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Excuses, explications et autres « défaites »

L’actualité nous a bien servis, ces derniers jours, en matière de propos déroutants et d’explications étonnantes. Il faut en savoir gré à leurs auteurs sans qui nous n’aurions peut-être pas compris le fin fond des affaires.
On apprenait le 19 avril que la Commission de toponymie n’acceptait pas de rebaptiser l’autoroute Henri IV, tel que le souhaitait le chef de l’ADQ. Réaction de ce dernier : « C’est triste, c’est malheureux de voir que des bureaucrates sont allés à l’encontre de ce que désirait la population » (JQ, 20 avril 2010).
Les fonctionnaires ont le dos large, surtout pour les lanceurs de couteaux de l’ADQ, mais il ne faudrait pas les charger injustement. La Commission de toponymie n’est pas formée de fonctionnaires mais d’experts choisis hors de la fonction publique comme notre ami Jacques Lacoursière qui sera étonné de se voir qualifié de « bureaucrate ». Sans cette explication, nous aurions pu croire candidement que l’opposition massive des sociétés d’histoire aurait peut-être eu certaine influence.
Furieux de ne pas avoir été traité avec les égards dus à son statut (d’auteur à scandales…), le biographe non autorisé de Guy Laliberté et de Michael Jackson estime que Guy A. et son fou se sont moqués de lui à TLMP, le 18 avril, parce qu’il est… juif. Ils sont donc antisémites. CQFD.
Louis O’Neill a écrit, autrefois : « Le Québécois dit de souche est, paraît-il, facilement envahi par un sentiment de culpabilité. Il est porté à s’excuser quand on lui marche sur les pieds. […] Ses ennemis connaissent son malaise, son sentiment de culpabilité. Ils en profitent. L’astuce est habile qui consiste à lui faire croire qu’il est peut-être antisémite, peut-être même certainement, insinue-t-on ». Fin du commentaire : l’Assemblée nationale pourrait s’en mêler…
Troisième cas et non le moindre. Le 16 avril, des animateurs d’une station radio de Québec ont été blâmés par le Conseil de presse pour des propos jugés « méprisants » et « inexacts » à propos des assistés sociaux et des travailleurs sociaux. Un des animateurs a répliqué qu’il ne se sentait pas visé par la décision car il se décrit, non pas comme journaliste, mais comme un « clown » qui livre des impressions personnelles et ne sent pas la nécessité d’appuyer ses opinions sur des données précises : « J’ai un secondaire cinq. Et on me demande de dire ce que je pense de différents sujets de l’actualité ».
Ce n’est pas moi qui l’ai dit.

« …un exercice des plus périlleux… »

L’affaire Rapaille nous a bien fait rire mais, comme le veut le dicton popularisé par les humoristes de Croc, « ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle ».
Prendre conseil auprès de spécialistes (surtout s’il ne coûte que « cinq cennes »…) aurait été utile. Voici d’ailleurs ce que pense Pierre Balloffet, professeur de marketing à HEC Montréal, du branding, le marquage, qui, nous apprend-il, trouve son origine étymologique dans le mot français « brandon », soit l’empreinte faite sur le bétail avec un fer rouge.
« Marquer un objet, c’est en effet en prendre possession. Ce qui est vrai pour un produit ou un service commercial l’est aussi pour un lieu ou une institution. Les études menées par l’auteur de ce texte dans le cas des villes mettent toutes en évidence le rapport ambigu de la population à l’égard de ce type d’exercice de branding.
« Instinctivement, l’agacement, sinon la résistance de la population, lors de la définition puis de la projection de l’image de sa ville, mettent en relief deux sentiments: une impression de perte d’appropriation ou de spoliation du lieu au profit d’une image qui apparaît comme le reflet d’une identité décidée et imposée; le ridicule perçu d’une image très réductrice, car incapable de rendre pleinement compte de la complexité de ce qui forme en définitive une cité.
« L’image d’une ville, sa réputation, est en effet le résultat dans la durée de multiples gestes et initiatives, parfois heureux, parfois non, souvent contradictoires. C’est de ces mouvements incessants que naît en définitive l’image de la ville. Il est possible de s’interroger sur la pertinence d’un exercice qui vise à définir cette image non plus comme un résultat ou un résidu, mais comme un cadre préalable. Il est difficile de ne pas voir dans cette réduction au dénominateur commun un exercice assez stérile. […]
« La marque est d’abord et avant tout un artifice commercial. […] appliquer sa logique à un autre contexte, celui de la ville, par exemple, est un exercice des plus périlleux, certainement pas neutre ni innocent, dont l’à-propos et la légitimité doivent donc être questionnés [La Presse Affaires, 12 avril 2010, http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/201004/12/01-4269427-une-ville-comme-une-image.php ]. »

On aura compris que les Québécois qui ont manifesté leur scepticisme devant cet exercice incongru n’étaient que normaux.

Soldes de fin (?) d’hiver

Une autre tentative pour voir le fond du panier…
L’église Saint-Vincent-de-Paul
La façade de l’église Saint-Vincent-de-Paul est tombée. Sur la liste des démolitions récentes, elle s’ajoute à la chapelle des Franciscaines et sera suivie du couvent des Dominicains. Ce n’est pas notre pire perte. Peut-être faudrait-il se pencher, avant que les promoteurs ne le fassent, sur les bâtiments plus importants encore dont l’avenir est menacé : la chapelle du Bon-Pasteur, l’église Saint-Cœur-de-Marie, par exemple.
Pour conserver la mémoire de l’église Saint-Vincent-de-Paul, au lieu de lui intégrer quelques pierres insignifiantes, il serait peut-être mieux de donner un nom significatif à l’hôtel qui la remplacera. Pourquoi pas l’hôtel Saint-Vincent ? Le propriétaire ferait la preuve de son engagement en faveur du patrimoine et de son respect du caractère français de la capitale. Sans que ça ne lui coûte un sou.
Saint-Vincent : ça se comprend même dans les deux langues ! Et ça nous changerait des Québec Inn, Lindberg, Plazza et autres Must (sic) qui constituent actuellement les plus nombreux maillons de la chaîne hôtelière Jaro.
French Canadian XGames ?
Organisés par la chaîne ESPN aux États-Unis depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, les X Games offrent un large éventail de compétitions de sports extrêmes : ski casse-cou, planche à neige, motocross, motoneige… Cette industrie se décline en plusieurs versions : Latin XGames, Asian XGames, Global XGames, Junior XGames, etc.
Les 14e XGames d’hiver ont eu lieu à Aspen, Colorado, à la fin du mois de janvier, et le président d’Équipe Québec en rêve pour la capitale (Soleil, 10 février 2010). C’est tout naturel. On a déjà le Red Bull Crashed Ice, le Surf Big Air, le Pound Hockey, le Trip Hockey Bud Light, l’Ultimate Frisbee, etc. Comme l’a dit un ministre il y a quelques semaines (JQ, 13 février 2010) : « Il ne faut pas s’asseoir sur ses oreillers ».
Le mauvais numéro
L’ancien DG du 400e devant la Chambre de commerce française : « Ca prend de gros noms pour attirer les touristes et faire sortir les gens dans les rues, comme l’avait fait George VI lors des célébrations du 300e de Québec ».
Peut-être a-t-il été mal cité (JQ, 24 février 2010) mais rappelons pour mémoire que George VI n’avait que 12 ans en 1908 et n’est monté sur le trône qu’en 1936. C’est son père, George V, qui est venu à Québec mais il n’était alors que prince de Galles.
Le cadeau de la France
Dans le Journal de Québec du 26 février 2010, l’architecte Simon-Pierre Fortier justifie la démarche architecturale qui a mené à la réalisation du Centre de la francophonie. Il réagit vraisemblablement à quelques commentaires négatifs dont le texte de Marie-Paule Tremblay (« Trésors défigurés ») publié dans La Presse du 15 janvier dernier.
L’architecte a techniquement raison : l’intérieur de l’édifice avait été transformé, il était délabré, le travail s’est fait dans le respect des normes et de concert avec les autorités concernées, dont celles qui privilégient « le patrimoine de demain »… Le résultat ? On connaît la chanson : si vous n’aimez pas, vous êtes « réfractaire au changement »…
Mais le problème n’est pas là. Il se situe en aval, dans cette série de manœuvres politico-administratives (dont la France ne serait que partiellement responsable) qui ont fait avorter trois projets de cadeau vraiment porteurs de sens et ont abouti à ce « projet de recyclage ».
250 000$ pour des clichés?
Visiblement ébloui, en sortant de la conférence de monsieur Rapaille, un ancien député-ministre de la région de Québec se dit fasciné de voir le gourou connaître tous les « clichés » concernant Québec…
Ça nous rassure sur ses qualités de visionnaire du consultant: il a vu tout de suite ce que nous savons tous.
Le monde selon Cannon
Le ministre est agacé parce que le chef du Bloc québécois définit son groupe comme des « résistants »; il en déduit que le gouvernement fédéral serait nazi. Peut-être sera-t-il encore plus ennuyé s’il persiste dans sa logique implacable: où sont alors les antisémites?
Des résistants allemands
« Halte au Denglish » (La Presse, 26 février 2010) ! La compagnie allemande des chemins de fer renonce aux anglicismes qui pimentaient sa publicité : « hotline » (renseignements téléphoniques), « flyer » (brochure), et « counter » (guichet) sont bannis. Le ministre des Transports a banni les « task forces » (groupes de travail), « travel management » (bureau de voyage), et autres « inhouse meetings » (séminaires).
Tiens, donc ! Plus de 100 millions de personnes parlent allemand en Europe et l’Allemagne sent le besoin de lancer une campagne contre les anglicismes et l’emprise croissante de l’anglais. Et dire que certains esprits angéliques estiment qu’on s’en préoccupe trop ici.

Ferrat achevé par les Victoires ?

Jean Ferrat est mort le 13 mars 2010. Plus qu’un simple auteur-compositeur-interprète, c’était un personnage hors du commun pour qui le rédacteur de Sarkozy a sorti sa plus belle plume : « Avec Jean Ferrat, c’est un grand nom de la chanson française qui disparaît. Chacun a en mémoire les mélodies inoubliables et les textes exigeants de ses chansons, qui continueront encore longtemps, par leur générosité, leur humanisme et leur poésie à transporter les âmes et les cœurs, à accompagner aussi les joies et les peines du quotidien […]. C’est aussi une conception intransigeante de la chanson française qui s’éteint ».
Mis à part un commentaire de Claude Lemesle, président de la Sacem, on a peu parlé des causes de sa mort : « depuis près d’une année, son état de santé s’était dégradé, a-t-il dit, de même que son moral ».
En fait, ce sont probablement les dernières Victoires françaises de la musique qui l’on achevé.
« Pour nombre de francophones d’Amérique, écrit Alain Brunet dans La Presse du 13 mars, visionner les dernières Victoires françaises de la musique a été troublant. Environ la moitié des numéros prévus au programme se sont déroulés en anglais […]. Et l’on ne compte pas les nominations de groupes ou artistes s’exprimant en anglais. […] Pony Pony Run Run, un groupe frenchy-anglo, y a été sacré « révélation de l’année ». Trois groupes convertis à l’anglais (Slimmy, Revolver et Yodelice) étaient en lice pour « l’album révélation de l’année » et Yodelice est reparti avec la statuette ».
Toujours dans La Presse du 13 mars (coïncidence suspecte), plusieurs artistes francophones expliquent pourquoi ils chantent en anglais. « Les chansons me sont toujours venues en anglais », explique Mark Daumail (du groupe français Cocoon, en entrevue au magazine Télérama), j’ai biberonné à cette culture musicale. La première fois que j’ai écouté du Brel ou du Gainsbourg, j’ai trouvé ça bizarre, carrément laid ». Heureusement qu’il n’écoutait pas Ferrat ! De son côté, notre Pascale Picard essaie de se justifier rationnellement (au lieu d’avouer simplement son déracinement) : « Faire de la musique, c’est de l’art, et je crois profondément que j’ai le droit de choisir mon matériau, comme un sculpteur choisit plutôt le bois que le marbre. Moi, j’ai choisi l’anglais. » La comparaison logique aurait été de dire qu’elle a choisi la guitare au lieu de la cornemuse.
Si Ferrat n’avait pas encore succombé en lisant le cahier « Arts et spectacles » de La Presse, il n’aurait pas survécu de toute façon en prenant connaissance du résultat d’une enquête sur la culture musicale de nos cégépiens (Paul Journet, « Le français, bof ! ») dans la même Presse du 13 mars (vous voyez bien !). « Les chiffres : 64 % des répondants préfèrent la musique en anglais, contre seulement 6 % en français ».
« Il y a plus de variétés en anglais, je trouve », explique Maxime Couillard, 17 ans, du cégep de Terrebonne. « J’aime mieux la musique en anglais parce que je ne comprends pas les paroles. En français, les textes n’ont pas toujours beaucoup d’allure », ajoute son ami Paige Ouellet.
J’espère que Ferrat était déjà mort quand ces lumineux points de vue sont apparus sur le site de La Presse au matin du 13 mars. Ce qui lui restait de moral n’aurait pas résisté en apprenant que, dans les cégeps du Québec, les textes ont beaucoup plus d’allure quand on ne les comprend pas.

La Grande vague est passée tout droit!

Depuis le début de février, Bibliothèque et Archives nationales du Québec expose La grande vague ou La mémoire de l’eau salée à son Centre d’archives de la rue Viger. Le communiqué précise que cette œuvre de deux mètres sur dix mètres est composée de 400 livres scellés célébrant autant de familles pionnières venues de France et qu’elle a été conçue par Marc Lincourt (artiste originaire de Terrebonne mais vivant en France) à l’occasion du 400e anniversaire de Québec.
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(Photo Barbara Laborde tirée de la revue L’Action nationale)
J’ai vu cette œuvre vendredi dernier : c’est à la fois sobre et impressionnant. Les livres ne sont pas arrangés par ordre alphabétique et les noms de familles sont écrits de telle façon qu’ils sont parfois difficiles à déchiffrer lorsqu’ils se trouvent dans les rangées du centre. J’ai été chanceux de trouver rapidement celui de la famille Miville.
L’œuvre est accompagnée d’un petit livre joliment illustré (La grande vague ou La mémoire de l’eau salée, Paris, Talmart, 2008) où l’auteur explique sa démarche. Son texte est précédé d’une introduction du géographe Henri Dorion et suivi d’un commentaire de Renée Viau. Comme on l’écrit sur la quatrième de cette plaquette imprimée en avril 2008, la sculpture « voyagera de Brouage, où elle a été construiite, jusqu’aux rives du Saint-Laurent »; l’itinéraire est tracé : «Brouage – Paris –Tourouvre – Honfleur- Québec – Sept-Îles – Montréal – Ottawa».
Québec? « Il est tout naturel que le Centre d’archives de Montréal accueille cette œuvre spectaculaire, inspirée par l’histoire, la mémoire et la recherche des racines », a souligné Guy Berthiaume, président-directeur général de BANQ, dans le communiqué émis pour lancer l’exposition. Il aurait été encore plus naturel qu’on puisse la voir à Québec mais la Grande vague est passée directement à Montréal sans jamais faire escale dans la capitale quadricentenaire, malgré la participation de la Société du 400e à ce projet et les démarches de l’artiste qui demandait 75 000 $ dollars pour l’ensemble des frais de transport et d’installation. La facture a ensuite été réduite à 30 000 $ et Montréal l’a eue pour 20 000 $. « Trop cher », dit-on à la mairie de Québec. Disons surtout trop peu d’intérêt (voir ma note du 25 septembre 2008, https://blogue.septentrion.qc.ca/wp-content/uploads/archives/gastondeschenes/2008/09/pas_de_vague.php), à la ville et à la Société du 400e, comme pour tout ce qui ne swignait pas suffisamment.
Au-delà de l’aspect monétaire, une autre question se pose : si Bibliothèque et Archives nationales du Québec avait le budget pour cette opération, pourquoi la Grande vague n’est-elle pas exposée au Centre d’archives de Québec qui serait toujours le « siège social » des Archives nationales, même après la fusion avec la Grande Bibliothèque, selon l’ex-PDG de BANQ ? La direction des Archives nationales « n’a pas bougé de Québec », m’écrivait-elle dans une diatribe (Le Soleil, 26 décembre 2007). Son institution a raté une belle occasion de démontrer que ce n’est pas une illusion.