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Un toponyme qui fait jaser : la rue de la Branlette

 (Extrait de Curiosités de la Côte-du-Sud, GID, 2018)

Rang des Belles-Amours, rang de l’Embarras, Trou-à-Pépette… La Côte-du-Sud ne manque pas de toponymes insolites, mais celui qui a fait le plus jaser depuis une quinzaine d’années est probablement « rue de la Branlette », à Saint-Jean-Port-Joli, au point où le panneau a été retiré un certain temps car il était trop souvent vandalisé ou volé!

Branlette JdeQ 2018

 

La rue est au sommet de la première côte de la route de l’Église (204), perpendiculaire à cette dernière.

« La Branlette » a d’abord été le nom d’un coteau boisé, au sud du village, où l’abbé Jean-Julien Verreault et ses amis allait cueillir les petits fruits dans son enfance vers 1905. « Au fond, écrivait-il, c’est la peur qui nous empêchait de dépasser la ‟Branlette”. On racontait que, plus loin, de l’autre côté de ce petit bois, des « courailleux » avaient été vus avec des couteaux entre les dents et… » Le mémorialiste ─ tout comme le journaliste Gérard Ouellet en 1945 ─ nomme le lieu innocemment, sans se douter que le toponyme populaire prendrait plus tard un sens équivoque.

À l’époque des voitures à chevaux, avant la création du réseau de « routes améliorées », cette section de la route qui mène à la station de chemin de fer était cahoteuse et minée par des sources d’eau. Placer des billes de bois en travers de la route, pour la stabiliser, n’améliorait pas vraiment la situation : ceux qui y circulaient « se faisaient secouer et l’on disait qu’ils avaient ‟la Branlette” », d’où le nom de la côte, selon une première hypothèse rapportée par le journaliste local Jean-Guy Toussaint. Une autre source prétend qu’un mendiant s’était construit un « campe » dans cette côte, à la fin du XIXe siècle, et qu’on l’avait surnommé « la Branlette » parce qu’il marchait en boitillant.

Faute de témoignages plus probants, on ne peut aller plus loin, comme la rue, d’ailleurs, qui se termine en cul-de-sac…

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PS : l’espace manquait dans les Curiosités de la Côte-du-Sud pour ajouter un détail qui m’a carrément « ébranlé ».

Si on cherche ce toponyme sur Goggle Street View, ou bien la plaque disparaît, ou bien le nom de la rue est brouillé! Version moderne de « Dieu te voit »?

Branlette -Street view

Un mauvais souvenir de 1998

L’entrée en politique de l’ex-journaliste Paule Robitaille réveille le souvenir de son « fameux » reportage du 5 mars 1998 sur l’histoire du drapeau du Québec, reportage prévu pour les 50 ans du fleurdelisé, en janvier, mais retardé à cause de la crise du verglas.

Ce reportage a suscité de vives réactions et des plaintes à Radio-Canada, dont celle de du professeur François Baby, le 10 mars 1998, une plainte formelle adressée à l’ombudsman de Radio-Canada et accompagnée d’une analyse de contenu de 17 pages (qui avait malheureusement quelques imperfections).

 La plainte de François Baby

À ce « chef-d’œuvre de partialité », Baby reprochait notamment « ses nombreuses affirmations gratuites, simplistes, incomplètes ou fausses, ses simplifications réductrices et quelques fois outrancières même, ses erreurs, ses raccourcis ou télescopages de l’histoire qui faussent complètement tout le contenu ». Il écrivait aussi que des associations « d’une probité intellectuelle plus que douteuse » amenaient même « à suggérer des rapprochements avec les idées de Vichy et surtout avec l’extrême-droite de Le Pen ». « Ce qui reste de ces symboles du fleurdelisé en France, concluait la journaliste, c’est l’extrême-droite de Jean-Marie Le Pen qui les porte ». On pourrait résumer la thèse de l’émission de la manière suivante: le fleurdelisé vient d’une inspiration d’extrême droite; il a été promu par des gens séduits par la France de Vichy; il a survécu à la Révolution tranquille malgré ses « valeurs réactionnaires »; ce qui fait qu’il partage aujourd’hui les fleurs de lis avec Le Pen.

Comme le soulignait le politicologue Serge Denis*, « jamais durant cette émission du Point ne jugea-t-on utile de revenir à la porté hautement symbolique et politique [...] de l’acte même de hisser en 1948 sur le Parlement du Québec [le fleurdelisé], en reléguant aux oubliettes le vieil « Union Jack » de l’Angleterre. » Et Denis concluait ainsi:  « telle que présentée, l’édition du 5 mars du Point n’a pu servir ni à la compréhension des débats politiques et idéologiques, ni à celle de l’histoire du drapeau québécois, tant pour la première que pour la deuxième moitié du XXe siècle ».

Une enquête fut menée sur la plainte de Baby. Selon le résumé qu’en a fait ultérieurement le Conseil de presse, « le rapport de l’ombudsman [de Radio-Canada] ne conclut pas globalement. Mais il reprend les commentaires du plaignant un à un, et les analyses, dans certains cas, après une recherche et une mise en contexte élaborée. Les conclusions vont de la conformité à la politique journalistique de Radio-Canada à la reconnaissance d’erreurs, d’inexactitudes de la part des invités ou de la journaliste et dans certains cas de faiblesses quant à la mise en contexte. » Mais pas assez pour blâmer quiconque.

Baby porta vainement sa cause devant le Conseil de presse qui rendit sa décision deux ans (!) plus tard par la voix de sa Commission d’appel : « Bien que la Commission d’appel reconnaisse que plusieurs inexactitudes à caractère historique se sont glissées dans le traitement de l’émission Le Point, ces erreurs n’altèrent pas, de l’avis des membres de la Commission, le fond même du reportage en cause, en raison de leur caractère mineur ». (https://conseildepresse.qc.ca/decisions/d1999-03-077-2/)

Combien faut-il d’erreurs, de faiblesses et d’inexactitudes pour encourir la réprobation? La réponse la plus sûre est : probablement toujours un peu plus quand c’est la communauté québécoise qui est visée. Ce n’est pas d’aujourd’hui.

Avec le recul…

Le reportage du Point ne fut pas le seul à s’attaquer au fleurdelisé à cette époque**.

Dans un article sans surprises de la Gazette du 23 janvier 1998 (« It’s not my flag – is it yours?»), William Johnson multipliait les erreurs (volontairement?) sur les origines du fleurdelisé.

Dans Cité libre (septembre-octobre 1997), un certain Péclet contestait que le fleurdelisé ait été « adopté à l’unanimité par le peuple », ce qui serait bien un miracle pour n’importe quel drapeau!*** On sait cependant que le Parti libéral et les trois quotidiens anglophones de Montréal avaient appuyé l’initiative de Duplessis. La croix (qu’on trouve aussi en triple exemplaire sur l’Union Jack) fatiguait beaucoup Péclet ainsi que la fleur de lys dont l’histoire serait « bien peu glorieuse », disait-il, car elle aurait servi à marquer les esclaves fugitifs en Nouvelle-France, une affirmation que les études de Marcel Trudel ne peuvent corroborer.

Le plus tristement cocasse de ces dénigreurs du fleurdelisé était cependant un journaliste qui prétendait dans de La Presse du 17 janvier 1998 que le nouvel emblème avait reçu « un accueil plutôt froid, voire même hostile de la part des adversaires du parti au pouvoir, les libéraux ». Or, 25 ans plus tôt (20 janvier 1973), le même journaliste dans le même journal avait décrit l’événement de façon fort différente, citant Adélard Godbout (« La province tout entière se réjouit, car nous pourrons désormais nous rallier autour de ce que nous avons de plus cher ») et rappelant qu’à l’annonce du décret du 21 janvier 1948 « tous les députés, y compris les libéraux, applaudissent à tout rompre » Et il concluait, en 1973: « La satisfaction paraît générale, si l’on fait exception des cercles partisans de l’opposition [...] ». Il aurait pu citer aussi le discours prononcé en 1950 par le chef du Parti libéral, George Marler, lors du débat sur la loi ratifiant le décret de 1948 : « […] nous croyons qu’il répond mieux aux aspirations et aux traditions de la province que tout autre drapeau. Avant même que l’arrêté ministériel fût adopté, le fleurdelisé était passé dans la vie québécoise. […] Les citoyens de langue anglaise ont concouru dans cette unanimité. [...] Et il n’y a pas eu de voix discordante, sauf de la part de fanatiques dont l’opinion ne compte pas du tout ».

Il faut dire qu’à cette époque le fleurdelisé n’était que le drapeau d’une province autonomiste sans ambition de devenir un pays.

Des questions

Les anniversaires du drapeau québécois fournissent naturellement l’occasion d’en parler de façon généreuse, mais certains textes de 1998 avaient un ton inédit. Y a-t-il une explication?

Le contexte était bien différent de celui de 1948. Le référendum de 1995 avait provoqué un vent de panique au Canada et la mise en place de ce qu’on a appelé le « plan B », un ensemble de « mesures » destinées à entraver le mouvement souverainiste, dont le renvoi relatif à la sécession du Québec, le mouvement « partitionniste » soutenu par Trudeau et le fameux programme des commandites lancé en 1996. Les appréciations négatives exprimées dans les médias à l’endroit des symboles d’identité québécoise après 1995 n’étaient peut-être pas fortuites.

Pour ce qui est de l’avenir, on verra comment madame Robitaille pourra cohabiter, au parlement ou au gouvernement, avec un drapeau « inspiré de valeurs réactionnaires » et des symboles qu’il ne seraient plus portés, en France, selon son reportage, que par « l’extrême droite de Jean-Marie Le Pen ».

Logo PLQ + Paule Robitaille

En attendant, la photo de l’auteure de ce triste reportage apparaitra accompagnée d’un logo qui comprend justement … une fleur de lis; en 1998, on y trouvait un fleurdelisé complet, cet emblème que le plus bruyant des intervenants au reportage a qualifié de « torchon fasciste », sans être contredit****.

Logo PLQ 1998 JPG

 Le logo du PLQ en 1998

______________

* Serge Denis, « Le « Point » qui n’a pas su le faire… »,  Bulletin d’histoire politique, 7, 1 (automne 1998) : 208-210.

**Sur les articles publiés dans les médias en 1997-1998, voir « Le drapeau du Québec et la presse écrite : quand l’historien [l’histoire] en prend un coup… », Bulletin d’histoire politique, 7, 2 (hiver 1999) : 141-145.

*** Un sondage réalisé en 2007 (La Presse, 21 janvier 2007) révélait que 76% des Québécois étaient d’avis que le fleurdelisé est le drapeau de tous les Québécois, 8% seulement le considérant comme  « celui des souverainistes ou des nationalistes ».

**** En janvier 2008, Jean Charest écrivait que le fleurdelisé est « l’un des plus importants fleurons de notre identité nationale ». Pour son successeur, en 2016, « notre drapeau est un symbole de fierté pour toutes les Québécoises et tous les Québécois [...] Témoin de notre riche histoire, il représente l’attachement, le respect et l’inclusion »…

 

 

La fête du mai à Saint-Jean-Port-Joli

[Au Musée de la mémoire vivante, dont l'architecture reproduit l’ancien manoir de Philippe Aubert de Gaspé, les gens de Saint-Jean-Port-Joli et les Arquebusiers de Kébek ont reconstitué aujourd’hui la plantation du mai, une ancienne cérémonie en hommage que l'auteur des Anciens Canadiens a décrite dans son roman en 1863.]

 « Une centaine d’habitants disséminés çà et là par petits groupes [encombraient la cour du manoir]. Leurs longs fusils, leurs cornes à poudre suspendues au cou, leurs casse-têtes passés dans la ceinture, la hache dont ils étaient armés, leur donnaient plutôt l’apparence de gens qui se préparent à une expédition guerrière, que celle de paisibles cultivateurs.

[…] tout était mouvement et activité. Les uns, en effet, étaient occupés à la toilette du mai, d’autres creusaient la fosse profonde dans laquelle il devait être planté, tandis que plusieurs aiguisaient de longs coins pour le consolider. Ce mai était de la simplicité la plus primitive: c’était un long sapin ébranché et dépouillé jusqu’à la partie de sa cime, appelée le bouquet; ce bouquet ou touffe de branches, d’environ trois pieds de longueur, toujours proportionné néanmoins à la hauteur de l’arbre, avait un aspect très agréable tant qu’il conservait sa verdeur; mais desséché ensuite par les grandes chaleurs de l’été, il n’offrait déjà plus en août qu’un objet d’assez triste apparence. […]

Un coup de fusil, tiré à la porte principale du manoir, annonça que tout était prêt. À ce signal, la famille d’Haberville s’empressa de se réunir dans le salon, afin de recevoir la députation que cette détonation faisait attendre. […] Ils étaient à peine placés, que deux vieillards, introduits par le majordome José, s’avancèrent vers le seigneur d’Haberville, et, le saluant avec cette politesse gracieuse, naturelle aux anciens Canadiens, lui demandèrent la permission de planter un mai devant sa porte. Cette permission octroyée, les ambassadeurs se retirèrent et communiquèrent à la foule le succès de leur mission. […].

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Au bout d’un petit quart d’heure, le mai s’éleva avec une lenteur majestueuse au-dessus de la foule, pour dominer ensuite de sa tête verdoyante tous les édifices qui l’environnaient. Quelques minutes suffirent pour le consolider.

20180513_162108Un second coup de feu annonça une nouvelle ambassade; les deux mêmes vieillards, avec leurs fusils au port d’arme, et accompagnés de deux des principaux habitants portant, l’un, sur une assiette de faïence, un petit gobelet d’une nuance verdâtre de deux pouces de hauteur, et l’autre, une bouteille d’eau-de-vie, se présentèrent, introduits par l’indispensable José, et prièrent M. d’Haberville de vouloir bien recevoir le mai qu’il avait eu la bonté d’accepter. Sur la réponse gracieusement affirmative de leur seigneur, un des vieillards ajouta:

– Plairait-il à notre seigneur d’arroser le mai avant de le noircir?

Et sur ce, il lui présente un fusil d’une main, et de l’autre un verre d’eau-de-vie.

– Nous allons l’arroser ensemble, mes bons amis, dit M. d’Haberville en faisant signe à José, qui, se tenant à une distance respectueuse avec quatre verres sur un cabaret remplis de la même liqueur généreuse, s’empressa de la leur offrir. Le seigneur, se levant alors, trinqua avec les quatre députés, avala d’un trait leur verre d’eau-de-vie, qu’il déclara excellente, et, prenant le fusil, s’achemina vers la porte, suivi de tous les assistants. […]

Dès que le seigneur d’Haberville eut noirci le mai en déchargeant dessus son fusil chargé à poudre, on présenta successivement un fusil à tous les membres de sa famille, en commençant par la seigneuresse; et les femmes firent le coup du fusil comme les hommes.

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Ce fut ensuite un feu de joie bien nourri qui dura une bonne demi-heure. On aurait pu croire le manoir assiégé par l’ennemi. Le malheureux arbre, si blanc avant cette furieuse attaque, semblait avoir été peint subitement en noir, tant était grand le zèle de chacun pour lui faire honneur. En effet, plus il se brûlait de poudre, plus le compliment était supposé flatteur pour celui auquel le mai était présenté. »

(Photos Annette Deschênes)

Yves Michaud et la souffrance du peuple juif

Comme l’écrit Jean-M. Salvet, dans Le Soleil du 13 février 2018 (et Marco Bélair-Cirino, en termes similaires dans Le Devoir du 15), Yves Michaud « n’a pas tenu, lors [des] États généraux [de décembre 2000], les propos pour lesquels les parlementaires l’ont blâmé. Ses détracteurs, en conviennent tous aujourd’hui [...] ».

Dans n’importe quelle institution normale, civile, militaire, économique, religieuse, universitaire, gouvernementale, etc., un blâme aussi mal fondé serait retiré. Mais ce n’est pas le cas de l’Assemblée nationale qui se prétend pourtant la première de nos institutions et le fondement de notre système démocratique.

Mieux encore, non satisfaits de l’accusation portée sans aucune preuve en 2000, les « détracteurs » de Michaud en insinuent une autre, 18 ans plus tard : Michaud aurait « minimisé la souffrance du peuple juif dans une entrevue accordée à une radio », selon ce que rapportent, sans plus de détails, les mêmes journalistes.

Affaire Michaud

Qui ? quoi ? où ? quand ? comment ?

L’entrevue en question a été menée par Paul Arcand le 5 décembre 2000 et n’avait suscité aucune réaction publique avant le témoignage de Michaud aux États généraux huit jours plus tard. Cette entrevue portait sur un livre que Michaud venait de publier chez VLB, Paroles d’un homme libre. Il en existe deux transcriptions, l’une rapportée dans La Presse du 19 décembre et une autre préparée par la firme spécialisée Caisse Chartier.

Cette dernière transcription omet fort curieusement de donner le libellé exact de la question qui nous intéresse et se limite aux mots suivants :

« Paul Arcand : (animateur) Passons à autre chose. »

La vraie question, telle que rapportée par La Presse, est la suivante :

« […] est-ce que vous ne sentez pas un désintérêt d’une bonne partie de la population sur la question de la souveraineté et sur la question nationale, des gens qui en ont assez, c’est terminé, passons à autre chose ? »

La réponse est semblable dans les deux transcriptions, à quelques détails près. Voici celle de la firme Caisse Chartier :

« Yves Michaud : (ex-politicien) Bien, je vais vous raconter une anecdote. J’étais… je suis allé chez mon coiffeur il y a à peu près un mois. Il y avait un sénateur libéral, que je ne nommerai pas, qui ne parle pas beaucoup, encore qu’il représente une circonscription française et qui me demande : es-tu toujours séparatiste Yves? J’ai dit, oui. Oui, je suis séparatiste comme tu es Juif. J’ai dit ça prit à ton peuple 2 000 ans pour avoir sa patrie en Israël. J’ai dit moi que ça prenne dix ans, cinquante ans, cent ans de plus, je peux attendre. Alors il me dit que ce n’est pas pareil. Aïe c’est jamais pareil pour eux. Alors j’ai dit c’est pas pareil. Les Arméniens n’ont pas souffert. Les Palestiniens ne souffrent pas. Les Rwandais ne souffrent pas. J’ai dit c’est, c’est toujours vous autres. Vous êtes le seul peuple au monde qui avez souffert dans l’histoire de l’humanité. »

Il est question ensuite de Groulx, de B’nai Brith, de Jean-Louis Roux, de McGill, de révisionnisme, de Galganov, etc., mais rien d’autre sur le peuple juif en tant que tel.

« Minimiser la souffrance du peuple juif? »

La transcription de La Presse permet de rappeler que la question de Paul Arcand ne portait aucunement sur les Juifs, mais sur la pertinence actuelle de la lutte des souverainistes québécois. Avec son anecdote, Michaud compare cette démarche avec celle des Juifs qui ont cherché pendant 2000 ans à se bâtir une patrie et, selon lui, si les Québécois en ont besoin de 100, c’est bien peu de chose, il peut attendre. Son approche n’a évidemment rien de dévalorisant envers les juifs; elle implique au contraire une admiration pour leur persévérance.

Quand le sénateur répond : « ce n’est pas pareil », Michaud s’insurge, car le parlementaire fédéral nie la valeur du combat souverainiste.  : « […] ce n’est pas pareil? Les Arméniens n’ont pas souffert, les Palestiniens ne souffrent pas, les Rwandais ne souffrent pas. J’ai dit : c’est toujours vous autres. Vous êtes le seul peuple au monde qui avez souffert dans l’histoire de l’humanité. »

On notera ici qu’il n’est pas question de la Shoah, mais de luttes nationales respectives des Juifs et des Québécois. Michaud n’accepte pas que la sienne soit banalisée, quelle que soit la valeur de l’autre. S’il avait été convoqué pour se défendre, comme on procède en pareil cas dans les parlements normaux, il aurait pu lire aux députés ce passage de Paroles d’un homme libre (p. 30) :

« On botte les fesses du peuple québécois depuis deux siècles et demi. Ce n’est pas tellement long en comparaison de deux millénaires d’errance du peuple juif, mais cela fait mal tout de même… »

Comment peut-on dire ensuite que Michaud « minimise la souffrance du peuple juif »?

(voir, sur cette question, https://www.septentrion.qc.ca/catalogue/affaire-michaud-l)

Hymne au « Bas de Québec », par François Hertel

Au XIXe siècle, les écrivains issus de la Côte-du-Sud, ou inspirés par ses choses et ses gens, désignaient la région sous le nom qui s’était progressivement imposé depuis les débuts du peuplement. C’est le cas de Casgrain, Aubert de Gaspé, Chauveau, Renault, Montpetit, Taché, Lemoine et probablement de plusieurs autres.

Dans la description du Canada qu’il publie en 1855, Joseph-Charles Taché décrit la Côte-du-Sud comme une « magnifique suite d’établissements » qui est « connue et célèbre dans tout le pays ». Sa Côte-du-Sud s’étend jusqu’à Rimouski.

Chauveau situe son Charles Guérin dans « une de ces riches paroisses de la côte du sud, qui forment une succession si harmonieuse de tous les genres de paysages imaginables, panorama le plus varié qui soit au monde [sic...], et qui ne cesse qu’un peu au-dessus de Québec, où commence à se faire sentir la monotonie du district de Montréal ».

La plupart des auteurs sudcôtois qui ont fait carrière dans la région de Montréal au XXe siècle ne se sont pas intéressés à la Côte-du-Sud dans leurs œuvres et certains ont adopté l’expression « Bas de Québec » pour désigner tout de qui se trouve à l’est de la capitale. Dans Canadiennes d’hier, Élisa Michaud met dans la bouche d’un personnage montréalais l’expression « être bas de Québec » qui signifie quelque chose comme « ancien » ou « vieux jeu ».

Hertel et Academie_canadienne-francaise_8_decembre_1944 WIKI

 (Hertel à l’Académie canadienne-française. Il est debout à droite.)

François Hertel (né Rodolphe Dubé) a utilisé cette expression dans un poème peu connu.

Né à Rivière-Ouelle, le 31 mai 1905, Hertel étudie au Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière et au Séminaire de Trois-Rivières. Entré chez les Jésuites à vingt ans, il reçoit l’ordination sacerdotale en 1938 après avoir obtenu un doctorat en philosophie et en théologie à Rome. Déjà, il a commencé à publier des poèmes, des essais et des romans tout en enseignant la philosophie au Collège Jean-de-Brébeuf.À la fin des années quarante, Hertel quitte les Jésuites et s’installe à Paris. Il fonde et dirige les Éditions de la Diaspora française, et il publie les revues Rythmes et couleurs et Radiesthésie magazine. En 1985, il revient mourir à Montréal.

L’œuvre littéraire de François Hertel comprend une quarantaine de titres, sans compter les articles de revues et les conférences, mais on y trouve très peu de références à sa terre natale, à part quelques poèmes dont Le dortoir des petits (1936) et son Hymne au « Bas-de Québec », qui daterait de la fin des années trente, publié dans Poèmes d’hier et d’aujourd’hui, 1927-1967 (Montréal, Parti-pris, 1967, p. 20-21). 

HYMNE AU « BAS DE QUÉBEC »

Je t’aimais tant, pays de mes jeunes années,
Que j’ai gardé toujours en moi ton souvenir.
Le sort eut beau souffler au vent mes destinées,
Je t’apporte un amour que rien n’a pu ternir.

Vaste plaine à carreaux où les avoines d’or
S’étendent mollement dans leur décor de saules,
Où les troupeaux songeurs que l’équinoxe endort
Vers le ruisseau voisin balancent leurs épaules.

Riv.-Ouelle-réduite

(photo P. Lahoud)

Fleuve où j’allais rêver au vent des promontoires,
Regardant s’écrouler, là-bas, sur les récifs,
Les houles qui giclaient en larges flots de moire
Jusqu’au lointain poudreux des horizons captifs.

Quais aux plançons verdis par les baisers des flots
Où les pêcheurs muets s’estompent dans la brume;
Abordage éperdu des mers aux longs sanglots
Brandissant leurs cheveux éblouissants d’écume.

Plages d’or où les « crans » font des taches plus sombres,
Où la « pêche » « tendue » en zigzags vers la mer
Semble indiquer au loin, passant comme des ombres,
Le morne défilé des élégants steamers.

Anguille-pêche2-GD

Montagnes d’outremer où l’on voit se percher
Des fermes en plein ciel, que la forêt emmure,
Couronnant le sommet des farouches rochers,
Comme des écussons sur l’acier d’une armure.

Et vous, les monts du sud aux versants affaissés,
Comme sous le fardeau obscur des millénaires,
Retraites de fraîcheur d’où les champs assoiffés
Attendent le breuvage haletant des rivières!

Collège de Sainte-Anne, au loin, sur la colline,
Tel une forteresse au milieu d’un jardin,
Tu t’incrustes au cœur des souples mousselines,
Que pointillent de vert les têtes des sapins.

La plaine, de partout, s’entr’ouvre comme un vase,
Entre chaque taillis surgit une maison.
L’Alléluia pensif des clochers en extase
Chemine, harmonieux, au bout de l’horizon.

O pays de lumière et de rusticité,
Où la légende vibre aux humains fraternelle,
Pays que la « jongleuse » a jadis visité,
Où son pied s’est gravé sur la roche éternelle,

Raquettes-Hudon, p. 53 -réduite

(«pistes de raquettes» de la  Jongleuse, selon la légende)

Pays que j’ai quitté, mais que j’aime toujours,
J’aurais voulu fixer tes sites grandioses
En un hymne brûlant comme un premier amour
Où j’aurais pénétré jusqu’à l’âme des choses;

J’aurais voulu graver du burin de mon style,
Dans le bronze des mots, tes contours imprécis…
Hélas, je n’ai tracé qu’une esquisse débile
De ton âme innombrable, ô mon pauvre pays!