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« E bilingouale titeule? Ouaille? »

La plus importante exposition organisée par la Société du 400e anniversaire de Québec, berceau de l’Amérique française, s’intitulait Passagers/Passengers, titre bilingue imposé par le gouvernement fédéral, commanditaire principal de l’événement.
Le 250e anniversaire de la bataille des Plaines nous a valu une exposition du Musée des beaux-arts du Québec, La prise de Québec/The Taking of Québec, plus modeste mais bilingual as usual, le partenaire étant la Commission des champs de bataille nationaux.
Et voilà que, depuis la fin de septembre, toujours au Musée des beaux-arts du Québec, l’exposition Emporte-moi / Sweep me off my feet aborde « la question de la valeur de l’émotion dans l’art contemporain ».
Un partenariat avec le Smithsonian? le British Museum? Patrimoine-Canada? Non, simplement avec le Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, en banlieue de Paris.
D’où le bilinguisme du titre, naturellement.

Québec-sur-divan

Clotaire Rapaille vaut-il le coût? En fait, il ne coûtera pas vraiment cher à Québec. Cet expert international demande normalement 30 000$ pour une causerie de 45 minutes et au moins 125 000$ par consultation. A 100 000$, comme ça semble être le cas pour Québec, c’est comme entrer chez Fauchon et en sortir avec un petit macaron, pour le plaisir de dire qu’on fréquente les grands traiteurs. « Du seul fait que le nom de Québec s’inscrive dans la liste des clients de ce champion planétaire du marketing ne peut que contribuer à notre notoriété », écrit un chroniqueur ce matin. Une sorte de name dropping. D’autres s’achètent des titres de noblesse…
L’entreprise de ce psychiatre, Archetype Discoveries Worldwide, serait « unique ». D’après la présentation qu’on trouve sur son site (http://www.archetypediscoveriesworldwide.com/), ce n’est pas un consultant (!), il ne fait pas de market research, ne rédige pas de rapports et ne facture pas à l’heure ou à la journée. Il fait des « découvertes » et déchiffre des codes. Il offre à des clients la possibilité de se regrouper dans une « Syndicated Discovery » pour un tarif fixe (flat fee) de 135 000$. Par tête? Probablement, ce qui explique la recherche de partenaires à Québec.
Ce qui intrigue dans cette affaire, c’est la contrepartie. Que lui demande-t-on? Lorsqu’une institution publique prévoit dépenser 100 000, on s’attend à ce que le projet soit explicite, exposé publiquement dans une demande de biens et services et justifié par un besoin. De quoi la ville a-t-elle besoin? Pour le moment, on sait que le maire est allergique à l’expression « Vieille capitale ». Le problème est que cette image n’a jamais fait partie des programmes publicitaires. Comment Québec peut-elle se débarrasser de ce surnom qu’on lui a donné au XIXe siècle? Il suffit de le vouloir … pour que ceux qui l’utilisent de façon désobligeante continuent de l’utiliser. Quant aux autres, ils sont peu nombreux à se réveiller la nuit pour le haïr. Avant l’an dernier, personne ne s’en formalisait. La ville de Québec n’a pas été empêchée de se transformer, se développer, s’enrichir, vivre un quasi plein emploi, « retrouver sa fierté » (comme si elle l’avait déjà perdue), s’élire un maire rocker
Clotaire Rapaille aurait pour mission de « saisir l’âme de Québec », de décoder la capitale, tout en changeant son image de marque. Voilà qui pourrait bien s’avérer contradictoire mais cet homme vit assez bien avec le paradoxe. Son prénom est mérovingien et son nom, un pur canadianisme d’une autre époque qui évoque L’Homme rapaillé de Gaston Miron et les Rapaillages du chanoine Groulx. Ceci ne l’empêche pas de se considérer à l’avant-garde et de se projeter dans le futur. Peut-être constatera-t-il que l’âme de Québec est plus proche de ses vieilles pierres, de ses remparts et de son hôtel-château que du Saint-Roch nouvo, et qu’il hésitera à retirer du portfolio de Québec cet édifice qui serait l’un des plus photographiés au monde. Bien mauvaise stratégie de « discarter » son meilleur atout.
Pour justifier l’embauche de cet expert, on a dit qu’il était « éloquent sur Québec » (comme il l’est probablement sur tous ses clients potentiels…). Il préparerait même un livre qui s’intitulerait Le P’tit Bonheur et traiterait de notre spécificité culturelle. Mais que dit-il en fait? Dans Le Devoir, Josée Blanchette (http://www.ledevoir.com/2008/06/13/193754.html) a résumé ainsi sa vision du Québec :
«Vous n’êtes ni américains, ni français, vous êtes québécois! Une culture faible qui se bat et se défend contre ses voisins, c’est un exemple pour le monde entier, s’exclame-t-il. Il existe trois grandes entités culturelles en Amérique du Nord; elles font appel aux trois cerveaux. Les Américains sont reptiliens, mobilisés par le pouvoir, la violence, la survie. Les reptiliens, ce sont les gangsters de Chicago. Puis, vous avez les Anglos-Canadiens, associés au cortical, civilisés, polis, qui s’excusent si on leur rentre dedans. C’est le cortex parental. Enfin, au milieu, le limbique, le Québec. C’est le siège des émotions, le cerveau féminin ».
Voilà qui est bien gentil mais la page d’accueil de son site précise en grosses lettres que « the reptilian always win » !
D’après Justin Boland (http://www.brainsturbator.com/articles/clotaire_rapaille_we_salute_you/), « Rapaille’s greatest success is not any of the work he’s done for major corporations—it’s himself. He is a living brand, and in many ways quite similar to a cult leader ». On ne s’étonnera pas de son pouvoir de séduction auprès des dirigeants d’entreprises : « Rapaille plait à ces hommes d’affaires parce qu’il répond avec une extrême simplicité à leurs plus infantiles besoins d’encouragement, d’autorité et … d’un vieil oncle français excentrique et pas méchant (He appeals to these executives on the most base level of their most childlike needs for comfort and authority and a sweet, eccentric French uncle)».
Un « king qui parle français »? Accueillons-le sans chauvinisme. Que peut-il nous arriver après le «cube Rubik» de la place de Paris, l’éclairage du pont de Québec et l’aménagement du hall du Centre de la francophonie?

R.I.P. Falardeau

Dans le Soleil du 12 novembre, Raymond Giroux contribue à donner l’heure juste sur « l’affaire des Plaines » en s’appuyant sur un document de la Commission des champs de bataille nationaux (CCBN), le très officiel Rapport sur le rendement pour la période se terminant le 31 mars 2009. Il faut le féliciter d’avoir gardé l’œil ouvert. Malheureusement, les mises au point, les correctifs et les rétractations attirent rarement les projecteurs.
Le paragraphe qui nous intéresse se lit comme suit :
« …la CCBN avait planifié un projet d’envergure, soit une reconstitution historique des ces batailles qui devait être la plus imposante démonstration du genre au pays et regroupant de 2000 à 3000 reconstituteurs : des passionnés d’histoire qui parcourent le monde pour participer bénévolement à ces évocations d’époque. 100 000 visiteurs étaient aussi attendus pour l’occasion. Toutefois, ce projet a soulevé la controverse au sein de la population et a fait l’objet d’une grande couverture médiatique. Après une période de consultation et d’écoute, la CCBN a été en mesure de mieux cerner la sensibilité des gens face à certains éléments de sa programmation. Elle a donc décidé d’annuler la reconstitution historique et de modifier certaines activités pour offrir une programmation sobre et respectueuse qui rappelle l’importance des événements historiques et les conséquences tragiques du siège de Québec sur sa population civile. La décision d’annuler la reconstitution a également été basée sur le risque de ne pouvoir assurer la sécurité des reconstituteurs et des spectateurs. »
On retiendra que la Commission n’a pas toujours eu le même langage. Aux autorités supérieures, elle met de l’avant SES initiatives alors que, l’hiver dernier, elle ne semblait que prêter ses pelouses pour la réalisation d’une reconstitution par des groupes privés. On sait maintenant que c’est bien un organisme fédéral qui avait organisé le spectacle.
La Commission écrit qu’elle a annulé la reconstitution et modifié « certaines activités pour offrir une programmation sobre et respectueuse », ce qui laisse entendre que ces qualités n’étouffaient le programme initial…
On remarquera enfin que la menace à la sécurité des reconstituteurs et des spectateurs n’est pas présentée comme la principale cause de l’annulation. La Commission semble se repentir mais, avant de donner l’absolution, il faut noter qu’elle invoque l’incompréhension : « Compte tenu du niveau de sensibilité de la population en regard de la Conquête, le type d’activités de commémoration doit être choisi avec grande précaution. Il est nécessaire de présenter l’information s’y rapportant de façon détaillée et claire afin d’éviter toute mauvaise interprétation ». Attendons 2059 : le marketing pourrait s’améliorer!
Il faut lire ce rapport officiel en parallèle avec les propos tenus sur les ondes du FM93 le lendemain. Ayant réussi à mettre la main sur les fameux « messages de menace » qui auraient justifié l’annulation, un journaliste de cette station en a examiné 400 et lu les 20 plus « hots », à son avis, sans réussir à susciter autre chose que des sarcasmes chez l’animateur qui a constaté qu’il n’y avait là aucune menace sérieuse justifiant l’annulation de la reconstitution. Sa conclusion, textuelle : « Aucune menace… Ils les ont inventées…Ni le RRQ, ni Falardeau n’ont menacé » (voir http://www.fm93.com/bouchard-en-par… entre 8h20 et 8h30). R.I.P. Falardeau.
La vérité fait son chemin mais il faudra attendre un bon moment avant d’en savoir plus. L’Histoire pourrait bien confirmer – ce qu’on entend de diverses sources – que de très fortes pressions ont été exercées sur le président de la Commission pour qu’il empêche la tenue du Moulin à paroles, en septembre, ce qu’il a refusé, pour annoncer peu après qu’il quittait ses fonctions. Depuis 1995, le gouvernement féféral ne tolère même pas l’ombre d’une défaite.

Le fédéral en voie de disparition?

L’éditorialiste en chef de La Presse s’inquiétait récemment de la « disparition du fédéral ». Les partis provinciaux, écrivait-il le 22 octobre, « dénoncent la centralisation fédérale, mais c’est la tendance contraire qui prévaut. Les motions unanimes se succèdent, les concessions fédérales aussi, et les Québécois ont de moins en moins de contacts avec le gouvernement du Canada. Les indépendantistes, en particulier, cherchent à faire disparaître toute trace du fédéral en territoire québécois […] ». Et « les politiciens fédéralistes sont trop couards ou trop malhabiles pour s’interposer efficacement» .
Pourquoi tant d’alarme? Parce que le gouvernement Charest serait « devenu plus gourmand ». Il demande que le fédéral lui cède trois lots situés à l’est de l’Hôtel du Parlement, entre la Fontaine de Tourny et les fortifications, et Ottawa refuse, car ces lots « font partie du Lieu historique national des Fortifications-de-Québec, un site préservé par le gouvernement du Canada ».
L’éditorialiste en chef part sur le mauvais pied. La position du gouvernement du Québec respecte intégralement la motion unanime du 20 mai dernier qui lui demandait de poursuivre les « démarches auprès du gouvernement du Canada afin que l’ensemble des terrains formant la colline Parlementaire, que le gouvernement du Québec loue au gouvernement fédéral depuis 1881, lui soient cédés »; son porte-parole avait alors précisé que la motion concernait « trois lots qui sont de l’autre côté du boulevard Honoré-Mercier et […] un lot, 9 686 mètres carrés, qui se trouvent devant le Parlement ». Pas de surprise, donc, ni gourmandise.
Par ailleurs, l’éditorialiste en chef pourrait bien induire en erreur ses lecteurs qui ne sont pas familiers avec les lieux et qu’il n’aveugle pas de ses lumières. Québec ne réclame pas une partie des fortifications mais une pelouse qui longe ces dernières, une part infime dudit lieu historique et une part infinitésimale des terrains que le fédéral possède dans le Vieux-Québec et les environs. Mieux encore, c’est un terrain que Québec a aménagé à ses frais, dans les années 1880, en aplanissant les glacis, et c’est en vue de faire d’autres travaux d’embellissement qu’il a réclamé, dès 1888, la propriété de cet espace entre Dufferin (aujourd’hui Honoré-Mercier) et les fortifications, et non seulement « du lot se situant juste devant l’Hôtel du Parlement» , comme l’écrit encore erronément l’éditorialiste en chef.
Ce dernier nous sert ensuite le refrain de « l’excellent travail » des fonctionnaires fédéraux. Bien sûr. Les mêmes qui géraient le manège militaire qui a disparu dans un incendie dont les circonstances (gênantes?) semblent bien difficiles à expliquer dans un rapport? Ou ceux qui gèrent les immeubles militaires patrimoniaux de Québec dont on apprenait cette semaine qu’ils sont à près de 50% dans un état médiocre, onze d’entre eux représentant même une menace pour les piétons?
L’entretien des bâtiments que le fédéral tient absolument à garder pour assurer sa présence à Québec lui impose des responsabilités. De son côté, Québec devrait au moins être capable de tondre le gazon.

Et ce brave Henri IV? (2)

Le changement de nom qu’on a proposé pour l’autoroute Henri-IV suscite des réactions négatives. La Société historique de Charlesbourg s’est prononcée contre par la voix de son président René Cloutier, la Société historique de Québec aussi et d’autres devraient suivre.
Ci-dessous la lettre de monsieur Cloutier.
JOUR DE L’OUBLI
Une lettre circule dans la région de Québec pour demander d’appuyer le changement de nom de l’autoroute Henri-IV en autoroute de la Bravoure. En tant que président de la Société historique de Charlesbourg, j’ai refusé d’appuyer cette démarche en plus de la dénoncer. Il est également préférable d’ignorer le nom du promoteur de cette requête. Il reflète tout au plus l’ignorance qu’il a de notre histoire.
Pour les responsables de la démarche, voilà une malheureuse occasion de démontrer le peu de cas qu’ils font de l’histoire, du devoir qu’ils ont de la respecter, en plus d’abandonner à l’école seule, la responsabilité de l’enseigner. Évidemment c’est une façon facile de se donner des cotes d’écoute sur les ondes et de la popularité sur la scène politique : on est assuré du silence d’Henri IV, mort depuis 400 ans. Quelle bravoure! L’enseignement de l’histoire est l’affaire de tous, de l’école à la famille, des institutions aux médias d’information. Il faut éviter de succomber aux manchettes d’une actualité très passagère. Il doit bien exister des endroits de la région de Québec sans dénomination, que l’on pourrait baptiser comme on le veut, sans effacer une page de notre histoire! S’ils ne vous viennent pas à l’esprit, nous sommes prêts à collaborer pour vous en suggérer.
Par ailleurs qu’a fait Henri IV pour démériter de la sorte et devoir retourner aux limbes de notre mémoire collective? C’est lui qui a permis à Champlain de fonder Québec dont on vient tout juste de célébrer les 400 ans. Veut-on déjà l’oublier? C’est aussi ce roi, symbole de tolérance, qui a refait l’unité de son pays appauvri par des décennies de guerres de religions qui ont empêché la France de développer son territoire d’Amérique depuis le départ de Cartier jusqu’au retour de Champlain. Avec François Ier, Henri IV est probablement le seul monarque français à avoir eu l’intention d’implanter une communauté française viable en Amérique du Nord.
Comme on projette de proposer le nouveau nom de l’autoroute le Jour du Souvenir – ne devrait-on pas plutôt parler de Jour de l’oubli en l’occurrence? – il est urgent que les décideurs réfléchissent à l’erreur qu’ils sont en train de commettre.
Cessons de soumettre l’histoire au service des goûts du jour.
René Cloutier, président de la Société historique de Charlesbourg
20 octobre 2009