ll y a un siècle, en Ontario, c’était la même chanson, sur un air un peu différent car le Règlement 17 visait les écoles des francophones de l’Ontario et non l’université. Adopté en 1912 par le gouvernement conservateur, le règlement interdisait l’usage du français comme langue d’enseignement dans les écoles.
Les Québécois appuyaient fermement les Franco-ontariens; c’est dans ce contexte qu’est créée, à Montréal, la Ligue des droits du français qui deviendra la Ligue d’action nationale. Témoin de cette mobilisation, une chanson lancée en 1918.
L’Âme française
1.
Il est chez nous une province,
En amont du beau Saint-Laurent,
D’où sans scrupule l’on évince,
Des possesseurs de trois cents ans !
À l’enfant pur et sans reproche,
On s’adresse brutalement :
« Deviens Anglais ! vilain mioche,
Il le faut, c’est le Règlement ! »
Mais sur un ton de « Marseillaise »,
Fièrement clament nos p’tits gâs :
« Non ! non ! nous ne laisserons pas
Bâillonner l’âme française ! »
2.
Pour vaincre cette résistance,
On voulut enlever d’assaut
L’école, où le parler de France
Murmure, doux, comme un ruisseau !
Halte-là ! D’héroïques mères,
Se soulèvent de toutes parts.
Ces Madeleine de Verchères,
De leur corps, forment un rempart :
Et sur un ton de « Marseillaise » :
« Halte-là ! Vous ne pass’rez pas !
« Non ! non ! Malgré vous nos p’tits gâs
« Garderont l’âme française ! »
3.
Avec les fils de telles mères,
Courageux et fiers lurons,
Anglais, vos projets sont chimères;
Sans coup férir, ils vous auront!
Admirant leurs beaux sacrifices,
Reconnaissant enfin leur droit,
Vous leur rendrez bientôt justice
En abrogeant l’inique loi.
Et sur un ton de Marseillaise,
Vous crierez avec nos petit gâs :
« Oui! Oui! partout au Canada,
« Vive donc l’âme française! »
Auteur et compositeur
Cette chanson a été écrite par Jean Beauchemin, un pseudonyme sous lequel « se cache l’un de nos meilleurs poètes », selon la présentation faite, en octobre 1918, par Le Passe-Temps. Le compositeur de la musique était pour sa part bien connu puis qu’il s’agissait d’Albert Larrieu, un Breton qui a séjourné au Québec pendant quelques années et nous a laissé plusieurs autres chansons « québécoises » dont La cabane à sucre, Les crêpes, La tire, La soupe aux pois, En traîneau, L’épluchette, La bénédiction (du jour de l’an), Le maringouin et, surtout, l’hymne de la Ligue d’impro, La feuille d’érable.
Né à Perpignan en 1872, Larrieu serait devenu médecin, s’il avait suivi la volonté de son père, mais il a préféré monter à Paris pour faire carrière dans la chanson. Il y rencontre Jean Richepin et surtout le fameux Théodore Botrel qui lui fait connaître « sa Bretagne ». À Concarneau, Larrieu forme le Trio Montmartrois, rebaptisé ensuite Trio Concarnois, et chante « la France des provinces et la vie des petites gens ».
Mobilisé en 1914, il est vite réformé pour raison de santé et, en 1916, il passe aux États-Unis. De là, il parvient au Québec, en mai 1917, où il découvre « un peuple vivant de nos traditions, parlant notre langue, ayant gardé nos habitudes, nos usages, notre manière de penser, nos vieux proverbes, nos jolies légendes, nos vieilles chansons ». Jusqu’en 1922, Larrieu parcourt le Québec, le Canada et les États-Unis avec deux Françaises, France Ariel et Geneviève Lecomte, cette dernière étant remplacée par Armand Duprat après 1919.
En 1920, pour corriger l’ignorance de ses compatriotes à l’égard du Canada, Larrieu publie À propos du Canada Français : une poignée de vérité (http://www.da-go.com/musique/larrieu-a/).
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« Nous sommes certains que les belles strophes si vibrantes de L’Âme française deviendront bientôt la Marseillaise des Canadiens français du Québec et de l’Ontario », écrivait l’éditeur du Passe-Temps en octobre 1918.
Un siècle plus tard, au moment où la lutte recommence en Ontario, l’auteur de L’Âme française est toujours inconnu, son compositeur est mort à Paris en 1925, pratiquement oublié, même s’il avait été parmi les meilleurs chansonniers français de son époque, et celle qui l’a créée en 1918 a connu une fin tragique.
Geneviève Lecomte chantait l’opérette et l’opéra-comique. Infirmière volontaire et brièvement prisonnière durant la guerre, elle avait ensuite rejoint Larrieu et chantait à Sherbrooke , à la fin de février 1919, lorsqu’elle est tombée malade. Pendant que le reste du trio continuait à New York, elle est restée au repos à Sherbrooke où elle mourut le 13 mars 1919.