Archives pour la catégorie Actualité

Un président élu au vote secret?

Le chef de l’ADQ s’oppose au candidat que le caucus libéral veut proposer comme président de l’Assemblée nationale ; il ne pardonnerait pas à monsieur Vallières de l’avoir qualifié de « girouette » et il demande que le prochain président soit élu au vote secret, ce qui signifie que plusieurs noms pourraient être soumis aux députés.
L’élection du président au scrutin secret est une excellente idée. Elle a pour principale vertu de réduire l’emprise du chef du gouvernement sur le parlement, alors que la procédure actuelle fait en sorte que le chef de la majorité finit toujours par faire accepter sa proposition, quitte à en payer le prix sous diverses formes. Au Parlement, tout se négocie.
Le vote secret a été utilisé deux fois, le 2 mars 1999 (pour la réélection de monsieur Jean-Pierre Charbonneau) et le 12 mars 2002 (pour madame Harel). Monsieur Charbonneau avait réussi à faire inscrire cette nouvelle procédure parmi ses nombreux projets de réforme. Malheureusement, elle n’a pas été intégrée au règlement permanent avant la fin de la législature et elle est devenue caduque avec la dissolution.
À l’ouverture de la session qui a suivi le scrutin général de 2003, il aurait fallu déroger aux règles de procédure normales pour renouveler l’expérience de 1999 et de 2002. Mais il n’y a pas eu de « contentement unanime » essentiel à cette fin et il a fallu se reprendre le lendemain avec la vieille formule. La situation était gênante : on a même décidé que cette séance n’avait pas eu lieu et qu’elle serait effacée des procès-verbaux !
Pourtant, la majorité libérale était en faveur de l’élection du président au scrutin secret; l’Opposition officielle aussi. Celui qui a fait dérailler la réforme n’est donc pas difficile de retracer, même s’il n’est pas toujours facile à suivre.

L’humilité des grands

Pour le bénéfice de ceux qui ne lisent pas régulièrement l’hebdomadaire français Le Point, la Presse canadienne a mis à la disposition des journaux québécois le résumé d’une remarquable et rare entrevue que le milliardaire Paul Desmarais a donnée à Patrick Bonazza (26 juin 2008).
Les Français ont appris notamment que le magnat des affaires a « la haute main sur la presse de la Belle Province ». Ils ont aussi été mis au parfum de la position éditoriale du journal La Presse : « … nous sommes fédéralistes. […] Le point de vue des séparatistes peut apparaître, mais la ligne éditoriale est fédéraliste. Il n’y a pas d’ambiguïtés. Si le Québec se sépare, ce sera sa fin. Moi, je suis attaché à la liberté et à la démocratie. Bien sûr, notre directeur de la rédaction est fédéraliste. Mais c’est lui qui mène son affaire. Je ne l’appelle pas pour lui dire ce qu’il doit faire ». Les Français ont sûrement compris que le directeur en question n’a pas besoin de dessin.
Le Globe and Mail a fait écho à ce reportage le 3 juillet avec une pointe de jalousie: « It is the first time in years that the Power Corp. of Canada patriarch has sat down with a journalist anywhere». Les quotidiens de Québécor ont publié la dépêche de la Presse canadienne le 4 juillet. Les journaux de Gesca n’ont pas repris cet article élogieux sur leur propriétaire.
Probablement un signe d’humilité.

L’affaire Fortier et le prix du « gaz »

Jean Lapierre a suivi les séances de la Commission parlementaire de l’administration publique (CAP) sur l’affaire Fortier et n’aurait pas aimé « le spectacle ». « C’est le prix du gaz qui intéresse les gens », juge-t-il. Ses auditeurs auront naturellement compris que les parlementaires ont perdu leur temps et qu’ils devraient se consacrer aux vraies affaires.
Comme plusieurs autres observateurs, le chroniqueur vedette joue les « gérants d’estrade ». Il est trop facile de dire après coup que l’initiative de la CAP était inopportune, un « cirque » (comme on a pu malheureusement le lire dans Le Devoir), une « totale perte de temps » (selon La Presse, qui n’avait pourtant pas manqué d’attiser le feu dans les jours qui ont précédé les auditions) alors que personne n’a sourcillé, protesté ou émis le moindre doute dans les médias quand la CAP a décidé d’examiner cette affaire. Au contraire ! Un délégué du Québec congédié (rareté !), interdit de séjour (inédit !), pour une affaire de harcèlement (« psychologique ou sexuel ? », a-t-on entendu…) qui implique un intime du premier ministre (qui l’aurait protégé?) : toute la Tribune de la presse se délectait à l’avance et certains auraient payé leur place s’il y avait eu un « cover charge ». Monsieur Lapierre lui-même n’a-t-il pas fait un voyage spécial à Québec, pour voir ce qu’il aurait pu suivre à la télévision, lui qui n’en avait probablement jamais fait autant pour assister à un débat parlementaire « provincial »?
La comparaison que le chroniqueur de TVA fait entre le sujet qui a occupé la CAP (l’affaire Fortier) et celui qui intéresse les gens (le prix du gaz), paraît-il, est démagogique. Examiner la gestion du ministère des Relations internationales est dans les responsabilités et les capacités du Parlement du Québec. C’était le devoir des parlementaires de poser des questions sur le congédiement exceptionnel d’un délégué du Québec, et les « explications » nébuleuses de la ministre. Par bonheur, les oppositions ont pu faire convoquer une commission (ce qui aurait été impossible en situation de gouvernement majoritaire) et l’exercice s’est fait de façon civilisée (contrairement à certains interrogatoires du passé). Après deux jours, les députés ont compris qu’ils ne verraient pas le fin fond de l’affaire (à moins de revoir le mandat de la commission) et ils se sont résignés à fermer le dossier, laissant malheureusement les journalistes sur leur faim. Mais que voulait-on qu’ils fissent? S’acharner sur l’ex-délégué qui serait vite apparu comme une victime collatérale d’une opération politique? Étirer l’enquête pendant vingt-quatre séances comme l’Opposition officielle l’a fait en 1983, sans jamais réussir à démontrer que le premier ministre Lévesque avait menti sur son rôle dans l’affaire du « saccage de la Baie-James »?
Le prix du gaz (qui s’est ajouté aux déplaisirs du voyage de monsieur Lapierre) entre dans une autre catégorie. S’il existait une solution « praticable » par le Parlement, on serait justifié de déplorer son inaction dans ce dossier mais y a-t-il un spécialiste du pétrole ou du commerce international qui a proposé une solution législative (à la hausse du prix de l’essence) qui serait à la portée de l’Assemblée nationale ? S’il en existait une, il y aurait probablement déjà un ou deux parlements à l’œuvre quelque part en Amérique…
La loi de l’offre et de la demande n’est malheureusement pas « dans nos statuts », comme disait Maurice Bellemare.

Un milliard en droits d’auteur, ça change le monde

Une romancière bien connue, riche et célèbre, s’il en est, a intenté une poursuite aux États-Unis contre l’éditeur d’une encyclopédie consacrée à son œuvre et à ses personnages. Il y en a tant qui seraient honorés de la chose… Pas elle.
Madame a demandé et obtenu une injonction pour bloquer la diffusion de l’encyclopédie et elle réclame maintenant des dommages et intérêts. En défense, l’éditeur de l’encyclopédie expose ainsi son point de vue:
« a distinguished and tremendously successful novelist demands the suppression of a reference guide to her works. [She] asserts that this reference guide infringes both her copyright […] and her right to publish, at some unidentified point in the future, a reference guide of her own. In support of her position she appears to claim a monopoly on the right to publish literary reference guides [...] relating to her own fiction. This is a right no court has ever recognized. It has little to recommend it. If accepted, it would dramatically extend the reach of copyright protection, and eliminate an entire genre of literary supplements: third party reference guides to fiction, which for centuries have helped readers better access, understand and enjoy literary works. By extension, it would threaten not just reference guides, but encyclopedias, glossaries, indexes, and other tools that provide useful information about copyrighted works ».
En bref, la romancière invoque son droit sur un ouvrage de référence qu’elle pourrait publier éventuellement… Elle aurait donc des droits sur ce qu’elle a publié et sur ce qu’elle pense publier?
Prochaines étapes : interdire les thèses, les histoires de la littérature qui mentionnent son nom, les comptes rendus sur ses oeuvres, la publication de ses propres entrevues? Bloquer ses titres sur Amazone? Poursuivre les blogueurs!?
Par prudence, je n’ai pas donné son nom, celui de son héros et le titre de ses oeuvres, et même Google ne devrait pas pouvoir me retracer. Je déclare en plus solennellement que je n’ai pas lu ses œuvres jusqu’à maintenant et que je ne pense pas les lire.

Les questions remises en question

Un récent numéro de l’Actualité contenait un article sur la réforme parlementaire. L’événement est digne de mention car ce sujet ne provoque pas de batailles dans les autobus, pour reprendre une blague bien connue, vu qu’il n’en suscite même pas au Parlement depuis plusieurs années.
Monsieur Jean-Pierre Charbonneau, ex-président de l’Assemblée nationale (1996-2002), fait trois suggestions : abolir le bâillon (qu’on a souvent utilisé à tort et à travers), « introduire », disons favoriser, les votes libres (en assouplissant la discipline de parti) et… abolir la période des questions orales, idée qu’il présente à juste titre comme inédite.
Les deux premières propositions pourraient se concrétiser partiellement sans trop de difficultés. Éliminer totalement le bâillon est illusoire mais, pendant sa présidence, monsieur Charbonneau avait justement fait mettre à l’essai des mesures visant à baliser l’emploi de cette procédure. Par ailleurs, « assouplir la discipline de parti » est utopique, car on ne desserre pas comme une ceinture cette règle non écrite mais bien inscrite dans la culture parlementaire québécoise. Monsieur Charbonneau suggère concrètement que « seuls les votes sur le budget, les motions de censure et les votes directement issus des engagements électoraux majeurs [soient] soumis à la ligne de parti ». Une proposition similaire était restée sur la table lors de la réforme de… 1984 : le président Richard Guay proposait de limiter la responsabilité ministérielle à des circonstances bien précises, histoire de rassurer les candidats à la dissidence qui se laissaient souvent convaincre que toute motion gouvernementale battue en chambre ou en commission conduit directement aux élections… Ce ne serait pas compliqué : il suffirait de codifier ce qui se passe actuellement dans un contexte de gouvernement minoritaire.
La troisième proposition heurte les colonnes du temple car elle s’attaque au plus visible des moyens de contrôle parlementaire. Aussi bien dire que cette idée ne trouvera jamais preneur dans les rangs de l’opposition et qu’aucun gouvernement n’osera la mettre sur la table.
La période des questions est une « fille naturelle » du parlementarisme québécois. Elle est née d’une faiblesse du Règlement Geoffrion (du nom du greffier décédé en 1942) qui permettait, « après l’expédition des affaires courantes », de « demander ou donner des renseignements [je souligne] au sujet de la conduite des travaux de la chambre ou au sujet de quelque autre affaire d’intérêt public », le tout « sans provoquer de débat ». La procédure était exceptionnelle (la règle générale étant que les questions aux ministres étaient posées par écrit avec un préavis) et il appartenait au président de décider de chaque cas et « de voir s’il s’agit d’une affaire d’urgence immédiate et d’intérêt public [je souligne encore] ».
Dans les années 1960, il y a des séances sans question et d’autres qui durent deux heures et plus. En 1969, la période des questions est « réglementée » et notamment limitée à un 30 minutes. On glisse des affaires « d’urgence immédiate et d’intérêt public » aux « affaires d’intérêt public, ayant un caractère d’actualité ou d’urgence ». Au fil des ans, les parlementaires en abusent en alternance, les préambules s’étirent (comme si on avait besoin d’expliquer une situation qui est connue du public et généralement bien expliquée dans les journaux du matin…) et se garnissent d’allusions politiques partisanes : comme il n’est pas possible de répliquer au ministre, on apprend vite qu’il faut frapper d’abord, le plus fort possible. La télédiffusion des débats ne fait qu’envenimer les choses. En écoutant les propos qui s’échangent maintenant, les spectateurs et les auditeurs ne peuvent absolument pas s’imaginer que ces « questions » étaient à l’origine des demandes de « renseignements » !
En 1998, le président Charbonneau était manifestement arrivé à la conclusion que cette enfant élevée dans la permissivité était incontrôlable. Il avait baissé les bras et suggéré de supprimer « toute contrainte en ce qui a trait à la forme des questions et des réponses ». N’aurait subsisté qu’une règle générale (« Les questions doivent porter sur des affaires d’intérêt public, ayant un caractère d’actualité ou d’urgence, qui relèvent d’un ministre ou du gouvernement »). On aurait supprimé les dispositions concernant les « questions interdites » (selon les règles actuelles, « les questions ne peuvent : 1· comporter ni expression d’opinion ni argumentation ; 2· être fondées sur des suppositions ; 3· viser à obtenir un avis professionnel ou personnel ; 4· suggérer la réponse demandée ; 5· être formulées de manière à susciter un débat »). En somme, les règles du débat seraient devenues « conformes à la réalité ».
Dix ans plus tard, monsieur Charbonneau juge qu’il n’y a plus d’espoir : il propose plutôt l’euthanasie.