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Le discours d’Henri Bourassa au Congrès eucharistique de 1910

Dans son témoignage aux funérailles de Bernard Landry, Lucien Bouchard a évoqué le fameux discours prononcé par Henri Bourassa en réplique à l’archevêque de Westminster, Mgr Bourne, pour qui l’Église ne pourrait gagner les immigrants de l’Ouest canadien « qu’en faisant connaître […] les mystères de notre foi par l’intermédiaire de notre langue anglaise ».On comprend, à la lecture, pourquoi Landry pouvait, dit-on, en réciter de grands bouts de mémoire.

Bourassa

Extraits du discours prononcé par Henri Bourassa :

« […] Nous avons — et permettez, Éminence, qu’au nom de mes compatriotes, je revendique pour eux cet honneur — nous avons les premiers accordé à ceux qui ne partagent pas nos croyances religieuses la plénitude de leur liberté dans l’éducation de leurs enfants (applaudissements). Nous avons bien fait ; mais nous avons acquis par là le droit et le devoir de réclamer la plénitude des droits des minorités catholiques dans toutes les provinces protestantes de la Confédération (acclamations prolongées. L’auditoire fait à l’orateur une longue ovation).[…]

Les catholiques anglais, fiers de leur titre de catholiques et non moins fiers de leurs droits de citoyens britanniques, réclament au nom du droit, de la justice et de la constitution, la liberté d’enseigner à leurs enfants ce qu’ils ont appris eux-mêmes (applaudissements). […]

Sa Grandeur a parlé de la question de langue. Elle nous a peint l’Amérique tout entière comme vouée dans l’avenir à l’usage de la langue anglaise ; et au nom des intérêts catholiques elle nous a demandé de faire de cette langue l’idiome habituel dans lequel l’Évangile serait annoncé et prêché au peuple.

Ce problème épineux rend quelque peu difficiles, sur certains points du territoire canadien. les relations entre catholiques de langue anglaise et catholiques de langue française (mouvement). Pourquoi ne pas l’aborder franchement, ce soir, au pied du Christ, et en chercher la solution dans les hauteurs sublimes de la foi, de l’espérance et de la charité (longues acclamations) ?[…]

Soyez sans crainte, vénérable évêque de Westminster : sur cette terre canadienne, et particulièrement sur cette terre française de Québec, nos pasteurs, comme ils l’ont toujours fait, prodigueront aux fils exilés de votre noble patrie comme à ceux de l’héroïque Irlande, tous les secours de la religion dans la langue de leurs pères, soyez-en certain (applaudissements).

Mais en même temps, permettez-moi — permettez-moi, Éminence — de revendiquer le même droit pour mes compatriotes, pour ceux qui parlent ma langue, non seulement dans cette province, mais partout où il y a des groupes français qui vivent à l’ombre du drapeau britannique, du glorieux étendard étoilé, et surtout sous l’aile maternelle de l’Église catholique (longues acclamations), de l’Église du Christ, qui est mort pour tous les hommes et qui n’a imposé à personne l’obligation de renier sa race pour lui rester fidèle (l’auditoire, debout, fait à l’orateur une longue ovation).

Je ne veux pas, par un nationalisme étroit, dire ce qui serait le contraire de ma pensée — et ne dites pas, mes compatriotes — que l’Église catholique doit être française au Canada. Non mais dites avec moi que, chez trois millions de catholiques, descendants des premiers apôtres de la chrétienté — en Amérique, la meilleure sauvegarde de la foi, c’est la conservation de l’idiome dans lequel, pendant trois cents ans, ils ont adoré le Christ (acclamations).[…]

Mais il y a plus encore. Non pas parce que nous sommes supérieurs à personne, mais parce que, dans ses décrets insondables qu’il n’appartient à personne de juger, la Providence a voulu que le groupe principal de cette colonisation française et catholique constituât en Amérique un coin de terre à part où l’état social, religieux et politique se rapproche le plus de ce que l’Église catholique, apostolique et romaine nous apprend être l’état le plus désirable des sociétés (applaudissements). Nous n’avons pas au Canada — qu’on me pardonne de rompre avec les formules de la diplomatie usitées même en des lieux comme celui-ci (mouvement) — nous n’avons pas au Canada l’union de l’Église et de l’État : ne nous payons pas de mots. Nous avons, dans la province de Québec la concorde, la bonne entente entre les autorités civiles et religieuses. Il est résulté de cette concorde des lois qui nous permettent de donner à l’Église catholique un organisme social et civil qu’elle ne trouve dans aucune autre province du Canada ni dans aucune autre portion de l’Empire britannique (applaudissements).[…]

De cette petite province de Québec, de cette minuscule colonie française, dont la langue, dit-on, est appelée à disparaître (mouvement), sont sortis les trois quarts du clergé de l’Amérique du Nord, qui est venu puiser au séminaire de Québec ou à Saint-Sulpice la science et la vertu qui ornent aujourd’hui le clergé de la grande république américaine, et le clergé de langue anglaise aussi bien que le clergé de langue française du Canada (longs applaudissements).

Éminence, vous avez visité nos communautés religieuses, vous êtes allé chercher dans les couvents, dans les hôpitaux et dans les collèges de Montréal la preuve de la foi et des œuvres du peuple canadien-français. Il vous faudrait rester deux ans en Amérique, franchir cinq mille kilomètres de pays, depuis le Cap-Breton jusqu’à la Colombie-Anglaise, et visiter la moitié de la glorieuse république américaine — partout où la foi doit s’annoncer, partout où la charité catholique peut s’exercer pour retracer les fondations de toutes sortes — collèges, couvents, hôpitaux, asiles — filles de ces institutions-mères que vous avez visitées ici (longs applaudissements). Faut-il en conclure que les Canadiens français ont été plus zélés, plus apostoliques que les autres. Non, mais la Providence a voulu qu’ils soient les apôtres de l’Amérique du Nord (acclamations).

Que l’on se garde, oui, que l’on se garde avec soin d’éteindre ce foyer intense de lumière qui éclaire tout un continent depuis trois siècles ; que l’on se garde de tarir cette source de charité qui va partout consoler les pauvres, soigner les malades, soulager les infirmes, recueillir les malheureux et faire aimer l’Église de Dieu, le pape et les évêques de toutes langues et de toutes races (acclamations prolongées).

« Mais, dira-t-on, vous n’êtes qu’une poignée ; vous êtes fatalement destinés à disparaître ; pourquoi vous obstiner dans la lutte » (mouvement) ? Nous ne sommes qu’une poignée, c’est vrai ; mais ce n’est pas à l’école du Christ que j’ai appris à compter le droit et les forces morales d’après le nombre et par les richesses (longues acclamations). Nous ne sommes qu’une poignée, c’est vrai ; mais nous comptons pour ce que nous sommes, et nous avons le droit de vivre (ovation). »

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Source : Henri BOURASSA, « Le discours de Notre-Dame au Congrès eucharistique de 1910 » Hommage à Bourassa, Montréal, Le Devoir, 1952, 215 p., p. 108-114, reproduit sur le site http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/docs/1910/4.htm.

La devise sur les plaques d’immatriculation : à chacun ses mérites

Une récente édition du magazine Échos-vedettes (16/21 septembre 2018) rendait hommage à Lise Payette et citait notamment le témoignage que sa fille avait publié sur sa page Facebook le 6 septembre : « Elle nous laisse une devise précieuse Je me souviens ».

Lise Payette n’a évidemment pas créé la devise qu’on doit à Eugène-Étienne Taché, architecte de l’Hôtel du Parlement.

On doit plutôt comprendre que Lise Payette serait à l’origine de l’inscription de cette devise sur les plaques d’immatriculation du Québec, ce qui n’est pas plus exact, même si on l’a dit et redit depuis plusieurs années, surtout ces derniers jours.

PLAQUE-DIMMATRICULATION-DU-QUEBEC-1978

Élue en novembre 1976, Lise Payette est aussitôt nommée ministre des Consommateurs, Coopératives et Institutions financières avec le mandat de créer un régime assurance-automobile « sans égard à la faute » (no fault), mission dont elle s’acquitta avec brio, malgré la tempête qu’elle suscita principalement chez les avocats. « Ce n’est pas arrivé par accident. Il y a eu des oppositions à ce mouvement-là », rappelait le premier ministre Couillard dans son hommage, sans préciser quelle lutte acharnée que le parti qu’il dirige avait menée contre cette réforme.

La Loi sur l’assurance automobile a été adoptée en 1977 et mise en application le 1er mars 1978 avec la création de Régie de l’assurance automobile du Québec (RAAQ), devenue par la suite la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

À cette époque, et jusqu’en 1980, l’émission des permis de conduire et des plaques d’immatriculation relevait du Bureau des véhicules automobiles, qui était sous la responsabilité de Lucien Lessard, député de Saguenay et ministre des Transports.

Lessard-miinistre en 1976 (RC)

(Lucien Lessard en novembre 1976)

Dans un communiqué émis le 15 décembre 1976 et cité par au moins quatre quotidiens le lendemain (Soleil, Presse, Nouvelliste, Sherbrooke Record), le ministre Lessard annonçait deux décisions : les plaques de 1977 seraient « de couleur beige avec lettres et chiffres marron » ─ puisqu’il était trop tard pour changer ce que son prédécesseur avait décidé* ─ , mais celles de 1978 présenteraient une modification importante, la devise Je me souviens remplaçant le slogan La belle province.

Devise sur plaques-Presse 16-12-1976

(La Presse, 16 décembre 1976)

Peu de temps avant l’émission de ce communiqué, dans un des premiers caucus des élus péquistes du 15 novembre 1976, Denis Vaugeois avait exprimé son agacement de voir son chèque de paye porter la mention « gouvernement de la province de Québec ». Et puisqu’on y est, avait-il ajouté, il faudrait aussi faire disparaître le slogan publicitaire « la belle province » inscrit sur les plaques d’immatriculation et le remplacer par la devise du Québec.

Vaugeois en 1978, photo Le Devoir)

(Denis Vaugeois en 1978)

Ses collègues n’étaient pas tous convaincus, mais Lucien Lessard, ministre responsable du Bureau des véhicules automobiles, prit la balle au bond et annonça, à peine un moins après l’accession du PQ au pouvoir, que la devise serait sur les plaques dès que possible, ce qui se produira au printemps 1978**.

À ces deux anciens députés, redisons « Je me souviens ».

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*En fait, la plaque de 1977 sera bleue et celle de 1978, la première portant la devise, beige avec lettres et chiffres marron.

** La consultation des procès-verbaux du Conseil exécutif ne permet pas de conclure que cette question a été discutée formellement par les ministres en décembre 1976.

PS: Merci à Denis Vaugeois et Lucien Lessard pour les témoignages ainsi que Raynald Lessard et Judith Mercier pour la recherche de  documents.

Des commandements pour tous

Il était courant, autrefois, de formuler des « commandements » composés sur le modèle des Commandements de Dieu, issus du Décalogue reçu par Moïse au mont Sinaï, selon les traditions bibliques (https://www.paroissestjoseph.org/prieres/extrait-du-catechisme-de-l-eglise-catholique/65-les-10-commandements-de-dieu), ou des sept commandements de l’Église catholique (https://www.paroissestjoseph.org/prieres/extrait-du-catechisme-de-l-eglise-catholique/66-les-sept-commandements-de-l-eglise). C’était une façon de donner des conseils, des lignes de bonne conduite et des directives de toutes sortes, souvent de façon humoristique.

Les commandements fort variés retrouvés dans L’Opinion publique entre 1870 et 1881 donnent un aperçu de cette mode disparue avec la sécularisation de la société.

Le 26 mai 1870, un éditeur probablement agacé par les récriminations d’un abonné donne « Les X commandements de la presse » :

 Commandement-abonnés

Le 28 décembre 1871, c’est le « décalogue d’un étudiant en droit » :

 Commandement-droit

Un autre éditeur emprunte la formule pour donner des conseils aux maniaques des tribunes libres; certains « commandements » 5 février 1880 sont encore d’actualité :

 Commandement-lecteurs

La tempérance était un thème classique pour les auteurs de « commandements ». Ceux-ci datent du 10 mars 1881 :

 Commandement-tempérance

Enfin, publiés le 2 avril 1870, le « Décalogue de l’épouse » et « Les sept commandements de l’époux » témoignent de leur époque…

Commandement-époux-épouse

Un toponyme qui fait jaser : la rue de la Branlette

 (Extrait de Curiosités de la Côte-du-Sud, GID, 2018)

Rang des Belles-Amours, rang de l’Embarras, Trou-à-Pépette… La Côte-du-Sud ne manque pas de toponymes insolites, mais celui qui a fait le plus jaser depuis une quinzaine d’années est probablement « rue de la Branlette », à Saint-Jean-Port-Joli, au point où le panneau a été retiré un certain temps car il était trop souvent vandalisé ou volé!

Branlette JdeQ 2018

 

La rue est au sommet de la première côte de la route de l’Église (204), perpendiculaire à cette dernière.

« La Branlette » a d’abord été le nom d’un coteau boisé, au sud du village, où l’abbé Jean-Julien Verreault et ses amis allait cueillir les petits fruits dans son enfance vers 1905. « Au fond, écrivait-il, c’est la peur qui nous empêchait de dépasser la ‟Branlette”. On racontait que, plus loin, de l’autre côté de ce petit bois, des « courailleux » avaient été vus avec des couteaux entre les dents et… » Le mémorialiste ─ tout comme le journaliste Gérard Ouellet en 1945 ─ nomme le lieu innocemment, sans se douter que le toponyme populaire prendrait plus tard un sens équivoque.

À l’époque des voitures à chevaux, avant la création du réseau de « routes améliorées », cette section de la route qui mène à la station de chemin de fer était cahoteuse et minée par des sources d’eau. Placer des billes de bois en travers de la route, pour la stabiliser, n’améliorait pas vraiment la situation : ceux qui y circulaient « se faisaient secouer et l’on disait qu’ils avaient ‟la Branlette” », d’où le nom de la côte, selon une première hypothèse rapportée par le journaliste local Jean-Guy Toussaint. Une autre source prétend qu’un mendiant s’était construit un « campe » dans cette côte, à la fin du XIXe siècle, et qu’on l’avait surnommé « la Branlette » parce qu’il marchait en boitillant.

Faute de témoignages plus probants, on ne peut aller plus loin, comme la rue, d’ailleurs, qui se termine en cul-de-sac…

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PS : l’espace manquait dans les Curiosités de la Côte-du-Sud pour ajouter un détail qui m’a carrément « ébranlé ».

Si on cherche ce toponyme sur Goggle Street View, ou bien la plaque disparaît, ou bien le nom de la rue est brouillé! Version moderne de « Dieu te voit »?

Branlette -Street view

Un mauvais souvenir de 1998

L’entrée en politique de l’ex-journaliste Paule Robitaille réveille le souvenir de son « fameux » reportage du 5 mars 1998 sur l’histoire du drapeau du Québec, reportage prévu pour les 50 ans du fleurdelisé, en janvier, mais retardé à cause de la crise du verglas.

Ce reportage a suscité de vives réactions et des plaintes à Radio-Canada, dont celle de du professeur François Baby, le 10 mars 1998, une plainte formelle adressée à l’ombudsman de Radio-Canada et accompagnée d’une analyse de contenu de 17 pages (qui avait malheureusement quelques imperfections).

 La plainte de François Baby

À ce « chef-d’œuvre de partialité », Baby reprochait notamment « ses nombreuses affirmations gratuites, simplistes, incomplètes ou fausses, ses simplifications réductrices et quelques fois outrancières même, ses erreurs, ses raccourcis ou télescopages de l’histoire qui faussent complètement tout le contenu ». Il écrivait aussi que des associations « d’une probité intellectuelle plus que douteuse » amenaient même « à suggérer des rapprochements avec les idées de Vichy et surtout avec l’extrême-droite de Le Pen ». « Ce qui reste de ces symboles du fleurdelisé en France, concluait la journaliste, c’est l’extrême-droite de Jean-Marie Le Pen qui les porte ». On pourrait résumer la thèse de l’émission de la manière suivante: le fleurdelisé vient d’une inspiration d’extrême droite; il a été promu par des gens séduits par la France de Vichy; il a survécu à la Révolution tranquille malgré ses « valeurs réactionnaires »; ce qui fait qu’il partage aujourd’hui les fleurs de lis avec Le Pen.

Comme le soulignait le politicologue Serge Denis*, « jamais durant cette émission du Point ne jugea-t-on utile de revenir à la porté hautement symbolique et politique [...] de l’acte même de hisser en 1948 sur le Parlement du Québec [le fleurdelisé], en reléguant aux oubliettes le vieil « Union Jack » de l’Angleterre. » Et Denis concluait ainsi:  « telle que présentée, l’édition du 5 mars du Point n’a pu servir ni à la compréhension des débats politiques et idéologiques, ni à celle de l’histoire du drapeau québécois, tant pour la première que pour la deuxième moitié du XXe siècle ».

Une enquête fut menée sur la plainte de Baby. Selon le résumé qu’en a fait ultérieurement le Conseil de presse, « le rapport de l’ombudsman [de Radio-Canada] ne conclut pas globalement. Mais il reprend les commentaires du plaignant un à un, et les analyses, dans certains cas, après une recherche et une mise en contexte élaborée. Les conclusions vont de la conformité à la politique journalistique de Radio-Canada à la reconnaissance d’erreurs, d’inexactitudes de la part des invités ou de la journaliste et dans certains cas de faiblesses quant à la mise en contexte. » Mais pas assez pour blâmer quiconque.

Baby porta vainement sa cause devant le Conseil de presse qui rendit sa décision deux ans (!) plus tard par la voix de sa Commission d’appel : « Bien que la Commission d’appel reconnaisse que plusieurs inexactitudes à caractère historique se sont glissées dans le traitement de l’émission Le Point, ces erreurs n’altèrent pas, de l’avis des membres de la Commission, le fond même du reportage en cause, en raison de leur caractère mineur ». (https://conseildepresse.qc.ca/decisions/d1999-03-077-2/)

Combien faut-il d’erreurs, de faiblesses et d’inexactitudes pour encourir la réprobation? La réponse la plus sûre est : probablement toujours un peu plus quand c’est la communauté québécoise qui est visée. Ce n’est pas d’aujourd’hui.

Avec le recul…

Le reportage du Point ne fut pas le seul à s’attaquer au fleurdelisé à cette époque**.

Dans un article sans surprises de la Gazette du 23 janvier 1998 (« It’s not my flag – is it yours?»), William Johnson multipliait les erreurs (volontairement?) sur les origines du fleurdelisé.

Dans Cité libre (septembre-octobre 1997), un certain Péclet contestait que le fleurdelisé ait été « adopté à l’unanimité par le peuple », ce qui serait bien un miracle pour n’importe quel drapeau!*** On sait cependant que le Parti libéral et les trois quotidiens anglophones de Montréal avaient appuyé l’initiative de Duplessis. La croix (qu’on trouve aussi en triple exemplaire sur l’Union Jack) fatiguait beaucoup Péclet ainsi que la fleur de lys dont l’histoire serait « bien peu glorieuse », disait-il, car elle aurait servi à marquer les esclaves fugitifs en Nouvelle-France, une affirmation que les études de Marcel Trudel ne peuvent corroborer.

Le plus tristement cocasse de ces dénigreurs du fleurdelisé était cependant un journaliste qui prétendait dans de La Presse du 17 janvier 1998 que le nouvel emblème avait reçu « un accueil plutôt froid, voire même hostile de la part des adversaires du parti au pouvoir, les libéraux ». Or, 25 ans plus tôt (20 janvier 1973), le même journaliste dans le même journal avait décrit l’événement de façon fort différente, citant Adélard Godbout (« La province tout entière se réjouit, car nous pourrons désormais nous rallier autour de ce que nous avons de plus cher ») et rappelant qu’à l’annonce du décret du 21 janvier 1948 « tous les députés, y compris les libéraux, applaudissent à tout rompre » Et il concluait, en 1973: « La satisfaction paraît générale, si l’on fait exception des cercles partisans de l’opposition [...] ». Il aurait pu citer aussi le discours prononcé en 1950 par le chef du Parti libéral, George Marler, lors du débat sur la loi ratifiant le décret de 1948 : « […] nous croyons qu’il répond mieux aux aspirations et aux traditions de la province que tout autre drapeau. Avant même que l’arrêté ministériel fût adopté, le fleurdelisé était passé dans la vie québécoise. […] Les citoyens de langue anglaise ont concouru dans cette unanimité. [...] Et il n’y a pas eu de voix discordante, sauf de la part de fanatiques dont l’opinion ne compte pas du tout ».

Il faut dire qu’à cette époque le fleurdelisé n’était que le drapeau d’une province autonomiste sans ambition de devenir un pays.

Des questions

Les anniversaires du drapeau québécois fournissent naturellement l’occasion d’en parler de façon généreuse, mais certains textes de 1998 avaient un ton inédit. Y a-t-il une explication?

Le contexte était bien différent de celui de 1948. Le référendum de 1995 avait provoqué un vent de panique au Canada et la mise en place de ce qu’on a appelé le « plan B », un ensemble de « mesures » destinées à entraver le mouvement souverainiste, dont le renvoi relatif à la sécession du Québec, le mouvement « partitionniste » soutenu par Trudeau et le fameux programme des commandites lancé en 1996. Les appréciations négatives exprimées dans les médias à l’endroit des symboles d’identité québécoise après 1995 n’étaient peut-être pas fortuites.

Pour ce qui est de l’avenir, on verra comment madame Robitaille pourra cohabiter, au parlement ou au gouvernement, avec un drapeau « inspiré de valeurs réactionnaires » et des symboles qu’il ne seraient plus portés, en France, selon son reportage, que par « l’extrême droite de Jean-Marie Le Pen ».

Logo PLQ + Paule Robitaille

En attendant, la photo de l’auteure de ce triste reportage apparaitra accompagnée d’un logo qui comprend justement … une fleur de lis; en 1998, on y trouvait un fleurdelisé complet, cet emblème que le plus bruyant des intervenants au reportage a qualifié de « torchon fasciste », sans être contredit****.

Logo PLQ 1998 JPG

 Le logo du PLQ en 1998

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* Serge Denis, « Le « Point » qui n’a pas su le faire… »,  Bulletin d’histoire politique, 7, 1 (automne 1998) : 208-210.

**Sur les articles publiés dans les médias en 1997-1998, voir « Le drapeau du Québec et la presse écrite : quand l’historien [l’histoire] en prend un coup… », Bulletin d’histoire politique, 7, 2 (hiver 1999) : 141-145.

*** Un sondage réalisé en 2007 (La Presse, 21 janvier 2007) révélait que 76% des Québécois étaient d’avis que le fleurdelisé est le drapeau de tous les Québécois, 8% seulement le considérant comme  « celui des souverainistes ou des nationalistes ».

**** En janvier 2008, Jean Charest écrivait que le fleurdelisé est « l’un des plus importants fleurons de notre identité nationale ». Pour son successeur, en 2016, « notre drapeau est un symbole de fierté pour toutes les Québécoises et tous les Québécois [...] Témoin de notre riche histoire, il représente l’attachement, le respect et l’inclusion »…