Archives pour la catégorie Histoire

Un Jour de l’an remarquable

Notre janvier exceptionnel n’est pas sans précédent, comme on pourra le constater en lisant cet extrait de L’Opinion publique du 17 janvier 1878:

« SOUVENIRS DU JOUR DE L’AN 1878

Nous publions, cette semaine, une combinaison de dessins représentant les scènes qui feront du premier janvier 1878 le Jour de l’an le plus remarquable dans les annales du Canada. Pour cette raison, notre dessin mérite d’être soigneusement conservé. En premier lieu, nous y voyons Jean-Baptiste Canadien, un Indien de Caughnawaga, et ses deux compagnons franchissant, dans un frêle canot, les dangereux rapides de Lachine.

Janvier 1878-11

Partis du village Caughnawaga, à onze heures de l’avant-midi, le jour de l’en, ils arrivaient au bassin Jacques-Cartier vers midi et demi. Les noms des deux compagnons du célèbre guide sauvage sont Jean Stécé, autre Indien, et Charles D’Amour, Canadien-français de la paroisse de Sainte-Philomène. En arrivant au bassin Jacques-Cartier, les téméraires aventuriers furent chaudement accueillis par des centaines de curieux qui s’étaient rendus au port pour être témoins de ce fait unique jusqu’ici dans l’histoire de notre navigation. Une collecte fut faite sur les lieux pour les braves canotiers, ainsi qu’au St. Lawrence Hall, où ils furent ensuite conduits. C’est alors que Jean-Baptiste Canadien éprouva la plus orgueilleuse sensation que sa nature d’Indien pût ressentir, en apprenant, par dépêche télégraphique, à sa sauvagesse et à toutes les sauvagesses de Caughnawaga, son heureuse arrivée en ville.

Janvier 1878-12

Un autre dessin représente le voyage de plaisir à Boucherville par le bateau-à-vapeur Longueuil. Environ 600 personnes prirent part à cette excursion, plus pour la nouveauté de la chose que pour le plaisir, car le vent soufflait très fort et le froid était intense.

Janvier 1878-13

Un troisième dessin représente une course entre plusieurs chaloupes, sous la direction de Joe Vincent, depuis le quai Bonsecours jusqu’au quai de Saint-Lambert.

Janvier 1878-14

Au quatrième plan, on voit un laboureur de Saint-Bruno traçant un sillon en l’honneur du jour.

Janvier 1878-15

Le cinquième dessin représente des moutons broutant l’herbe et trouvant encore leur nourriture sur le versant oriental de la montagne.

Les deux autres dessins n’ont pas besoin d’explication ».

Janvier 1878-17Janvier 1878-16

 

Grignon et le cardinal : une autre belle histoire?

En entrevue au Journal de Montréal, la nouvelle Donalda raconte que l’auteur de la série des Pays d’en haut, « savait que Claude-Henri Grignon avait subi l’influence de l’Église au moment d’écrire son roman, au début des années 1930. Ce dernier aurait reçu plusieurs lettres du cardinal Léger, alors prêtre, lui demandant de dépeindre Donalda en épouse soumise, histoire qu’elle «montre l’exemple» aux femmes » (http://www.journaldemontreal.com/2016/01/07/la-transformation-de-donalda).

Paul-Émile Léger aurait contribué à la « censure » de l’œuvre de Grignon dans les années 1930, une intervention qui aurait échappé à l’étude très fouillée faite par Sirois et Francoli dans l’édition critique parue aux PUM en 1986? Intriguant. Est-ce qu’on entre ici en pleine légende?

Grignon 2

Dans Un homme et son péché, publié en 1933, Grignon définit le caractère d’une Donalda qui sera « soumise, chrétienne, obéissante » (1938). Il expliquera plus tard (dans un texte inédit publié par Sirois et Francoli) qu’elle ne constituait pas une exception. « Combien de mères de famille, combien d’épouses depuis des siècles se sont mariées sans aimer. Elles ne se plaignaient pas. Elles ne se révoltaient pas. Réfugiées dans le silence et la prière, elles trouvaient la force de résister à toutes les tentations […] Aujourd’hui, dans notre temps troublé, dans ce siècle de tumulte et de désordre, la femme, pour un oui ou pour un non, se révolte, se sépare et croit trouver le salut dans le divorce (cette invention de Satan) ». Celui qui, dit-on, « s’intéressait aux débuts du féminisme [?] » (L’Actualité, février 2016, page 55) se riait « des bas-bleus indécrottables, des femmes de lettres [qui] ont moqué et moqueront toujours Donalda pour la raison bien simple qu’elles n’entendent rien à cette grande mystique qui fut un personnage réel ».

Grignon 1

La Donalda du roman ne sera pas fondamentalement différente dans la série radio qui débute en 1938 et dans la série télé qui suit en 1956. Grignon n’avait pas besoin des clercs pour le guider dans sa confection d’un rôle de femme « modèle » et à quel titre l’abbé Léger aurait-il pu influencer un auteur qui écrit seul dans un grenier de Saint-Adèle dans les années trente?

Au moment où Grignon écrit, Paul-Émile Léger est jeune prêtre à Paris. Ordonné en 1929, il a ensuite étudié à l’Institut catholique et enseigné au Séminaire Saint-Sulpice jusqu’en 1933. Il quitte alors Paris pour le Japon où il fonde un séminaire et ne revient au Canada qu’en 1939.

Grignon 3

Paul-Émile Léger serait intervenu, une fois devenu cardinal (après 1953), pour guider Grignon dans la redéfinition d’un « caractère » déjà bien établi depuis vingt ans? S’il y a quelque chose, Donalda fait moins misérable à la télé que dans le roman où elle disparaissait rapidement.

PS (le 7 février 2016): échange sur cette question sur la page FB d’Éric Bédard avec un neveu de Grignon:

Gaston Deschênes Savez-vous à quel endroit l’auteur de la série aurait vu des lettres du Cardinal Léger adressées à CH Grigon? Je suis très intrigué par cette correspondance qui a échappé aux biographes de Léger et aux auteurs de l’édition critique de Un homme… en ’86.
Pierre Grignon Deux lettres du cardinal Léger existent bel et bien et qui faisaient partie des papiers de Claude-Henri Grignon dans les documents personnels qui m’ont été légués. L’une portait sur le modèle de femme chrétienne que Donalda devait continuer à inspirer, l’autre sur la fin du conflit entre le Chapelet et UN HOMME ET SON PÉCHÉ à la même heure à la radio. Je les publierai en temps et lieux.
Gaston Deschênes  Ce que j’ai lu à ce sujet, avant la diffusion de la série actuelle, dans plusieurs articles, laissait croire que le cardinal était intervenu dans les années ’30; que « des » lettres avaient influencé Grignon dans la construction du personnage de Donalda; et que, jointes à la pub qui parle de « version non censuré », ces lettres expliqueraient la « censure » des versions antérieures. Je pense que la publication des lettres dont vous parlez permettrait de mieux se faire une idée. Ce que j’ai lu de CHG me porte à penser qu’il était peu influençable et libre d’esprit.”

 

« Chapleau fait son jour de l’An »

Il y a 85 ans, Ovila Légaré enregistrait une chanson folklorique qui deviendra un classique du temps des Fêtes et se hissera même au quinzième rang du palmarès en 1951, Chapleau fait son jour de l’An. Jour de l'an 1881-départ

Ovila Légaré  

Né à Montréal le 21 juillet 1901, Ovila Légaré gagnait sa vie comme étalagiste et concepteur d’affiches pour des magasins de la rue Sainte-Catherine mais se passionnait pour le folklore, probablement influencé par des grands-parents amateurs de ce genre musical.

Au début des années 1920, il rencontre Conrad Gauthier et Charles Marchand dans les « Soirées de familles » organisées par Édouard-Zotique Massicotte au Monument National ; il participe ensuite aux « Veillées du bon vieux temps » animées par Gauthier.

Chapleau Ovila Légaré

À la même époque, Légaré s’initie au métier d’acteur qu’il exercera ensuite pendant un demi-siècle au théâtre, à la radio, à la télévision et au cinéma. En 1927, il tient un rôle dans Jos Montferrand au Monument National et il chante en deuxième partie du spectacle, ce qui lance sa carrière de folkloriste.

La même année, il enregistre son premier 78 tours (Pierrot n’a pas d’culottes / Brasse ton petit sac de blé) et, au tournant des années trente, il en produit des dizaines chez la compagnie montréalaise Starr dont ses grands succès, Dans l’temps du Jour de l’An, La Bastringue et Chapleau fait son Jour de l’An.

Jonathan Fortierscanner: epson expression 1640xlpc: pc065135

Cette dernière chanson est enregistrée à l’automne 1930 et lancée au début de 1931. Légaré est « accompagné à la guimbarde et à l’harmonica » par La Bolduc qui est entrée dans la troupe des « Veillées » de Gauthier par l’entremise de Légaré et y participe comme musicienne.

L’œuvre est souvent attribuée à Légaré mais ce serait étonnant puisque l’étiquette du disque mentionne qu’il s’agit d’une « vieille chanson » et que Légaré n’avait alors que 30 ans. L’a-t-il recueillie auprès de ses acolytes des « Soirées de familles » ou des « Veillées du bon vieux temps » ? L’a-t-il obtenue de Marius Barbeau ? Le mystère qui entoure les origines de cette chanson est commun à bien d’autres œuvres folkloriques interprétées par Légaré dont la fameuse Des mitaines pas d’pouces identifiée elle aussi comme « vieille chanson ».

Chapleau Adolphe-gravure

Une satire sur Adolphe Chapleau?

Ce serait aussi plus logique de voir cette chanson apparaître dans les dernières décennies du XIXe siècle car il s’agirait là d’une satire dirigée contre Adolphe Chapleau (1840-1898), avocat et homme politique québécois. Premier ministre du Québec de 1879 à 1882, Chapleau passe ensuite au niveau fédéral, une expérience dont il sortira déçu, parce que MacDonald n’en fera pas son lieutenant, et discrédité politiquement à la suite des positions de son parti dans l’affaire Riel et le dossier des écoles du Manitoba. Il terminera sa carrière comme lieutenant-gouverneur du Québec de 1892 à 1898.

Jour de l'an 1881-vingtième

La chanson popularisée par Légaré met en scène un Chapleau qui fait ses visites du Jour de l’an. Après quelques visites bien arrosées, il en perd son chapeau et ses mitaines, sa carriole prend le champ et c’est un bon Samaritain qui le monte dans son berlot et l’amène chez lui où il cuve son vin pendant deux jours, « la tête lourde, la bouche épaisse »…

Adolphe Chapleau avait effectivement une réputation de bon vivant. Dans le troisième tome de son Histoire de la province de Québec, Rumilly évoque les mœurs sociopolitiques de la fin du XIXe siècle :

« La plupart de ces hommes, ayant de très beaux dons d’intelligence, étaient fils ou petits-fils de cultivateurs. Ils avaient attelé des chevaux et braconné dans les bois avant d’apprendre le latin. […] Robustes, ils mordaient dans la vie à pleines dents; c’étaient de gros mangeurs (après la perdrix, la tourtière, après la tourtière, les pattes de cochon, après les pattes de cochon, les beignes!), de gros buveurs et de gros travailleurs. Plus d’un brûlait la chandelle par les deux bouts. Montréal et Québec comptaient des restaurants dont la cuisine et la cave, justement réputées, attiraient ces gourmets qui étaient aussi des gourmands. Et, par exemple, chez le vieux Français Ollivon […], Raymond Préfontaine [député à Québec et Ottawa, ministre fédéral, maire de Montréal] discutait avec le gros Mousseau [député à Québec et Ottawa, ministre fédéral, premier ministre à Québec], non pas de l‘abolition ou du maintien du Conseil législatif, mais de la saveur comparée des divers apéritifs. Dansereau, le fort gaillard qui pouvait boire deux bouteilles de cognac par jour sans que cela parût trop […], trinquait avec Arthur Buies, toujours maigre et gueux, ou bien avec Hector Berthelot ou bien avec Fréchette [poète, greffier du Conseil législatif]. Chapleau et Mercier se tutoyaient, et il arrivait qu’on invitât le curé Labelle auprès de qui les plus gros mangeurs semblaient avoir des appétits d’enfants! »

Chapleau Adolphe - caricature

Chapleau fait son Jour de l’An

Le texte de la chanson est ici transcrit d’après l’enregistrement de 1930 sur étiquette Starr. Il en existe évidemment plusieurs versions. À la première strophe, où il est question d’un individu (ou d’un restaurant?) nommé Batifiole, un interprète invité à « Soirées canadiennes » a plutôt chanté « en sortant sa petit’ fiole », ce qui serait bien de circonstance. Par ailleurs, à la dernière ligne du deuxième couplet, plusieurs ont compris « Pis y était comm’ un croxignole » mais ce serait plutôt « Piété comm’ un croxignole, « piété » étant un canadianisme signifiant « habillé luxueusement ».

————————————–

Chapleau fait son Jour de l’An

(« vieille chanson avec violon et musique à bouche »)

- 1 -
En sortant d’chez Ferdinand
Chapleau s’sent le cœur content
Mais en sortant d’chez Batifiole
Plus il va, plus il caracole.

(Refrain)
Fu, fu, fu, mais c’pendant
Les pieds plus légers qu’la tête
Fu, fu, fu, mais c’pendant
Chapleau fait son Jour de l’An.

- 2 -
Le jour de l’an au matin
Mit l’effronté su’l'chemin
Il embarque dans sa carriole
Piété* comm’ un croxignole**.
- 3 -
Il échappe son chapeau
Son ch’val cré qu’c'est un siau d’eau
Il échappe ses mitaines
Son ch’val cré que c’est d’l'avoine.
- 4 -
En r’virant au bout du rang
Son ch’val prend le mors aux dents
Chapleau r’vole de d’sus son siège
À quatr’ patt’ dans un banc d’neige.
- 5 -
Anthime qui vient à passer
S’en vient pour le ramasser
Il tire par son fond d’culottes
Et dans son barlot l’emporte.
- 6 -
Chez lui sa femme l’a couché
Après l’avoir déchaussé
Il dormit quarante-huit heures
Sans grouiller dans sa demeure.
- 7 -
Au bout d’la deuxième journée
Il commence à s’étirer
Il se sent mal à son aise
La tête lourde, la bouche épaisse.

(Dernier refrain)
Fu, fu, fu, mais c’pendant
Les pieds plus légers qu’la tête
Fu, fu, fu, mais c’pendant
Il a fait son Jour de l’An.
——-

* Habillé avec luxe
**Ou croquignole, sorte de beignet.

Jour de l'an 1881-retour

On peut écouter Chapleau fait son Jour de l’An sur plusieurs sites :

L’affaire Michaud : un épisode honteux

En octobre 2010, la publication de L’affaire Michaud : chronique d’une exécution parlementaire a remis dans l’actualité une grave injustice que la classe politique s’était empressée d’oublier. L’ouvrage publié au Septentrion (http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/affaire-michaud-l) n’avait rien de « sorcier » : son seul véritable mérite était d’aborder un sujet qu’aucun observateur politique, journaliste ou universitaire, n’avait daigné examiner à fond, comme si le sujet était définitivement classé depuis le jugement de la Cour d’appel en 2006.

La « chronique d’une exécution parlementaire »

L’ouvrage visait à démontrer que l’Assemblée nationale avait procédé injustement, le 14 décembre 2000, en condamnant « les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000 », et cela sans citer les « propos » visés, ni entendre leur auteur. La simple transcription de l’intervention de Michaud à ces audiences ─ une démarche élémentaire que les parlementaires avaient négligée ─ a démontré, sans l’ombre d’un doute, l’absence de propos justifiant une telle condamnation. L’analyse démontra aussi que les précédents parlementaires invoqués après coup n’étaient pas pertinents.

Yves Michaud avait bien sûr échoué dans ses démarches auprès des tribunaux (ceux-ci respectant la séparation des pouvoirs), mais il était important de rappeler, puisque la chose avait été pratiquement ignorée par les médias, que l’un des juges de la Cour d’appel avait cru bon d’ajouter un commentaire exceptionnel à la fin de la décision de 2006: « Pour préserver la démocratie parlementaire, et donc la libre circulation des idées, le Droit à l’époque des Chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu’un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires. Summum jus summa injuria [le droit strict est la suprême injustice] auraient dit les juristes romains ! » Ne pouvait-on pas croire que le juge Baudouin invitait subtilement l’Assemblée nationale à corriger elle-même ce que les tribunaux ne pouvaient pas faire ?

Les réactions

« Il est maintenant clair, écrivait Michel David, que M. Michaud n’a pas tenu devant la Commission des États généraux sur la langue les propos antisémites qu’on lui a reprochés ». Selon Gilbert Lavoie, le livre établissait « clairement qu’on lui a imputé des propos qu’il n’a pas tenus et qu’on l’a jugé sans vérifier la véracité des accusations portées contre lui ». C’est « fulgurant de clarté », commentait Gérald Larose qui avait présidé les États généraux et qui avait vainement cherché, dans le verbatim des témoignages, les « propos » reprochés à Michaud.

Au Parlement, le 1er décembre, le député Amir Khadir invite Jean Charest et Pauline Marois à l’appuyer dans la présentation d’une motion qui reconnaîtrait « l’erreur commise », ou à en présenter une eux-mêmes. Le 3 décembre, sans réponse des deux chefs, mais avec l’appui de deux députés adéquistes, il présente une motion par laquelle l’Assemblée nationale reconnaîtrait « avoir commis une erreur […] en condamnant M. Yves Michaud dont l’intervention aux États généraux de la langue française, la veille, ne comportait pas de propos offensants à l’égard de la communauté juive » et s’engagerait « solennellement, par la voie de cette motion [ou] par d’autres moyens qu’elle pourrait se donner, à éviter qu’une telle situation se reproduise […] ».

Le Parti libéral aurait donné son consentement, mais le Parti québécois refuse le débat. « C’est un vrai piège tendu par les libéraux, qui voulaient refaire un procès à Yves Michaud et M. Michaud ne mérite pas un procès », déclare Mme Marois aux médias; « On n’est jamais aussi bien trahi que par les siens », répond, entre autres choses, Yves Michaud.

Visiblement dissidents sur cette question, des membres du caucus péquiste (Gendron, Cousineau, Maltais) adressent des lettres d’excuses à Yves Michaud, ajoutant leur nom à la courte liste de ceux qui l’avaient déjà fait publiquement (Facal, Beaudoin) peu après la sortie de L’affaire Michaud. Dans les jours qui suivent, les excuses se multiplient. À la mi-décembre, l’ancien ministre Paul Bégin prend l’initiative de contacter ses ex-collègues : un mois plus tard, 51 membres du caucus péquiste de décembre 2000 avaient fait amende honorable.

De propos « inventés »

Certains le font avec des commentaires éclairants. « Comme seule excuse, écrit Claude Lachance (Bellechasse), qu’il me soit permis de vous dire que, comme la plupart de mes collègues du Parti québécois du temps, j’ai été carrément floué. Aucune discussion préalable, aucune explication au caucus avant le vote surprise. » Jean-François Simard (Montmorency) reconnaît avoir été « dans la plus totale ignorance de ce que représentait cette résolution comme atteinte aux droits fondamentaux de la personne et aux principes élémentaires de justice naturelle ». Dans une lettre adressée aux médias en décembre, Mathias Rioux évoque un « complot ourdi contre Michaud […] hors du parlement » et exprime « la honte [qu’il] éprouve d’avoir été roulé dans la farine par des manipulateurs »; l’ancien député de Matane pose une question qui n’a toujours pas de réponse : « Quel personnage ou quel groupe a instrumentalisé Bernard Landry et Sylvain Simard qui […] ont déclaré en conférence de presse que Michaud avait banalisé l’holocauste, alors qu’il n’a jamais prononcé le mot devant les États généraux sur la langue ? »

Dans une lettre adressée au Devoir en décembre 2010 (et restée inédite), l’ancien député de Marguerite-d’Youville explique qu’il a voté suivant « la volonté du chef » et en se fiant à la « grande crédibilité » des coauteurs de la motion (André Boulerice et Lawrence Bergman), mais, « après le vote, lorsque plusieurs d’entre nous voulurent aller aux sources et en savoir plus, les choses se compliquèrent et ce n’est que beaucoup plus tard que nous sûmes que Monsieur Michaud n’avait jamais prononcé les mots qu’on lui attribuait. »  (voir doc. 1) C’est d’ailleurs ce que viendra confirmer André Boulerice (Sainte-MarieSaint-Jacques), à la fin de janvier, dans un message adressé à Paul Bégin : « Il appert, des différents documents portés à ma connaissance, que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive » (voir doc. 2). Si le coauteur de la motion le dit…

La fin de l’affaire ?

Seul Le Soleil aurait évoqué cette dernière lettre à l’époque, tout en omettant le mot « inventés ». D’autres questions ont ensuite diverti l’opinion publique et l’affaire Michaud est retombée dans l’oubli. En 2013, Le Devoir a rapporté qu’Amir Khadir aurait proposé à quelques députés de déposer une motion réclamant le retrait de la motion de 2000, mais il aurait fallu que de meilleures relations existent entre la chef du gouvernement minoritaire et Yves Michaud pour que ce projet ait une chance d’aboutir.

Il manque donc toujours un point final à cette affaire qui marquera l’Assemblée nationale de la manière « la plus honteuse » (selon le mot de David Payne).

« Michaud a perdu sa bataille devant les tribunaux et n’a pas eu gain de cause à l’Assemblée nationale, écrivaitGilbert Lavoie en 2010, mais il a gagné la guerre aux yeux de l’histoire » et cette victoire « constitue une leçon pour les parlementaires ». Cette leçon, la très grande majorité des députés péquistes l’ont comprise, mais les libéraux, sans exception, s’entêtent toujours dans une position intellectuellement indéfendable. Portée à ce niveau, la discipline partisane dépasse l’entendement et discrédite notre Parlement.

——————————-

Document 1 : Lettre adressée au Devoir par François Beaulne, ancien député de Marguerite-d’Youville (1989-2003), le 19 décembre 2010

Monsieur le directeur du Devoir,

J’aimerais, par la présente, joindre mon nom à la liste de mes 25 collègues députés du Parti québécois de l’époque qui ont exprimé leurs excuses à monsieur Yves Michaud pour avoir voté à l’Assemblée nationale une motion de blâme à son endroit pour des propos qu’en fait il n’avait jamais tenus. J’étais de ceux qui sans savoir de quoi il s’agissait s’étaient levés pour appuyer une motion introduite à l’improviste dans l’ordre du jour de l’Assemblée pour condamner Monsieur Michaud, sans que le caucus du Parti n’en ait été saisi au préalable. Bien qu’il n’y ait eu aucune consigne officielle pour appuyer la motion, la lourdeur de l’atmosphère qui régnait au Salon Bleu et dans les rangs du Parti Québécois, conjuguée au regard scrutateur du Premier ministre qui surveillait minutieusement le vote de chacun de ses députés, faisait office de consigne.

Comme plusieurs de mes collègues j’avais appuyé la motion, non seulement parce que je sentais que tel était la volonté du chef, mais également parce que cette motion, qui prêtait à Monsieur Michaud des propos antisémites était présentée conjointement par deux députés, l’un péquiste, André Boulerice, et l’autre, libéral, Lawrence Bergman, qui, tous les deux, jouissaient à l’Assemblée nationale d’une grande crédibilité de pondération et de modération en matière d’antisémitisme. Je me suis dit, comme sans doute plusieurs autres, que si ces deux collègues députés jugeaient les propos prononcés suffisamment offensants pour mériter une motion de blâme du Parlement, chose inédite, c’est qu’effectivement ça devait être pas mal sérieux.

Immédiatement après le vote, lorsque plusieurs d’entre nous voulurent aller aux sources et en savoir plus, les choses se compliquèrent et ce n’est que beaucoup plus tard que nous sûmes que Monsieur Michaud n’avait jamais prononcé les mots qu’on lui attribuait. Mais le tort était fait, autant pour la réputation de Monsieur Michaud que pour celle de l’Assemblée nationale qui, outrepassant toutes les règles qu’exige le respect des droits de la personne, avait pris sur elle de condamner péremptoirement un citoyen, ce qu’aucun tribunal ne ferait.

Jusqu’à ce jour, j’ai gardé de cette histoire un mauvais goût et un certain malaise de conscience. C’est pourquoi je félicite et remercie mon ancien collègue Paul Bégin d’avoir pris l’initiative de rédiger une lettre d’excuse et de tenter d’y apposer la signature de ceux d’entre nous qui ont appuyé cette motion. N’étant plus député depuis 2003, il a sans doute perdu ma trace, mes fonctions actuelles de représentant des Nations Unies auprès du Parlement du Mozambique m’ayant quelque peu éloigné de la scène québécoise.

C’est pourquoi, je vous saurais gré, Monsieur le rédacteur en chef, de bien vouloir publier cette lettre en solidarité avec mes collègues qui ont exprimé leurs excuses à Monsieur Yves Michaud.

Maputo, Mozambique, le 19 décembre 2010

François Beaulne

——————————-

Document 2 : Lettre adressée à Paul Bégin par André Boulerice, ancien député de Sainte-Marie–Saint-Jacques (1985-2005), le 26 janvier 2011

 26 janvier 2011

Monsieur Paul Bégin, ancien ministre,

Monsieur le Ministre,

Éloigné de la politique et de l’actualité québécoise depuis mon retrait de la vie publique en 2005, un ami a attiré récemment mon attention quant à votre travail au sujet de la motion de blâme adoptée par l’Assemblée nationale à l’encontre de certains propos de Monsieur Yves Michaud, tenus il y a déjà plus de dix ans.

Les récents articles de journaux québécois que j’ai pu consulter sur internet disent que vous avez essayé de contacter les élus qui ont voté cette motion. Informé de votre démarche, je tiens à vous transmettre ce qui suit.

À l’époque, on nous a rapporté des propos inacceptables traitant de matières très sensibles et qui, par le passé, avaient profondément entaché notre formation politique. Il appert, des différents documents portés à ma connaissance, que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive. L’opposition libérale d’alors ou certains de ses affidés a (ont) vraisemblablement agi par intérêt bassement partisan. On disait de Talleyrand que « l’ambition se nourrit des matières les plus viles comme des plus nobles », il en est de même des fédéralistes dans leur quasi-haine des indépendantistes.

J’assume ma responsabilité dans la présentation de la motion incriminée et je présente par cette lettre mes excuses à Monsieur Yves Michaud. Quant aux élus « libéraux », le discrédit général au Québec à leur égard est déjà sanction.

Je vous prie de bien vouloir transmettre copie de ce message à Monsieur Michaud et de lui demander de le considérer comme lui ayant été adressé personnellement.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de mes sentiments distingués.

André Boulerice

Ancien ministre et député de Sainte-Marie-Saint-Jacques (1985-2005)

Un «mouton» parmi les «lions»

Mon concitoyen Gérard Ouellet (1906-1981) avait la plume prolifique et bien aiguisée. Devenu journaliste dès sa sortie du Collège de Lévis en 1928, il avait été chroniqueur, à L’Événement puis à L’Action catholique, avant de passer à la fonction publique (en 1945) où il sera successivement « publiciste » au ministère de la Colonisation puis au service de l’information à la Régie des Rentes. Parallèlement à ses activités professionnelles, il s’adonne à l’histoire locale en publiant notamment Ma paroisse, Saint-Jean-Port-Joli.

Ouellet, Gérard Ma paroisse

Gérard Ouellet a aussi été organisateur syndical (à L’Action catholique) et surtout fervent patriote ; il a milité à la Société Saint-Jean-Baptiste, dans l’Ordre de Jacques-Cartier (« La Patente ») et dans le Club Richelieu (créé sous l’influence de l’Ordre).

Un document particulièrement suave retrouvé dans les archives familiales révèle le côté polémiste et engagé du personnage.

Le 27 janvier 1968, il transmet à mon père (qui avait aussi été très actif dans l’OJC) copie d’une lettre adressée au directeur de Projections (organe officiel, sauf erreur, du mouvement Lacordaire). Cette lettre contenait le passage suivant :

« Un hebdo de Montmagny nous informe que l’abbé Untel est devenu le premier curé membre d’un « club Lion » […]

Bravo ! Le pasteur de Saint-Mathieu cherchait un symbole pour épauler son verbe et mieux enflammer ses paroissiens. Chacun sa manière. J’aurais préféré, peut-être, qu’il s’inspirât de S.Paul, l’apôtre flamboyant des Gentils. Mais moi je ne suis pas dans le vent et je n’ai pas dépassé la simple philosophie de S.Thomas d’Aquin. Voilà pourquoi je me sens incapable d’aller réchauffer mon esprit œcuménique dans un organisme d’inspiration protestante et étatsunienne. »

On était en 1968, comme en témoigne l’expression « dans le vent » et la référence à l’esprit œcuménique du Concile Vatican II. Quant aux clubs Lions, il faut rappeler que le premier du genre avait été créé en 1917 par un homme d’affaires de Chicago et qu’il s’agissait de ce qu’on appelait encore alors les clubs « neutres », contrairement aux organisations d’inspiration catholique. Une note manuscrite au bas de cette copie vient d’ailleurs mettre en contexte la sortie de Ouellet et illustrer le caractère mordant de sa plume :

« Le « lion » de la rivière du Sud me plonge dans la consternation. Il y a pourtant un cercle Richelieu à Montmagny. Mais, à bien y songer, avec le nom qu’il porte – on est la continuation de ses morts, selon Barrès – le curé de Saint-Mathieu est peut-être mieux à sa place avec les « Lyons » qu’avec les moutons ».

L’homme en question s’appelait Langlais.