En quittant volontairement ses fonctions quatre mois seulement après sa réélection, l’ex-ministre des Finances toucherait une « prime de départ » de 146000$. Le montant calculé par la Ligue des contribuables du Québec restera approximatif pour la bonne raison qu’il échappe à la loi dite d’« accès » à l’information. Les mots (et les chiffres) sont imprécis mais on connaît l’air et il fait grincer des dents.
Cette « prime » s’appelle en fait officiellement une « allocation de transition ». Elle est apparue au début des années 1980 lors d’une réforme majeure des lois régissant l’Assemblée nationale et les conditions de travail des députés.
C’était au temps de la « piscine », cet euphémisme inventé par monsieur Parizeau, paraît-il, pour désigner la figure imposée aux salaires des fonctionnaires. À cette époque, les députés ne digéraient pas le fait que leur indemnité de base soit inférieure au traitement maximal d’un professionnel de la fonction publique. Pour faire passer une augmentation substantielle de cette indemnité, au moment où tout le secteur public se faisait serrer la ceinture, les législateurs ont restreint leur généreux « régime de pension » (ce qui devait laisser, disait-on, la rémunération globale inchangée…) : les députés admissibles au régime ne pourraient plus toucher leurs prestations avant 55 ans mais, pour leur permettre « de se virer de bord », le temps de se dénicher un « emploi-difficile-à-trouver-quand-on-a-fait-de-la-politique-et-que-les-portes-se-ferment… », tous les futurs retraités, volontaires ou non, pourraient empocher en quittant une « allocation de transition » représentant au maximum une année de salaire.
Plusieurs ont remis en question la prime de départ de l’ancien PDG de la Caisse de dépôt qui a quitté volontairement ses fonctions avant la fin de son contrat. C’est aussi le cas de l’ex-ministre des Finances mais, pire encore, de son propre aveu, elle n’est plus sur le marché du travail. Sa sacoche rentière comprend RRQ, pension de vieillesse, retraite de parlementaire et sûrement d’autres, toutes méritées et payées, mais pourquoi une « prime » en plus? Vers quoi est-elle en « transition »? La maison de retraite?
D’autres cas similaires sont survenus ces dernières années; ils ont probablement été assez bien distribués dans l’arc-en-ciel politique pour expliquer le silence qui les entoure. Les citoyens sont en droit d’espérer que le mouvement de réforme qui se dessine au Parlement pose des balises à cette allocation dénaturée.
Archives pour la catégorie Actualité
Maître Aubut
Je n’ai jamais été un fan naturel de Marcel Aubut, la principale raison étant probablement que je suis un éternel partisan des Canadiens de Montréal…
La manie des journalistes de lui donner du « maître » avec une certaine obséquiosité m’a toujours agacé, mais il n’y était pour rien. Un quotidien de Québec lui a même donné du « tsar » à la une ces jours-ci. On le disait aussi « fils spirituel » de Jean Lesage…
L’histoire va relativiser le rôle de l’ancien premier ministre qui a cueilli un fruit mûr à Québec (en profitant de deux décès subits) pour être ensuite entraîné dans la Révolution tranquille par quelques ministres-vedettes. Qui se souvient du reste de sa carrière après 1966, hormis sa participation au camp du NON en 1980?
Marcel Aubut joue sur une tout autre patinoire depuis près de trente ans et on ne voit pas la fin de son parcours. Son dernier coup est impressionnant. Combien de Québécois ignoraient que la fonction qu’il occupe maintenant était restée fermée aux francophones depuis plus de cent ans ? Le nouveau président du Comité olympique canadien ne joue pas la corde nationaliste mais il ne cache pas sa fierté, ni l’importance que cette nomination prend pour sa communauté.
Tout le monde sait qu’il a été propriétaire des Nordiques. Les plus jeunes ignorent qu’il a organisé l’une des plus grandes manifestations sportives de l’histoire de Québec, un tournoi international de hockey appelé « Rendez-vous 87 ». À cette époque, on ne pensait pas se fermer au monde en utilisant des mots français pour désigner des « événements » sportifs d’envergure internationale. C’était avant le Red Bull Crashed Ice, le Surf Big Air, le Pound Hockey, le Trip Hockey Bud Light, l’Ultimate Frisbee…
« Justice suprême, suprême injustice »
L’ex-grand chef David Ahenakew a été acquitté le mois dernier. Dans un jugement du 21 février, le juge Wilfred Tucker a estimé que ses déclarations n’étaient pas préméditées et qu’il avait cité en exemple les Juifs dans le but de convaincre ses confrères de défendre leurs droits en tant qu’autochtones… Le juge a aussi souligné que la Couronne n’a pu prouver hors de tout doute que l’ancien « sénateur » de la FSIN (Federation of Saskatchewan Indian Nations) faisait la promotion de la haine envers un certain groupe et qu’il en était conscient.
Les reportages des médias de langue française sur cette affaire ne nous éclairent malheureusement pas sur les propos qui ont justifié les accusations et amorcé cette saga judiciaire.
En décembre 2002, après une allocution devant les membres de la FSIN, où il avait notamment évoqué les « goddamn immigrants » et la responsabilité des Juifs dans le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale, Ahenakew avait été invité par un reporter du Star Phoenix de Saskatoon à préciser sa pensée : « The Jews damn near owned all of Germany prior to the war. …That’s how Hitler came in. He was going to make damn sure that the Jews didn’t take over Germany or Europe. That’s why he fried six million of those guys, you know ». Le reporter lui ayant demandé comment il justifiait l’Holocauste, il répondit : « How do you get rid of a disease like that…? » Bref, si on a bien compris le « chef » Ahenakew, pour se défaire de cette « maladie », il suffisait de la faire « frire »…
Si cette affaire mérite un rappel, c’est que deux ans auparavant, dans un geste sans précédent dans l’histoire du parlementarisme d’inspiration britannique, l’Assemblée nationale a blâmé Yves Michaud pour des propos prononcés 24 heures plus tôt, sans même prendre le soin de citer « l’acte d’accusation », comme si ce qu’on lui reprochait était trop grave pour être répété… La vérité était qu’il n’y avait rien pour soutenir une initiative aussi exceptionnelle. Quelqu’un se rappelle-t-il desdits propos? Il aurait dit que les Juifs n’étaient pas les seuls à avoir souffert dans l’histoire de l’humanité. Comme il n’y a eu ni dépôt d’accusation ni enquête, on n’en sait officiellement rien!
Monsieur Michaud a été victime d’un exceptionnel alignement de planètes : sous couvert de rectitude politique, le chef de l’Opposition et le premier ministre ont sauté à pieds synchronisés sur l’occasion d’écarter un candidat encombrant à l’élection complémentaire de Mercier. Un tribunal sérieux aurait au moins pris la peine d’entendre l’accusé.
Ce dernier a épuisé en vain tous les recours judiciaires. Il s’est heurté au refus des tribunaux de remettre en cause l’omnipotence du Parlement. Un juge de la Cour d’appel n’a cependant pas pu s’empêcher d’émettre ce commentaire exceptionnel, presque cynique, dans l’arrêt du 8 juin 2006 :
« […] Je suis d’accord avec l’analyse et les conclusions de ma collègue, la juge Dutil. Je ne peux cependant m’empêcher de penser que le Droit est ici devant un étrange paradoxe. […] Pour préserver la démocratie parlementaire, et donc la libre circulation des idées, le Droit à l’époque des Chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu’un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce, sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires. Summum jus summa injuria auraient dit les juristes romains ! »
«Justice suprême, suprême injustice». Il est évident que le Parlement a abusé de son « droit » de tout faire, pire encotre, que les partis ont utilisé le Parlement pour régler leurs comptes.
La devise du Québec selon son premier ministre
Dans son discours d’ouverture de la session, le premier ministre a décrit le Québec comme une société « qui a su respirer tous les parfums, du lis à la rose, pour se forger une identité ». À quelques reprises, déjà, il avait brodé autour de cette thématique. Ainsi, le 17 octobre dernier, en présence du premier ministre Sarkozy, il déclarait : « L’architecte artiste qui a conçu les plans de ce parlement, Eugène-Étienne Taché, a inscrit dans la pierre de cet édifice la devise Je me souviens, faisant ainsi allusion aux deux héritages, français et britannique, qui constituent le Québec ». Au Japon, en septembre 2005, à un étudiant qui lui demandait la signification de la devise, il répondait : « Nous avons été fondés par la Nouvelle-France, mais nous avons continué notre existence sous l’Empire britannique ». Si ce résumé de l’histoire du Québec est incontestable, le lien que le premier ministre fait avec sa devise est erroné et il entretient un mythe insidieux dont les médias anglophones sont les principaux propagandistes.
Il serait trop long de démontrer ici que la devise du Québec ne comprend que trois mots, «Je me souviens», que son concepteur ne lui a pas donné de complément précis et qu’elle ne vient pas d’un poème, mais ceux et celles que le sujet intéresse trouveront une étude que j’ai signée sur cette question dans l’encyclopédie virtuelle Agora en 2001, étude reproduite dans Le Parlement de Québec (Multi-Mondes, 2005) et résumée notamment dans L’Action nationale de novembre 2001 et dans le numéro spécial que The Beaver a consacré au 400e de Québec en 2008 (je me cite d’autant plus aisément qu’à peu près personne n’a étudié ce sujet et que personne encore n’a mis en cause ma démonstration).
La citation la plus convaincante de cette étude (et ce n’est pas seulement parce qu’elle vient d’un avocat anglophone de Montréal) est une note écrite entre 1898 et 1907 par David Ross McCord (1844-1930), fondateur du McCord Museum, sous le titre « French sentiment in Canada » :
« However mistaken may be the looking towards France as a desintegrating factor operating against the unification of the nation – it may be perhaps pardonable – no one can gainsay the beauty and simplicity of Eugene Taché’s words « Je me souviens ». He and Siméon Lesage have done more than any two other Canadians towards elevating the architectural taste in the Province. Is Taché not also the author of the other motto – the sentiment of which we will all drink a toast – « Née dans les lis, je croîs dans les roses ». There is no desintegration there. »
(La première phrase de cette citation a posé de la difficulté aux traducteurs consultés mais il serait possible de la rendre ainsi : « Aussi mal avisé que soit cet attachement à la France comme facteur de désintégration jouant contre l’unité nationale – c’est peut-être pardonnable –, personne ne peut nier la beauté et la simplicité du « Je me souviens » d’Eugène Taché. Siméon Lesage et lui ont fait plus que quiconque au Canada pour une architecture de qualité dans la province [de Québec]. D’ailleurs, Taché n’est-il pas aussi l’auteur de l’autre devise, « Née dans les lis, je croîs dans les roses », à laquelle nous lèverons tous nos verres. Il n’y a rien là pour favoriser la désunion. »)
Ce texte à lui seul prouve sans l’ombre d’un doute que « Je me souviens » et « Née dans les lis, je croîs (ou grandis) dans les roses » sont deux devises DISTINCTES et ne constituent pas un « poème » comme plusieurs le croient. Mieux encore, ce texte prouve que les deux devises ont un SENS DIFFÉRENT et que la seconde ne peut donc expliquer la première. Enfin, on devine aisément que monsieur McCord est ennuyé par « Je me souviens » et que son premier choix serait « l’autre devise » (qui fut utilisée sur la médaille du 300e anniversaire de Québec en 1908) car elle traduit visiblement mieux ses opinions politiques.
Il est inutile de chercher l’origine ou l’auteur du poème-fantôme d’où viendrait la devise du Québec ; il faut plutôt se demander dans quelles circonstances et par qui, après la mort de Taché, ces deux devises ont été rattachées pour donner une proposition bâtarde — « Je me souviens que, né dans les lis, je croîs (ou grandis) dans les roses » — et créer une légende urbaine qui court dans l’opinion publique et dans les médias, particulièrement dans la presse anglophone au Canada.
À défaut de faire disparaître cet embarrassant « Je me souviens », on s’occupe à le travestir.
L’écho de Sarkozy
Après avoir laissé en chemin l’organisation des fêtes qui marquaient l’origine de la Nouvelle-France (1608-2008), l’ancien ministre libéral Raymond Garneau retrouve assez de goût et d’énergie en 2009 pour participer à la commémoration de sa fin (« Des sectaires qui s’ignorent! », Le Soleil, 21 février 2009). Et il a choisi comme contribution de réitérer les propos sarkoziens qui ont mis le premier ministre du Québec dans l’embarras.
Son texte s’ouvre sur une erreur de perspective : ceux qui ont remis en question la programmation de la Commission des champs de bataille ne s’opposaient pas à la commémoration du 250e anniversaire de la bataille des Plaines d’Abraham mais à la reconstitution ludique et festive de la défaite du 13 septembre 1759, à sa transformation en spectacle pour touristes. Le président de la Commission a invoqué la sécurité des familles et des enfants (Pierre Trudeau aurait ajouté son « gérant de caisse populaire »…), mais il sait très bien qu’un élément de la programmation suscitait la réprobation de l’opinion publique et il l’a fait sauter.
Tout comme il fait erreur en écrivant que madame Marois s’est indignée de la venue de McCartney ou qu’on « célèbre » la défaite de Dollard des Ormeaux, monsieur Garneau se trompe dans son allégorie du « fusil à deux coups » (le premier par le PQ, le second par les « ténors des filiales »). Ce n’est pas le PQ qui a parti le bal. L’un des premiers politiciens à manifester sa réticence a été le premier ministre du Québec, dès la mi-janvier, et sa position a plombé le projet. Le chef parlementaire de l’ADQ s’est ensuite enfargé dans la définition du mot « colonisé » et il n’est pas revenu en scène. Du côté souverainiste, les « filiales » sont intervenues avant la maison-mère. Mais, surtout, de nombreux autres groupes se sont dissociés du spectacle, dont la Société de généalogie de Québec et la Société historique de Québec qui ne sont pas vraiment des terroristes. En somme, la « secte » est plutôt œcuménique.
Le texte de monsieur Garneau répondrait-il à l’éditorial de La Presse qui dénonçait « la couardise » des « politiciens fédéralistes [qui] lâchent les uns après les autres », laissant la Commission des champs de bataille nationaux se débattre seule? Pourquoi la simple annulation d’un spectacle alarme-t-elle au point de battre le rappel des « défenseurs du Canada » (éditorial de L’Oie blanche, 17 février 2009), comme si le pays était soudainement en danger ? N’est-ce pas donner raison à ceux qui soutiennent que cette initiative de la CCBN s’inscrivait dans un plan politique qui a été contrarié ?