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Gérard Bouchard et l’histoire autochtone

Dans Le Devoir du 11 janvier, Gérard Bouchard commente un projet de la nation anichinabée (voir Le Devoir du 30 décembre) qui consiste « à construire une plateforme numérique qui rassemblera et rendra accessibles une grande quantité de données historiques concernant cette nation ».

Bouchard voit évidemment le projet d’un bon œil, mais émet quelques réserves :

« (citation) Les animateurs du projet entendent construire un récit qui soit « culturellement sécurisant » en s’appuyant sur une méthode dictée par « nos règles ». Ils souhaitent aussi que les archives accumulées « servent avant tout les intérêts des communautés ». On nous informe enfin qu’un « comité d’éthique » verra à ce que ces règles soient respectées.

Ces énoncés vont à l’encontre de l’histoire scientifique. Un récit sécurisant ? C’est imposer au départ la conduite et les conclusions de la démarche. S’en remettre à « nos règles » ? Voilà une autre façon d’introduire de l’arbitraire. En matière scientifique, il n’y a qu’une méthode, les mêmes normes s’appliquant partout. Servir avant tout les intérêts des communautés ? Encore là, si on ne fait pas attention, on risque de sacrifier l’objectivité. Un comité d’éthique ? Est-ce le bon mot ?

[…] En résumé, il faut encourager l’effort entrepris par les Anichinabés. […] Mais ne confondons pas la science avec une technique thérapeutique (les animateurs parlent de leur initiative comme d’un procédé de « guérison »).

Nous sommes en présence de deux sphères différentes et même opposées. L’esprit critique est absent de ce projet. Or, il est le ressort principal de la science. Les chercheurs l’appliquent d’abord à leur propre démarche. Il sert ensuite à chasser les biais, les faussetés qui affectent toute mémoire collective. Sans l’esprit critique, cette finalité est condamnée. On risque de remplacer une fausse identité par une autre.

Cela étant dit, il y a peut-être méprise. En fait, les chercheurs autochtones sont libres de construire une vision de leur passé d’une façon qui est appropriée à leurs besoins. En contrepartie, ils doivent reconnaître que, ce faisant, ils s’écartent des préceptes de la science au sens où on l’entend couramment. Je renvoie sur ce sujet aux réflexions de l’historien Yves Gingras. » (fin de la citation)

Comme l’écrit Bouchard, chacun est libre d’écrire sa propre histoire,  et, comme on l’entend parfois, les « autres » ne devaient pas d’en mêler, mais on ne peut fonctionner en vase clos : l’histoire des Amérindiens est indissociable de celle de leurs concitoyens d’origine européenne qui ne peuvent rester indifférents car l’histoire se mêle très souvent avec l’actualité. Ainsi, pour prendre un exemple simple, quand les Hurons-Wendat soutiennent (L’Oie blanche, 6 novembre 2024) avoir des droits sur un territoire qui s’étendrait de Saguenay à Mégantic et de Trois-Rivières à Rivière-du-Loup (et empiéterait sur au moins trois autres communautés), en invoquant un jugement de la Cour suprême (R. c. Sioui, 1990) qui, dans les faits, ne contient rien sur un quelconque territoire des Hurons (et précise même que « leurs terres ancestrales [étaient] situées sur un territoire qui est aujourd’hui en Ontario »), on peut s’interroger, comme Gérard Bouchard, sur l’usage de la science historique et sur « les faussetés qui affectent toute mémoire collective ».

Tout en souhaitant que l’histoire amérindienne soit mieux connue.

(https://www.ledevoir.com/opinion/idees/831769/histoire-autochtone-autochtones)

 

Le bogue historique (en reprise)

[Texte publié dans la revue Cap-aux-Diamants, au début de l'an 2000 (hiver 2000, p. 10–11), DERNIÈRE, et non première, année du siècle et du millénaire]

Maintenant que le bogue informatique semble maîtrisé, que les banques, les ministères, les organismes d’État et les entreprises publiques peuvent rassurer la population, ne serait-il pas temps de s’attaquer à l’autre bogue, le « bogue historique » ?

Plusieurs médias, généralement bien informés, entretiennent une bête confusion entre l’arrivée de l’an 2000 et celle d’un nouveau siècle et d’un millénaire. Nous en avons eu exemple avec le dévoilement de la programmation de Radio-Canada et les reportages qui ont suivi : on ne pourrait imaginer qu’un organe d’information place sa programmation d’automne 1999 sous le signe des 30 ans de la crise d’Octobre ou des 40 ans de la retraite de Maurice Richard, mais on peut célébrer la fin d’un millénaire prématurément sans faire sourciller la confrérie.

Certains médias devraient pourtant avoir de la mémoire. Ouvrons nos quotidiens centenaires pour voir ce que nos arrière-grands-parents ont fait de particulier le 31 décembre 1899… Le Soleil ? Rien. La Presse ? Rien. La Gazette ? Rien, rien d’autre qu’une Saint-Sylvestre ordinaire. Nos ancêtres étaient-ils si austères ? L’explication se trouve ailleurs. Il suffit de consulter les bonnes éditions de ces vénérables quotidiens pour la découvrir : c’est l’année suivante, le 31 décembre 1900, qu’ils ont organisé des célébrations, au Québec comme partout ailleurs au Canada, en Amérique et dans toutes les grandes capitales, pour souligner le changement de siècle.

Vraiment partout ? Dans le Courrier du Canada du 5 janvier 1900, Arthur Loth expliquait pourquoi les siècles commencent à 1, mais, écrivait-il, « la force du préjugé est telle que, nonobstant les autorités contraires, le Conseil fédéral de l’Empire allemand vient de décider, en raison des intérêts commerciaux et industriels, que le nouveau siècle partirait de 1900 ». Mis à part l’empereur allemand (dont les intérêts économiques ne sont pas précisés), nos ancêtres et l’immense majorité de leurs contemporains avaient appris et retenu que 1900 terminait le siècle et que 1901 en commençait un autre. Ceux qui ont profité des festivités de décembre 1900 pour réfléchir sur les progrès scientifiques à venir, comme en témoigne le discours de Charles Baillairgé au Château Frontenac, le 31 décembre 1900, seraient sûrement très étonnés d’apprendre que leurs descendants ont… désappris !

Comment expliquer cette situation ?

Nul doute que le passage de 1999 à 2000 est plus évocateur que celui de 2000 à 2001. Le changement de quatre chiffres et le mythique 2000 excitent l’imagination (et on peut le célébrer tant qu’on veut), mais l’arithmétique n’a tout de même pas changé depuis 100 ans. Il y a un siècle, diverses autorités étaient intervenues pour remettre les pendules à l’heure, dont le Vatican ou le Bureau français des longitudes. Au Canada, le gouvernement fédéral avait dû arbitrer une querelle entre les villes qui revendiquaient le privilège de tirer la salve officielle de 99 coups de canon « pour dire adieu au siècle qui s’éteignait et saluer l’aurore du nouveau ». C’était, rappelons-le, dans la nuit du 31 décembre 1900 au 1er janvier 1901. Cette fois, ces autorités sont passives. L’information est disponible dans n’importe quel ouvrage de référence classique : manuels d’histoire, dictionnaires et encyclopédies. Plusieurs sites Internet sérieux comme ceux des observatoires de Paris, de Greenwich ou le US Naval Observatory ont abordé la question depuis déjà de nombreux mois, mais les médias ne les consultent pas ou n’en tiennent pas compte. Même les mises au point des grandes agences de presse : AFP en avril 1997, Reuters en novembre 1997 et AP en décembre 1998 et janvier 1999, ne peuvent venir à bout de la rumeur.

Je ne crois pas avoir vu un seul article de fond sur cette question dans les grands quotidiens québécois. Le sujet est comme tabou et on le confine aux pages d’opinions. Il s’est même trouvé une columnist pour conclure qu’il y avait, sur cette question, des « écoles de pensée » ! Et d’autres pour reprocher au concepteur du calendrier d’avoir fait une « erreur », en oubliant l’année zéro ! Un zéro qui n’existait pas à l’époque ! Mieux encore : un quotidien annonçait récemment que Larousse avait lancé une édition spéciale à « l’occasion du nouveau millénaire » et pourtant, dans un « avis aux lecteurs » placé dans ledit ouvrage, on peut lire que le dernier Larousse « porte le millésime 2000 et ferme ainsi un siècle et un millénaire en attendant d’ouvrir, dans un an, le siècle et le millénaire qui s’annoncent ».

La grande différence avec ce qui s’est passé il y a un siècle est là : les médias, de façon générale, ont décidé de suivre la voie « du préjugé », comme disait Loth. Défiant la logique, l’arithmétique et l’histoire, ils font écho à tous ceux qui ont quelque chose à vendre, le plus tôt possible, que ce soit les croisières fin de siècle, les playmates du millénaire, ou encore simplement du frisson. La presse a pourtant l’habitude de poser les bonnes questions lorsqu’elle sent la faille et qu’elle peut prendre quelqu’un à contre-pied. C’est ce qui fait d’ailleurs les meilleures nouvelles ! Mais, dans le cas des festivités du siècle écourté et des célébrations du millénaire prématuré, on peut errer sans crainte. Il y a une « vague de fond », m’a écrit le directeur d’un périodique qui offrait l’an dernier son « dernier calendrier du millénaire », comme si la pensée magique, même collective, pouvait changer la course du temps. Inutile de se braquer devant, semble-t-il. Surtout que ladite vague fait « tourner les rotatives » (Béart).

Les commémorations ont un effet, sinon un objectif, pédagogique. C’est l’occasion de rappeler des éléments d’histoire, d’améliorer les connaissances des citoyens. Il en reste généralement des traces : monuments, livres, films, etc. Or, ce qui se passe actuellement est exceptionnel : la date même de la commémoration est erronée. Certaines institutions ont quand même gardé le cap, malgré la mode. Les catholiques sont conviés par le Vatican à célébrer successivement le passage à l’an 2000 puis le passage au troisième millénaire en 2001. La Suisse a aussi annoncé un programme conforme à sa réputation d’exactitude. Dans une dépêche de Reuters, qui ne semble pas avoir été reprise dans les médias écrits d’ici, Arthur C. Clarke soutient que sa mise au point a provoqué le report des célébrations de Chicago. « I am just stating the fact, [and] there is no argument about it », disait l’auteur de 2001 : Odyssée de l’espace, au sujet de la date précise du changement de millénaire.

Devancer le calendrier est aussi vain et illusoire que de tricher sur son âge. Quelle que soit l’intensité des célébrations du 31 décembre 1999, on se réveillera le lendemain, 1er janvier 2000, au début de la dernière année du XXe siècle et de la dernière année du deuxième millénaire. Le bogue informatique est neutralisé : nous ne risquons pas de sombrer dans le chaos ou l’anarchie, mais peut-être bien dans le ridicule d’un « bogue historique ».

(https://www.erudit.org/fr/revues/cd/2000-n60-cd1044716/7662ac.pdf)

Écrire pour être lu (et d’abord publié)

Le Bulletin d’histoire politique m’a fait l’honneur d’une recension de mon livre Un pays rebelle (Septentrion, 2023).

J’appréhendais les commentaires sceptiques sur l’appui de la Côte-du-Sud aux insurgés « bostonnais », ce qui constitue l’idée principale du livre. Aurais-je exagéré cet appui qui ne s’est quand même pas concrétisé par une prise d’armes massive, seulement une centaine de Sudcôtois s’enrôlant dans le régiment Hazen? Aurais-je oublié des sources ou des études pertinentes?

La recension n’en parle pas, ce qui porte à penser que mon ouvrage se tient. L’auteur s’intéresse en fait beaucoup à ce que je n’ai pas fait.

Ainsi, j’aurais dû analyser davantage les motivations et l’influence des seigneurs et contextualiser l’influence du clergé. Peut-être, dans la mesure où j’aurais eu des sources pertinentes sur les seigneurs et le clergé de la Côte-du-Sud, ce qui ne court pas les rues. Même chose sur le rôle des femmes, notamment les « reines de Hongrie » : les sources se résument malheureusement à quelques lignes du rapport Baby et parler des femmes engagées dans la Révolution française quinze ans plus tard n’aurait rien appris à mes lecteurs sur les femmes de Saint-Vallier, sauf peut-être l’étendue de mon érudition. Idem pour les études comparatives sur « la forme » des pétitions… Ça dépasse de loin l’objectif de mon ouvrage et ce que je souhaitais communiquer à mes lecteurs.

J’aurais écrit en conclusion que « le congrès s’est trop concentré sur l’organisation militaire et trop peu sur celle de l’organisation d’assemblées politiques [sic] ». J’ai plutôt emprunté à Mark R. Anderson (qui est dument cité) l’idée que l’organisation politique manquait sur la Côte-du-Sud où les leaders « ont mis toutes leurs énergies dans la dimension militaire de la rébellion ». Le Congrès n’y était pour rien.

Ce n’est pas dans l’ouvrage de Wilhelmy mais plutôt dans le Dictionnaire des souches allemandes et scandinaves au Québec de Kaufholtz-Couture et Crégheur (Septentrion, 2013) que ma section sur les mercenaires « pige largement », comme la recension le juge un peu cavalièrement. Et si, au contraire, je « cite légèrement » l’étude de Mayer sur le régiment Congress’s Own, c’est qu’il n’y avait pas grand-chose à tirer pour mon livre qui ne porte pas sur ce régiment, mais sur les Sudcôtois qui s’y sont enrôlés.

Couverture-Rebelles

La recension constate que je cite abondamment le Journal de Baby, mais que « les renvois en bas de page semblent avoir été escamotés par endroit », ce qui veut probablement dire qu’elles ne sont pas assez nombreuses ou constantes. C’est voulu. Il ne faut pas se rendre malade avec les notes. La version imprimée de ce Journal consacre deux douzaines de pages à la Côte-du-Sud, chaque paroisse en ayant plus ou moins deux, par ordre géographique. Les très rares lecteurs (ce sont les plus délurés) qui voudront vérifier une citation sur une paroisse donnée s’y retrouveront facilement.

Je ne sais pas si l’auteur de la recension émet une opinion générale ou s’il vise spécifiquement mon livre quand il écrit en conclusion que l’histoire régionale serait davantage pertinente si « elle ne se contentait pas d’une plate description de sélections d’éléments tirés de sources disponibles intégralement en ligne ». Depuis quelques décennies, mon objectif est de documenter certains chapitres méconnus de l’histoire de la Côte-du-Sud au bénéfice des lecteurs de cette région, un lectorat restreint, dans cette région peu populeuse, mais fidèle et avide de connaissances. Sans salaire, sans subvention, sans assistant de recherche, sans approbation de quiconque, et surtout sans m’en plaindre, mais avec un horizon qui rétrécit. Mes livres ne s’adressent pas à la Faculté, à la confrérie, aux organismes subventionnaires qui réclament des professions de foi ou au Conseil des arts, qui se fiche d’ailleurs de plus en plus de l’histoire. Ils risquent donc de ne pas satisfaire les revues dites savantes. J’ai retenu le conseil que Jean Hamelin donna un jour, en séminaire,  à un doctorant qui se (et nous) perdait dans ses formulations théoriques alambiquées; je le cite, de mémoire, près de cinquante ans plus tard : « Vous trouvez que les livres d’histoire ne circulent pas? Encore faut-il écrire pour être lu. »

Lionel Groulx annulé

Dans Le Devoir du 18 novembre, un intéressant texte de Benoit Valois-Nadeau explique comment le « prix Lionel-Groulx » est devenu le « Grand Prix de l’Institut d’histoire de l’Amérique française », l’Institut ayant en quelque sorte « annulé » son fondateur en s’appuyant sur le souhait de 57,6 % des 85 répondants à une consultation en 2023. Sur 359 membres en règle, donc la moitié du quart.
Regroupant à l’origine (1948) de nombreuses sociétés d’histoire régionales, l’Institut d’histoire de l’Amérique française s’est progressivement transformé en « association des historien.ne.s professionnel.le.s », cercle savant mais restreint où la « religion woke » a trouvé des fidèles.
La lauréate du prix, en 2022, a joué la boutefeu en suggérant de biffer le nom de Groulx. Cet historien, avait-elle déclaré, n’aurait pas été particulièrement ravi que je sois […] récompensée pour mon travail intellectuel et professionnel plutôt qu’à la maison avec mes enfants » (Le Devoir, 26 octobre 2022). Un commentaire purement gratuit : comment pouvait-elle savoir ce qu’aurait pu penser en 2022 un homme mort en 1967 ? C’est cet homme qui écrivait en 1941 : « Quant à vous, Mesdemoiselles, je ne vous interdis aucun service. C’est votre droit de prendre rang où vos talents vous permettent d’exceller. Souvenez-vous seulement qu’il n’y aura pas de restauration canadienne-française, sans la Canadienne française, et qu’il faut que les femmes se mêlent de nos affaires, ne serait-ce que pour nous forcer à nous en mêler » (Paroles à des étudiants, 1941, p. 76).
Le président de l’IHAF a reconnu candidement que cette décision était liée à une question de sous : « Même si ce n’est pas le motif principal, un prix portant le nom de Lionel Groulx n’est pas toujours facile à financer », les commanditaires ne voulant être associés à une figure controversée. Biffer son nom pourrait donc aider à obtenir 2000 $.
Selon l’historien Pierre Trépanier, le « wokisme a pris le pouvoir à l’Institut d’histoire de l’Amérique française ». D’après le reportage du Devoir, ce spécialiste de la pensée de Groulx a commenté la décision de l’IHAF de la manière suivante : « Le pavillon et le prix Lionel-Groulx n’ont pas été nommés ainsi pour saluer des prises de position périphériques controversées, mais pour honorer la mémoire d’un grand historien, pionnier de l’histoire du Canada à l’Université de Montréal et un des artisans de l’institutionnalisation et de la professionnalisation de l’histoire au Québec. […] L’histoire décoloniale est dans son intention une excellente chose, mais dans la pratique elle présente une lourde idéologisation : décoloniser, c’est s’effacer, ou encore humilier l’histoire nationale. Si seuls les parfaits peuvent être célébrés, nos demains seront bien moroses et la mémoire, un champ de ruines ».

Clément Gosselin, maître-charpentier, espion et soldat de la révolution américaine

 

Ce que serait devenu notre peuple,
en cas d’une alliance des Canadiens avec les Américains,
dans une lutte commune pour la liberté,
nous n’en savons rien, nous n’en saurons jamais rien.
C’est le secret des circonstances et,
comme celles-ci ne se sont pas produites,
on ne peut que se perdre en conjectures.
(Jean-Charles Harvey, Les demi-civilisés, 1934)

Clément Gosselin figure parmi les Canadiens qui ont collaboré de façon marquante au siège de Québec par l’armée de Montgomery (1775-1776) et participé ensuite à la guerre de l’Indépendance des États-Unis (1775-1783). Le 17 octobre 2024, il sera désigné « personnage historique du Québec ».

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Né à Sainte-Famille, Î.O., en 1747, Gosselin est bien établi comme maître-charpentier à « Sainte-Anne-du-Sud » (aujourd’hui La Pocatière) quand les corps d’armée dirigés par Montgomery et Arnold pénètrent dans la province de Québec, par le Richelieu et la Chaudière, et convergent vers Québec.
Durant l’hiver 1775-1776, il apporte son soutien aux insurgés qui, après avoir pris Montréal et Trois-Rivières, essaient de prendre Québec : à titre d’officier de la compagnie du régiment Hazen dirigée par Pierre Ayotte (originaire de Kamouraska), il parcourt la Côte-du-Sud pour répandre la propagande des « Bostonnais », recruter des soldats, remplacer officiers de milice nommés par Carleton par des hommes favorables aux insurgés et superviser le système de feux mis en place pour annoncer la montée éventuelle de vaisseaux britanniques sur le fleuve.
Après la retraite des « Bostonnais » en mai 1776, on perd sa trace. Il aurait été emprisonné quelques mois et aurait vraisemblablement vécu dans la clandestinité un certain temps. Au printemps 1778, il quitte la province de Québec, rejoint le régiment Hazen à White Plains, N.Y., et reprend du service à titre de capitaine. Pendant environ deux ans, avec une petite équipe de Canadiens et d’Amérindiens, il mène de dangereuses missions d’espionnage pour le général Washington et le marquis de La Fayette. Il s’avance sur la rive sud du Saint-Laurent, jusqu’à Lotbinière, dans le but de recueillir des informations sur les forces britanniques et l’état d’esprit de la population.
En octobre 1781, avec une véritable compagnie, Gosselin participe à la bataille de Yorktown qui met pratiquement fin à la guerre. Il est blessé au combat et le régiment dont il fait partie est surtout affecté par la suite à la garde des prisonniers.
Gosselin est démobilisé en juin 1783, avec le grade de major. Il est admis à la Société des Cincinnati qui regroupe les officiers américains et français qui ont participé à la guerre de l’Indépendance.
Après la guerre, seul ou avec d’autres officiers, il multiplie les démarches pour que les Canadiens démobilisés obtiennent des vivres et des terres sur les bords du lac Champlain, s’ils ne peuvent ou ne veulent pas revenir au Canada. En 1784, il vient régler ses affaires à Sainte-Anne et amène sa famille au lac Champlain, l’année suivante.
Deux fois veuf, deux fois remarié, Gosselin revient dans la province de Québec au début des années 1790 et reprend son métier à Saint-Hyacinthe, puis à Saint-Luc, une paroisse voisine de Saint-Jean-sur-Richelieu. Il serait retourné au lac Champlain peu avant sa mort, à Beekmantown, N.Y., le 9 mars 1816.

***

Il reste des points obscurs dans la vie de Gosselin. On aimerait en savoir davantage sur ses idées politiques, sur le moment précis où il a décidé d’appuyer les insurgés américains, sur son sort entre mai 1776 et avril 1778, sur le lieu exact de sa sépulture. Quelques questions sont cependant plus claires. Non, Gosselin n’a pas été excommunié, comme on l’a prétendu en s’appuyant sur le roman historique de Henry Gosselin (L’espion de Washington). Il n’a pas rencontré Benjamin Franklin, qui était en France quand Gosselin était aux États-Unis.
Je crois avoir ajouté à nos connaissances sur Gosselin l’espion. C’est probablement sa principale contribution à cette guerre après 1778. Il est venu au moins trois fois sur la rive sud en vue de préparer une nouvelle attaque contre Québec. Malheureusement, ni les Américains ni les Français n’avait sérieusement l’intention de récidiver.
Mes recherches font aussi ressortir le rôle de leader joué par Gosselin au sein de la petite communauté des Canadiens réfugiés au lac Champlain après la guerre. Le régiment Hazen, dont faisaient partie les Canadiens, ne relevait pas d’un État, comme les autres régiments, mais directement du Congrès qui avait peu de moyens pour les aider. Gosselin a néanmoins fait des pressions, auprès du Congrès et de George Washington, et les réfugiés ont finalement obtenu des terres de l’État de New York.

***

Avec son frère Louis, son beau-père Germain Dionne et une douzaine de compagnons de la région qui sont allés faire la guerre jusqu’en 1783, Gosselin a mené le même combat que ceux qui formaient l’armée de Washington. Il est allé faire au Sud ce qu’il n’a pu réaliser au Nord, soit libérer les colonies de la tutelle britannique. Si les choses avaient tourné autrement dans la province de Québec, les Gosselin, Ayotte et Dionne auraient eu ici, depuis longtemps, le même traitement que les Américains accordent aux artisans de leur indépendance.

Gaston Deschênes, 17 octobre 2024
Auteur de Un pays rebelle. La Côte-du-Sud et la guerre
de l’Indépendance américaine
(Septentrion) et de
Clément Gosselin, maître-charpentier,
espion et soldat de la révolution américaine

(Société d’histoire et de généalogie de la Côte-du-Sud),
extrait du premier titre.

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