquelle la SIQ a facturé 26 000$ à la Justice.
On comprend qu’il ne s’agissait pas seulement d’apporter des photos encadrées de petites dimensions à Montréal (ce qu’un commis aurait pu faire avec un VUS) et de les accrocher au mur (ce qui aurait requis dix crochets valant quelques dollars). Les photos ont été uniformisées (ce qui a demandé des travaux de numérisation, des retouches photographiques, des impressions numériques et des encadrements) puis installées sur des rails accrochées sur des panneaux de chêne dans un couloir du 17e étage du palais de justice de Montréal.
La dépense est-elle exagérée? Disons que c’est assez cher, même si l’opération tient plus de l’aménagement d’une galerie que d’un simple déplacement de 10 photos encadrées des juges (en chef, associés et adjoints) qui ont occupé ces fonctions depuis 1983.
La vraie question me semble ailleurs : pourquoi a-t-on déménagé à Montréal des photos qu’on accrochait, depuis 1983, au palais de justice de Québec? Les bureaux du juge en chef actuel de cette cour étant à Montréal, on a choisi, explique-t-on au Ministère, de les déménager plus près de son lieu de travail. D’où la question suivante : mais pourquoi donc le juge en chef de la Cour supérieure, tout comme d’ailleurs le juge en chef de la Cour d’appel, n’ont pas TOUJOURS leurs bureaux dans la ville qu’on désigne communément comme la capitale. Il y a probablement une chinoiserie dans la loi des tribunaux qui justifie que le nouveau juge en chef traîne avec lui le « siège social » de la cour. Au ministère de la Justice, d’après l’article du Journal de Québec, on ne pouvait pas dire « pour quelles raisons ces photos étaient à Québec », comme s’il s’agissait d’une situation incongrue.
Une autre dimension de cette affaire ne manquera pas de faire sourciller. Le journaliste n’a pas pu photographier de près les œuvres qu’on a ainsi réinstallées à grand frais dans un endroit pourtant accessible au public. Il a du se contenter d’une vue d’ensemble pour que les lecteurs ne puissent pas distinguer les visages et les noms.
Pourquoi donc? « Raisons de confidentialité ». D’après une adjointe exécutive du palais de justice, « la jurisprudence, lorsqu’il s’agit de prendre des photographies, entre autres de personnes, est que celles-ci ne peuvent être utilisées ou reproduites sans leur consentement».
Dans quelle cause cette jurisprudence a-t-elle été établie? S’agit-il d’une disposition particulière pour les juges?
On comprend qu’il serait inconvenant d’en faire des cartes postales mais faudrait-il demander une permission à chacun de ces personnages pour ramener leur binette en souvenir d’un passage au Palais? La procédure s’applique-t-elle aussi aux portraits des présidents à l’Assemblée nationale et des maires à l’hôtel de ville? Y a-t-il une exception pour les morts?
Une dernière question, avant de sombrer dans l’absurdité : si le prochain juge en chef est choisi parmi les juges en poste à Québec, ramènera-t-il les photos de ses prédécesseurs dans la capitale?

Les poissons ne sont pas tous dans le Bowl

Dans un texte publié par Le Soleil le 29 juillet (« Affichage commercial: l’anglais s’impose à Québec »), Annie Morin a montré comment l’affichage commercial contourne la Charte de la langue française. « Le marchand de vêtements Urban Outfitters s’installera bientôt rue Saint-Joseph, écrit-elle, dans le quartier Saint-Roch, non loin de Mountain Equipment Co-op. Pendant ce temps, Old Navy, American Apparel, The Children’s Place et Feetfirst prospèrent dans les centres commerciaux de Sainte-Foy ».
La loi 101 a beau réglementer l’usage du français dans l’affichage public et la publicité commerciale, l’Office québécois de la langue française (OQLF) est impuissant lorsque les noms d’entreprises sont enregistrés comme marques de commerce. Les multinationales, surtout américaines, se surpassent « pour créer une marque qui résiste aux particularités régionales et qui est donc plus facile à implanter ».
Une publicité du même journal nous apprenait en juin qu’on pouvait trouver, « enfin chez nous! », plus précisément à Lévis, un restaurant FISH BOWL. Comment avons-nous pu nous en passer si longtemps?
Encore un multinationale genre McDo, Eastside Mario’s, et autres Tao’s? Non, deux petites Cantin franco-ontariennes ont choisi ce nom pour leur premier restaurant établi à Barrie (http://www.restaurantsfishbowl.com/fr/main-nav/historique/). Elles en ont ensuite ouvert deux autres succursales en Ontario (Sudbury et Timmins) puis une quatrième à Lévis cette année.
Pourquoi Lévis? C’est le berceau des premiers Cantin au Canada.
N’est-ce pas émouvant?
Comme le veut le dicton bien connu, « on n’est jamais si bien (as)servi que par soi-même ».

Primes de luxe

La Ligue des contribuables s’est une autre fois manifestée, à juste titre, à la suite de la démission du ministre de la Sécurité publique qui quitte, à mi-mandat, avec une « allocation de transition » de quelque 150 000$, en attendant un premier chèque de pension qui ne tardera pas, tout comme l’annonce de nouvelles fonctions bien rémunérées. Bref, triple parachute.
L’allocation de transition, rappelons-le, a été créée par la loi qui a rendu la pension moins accessible, en 1982, en reportant l’âge minimum à 55 ans. Comme son nom l’indique, cette allocation devait aider à se « r’virer d’bord » les députés sortants qui ne seraient pas admissibles à la pension ou trop jeunes pour la toucher. À l’époque, quelques députés s’étaient trouvés dans des situations difficiles, incapables de se replacer sur le marché du travail ; dans un élan d’humanité, et de grande générosité, le législateur a rendu la mesure universelle, applicable même quand le besoin n’a rien d’évident, notamment quand la transition consiste à… prendre sa retraite !
D’après une dépêche émise par la Presse canadienne le 9 août, le premier ministre s’est contenté « d’affirmer que ce sont les règles de l’Assemblée nationale qui s’appliqueraient, tout simplement »; le démissionnaire, aurait-il déclaré, « s’est dévoué de manière exceptionnelle au service de ses concitoyens ». Ceci justifiant visiblement cela.
On aurait juré entendre un prof de chimie ou de physique, un Lavoisier causant de la loi de la conservation de la matière ou Newton expliquant la loi de l’attraction universelle. La fatalité, quoi ! Autrement dit, « Que voulez-vous? »
On est pourtant loin des lois de la nature mais bien plutôt dans le domaine des règles d’origine humaine qu’on peut changer lorsqu’elles s’avèrent déraisonnables et qu’on a les deux mains sur le volant.

Les prétendus « gaspillages » de la Vérificatrice générale

Les journaux de Québécor sont partis en guerre contre le gaspillage dans l’administration publique. Reportages, listes d’engagements financiers, statistiques, on ne ménage rien pour débusquer les dépenses qui semblent injustifiées.
Rien à redire en principe : c’est le rôle de la presse d’avoir le gouvernement à l’œil mais il ne faudrait quand même pas charrier.
La « capture » de la semaine est la Vérificatrice générale du Canada. Le Journal de Québec du 9 août consacre deux grandes pages à des « formations douteuses » dont elle aurait fait bénéficier son personnel, en mettant l’emphase sur la somme de 345$ dépensée pour que l’UN de ses employés participe à UN atelier de renaissance (rebirth). On est loin des montants donnés au Parlement en « allocations de transition » et il faudrait plus d’information sur LE cas pour en évaluer la pertinence.
Le texte mentionne que le Bureau du vérificateur a déboursé 445 816 $ en 2009 pour des formations suivies par son personnel, qui compte 650 employés. Que représente ce demi-million par rapport au budget total? Le lecteur doit faire le calcul lui-même et mettre les choses en perspective.
Le Journal s’interroge sur le rapport entre le mandat du vérificateur et les cours que TROIS employés ont suivis sur le marxisme, la civilisation romaine et les théories classiques en anthropologie. On s’étonne effectivement, au premier abord, et on reste étonné si on ne sait pas que ces cours s’inscrivent dans un cadre plus vaste. Si l’employeur aide un employé prometteur à obtenir un diplôme de premier cycle universitaire qui pourrait lui valoir ultérieurement une promotion, on imagine que l’employé n’y arrivera pas en suivant trente fois le même cours de comptabilité.
Dépense injustifiée? Perfectionner un employé productif pourrait bien coûter moins cher, en fin de compte, que de recruter et former une nouvelle ressource. Mais, pour le savoir, il faut plus que des chiffres bruts publiés en vrac.