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«Rencontre» d’un mauvais type ?

Les Hurons-wendats jouaient le rôle de « nation hôte des Première Nations pour les célébrations du 400e anniversaire de Québec ». Ils étaient, selon les documents officiels, responsables « d’assurer une participation significative de l’ensemble des Premières Nations aux festivités de 2008 ». La programmation du 400e comprenait « un volet propre à la nation hôte, sur le territoire de Wendake, et un second volet intégré aux festivités de la Société du 400e anniversaire de Québec ». « Pour chacun, dit le programme, ce sera une occasion exceptionnelle d’échanger avec ceux qui partagent à la fois notre quotidien et les défis de demain ».
À Wendake, le spectacle à grand déploiement Kiugwe a tenu la scène du 18 juillet au 3 septembre ; il y a aussi eu des plusieurs soirées culturelles dans le cadre des « semaines thématiques ». Sur le site de l’Espace 400, les autochtones ont été particulièrement présents avec des spectacles, des conférences, etc. Pour sa part, le chef des Hurons a joué un rôle important, comme représentant officiel des autochtones, présent à toutes les activités possibles, ici et outre-mer. Il a même été le premier personnage en scène le 31 décembre 2007 avec un rituel de purification qui n’a curieusement fait sourciller personne à notre époque où il est interdit de dire une prière en ouvrant les séances des conseils municipaux…
Comme le soulignait Claude Vaillancourt dans le Soleil du 13 septembre dernier, « au-delà des installations permanentes qu’ont apportées les festivités du 400e anniversaire de Québec, c’est la reconnaissance de son peuple qui sort grande gagnante de ces longs mois de célébrations ».
Mais pourquoi s’arrêter en chemin ? « On a fêté le 400e de la Ville de Québec, rien d’autre, précise d’emblée le grand chef. On n’a pas fêté d’autre chose. On n’a surtout pas fêté l’arrivée des Européens dans nos territoires ».
Faut-il rappeler que le thème général du 400e est « la rencontre » ? Les Québécois de souche française qui croyaient célébrer l’anniversaire de leur « berceau » en 2008 ont progressivement réalisé qu’ils devaient partager la fête avec toutes les autres communautés qui les ont rejoints depuis 1608 et ceux qui étaient là avant ; mais, « mieux » encore, dans l’esprit du chef des Hurons, ils en sont plutôt exclus. La « rencontre » est annulée.
Un mois plus tard, et sans attendre la fin de la fête, le chef des Hurons profite du passage des chefs d’État francophones pour exposer ses revendications territoriales. Et, dans le cours de son argumentation, il tire une autre flèche : « Samuel de Champlain, moi j’en parle même pas. Je ne le connais pas, ce gars-là » (Journal de Québec, 17 octobre).
Une autre rencontre à l’eau? Champlain a conclu des alliances avec les Hurons, fait la guerre trois fois avec eux contre leurs ennemis iroquois, passé un hiver complet en Huronnie (région des Grands Lacs) — car il était sorti trop mal en point d’une bataille pour revenir à Québec — et il a été ensuite souvent pressé de retourner en guerre aux côtés de cette communauté avec laquelle il a entretenu de forts liens d’amitié au point de souhaiter former un nouveau peuple avec elle. Et 400 ans plus tard, le chef des Hurons ne connaît pas « ce gars-là »? C’est à se demander s’il est vraiment de la même lignée. Chose certaine, de la part d’un personnage public qui joue un rôle officiel dans l’organisation du 400e, et qui a bénéficié de tous les égards depuis un an, ces propos manquent d’élégance, pour ne pas dire plus.

Des chiffres sur le 400e

La valse des statistiques du 400e est commencée et durera plusieurs mois puisque les livres ne seront pas fermés et que le bilan de la Société du 400e ne sera pas connu avant le début de 2009.
Convoqué par le conseil municipal, le directeur général du 400e a lancé les premiers chiffres : 8 millions de personnes auraient participé aux quelque 290 événements. Le Red Bull Crashed Ice, le championnat mondial de Hockey, le Festival d’été, les Fêtes de la Nouvelle-France et le Congrès eucharistique sont-ils comptés? On verra au rapport final.
Quelques jours plus tard, c’était la fermeture de l’Espace 400. On y aurait compté 1,2 million de visiteurs dont 600 000 spectateurs pour le Moulin à images. Sur quelles évaluations de foule s’appuient ces chiffres? En fait, cela n’a pas tellement d’importance. En a-t-on eu pour notre argent, pour les fonds publics investis plus précisément? Impossible de le dire. Quand presque tout est gratuit, comment mesurer la rentabilité ou la satisfaction, mais on retiendra une chose : il y avait du monde et tout s’est déroulé correctement, à part quelques embouteillages et des petites prises de bec sans conséquences entre spectateurs du Moulin. Quand les restaurants ne suffisent plus à la tâche, et qu’il s’en trouve même pour fermer pour cause d’épuisement, c’est qu’il y a beaucoup de monde. Si le succès se mesure à cette aune, c’est réussi.
Les chiffres laisseront cependant libre cours aux interprétations. Dans son bilan esquissé à la fermeture de l’Espace 400e, le directeur général rappelait que ce lieu lui semblait une sorte d’Expo 67. La comparaison ne manque pas de pertinence. Du 3 juin au 28 septembre, on y offrait « 120 jours de rencontres inoubliables avec des artistes, chanteurs, musiciens, danseurs, acrobates, historiens, conférenciers, des gens d’ici et d’ailleurs venus célébrer les 400 ans de Québec ». Les historiens semblaient détonner dans la liste? Ils participaient aux « Grandes Rencontres », qui constituaient le volet intellectuel élaboré sous la direction de l’anthropologue Bernard Arcand et s’annonçaient « fascinantes tantôt écolos, tantôt gastronomiques ou encore historiques ».
On notera l’ordre de préséance qui concorde assez bien avec les statistiques fournies par le site Internet du 400e. Espace 400e a accueilli « 700 artistes d’ici et d’ailleurs » sur sa Grande place et « 6 500 artistes locaux, amateurs et passionnés, ont fait montre de leur talent sur la Scène des Jardins éphémères IGA ». Ont fermé la marche les « 78 conférences et classes de maître ». dont environ le tiers portaient sur l’histoire.

Pas de vague

La Grande vague, cette oeuvre monumentale de l’artiste québécois Marc Lincourt, ne se rendra pas à Québec. La ville n’aurait plus les ressources pour assumer le frais de la traversée et la Société du 400e semble vouloir garder ses fonds de tiroir pour finir l’année sur un mode festif.
L’œuvre de Marc Lincourt évoque une gigantesque vague de 10 mètres de long composée de 400 livres portant chacun le nom d’une famille venue en Nouvelle-France. Elle a suscité une vive émotion chez certains membres de la délégation québécoise officielle (dont l’épouse du chef des Hurons) qui l’ont vue à Brouage en mai et elle a été l’un des grands succès des célébrations du 400e en France.
Cette œuvre réalisée en hommage aux familles-souches ne viendra pas dans la ville qui se targue d’être le berceau de l’Amérique française : est-on surpris? Avant même le début des fêtes, quand la Société du 400e a refusé de donner du lustre au 24 juin 2008, d’honorer les anciennes familles terriennes, d’appuyer les projets des familles-souches (qui ont vu avorter l’exposition qui leur était dédiée au Musée de la Civilisation et se sont retrouvés avec une participation – payante – à marathon…), pour ne citer que ces exemples, on avait compris que l’émotion et la fierté des descendants des compagnons de Champlain, qui forment maintenant une nation, ne faisaient pas partie des priorités du 400e de ce côté-ci de l’Atlantique. Le mot-clé était plutôt « pas de vague ».

Seulement de bien belles images : dommage!

La plupart des gens qui ont vu le Moulin à images ont justement vu… des images, des images qu’ils n’avaient probablement jamais vues, mais n’ont pas appris grand chose qu’ils ne connaissaient pas. « C’est beau, mais qu’est-ce que c’est? C’est qui, ce personnage? », se sont demandé bien des Québécois devant les images qui défilaient à vive allure: que dire alors des visiteurs et des touristes?
Bien sûr, les Québécois ont reconnu leurs classiques, de Champlain à Chez Gérard, du pont de Québec à la Dominion Corset, mais ces personnages qu’ils ont vu défiler en rafale, ces centaines de photos, de portraits et de statues, auraient été des Albertains qu’ils n’auraient pas fait de différence.
La presse a été élogieuse, à juste titre, car le Moulin est une idée de génie parfaitement réalisée, un chef- d’œuvre de technique et d’infographie. Robert Lepage a livré ce qu’il avait annoncé, une vision impressionniste de l’histoire de Québec; ce sont les porte-parole du 400e qui, en fin de juin, soulagés de voir enfin un projet bien reçu, se sont empressés de présenter cette oeuvre artistique comme la réponse définitive à ceux qui estimaient que 2008 manquait de contenu historique.
Plusieurs auraient souhaité une narration, des explications, et le livre qui est sorti des presses en août (Nicolas Ruel, Le Moulin à images, Robert Lepage inc./Ex Machina, 90 pages) aurait pu répondre à leur souhait mais il ne contient lui aussi que des images. Aucun texte explicatif, sauf sur des aspects techniques.
Cette absence a été qualifiée de « bémol » par le critique du Soleil (« Le Moulin à rêver », 24 août 2008). Le commentaire est généreux : peut-être faudrait-il parler de fausse note. Les images du livre sont à la mesure du Moulin mais, depuis le temps qu’on travaille sur ce projet, il n’aurait pas été difficile (et surtout pas coûteux) d’ajouter quelques bas de vignettes qui auraient donné une valeur supplémentaire à la publication. On a voulu profiter de la vague? Éviter de donner prise à des critiques sur le contenu historique? Tous ne partagent pas l’enthousiasme de François Bourque (« À la prochaine… », Le Soleil, 8 septembre 2008) pour qui le contenu du Moulin est « inattaquable » et « hors d’atteinte des critiques » : au fait, y a-t-il quelqu’un qui en a fait une analyse sérieuse sur le plan historique mais, d’abord, comment critiquer une vision impressionniste?
On s’y remettra peut-être l’an prochain. En attendant, ce livre servira de carte de visite à Ex Machina pour vendre son savoir-faire à des clients qui seront sûrement, eux aussi, impressionnés par les images. Et ne se soucient guère des bas de vignettes.

Les critiques estompées?

Dans le Soleil du 30 août, Anne-Marie Berthiaume a commenté les propos de François Bourque (Soleil, 26 août) sur les critiques qui ont fini par s’estomper au sujet du 400e. C’est à lire, dans la version longue publiée sur le site du journal (http://www.cyberpresse.ca/article/20080831/CPSOLEIL/80829106/5826/CPSOLEIL), en particulier ce passage:
«On peut penser que l’opposition a fait son deuil de ce qu’elle avait souhaité et imaginé pour ces festivités par respect pour ceux qui prenaient visiblement plaisir à ce gigantesque «festival d’été» et à ces autres événements annuels bonifiés par des budgets conséquents. [...] Pour ma part, c’est la résignation et l’impuissance qui me font accepter que le 400e ait investi ses millions (en particulier ses derniers 6 millions $ libérés du championnat de hockey junior) dans un immense party de foule, et que la ville se soit offert des shows et des méga-shows «gratuits» (mais pas si gratuits qu’ils n’en n’ont l’air), qui laissent bien peu en substance, en profondeur et en découvertes.»
Si les critiques ont fini par s’estomper, comme l’écrit monsieur Bourque, c’est aussi parce qu’elles ont imposé quelques ajustements au programme et que des irritants majeurs se sont éclipsés, comme la gouverneure générale qui s’est manifestement fait dire de sortir de la cuisine et de cesser d’alimenter des controverses, un rôle qui sied fort mal aux représentants royaux. Pourquoi autant de trémoussements au départ des voiliers à La Rochelle et si peu pour les accueillir à l’arrivée à Québec? Il faudra y mettre le temps pour tout comprendre.
Par ailleurs, après la mi-juillet, le passage de McCartney et la fin du « Summer festival », les spectacles offerts portaient moins à critique. Il faut un peu d’imagination pour trouver un caractère commémoratif à la plupart des spectacles que monsieur Bourque mentionne mais ils étaient au moins en français et on aurait évité bien des ennuis en commençant par là. Pour l’histoire de la chanson québécoise, cependant, on repassera; seul le spectacle des chorales s’y est consacré et peu de gens ont pu voir ce spectacle (payant, notons-le).
Il ne faut pas négliger non plus l’impact de l’affaire McCartney. Après la job que la presse a faite à Luc Archambault, en rapportant le contraire de ce qu’il avait écrit dans son « manifeste », et après la violence des réactions que ce dérapage médiatique a engendrées sur Internet et dans les lignes ouvertes, on imagine aisément que les critiques ont été, disons, prudents, histoire de ne pas trop se faire crucifier, voire insulter, par des chroniqueurs qui prêchent pourtant la liberté d’expression pour eux.
Si les critiques ont semblé s’estomper durant l’été, ne serait-ce pas aussi parce qu’elles ont moins passé dans les médias? Les textes de réflexion sur le 400e ont été plus nombreux à Montréal (Devoir et Presse) et ce serait trop court d’y voir une simple rivalité de clochers. Il faudrait reprendre la table ronde qui a été organisée l’hiver dernier, à Laval, pour évaluer les conséquences des partenariats entre les médias les plus importants de Québec et une organisation « gouvernementale » comme la Société du 400e.
Il faudra y revenir, car le meilleur goût qu’à laissé la dernière semaine de spectacles ne fera pas oublier ce qui a précédé et surtout ce qui a manqué dans ce 400e.