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Gérard Ouellet, historien de Saint-Jean-Port-Joli (1906-1981)

Gérard Ouellet est né à Saint-Jean-Port-Joli, le 26 novembre 1906, du mariage d’Elzéar Ouellet et d’Hermine Fortin. Il a été baptisé le même jour sous le nom de « Joseph Gérard Hormidas » et parrainé par ses grands-parents, Alfred « Ouellette » et Louise Fournier. Selon l’acte de baptême, le père est « journalier », mais il avait été identifié comme « cuisinier » au recensement de 1901 et sera décrit comme « restaurateur » en 1911.

Gérard Ouellet étudie d’abord au couvent des sœurs de Saint-Joseph de Saint-Vallier, à Saint-Jean-Port-Joli (1912-1918), puis à l’école Sacré-Cœur (qui deviendra l’école Lagueux une fois reconstruite après l’incendie de 1921), une institution de Saint-Roch de Québec dirigée par les Frères des Écoles chrétiennes (novembre 1918-juin 1919). Il entreprend ses études classiques au Petit Séminaire de Québec (1919-1922), mais c’est au Collège de Lévis qu’il obtient son baccalauréat ès arts en juin 1928.

« À l’époque, écrira-t-il dans son Histoire de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (1973), l’Université n’est guère accessible à toutes les classes » et c’est probablement pourquoi le nouveau bachelier ne poursuit pas ses études au niveau universitaire. Le 31 août 1928, il devient plutôt journaliste à L’Événement, sur la rue de la Fabrique, un journal québécois de tendance libérale où il est initié à la chronique politique par Edmond Chassé. Ouellet passe ensuite à L’Action catholique, rue Sainte-Anne, le 5 novembre 1934.

C’est pendant la dizaine d’années passée à L’Action que Gérard Ouellet commence à s’intéresser à l’histoire de Saint-Jean Port-Joli. Ouellet a connu Arthur Fournier, un coparoissien du « bout des Bourgault » qui a réuni des notes d’histoire paroissiale dans un de ses ouvrages « clavigraphiés », le Mémorial de Saint-Jean Port-Joli; il sait que le frère Sigismond (né Achille Chouinard, 1870-1967), un autre coparoissien, a récupéré la « bibliothèque clavigraphique » de Fournier et s’est assuré qu’elle soit conservée par sa communauté (les Frères des Écoles chrétiennes), à Québec, tout en réservant le Mémorial aux archives de la fabrique de Saint-Jean-Port-Joli. Ce document constituera une source d’information précieuse pour Ouellet qui se fait la main comme historien local en publiant plusieurs textes sur Saint-Jean-Port-Joli dans le supplément dominical que L’Action livre avec son édition du samedi : « Dans les rayons d’un phare à Saint-Jean-Port-Joli » (10 octobre 1937), « À l’ombre de mon clocher » (13 mars 1938), « Du manoir de Gaspé à la tombe de Calixa Lavallée fils » (21 février 1943), « Comment Henriette eut une grand-messe pour le repos de son âme… » (5 décembre 1943, sur le quêteux Servule Dumas), « Registrateurs et notaires » (16-23 avril 1944). On devine qu’il a consacré bien des loisirs à ses recherches historiques puisqu’il termine, à l’automne 1945, une monographie de son village natal qui est éditée aux éditions des Piliers en février 1946 sous le titre Ma paroisse, Saint-Jean-Port-Joly.

Ma paroisse

La publication de Ma paroisse coïncide avec une réorientation de carrière. Le 19 septembre 1945, Gérard Ouellet est nommé « chef de la publicité au ministère de la Colonisation ». Au tournant des années 1950, on le trouve aux quatre coins du Québec, de l’Abitibi à la Gaspésie et de la Beauce à la Baie James, prenant lui-même des photographies pour illustrer les publications du ministère et vanter le progrès de la colonisation.

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Quelques publications du ministère portent explicitement sa signature, dont Aux marches du Royaume de Matagami (Rochebaucourt) (1947), Hier à Palmarolle : une histoire merveilleuse (1947), Un royaume vous attend, l’Abitibi (1950), Sainte-Monique de Rollet, ou, La Rivière solitaire (1958).

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De 1958 à 1964, Gérard Ouellet travaille successivement aux Ressources hydrauliques, aux Travaux publics et au Travail, à titre de chef de l’information. En juillet 1965, il passe à la Régie des rentes où il a été vraisemblablement attiré par un de ses amis, Me Wheeler Dupont, qui est membre du conseil d’administration de cette institution.

Ouellet prend officiellement sa retraite le 26 novembre 1971, soit à 65 ans, mais il est déjà dans une sorte de préretraite depuis l’année précédente et réside à Saint-Jean-Port-Joli, dans la propriété de ses grands-parents, à deux pas de la maison natale.

Retiré dans sa paroisse, l’ancien fonctionnaire continue à s’intéresser à l’histoire. En 1970, il est le principal rédacteur de l’ouvrage intitulé Au fil d’un premier siècle – Sainte-Félicité de Matane, 1870-1970. En 1973, il publie Histoire de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 1672-1972. Il a aussi laissé divers écrits ici et là, dont un« Hommage à ma paroisse », dans le programme du « pageant » de 1949, un feuillet sur le chanoine Joseph Fleury (1969) et un « Hommage à Jean-Julien Bourgault » (Québec-Histoire, automne 1972).

Homme engagé sur plusieurs plans, Gérard Ouellet a été président de la Tribune de la presse, président du premier syndicat à L’Action catholique, membre de la Société des écrivains, un des membres-fondateurs du club Richelieu et président-fondateur du Club de l’âge à Saint-Jean-Port-Joli. Patriote militant, il a œuvré au sein de la Société Saint-Jean-Baptiste, à Québec et dans le diocèse de Sainte-Anne, ainsi que dans l’Ordre de Jacques-Cartier.

Ouellet, Gérard

Gérard Ouellet a été inhumé dans le cimetière de Saint-Jean-Port-Joli le 17 novembre 1981 ; il avait épousé Cécilia Trottier, le 22 juin 1936, et, en secondes noces, Simone Gagnon, le 8 octobre 1960.

 

Pinocchio au Sénat

Dans un texte diffusé par la Presse canadienne le 19 mars (http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201603/18/01-4962248-futur-senateur-andre-pratte-espere-eviter-le-piege-du-mensonge-en-politique.php), on raconte qu’André Pratte, maintenant sénateur, a décortiqué le thème du mensonge en politique « dans un essai intitulé Le syndrome de Pinocchio – un ouvrage qui a fait beaucoup de vagues en 1997 et qui a même valu à son auteur une motion de blâme à l’Assemblée nationale ».

Ce blâme, qu’on a faussement invoqué comme précédent lors de l’affaire Michaud, est une légende.

Comme je l’ai expliqué dans L’Affaire Michaud (http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/affaire-michaud-l), la motion du 19 mars 1997, se lisait comme suit : « QUE les membres de cette Assemblée déplorent les propos, le thème et les procédés de l´émission « Un jour à la fois », diffusée au réseau TVA le 17 mars 1997, lesquels discréditaient l´ensemble des hommes et des femmes élus et candidats à tous les niveaux de gouvernement, scolaire et municipal, provincial et fédéral ».

Pinocchio

C’est l’émission de TVA qui était visée et non Le syndrome de Pinocchio ou son auteur. L’éditeur d’André Pratte a quand même fait ajouter un bandeau portant la mention « Le livre qui a fait réagir l’Assemblée nationale », ce qui a contribué à construire une légende que l’éditorialiste de Gesca a entretenue et que le nouveau sénateur se garde bien de démentir.

Un Jour de l’an remarquable

Notre janvier exceptionnel n’est pas sans précédent, comme on pourra le constater en lisant cet extrait de L’Opinion publique du 17 janvier 1878:

« SOUVENIRS DU JOUR DE L’AN 1878

Nous publions, cette semaine, une combinaison de dessins représentant les scènes qui feront du premier janvier 1878 le Jour de l’an le plus remarquable dans les annales du Canada. Pour cette raison, notre dessin mérite d’être soigneusement conservé. En premier lieu, nous y voyons Jean-Baptiste Canadien, un Indien de Caughnawaga, et ses deux compagnons franchissant, dans un frêle canot, les dangereux rapides de Lachine.

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Partis du village Caughnawaga, à onze heures de l’avant-midi, le jour de l’en, ils arrivaient au bassin Jacques-Cartier vers midi et demi. Les noms des deux compagnons du célèbre guide sauvage sont Jean Stécé, autre Indien, et Charles D’Amour, Canadien-français de la paroisse de Sainte-Philomène. En arrivant au bassin Jacques-Cartier, les téméraires aventuriers furent chaudement accueillis par des centaines de curieux qui s’étaient rendus au port pour être témoins de ce fait unique jusqu’ici dans l’histoire de notre navigation. Une collecte fut faite sur les lieux pour les braves canotiers, ainsi qu’au St. Lawrence Hall, où ils furent ensuite conduits. C’est alors que Jean-Baptiste Canadien éprouva la plus orgueilleuse sensation que sa nature d’Indien pût ressentir, en apprenant, par dépêche télégraphique, à sa sauvagesse et à toutes les sauvagesses de Caughnawaga, son heureuse arrivée en ville.

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Un autre dessin représente le voyage de plaisir à Boucherville par le bateau-à-vapeur Longueuil. Environ 600 personnes prirent part à cette excursion, plus pour la nouveauté de la chose que pour le plaisir, car le vent soufflait très fort et le froid était intense.

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Un troisième dessin représente une course entre plusieurs chaloupes, sous la direction de Joe Vincent, depuis le quai Bonsecours jusqu’au quai de Saint-Lambert.

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Au quatrième plan, on voit un laboureur de Saint-Bruno traçant un sillon en l’honneur du jour.

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Le cinquième dessin représente des moutons broutant l’herbe et trouvant encore leur nourriture sur le versant oriental de la montagne.

Les deux autres dessins n’ont pas besoin d’explication ».

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Grignon et le cardinal : une autre belle histoire?

En entrevue au Journal de Montréal, la nouvelle Donalda raconte que l’auteur de la série des Pays d’en haut, « savait que Claude-Henri Grignon avait subi l’influence de l’Église au moment d’écrire son roman, au début des années 1930. Ce dernier aurait reçu plusieurs lettres du cardinal Léger, alors prêtre, lui demandant de dépeindre Donalda en épouse soumise, histoire qu’elle «montre l’exemple» aux femmes » (http://www.journaldemontreal.com/2016/01/07/la-transformation-de-donalda).

Paul-Émile Léger aurait contribué à la « censure » de l’œuvre de Grignon dans les années 1930, une intervention qui aurait échappé à l’étude très fouillée faite par Sirois et Francoli dans l’édition critique parue aux PUM en 1986? Intriguant. Est-ce qu’on entre ici en pleine légende?

Grignon 2

Dans Un homme et son péché, publié en 1933, Grignon définit le caractère d’une Donalda qui sera « soumise, chrétienne, obéissante » (1938). Il expliquera plus tard (dans un texte inédit publié par Sirois et Francoli) qu’elle ne constituait pas une exception. « Combien de mères de famille, combien d’épouses depuis des siècles se sont mariées sans aimer. Elles ne se plaignaient pas. Elles ne se révoltaient pas. Réfugiées dans le silence et la prière, elles trouvaient la force de résister à toutes les tentations […] Aujourd’hui, dans notre temps troublé, dans ce siècle de tumulte et de désordre, la femme, pour un oui ou pour un non, se révolte, se sépare et croit trouver le salut dans le divorce (cette invention de Satan) ». Celui qui, dit-on, « s’intéressait aux débuts du féminisme [?] » (L’Actualité, février 2016, page 55) se riait « des bas-bleus indécrottables, des femmes de lettres [qui] ont moqué et moqueront toujours Donalda pour la raison bien simple qu’elles n’entendent rien à cette grande mystique qui fut un personnage réel ».

Grignon 1

La Donalda du roman ne sera pas fondamentalement différente dans la série radio qui débute en 1938 et dans la série télé qui suit en 1956. Grignon n’avait pas besoin des clercs pour le guider dans sa confection d’un rôle de femme « modèle » et à quel titre l’abbé Léger aurait-il pu influencer un auteur qui écrit seul dans un grenier de Saint-Adèle dans les années trente?

Au moment où Grignon écrit, Paul-Émile Léger est jeune prêtre à Paris. Ordonné en 1929, il a ensuite étudié à l’Institut catholique et enseigné au Séminaire Saint-Sulpice jusqu’en 1933. Il quitte alors Paris pour le Japon où il fonde un séminaire et ne revient au Canada qu’en 1939.

Grignon 3

Paul-Émile Léger serait intervenu, une fois devenu cardinal (après 1953), pour guider Grignon dans la redéfinition d’un « caractère » déjà bien établi depuis vingt ans? S’il y a quelque chose, Donalda fait moins misérable à la télé que dans le roman où elle disparaissait rapidement.

PS (le 7 février 2016): échange sur cette question sur la page FB d’Éric Bédard avec un neveu de Grignon:

Gaston Deschênes Savez-vous à quel endroit l’auteur de la série aurait vu des lettres du Cardinal Léger adressées à CH Grigon? Je suis très intrigué par cette correspondance qui a échappé aux biographes de Léger et aux auteurs de l’édition critique de Un homme… en ’86.
Pierre Grignon Deux lettres du cardinal Léger existent bel et bien et qui faisaient partie des papiers de Claude-Henri Grignon dans les documents personnels qui m’ont été légués. L’une portait sur le modèle de femme chrétienne que Donalda devait continuer à inspirer, l’autre sur la fin du conflit entre le Chapelet et UN HOMME ET SON PÉCHÉ à la même heure à la radio. Je les publierai en temps et lieux.
Gaston Deschênes  Ce que j’ai lu à ce sujet, avant la diffusion de la série actuelle, dans plusieurs articles, laissait croire que le cardinal était intervenu dans les années ’30; que « des » lettres avaient influencé Grignon dans la construction du personnage de Donalda; et que, jointes à la pub qui parle de « version non censuré », ces lettres expliqueraient la « censure » des versions antérieures. Je pense que la publication des lettres dont vous parlez permettrait de mieux se faire une idée. Ce que j’ai lu de CHG me porte à penser qu’il était peu influençable et libre d’esprit.”

 

« Chapleau fait son jour de l’An »

Il y a 85 ans, Ovila Légaré enregistrait une chanson folklorique qui deviendra un classique du temps des Fêtes et se hissera même au quinzième rang du palmarès en 1951, Chapleau fait son jour de l’An. Jour de l'an 1881-départ

Ovila Légaré  

Né à Montréal le 21 juillet 1901, Ovila Légaré gagnait sa vie comme étalagiste et concepteur d’affiches pour des magasins de la rue Sainte-Catherine mais se passionnait pour le folklore, probablement influencé par des grands-parents amateurs de ce genre musical.

Au début des années 1920, il rencontre Conrad Gauthier et Charles Marchand dans les « Soirées de familles » organisées par Édouard-Zotique Massicotte au Monument National ; il participe ensuite aux « Veillées du bon vieux temps » animées par Gauthier.

Chapleau Ovila Légaré

À la même époque, Légaré s’initie au métier d’acteur qu’il exercera ensuite pendant un demi-siècle au théâtre, à la radio, à la télévision et au cinéma. En 1927, il tient un rôle dans Jos Montferrand au Monument National et il chante en deuxième partie du spectacle, ce qui lance sa carrière de folkloriste.

La même année, il enregistre son premier 78 tours (Pierrot n’a pas d’culottes / Brasse ton petit sac de blé) et, au tournant des années trente, il en produit des dizaines chez la compagnie montréalaise Starr dont ses grands succès, Dans l’temps du Jour de l’An, La Bastringue et Chapleau fait son Jour de l’An.

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Cette dernière chanson est enregistrée à l’automne 1930 et lancée au début de 1931. Légaré est « accompagné à la guimbarde et à l’harmonica » par La Bolduc qui est entrée dans la troupe des « Veillées » de Gauthier par l’entremise de Légaré et y participe comme musicienne.

L’œuvre est souvent attribuée à Légaré mais ce serait étonnant puisque l’étiquette du disque mentionne qu’il s’agit d’une « vieille chanson » et que Légaré n’avait alors que 30 ans. L’a-t-il recueillie auprès de ses acolytes des « Soirées de familles » ou des « Veillées du bon vieux temps » ? L’a-t-il obtenue de Marius Barbeau ? Le mystère qui entoure les origines de cette chanson est commun à bien d’autres œuvres folkloriques interprétées par Légaré dont la fameuse Des mitaines pas d’pouces identifiée elle aussi comme « vieille chanson ».

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Une satire sur Adolphe Chapleau?

Ce serait aussi plus logique de voir cette chanson apparaître dans les dernières décennies du XIXe siècle car il s’agirait là d’une satire dirigée contre Adolphe Chapleau (1840-1898), avocat et homme politique québécois. Premier ministre du Québec de 1879 à 1882, Chapleau passe ensuite au niveau fédéral, une expérience dont il sortira déçu, parce que MacDonald n’en fera pas son lieutenant, et discrédité politiquement à la suite des positions de son parti dans l’affaire Riel et le dossier des écoles du Manitoba. Il terminera sa carrière comme lieutenant-gouverneur du Québec de 1892 à 1898.

Jour de l'an 1881-vingtième

La chanson popularisée par Légaré met en scène un Chapleau qui fait ses visites du Jour de l’an. Après quelques visites bien arrosées, il en perd son chapeau et ses mitaines, sa carriole prend le champ et c’est un bon Samaritain qui le monte dans son berlot et l’amène chez lui où il cuve son vin pendant deux jours, « la tête lourde, la bouche épaisse »…

Adolphe Chapleau avait effectivement une réputation de bon vivant. Dans le troisième tome de son Histoire de la province de Québec, Rumilly évoque les mœurs sociopolitiques de la fin du XIXe siècle :

« La plupart de ces hommes, ayant de très beaux dons d’intelligence, étaient fils ou petits-fils de cultivateurs. Ils avaient attelé des chevaux et braconné dans les bois avant d’apprendre le latin. […] Robustes, ils mordaient dans la vie à pleines dents; c’étaient de gros mangeurs (après la perdrix, la tourtière, après la tourtière, les pattes de cochon, après les pattes de cochon, les beignes!), de gros buveurs et de gros travailleurs. Plus d’un brûlait la chandelle par les deux bouts. Montréal et Québec comptaient des restaurants dont la cuisine et la cave, justement réputées, attiraient ces gourmets qui étaient aussi des gourmands. Et, par exemple, chez le vieux Français Ollivon […], Raymond Préfontaine [député à Québec et Ottawa, ministre fédéral, maire de Montréal] discutait avec le gros Mousseau [député à Québec et Ottawa, ministre fédéral, premier ministre à Québec], non pas de l‘abolition ou du maintien du Conseil législatif, mais de la saveur comparée des divers apéritifs. Dansereau, le fort gaillard qui pouvait boire deux bouteilles de cognac par jour sans que cela parût trop […], trinquait avec Arthur Buies, toujours maigre et gueux, ou bien avec Hector Berthelot ou bien avec Fréchette [poète, greffier du Conseil législatif]. Chapleau et Mercier se tutoyaient, et il arrivait qu’on invitât le curé Labelle auprès de qui les plus gros mangeurs semblaient avoir des appétits d’enfants! »

Chapleau Adolphe - caricature

Chapleau fait son Jour de l’An

Le texte de la chanson est ici transcrit d’après l’enregistrement de 1930 sur étiquette Starr. Il en existe évidemment plusieurs versions. À la première strophe, où il est question d’un individu (ou d’un restaurant?) nommé Batifiole, un interprète invité à « Soirées canadiennes » a plutôt chanté « en sortant sa petit’ fiole », ce qui serait bien de circonstance. Par ailleurs, à la dernière ligne du deuxième couplet, plusieurs ont compris « Pis y était comm’ un croxignole » mais ce serait plutôt « Piété comm’ un croxignole, « piété » étant un canadianisme signifiant « habillé luxueusement ».

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Chapleau fait son Jour de l’An

(« vieille chanson avec violon et musique à bouche »)

- 1 -
En sortant d’chez Ferdinand
Chapleau s’sent le cœur content
Mais en sortant d’chez Batifiole
Plus il va, plus il caracole.

(Refrain)
Fu, fu, fu, mais c’pendant
Les pieds plus légers qu’la tête
Fu, fu, fu, mais c’pendant
Chapleau fait son Jour de l’An.

- 2 -
Le jour de l’an au matin
Mit l’effronté su’l'chemin
Il embarque dans sa carriole
Piété* comm’ un croxignole**.
- 3 -
Il échappe son chapeau
Son ch’val cré qu’c'est un siau d’eau
Il échappe ses mitaines
Son ch’val cré que c’est d’l'avoine.
- 4 -
En r’virant au bout du rang
Son ch’val prend le mors aux dents
Chapleau r’vole de d’sus son siège
À quatr’ patt’ dans un banc d’neige.
- 5 -
Anthime qui vient à passer
S’en vient pour le ramasser
Il tire par son fond d’culottes
Et dans son barlot l’emporte.
- 6 -
Chez lui sa femme l’a couché
Après l’avoir déchaussé
Il dormit quarante-huit heures
Sans grouiller dans sa demeure.
- 7 -
Au bout d’la deuxième journée
Il commence à s’étirer
Il se sent mal à son aise
La tête lourde, la bouche épaisse.

(Dernier refrain)
Fu, fu, fu, mais c’pendant
Les pieds plus légers qu’la tête
Fu, fu, fu, mais c’pendant
Il a fait son Jour de l’An.
——-

* Habillé avec luxe
**Ou croquignole, sorte de beignet.

Jour de l'an 1881-retour

On peut écouter Chapleau fait son Jour de l’An sur plusieurs sites :