Ce que serait devenu notre peuple,
en cas d’une alliance des Canadiens avec les Américains,
dans une lutte commune pour la liberté,
nous n’en savons rien, nous n’en saurons jamais rien.
C’est le secret des circonstances et,
comme celles-ci ne se sont pas produites,
on ne peut que se perdre en conjectures.
(Jean-Charles Harvey, Les demi-civilisés, 1934)
Clément Gosselin figure parmi les Canadiens qui ont collaboré de façon marquante au siège de Québec par l’armée de Montgomery (1775-1776) et participé ensuite à la guerre de l’Indépendance des États-Unis (1775-1783). Le 17 octobre 2024, il sera désigné « personnage historique du Québec ».
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Né à Sainte-Famille, Î.O., en 1747, Gosselin est bien établi comme maître-charpentier à « Sainte-Anne-du-Sud » (aujourd’hui La Pocatière) quand les corps d’armée dirigés par Montgomery et Arnold pénètrent dans la province de Québec, par le Richelieu et la Chaudière, et convergent vers Québec.
Durant l’hiver 1775-1776, il apporte son soutien aux insurgés qui, après avoir pris Montréal et Trois-Rivières, essaient de prendre Québec : à titre d’officier de la compagnie du régiment Hazen dirigée par Pierre Ayotte (originaire de Kamouraska), il parcourt la Côte-du-Sud pour répandre la propagande des « Bostonnais », recruter des soldats, remplacer officiers de milice nommés par Carleton par des hommes favorables aux insurgés et superviser le système de feux mis en place pour annoncer la montée éventuelle de vaisseaux britanniques sur le fleuve.
Après la retraite des « Bostonnais » en mai 1776, on perd sa trace. Il aurait été emprisonné quelques mois et aurait vraisemblablement vécu dans la clandestinité un certain temps. Au printemps 1778, il quitte la province de Québec, rejoint le régiment Hazen à White Plains, N.Y., et reprend du service à titre de capitaine. Pendant environ deux ans, avec une petite équipe de Canadiens et d’Amérindiens, il mène de dangereuses missions d’espionnage pour le général Washington et le marquis de La Fayette. Il s’avance sur la rive sud du Saint-Laurent, jusqu’à Lotbinière, dans le but de recueillir des informations sur les forces britanniques et l’état d’esprit de la population.
En octobre 1781, avec une véritable compagnie, Gosselin participe à la bataille de Yorktown qui met pratiquement fin à la guerre. Il est blessé au combat et le régiment dont il fait partie est surtout affecté par la suite à la garde des prisonniers.
Gosselin est démobilisé en juin 1783, avec le grade de major. Il est admis à la Société des Cincinnati qui regroupe les officiers américains et français qui ont participé à la guerre de l’Indépendance.
Après la guerre, seul ou avec d’autres officiers, il multiplie les démarches pour que les Canadiens démobilisés obtiennent des vivres et des terres sur les bords du lac Champlain, s’ils ne peuvent ou ne veulent pas revenir au Canada. En 1784, il vient régler ses affaires à Sainte-Anne et amène sa famille au lac Champlain, l’année suivante.
Deux fois veuf, deux fois remarié, Gosselin revient dans la province de Québec au début des années 1790 et reprend son métier à Saint-Hyacinthe, puis à Saint-Luc, une paroisse voisine de Saint-Jean-sur-Richelieu. Il serait retourné au lac Champlain peu avant sa mort, à Beekmantown, N.Y., le 9 mars 1816.
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Il reste des points obscurs dans la vie de Gosselin. On aimerait en savoir davantage sur ses idées politiques, sur le moment précis où il a décidé d’appuyer les insurgés américains, sur son sort entre mai 1776 et avril 1778, sur le lieu exact de sa sépulture. Quelques questions sont cependant plus claires. Non, Gosselin n’a pas été excommunié, comme on l’a prétendu en s’appuyant sur le roman historique de Henry Gosselin (L’espion de Washington). Il n’a pas rencontré Benjamin Franklin, qui était en France quand Gosselin était aux États-Unis.
Je crois avoir ajouté à nos connaissances sur Gosselin l’espion. C’est probablement sa principale contribution à cette guerre après 1778. Il est venu au moins trois fois sur la rive sud en vue de préparer une nouvelle attaque contre Québec. Malheureusement, ni les Américains ni les Français n’avait sérieusement l’intention de récidiver.
Mes recherches font aussi ressortir le rôle de leader joué par Gosselin au sein de la petite communauté des Canadiens réfugiés au lac Champlain après la guerre. Le régiment Hazen, dont faisaient partie les Canadiens, ne relevait pas d’un État, comme les autres régiments, mais directement du Congrès qui avait peu de moyens pour les aider. Gosselin a néanmoins fait des pressions, auprès du Congrès et de George Washington, et les réfugiés ont finalement obtenu des terres de l’État de New York.
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Avec son frère Louis, son beau-père Germain Dionne et une douzaine de compagnons de la région qui sont allés faire la guerre jusqu’en 1783, Gosselin a mené le même combat que ceux qui formaient l’armée de Washington. Il est allé faire au Sud ce qu’il n’a pu réaliser au Nord, soit libérer les colonies de la tutelle britannique. Si les choses avaient tourné autrement dans la province de Québec, les Gosselin, Ayotte et Dionne auraient eu ici, depuis longtemps, le même traitement que les Américains accordent aux artisans de leur indépendance.
Gaston Deschênes, 17 octobre 2024
Auteur de Un pays rebelle. La Côte-du-Sud et la guerre
de l’Indépendance américaine (Septentrion) et de
Clément Gosselin, maître-charpentier,
espion et soldat de la révolution américaine
(Société d’histoire et de généalogie de la Côte-du-Sud),
extrait du premier titre.