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L’affaire Michaud : un épisode honteux

En octobre 2010, la publication de L’affaire Michaud : chronique d’une exécution parlementaire a remis dans l’actualité une grave injustice que la classe politique s’était empressée d’oublier. L’ouvrage publié au Septentrion (http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/affaire-michaud-l) n’avait rien de « sorcier » : son seul véritable mérite était d’aborder un sujet qu’aucun observateur politique, journaliste ou universitaire, n’avait daigné examiner à fond, comme si le sujet était définitivement classé depuis le jugement de la Cour d’appel en 2006.

La « chronique d’une exécution parlementaire »

L’ouvrage visait à démontrer que l’Assemblée nationale avait procédé injustement, le 14 décembre 2000, en condamnant « les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000 », et cela sans citer les « propos » visés, ni entendre leur auteur. La simple transcription de l’intervention de Michaud à ces audiences ─ une démarche élémentaire que les parlementaires avaient négligée ─ a démontré, sans l’ombre d’un doute, l’absence de propos justifiant une telle condamnation. L’analyse démontra aussi que les précédents parlementaires invoqués après coup n’étaient pas pertinents.

Yves Michaud avait bien sûr échoué dans ses démarches auprès des tribunaux (ceux-ci respectant la séparation des pouvoirs), mais il était important de rappeler, puisque la chose avait été pratiquement ignorée par les médias, que l’un des juges de la Cour d’appel avait cru bon d’ajouter un commentaire exceptionnel à la fin de la décision de 2006: « Pour préserver la démocratie parlementaire, et donc la libre circulation des idées, le Droit à l’époque des Chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu’un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires. Summum jus summa injuria [le droit strict est la suprême injustice] auraient dit les juristes romains ! » Ne pouvait-on pas croire que le juge Baudouin invitait subtilement l’Assemblée nationale à corriger elle-même ce que les tribunaux ne pouvaient pas faire ?

Les réactions

« Il est maintenant clair, écrivait Michel David, que M. Michaud n’a pas tenu devant la Commission des États généraux sur la langue les propos antisémites qu’on lui a reprochés ». Selon Gilbert Lavoie, le livre établissait « clairement qu’on lui a imputé des propos qu’il n’a pas tenus et qu’on l’a jugé sans vérifier la véracité des accusations portées contre lui ». C’est « fulgurant de clarté », commentait Gérald Larose qui avait présidé les États généraux et qui avait vainement cherché, dans le verbatim des témoignages, les « propos » reprochés à Michaud.

Au Parlement, le 1er décembre, le député Amir Khadir invite Jean Charest et Pauline Marois à l’appuyer dans la présentation d’une motion qui reconnaîtrait « l’erreur commise », ou à en présenter une eux-mêmes. Le 3 décembre, sans réponse des deux chefs, mais avec l’appui de deux députés adéquistes, il présente une motion par laquelle l’Assemblée nationale reconnaîtrait « avoir commis une erreur […] en condamnant M. Yves Michaud dont l’intervention aux États généraux de la langue française, la veille, ne comportait pas de propos offensants à l’égard de la communauté juive » et s’engagerait « solennellement, par la voie de cette motion [ou] par d’autres moyens qu’elle pourrait se donner, à éviter qu’une telle situation se reproduise […] ».

Le Parti libéral aurait donné son consentement, mais le Parti québécois refuse le débat. « C’est un vrai piège tendu par les libéraux, qui voulaient refaire un procès à Yves Michaud et M. Michaud ne mérite pas un procès », déclare Mme Marois aux médias; « On n’est jamais aussi bien trahi que par les siens », répond, entre autres choses, Yves Michaud.

Visiblement dissidents sur cette question, des membres du caucus péquiste (Gendron, Cousineau, Maltais) adressent des lettres d’excuses à Yves Michaud, ajoutant leur nom à la courte liste de ceux qui l’avaient déjà fait publiquement (Facal, Beaudoin) peu après la sortie de L’affaire Michaud. Dans les jours qui suivent, les excuses se multiplient. À la mi-décembre, l’ancien ministre Paul Bégin prend l’initiative de contacter ses ex-collègues : un mois plus tard, 51 membres du caucus péquiste de décembre 2000 avaient fait amende honorable.

De propos « inventés »

Certains le font avec des commentaires éclairants. « Comme seule excuse, écrit Claude Lachance (Bellechasse), qu’il me soit permis de vous dire que, comme la plupart de mes collègues du Parti québécois du temps, j’ai été carrément floué. Aucune discussion préalable, aucune explication au caucus avant le vote surprise. » Jean-François Simard (Montmorency) reconnaît avoir été « dans la plus totale ignorance de ce que représentait cette résolution comme atteinte aux droits fondamentaux de la personne et aux principes élémentaires de justice naturelle ». Dans une lettre adressée aux médias en décembre, Mathias Rioux évoque un « complot ourdi contre Michaud […] hors du parlement » et exprime « la honte [qu’il] éprouve d’avoir été roulé dans la farine par des manipulateurs »; l’ancien député de Matane pose une question qui n’a toujours pas de réponse : « Quel personnage ou quel groupe a instrumentalisé Bernard Landry et Sylvain Simard qui […] ont déclaré en conférence de presse que Michaud avait banalisé l’holocauste, alors qu’il n’a jamais prononcé le mot devant les États généraux sur la langue ? »

Dans une lettre adressée au Devoir en décembre 2010 (et restée inédite), l’ancien député de Marguerite-d’Youville explique qu’il a voté suivant « la volonté du chef » et en se fiant à la « grande crédibilité » des coauteurs de la motion (André Boulerice et Lawrence Bergman), mais, « après le vote, lorsque plusieurs d’entre nous voulurent aller aux sources et en savoir plus, les choses se compliquèrent et ce n’est que beaucoup plus tard que nous sûmes que Monsieur Michaud n’avait jamais prononcé les mots qu’on lui attribuait. »  (voir doc. 1) C’est d’ailleurs ce que viendra confirmer André Boulerice (Sainte-MarieSaint-Jacques), à la fin de janvier, dans un message adressé à Paul Bégin : « Il appert, des différents documents portés à ma connaissance, que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive » (voir doc. 2). Si le coauteur de la motion le dit…

La fin de l’affaire ?

Seul Le Soleil aurait évoqué cette dernière lettre à l’époque, tout en omettant le mot « inventés ». D’autres questions ont ensuite diverti l’opinion publique et l’affaire Michaud est retombée dans l’oubli. En 2013, Le Devoir a rapporté qu’Amir Khadir aurait proposé à quelques députés de déposer une motion réclamant le retrait de la motion de 2000, mais il aurait fallu que de meilleures relations existent entre la chef du gouvernement minoritaire et Yves Michaud pour que ce projet ait une chance d’aboutir.

Il manque donc toujours un point final à cette affaire qui marquera l’Assemblée nationale de la manière « la plus honteuse » (selon le mot de David Payne).

« Michaud a perdu sa bataille devant les tribunaux et n’a pas eu gain de cause à l’Assemblée nationale, écrivaitGilbert Lavoie en 2010, mais il a gagné la guerre aux yeux de l’histoire » et cette victoire « constitue une leçon pour les parlementaires ». Cette leçon, la très grande majorité des députés péquistes l’ont comprise, mais les libéraux, sans exception, s’entêtent toujours dans une position intellectuellement indéfendable. Portée à ce niveau, la discipline partisane dépasse l’entendement et discrédite notre Parlement.

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Document 1 : Lettre adressée au Devoir par François Beaulne, ancien député de Marguerite-d’Youville (1989-2003), le 19 décembre 2010

Monsieur le directeur du Devoir,

J’aimerais, par la présente, joindre mon nom à la liste de mes 25 collègues députés du Parti québécois de l’époque qui ont exprimé leurs excuses à monsieur Yves Michaud pour avoir voté à l’Assemblée nationale une motion de blâme à son endroit pour des propos qu’en fait il n’avait jamais tenus. J’étais de ceux qui sans savoir de quoi il s’agissait s’étaient levés pour appuyer une motion introduite à l’improviste dans l’ordre du jour de l’Assemblée pour condamner Monsieur Michaud, sans que le caucus du Parti n’en ait été saisi au préalable. Bien qu’il n’y ait eu aucune consigne officielle pour appuyer la motion, la lourdeur de l’atmosphère qui régnait au Salon Bleu et dans les rangs du Parti Québécois, conjuguée au regard scrutateur du Premier ministre qui surveillait minutieusement le vote de chacun de ses députés, faisait office de consigne.

Comme plusieurs de mes collègues j’avais appuyé la motion, non seulement parce que je sentais que tel était la volonté du chef, mais également parce que cette motion, qui prêtait à Monsieur Michaud des propos antisémites était présentée conjointement par deux députés, l’un péquiste, André Boulerice, et l’autre, libéral, Lawrence Bergman, qui, tous les deux, jouissaient à l’Assemblée nationale d’une grande crédibilité de pondération et de modération en matière d’antisémitisme. Je me suis dit, comme sans doute plusieurs autres, que si ces deux collègues députés jugeaient les propos prononcés suffisamment offensants pour mériter une motion de blâme du Parlement, chose inédite, c’est qu’effectivement ça devait être pas mal sérieux.

Immédiatement après le vote, lorsque plusieurs d’entre nous voulurent aller aux sources et en savoir plus, les choses se compliquèrent et ce n’est que beaucoup plus tard que nous sûmes que Monsieur Michaud n’avait jamais prononcé les mots qu’on lui attribuait. Mais le tort était fait, autant pour la réputation de Monsieur Michaud que pour celle de l’Assemblée nationale qui, outrepassant toutes les règles qu’exige le respect des droits de la personne, avait pris sur elle de condamner péremptoirement un citoyen, ce qu’aucun tribunal ne ferait.

Jusqu’à ce jour, j’ai gardé de cette histoire un mauvais goût et un certain malaise de conscience. C’est pourquoi je félicite et remercie mon ancien collègue Paul Bégin d’avoir pris l’initiative de rédiger une lettre d’excuse et de tenter d’y apposer la signature de ceux d’entre nous qui ont appuyé cette motion. N’étant plus député depuis 2003, il a sans doute perdu ma trace, mes fonctions actuelles de représentant des Nations Unies auprès du Parlement du Mozambique m’ayant quelque peu éloigné de la scène québécoise.

C’est pourquoi, je vous saurais gré, Monsieur le rédacteur en chef, de bien vouloir publier cette lettre en solidarité avec mes collègues qui ont exprimé leurs excuses à Monsieur Yves Michaud.

Maputo, Mozambique, le 19 décembre 2010

François Beaulne

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Document 2 : Lettre adressée à Paul Bégin par André Boulerice, ancien député de Sainte-Marie–Saint-Jacques (1985-2005), le 26 janvier 2011

 26 janvier 2011

Monsieur Paul Bégin, ancien ministre,

Monsieur le Ministre,

Éloigné de la politique et de l’actualité québécoise depuis mon retrait de la vie publique en 2005, un ami a attiré récemment mon attention quant à votre travail au sujet de la motion de blâme adoptée par l’Assemblée nationale à l’encontre de certains propos de Monsieur Yves Michaud, tenus il y a déjà plus de dix ans.

Les récents articles de journaux québécois que j’ai pu consulter sur internet disent que vous avez essayé de contacter les élus qui ont voté cette motion. Informé de votre démarche, je tiens à vous transmettre ce qui suit.

À l’époque, on nous a rapporté des propos inacceptables traitant de matières très sensibles et qui, par le passé, avaient profondément entaché notre formation politique. Il appert, des différents documents portés à ma connaissance, que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive. L’opposition libérale d’alors ou certains de ses affidés a (ont) vraisemblablement agi par intérêt bassement partisan. On disait de Talleyrand que « l’ambition se nourrit des matières les plus viles comme des plus nobles », il en est de même des fédéralistes dans leur quasi-haine des indépendantistes.

J’assume ma responsabilité dans la présentation de la motion incriminée et je présente par cette lettre mes excuses à Monsieur Yves Michaud. Quant aux élus « libéraux », le discrédit général au Québec à leur égard est déjà sanction.

Je vous prie de bien vouloir transmettre copie de ce message à Monsieur Michaud et de lui demander de le considérer comme lui ayant été adressé personnellement.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de mes sentiments distingués.

André Boulerice

Ancien ministre et député de Sainte-Marie-Saint-Jacques (1985-2005)

Un «mouton» parmi les «lions»

Mon concitoyen Gérard Ouellet (1906-1981) avait la plume prolifique et bien aiguisée. Devenu journaliste dès sa sortie du Collège de Lévis en 1928, il avait été chroniqueur, à L’Événement puis à L’Action catholique, avant de passer à la fonction publique (en 1945) où il sera successivement « publiciste » au ministère de la Colonisation puis au service de l’information à la Régie des Rentes. Parallèlement à ses activités professionnelles, il s’adonne à l’histoire locale en publiant notamment Ma paroisse, Saint-Jean-Port-Joli.

Ouellet, Gérard Ma paroisse

Gérard Ouellet a aussi été organisateur syndical (à L’Action catholique) et surtout fervent patriote ; il a milité à la Société Saint-Jean-Baptiste, dans l’Ordre de Jacques-Cartier (« La Patente ») et dans le Club Richelieu (créé sous l’influence de l’Ordre).

Un document particulièrement suave retrouvé dans les archives familiales révèle le côté polémiste et engagé du personnage.

Le 27 janvier 1968, il transmet à mon père (qui avait aussi été très actif dans l’OJC) copie d’une lettre adressée au directeur de Projections (organe officiel, sauf erreur, du mouvement Lacordaire). Cette lettre contenait le passage suivant :

« Un hebdo de Montmagny nous informe que l’abbé Untel est devenu le premier curé membre d’un « club Lion » […]

Bravo ! Le pasteur de Saint-Mathieu cherchait un symbole pour épauler son verbe et mieux enflammer ses paroissiens. Chacun sa manière. J’aurais préféré, peut-être, qu’il s’inspirât de S.Paul, l’apôtre flamboyant des Gentils. Mais moi je ne suis pas dans le vent et je n’ai pas dépassé la simple philosophie de S.Thomas d’Aquin. Voilà pourquoi je me sens incapable d’aller réchauffer mon esprit œcuménique dans un organisme d’inspiration protestante et étatsunienne. »

On était en 1968, comme en témoigne l’expression « dans le vent » et la référence à l’esprit œcuménique du Concile Vatican II. Quant aux clubs Lions, il faut rappeler que le premier du genre avait été créé en 1917 par un homme d’affaires de Chicago et qu’il s’agissait de ce qu’on appelait encore alors les clubs « neutres », contrairement aux organisations d’inspiration catholique. Une note manuscrite au bas de cette copie vient d’ailleurs mettre en contexte la sortie de Ouellet et illustrer le caractère mordant de sa plume :

« Le « lion » de la rivière du Sud me plonge dans la consternation. Il y a pourtant un cercle Richelieu à Montmagny. Mais, à bien y songer, avec le nom qu’il porte – on est la continuation de ses morts, selon Barrès – le curé de Saint-Mathieu est peut-être mieux à sa place avec les « Lyons » qu’avec les moutons ».

L’homme en question s’appelait Langlais.

« Sunny ways, my friends… »

   Dans le discours qu’il a prononcé le soir des élections, Justin Trudeau s’est réclamé de Wilfrid Laurier qui, dit-il, « a parlé des voies ensoleillées. Il savait que la politique peut être une force positive, et c’est le message que les Canadiens ont envoyé […]. Les Canadiens ont choisi le changement, un vrai changement […]. Sunny ways, my friends, sunny ways ».

Il aurait fallu que la presse pose un peu plus de questions pour savoir exactement à quoi le nouveau premier ministre faisait allusion et sous quels aspects il entendait s’inspirer de Laurier. À première vue, il semble associer vaguement les « sunny ways » au changement et à la politique « positive ». Quelques médias anglophones, dont le National Post, ont rappelé dans quel contexte précis Laurier a utilisé cette expression, d’autres, comme le Toronto Star, en ont fait de l’humour : « Are you ready for “sunny ways”? Am I? I wonder what that means. Do we have to smile all the time? Take the high road? Sing sunny songs? ».

Les médias francophones ne semblent pas avoir porté intérêt aux propos du nouveau chef, mais aussi bien ne pas trop savoir de quoi il s’agit que de décrire les « sunny ways » comme l’a déjà fait Michael Ignatieff : « ouverture à l’Ouest, connaissance de la complexité du pays et courage politique [sic] »… (http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/politique/plc/q4.shtml)

Laurier1

En fait, pour les Canadiens français, les « sunny ways » évoquent justement le contraire du courage politique et l’un des épisodes les plus décevants de la carrière de l’ancien premier ministre.

Les écoles du Manitoba

Quand Laurier arrive au pouvoir, un grand débat agite le Canada, particulièrement au Manitoba, une province créée en 1870 par une loi (Loi sur le Manitoba) qui accordait une protection aux écoles séparées francophones (article 22) et établissait le bilinguisme au sein du Parlement (article 23), comme au Québec. Or, en 1890, le gouvernement Greenway avait fait de l’anglais la seule langue officielle au Manitoba et supprimé le financement des écoles françaises. Le gouvernement fédéral (conservateur) avait alors la possibilité de 1) désavouer la législation manitobaine, ce qu’il refusa évidemment de faire, 2) de soutenir une contestation devant les tribunaux, ce qui fut fait sans succès, ou 3) d’apporter des mesures « rémédiatrices », qui sont mortes au Feuilleton.

Laurier devient premier ministre en 1896 et, comme l’écrit Réal Bélanger (Wilfrid Laurier, quand la politique devient passion, PUL, 1986, P. 461), « met l’accent sur la liberté civile et religieuse, la tolérance, la conciliation et le compromis ». Sur la question du Manitoba, il a déjà pris position en 1895 : « If it was in my power, and if I had the responsability, I would try the sunny way », se référant à une fable d’Ésope, Le vent et le soleil. Évidemment pas question de désavouer cette loi pourtant parfaitement inconstitutionnelle. Il s’entend plutôt avec le premier ministre manitobain sur une disposition (compromis Laurier-Greenway) permettant l’enseignement d’une « autre langue » que l’anglais, entre 15 h 30 et 16 h, dans des « écoles bilingues », là où 10 élèves ou plus parlent cette langue dans les zones rurales et 25, dans les centres urbains (http://www.axl.cefan.ulaval.ca/amnord/cnd_antifranco.htm). Les évêques ont beau protester jusqu’à Rome, Laurier ne démord pas et prétend que de nouvelles concessions pourraient mener à une « guerre sainte ».

Laurier-écoles 2

Le compromis ne survivra pas au gouvernement Laurier. En 1916, une nouvelle réglementation l’annule et fait de l’anglais la seule langue d’enseignement dans les écoles publiques du Manitoba.

Puis l’Alberta et la Saskatchewan en 1905…

Entretemps, deux autres provinces ont été créées dans l’Ouest. En 1905, une première version de la Loi sur l’Alberta semble avantageuse pour la minorité francophone. À Henri Bourassa qui s’inquiète du cheminement du projet, Laurier rétorque qu’il a trop « l’esprit français » ; « moi, dit-il, je flotte dans l’air ambiant » (Bélanger, 299). C’est plutôt une tornade orangiste qui emporte les droits prévus pour les franco-catholiques dans la version suivante projet et son fameux article 16 : l’anglais sera la langue d’enseignement en Alberta, tout en autorisant un certain usage du français dans les classes primaires. Il en sera de même en Saskatchewan.

Cet épisode s’inscrit parmi les épreuves qui ont frappé les minorités catholiques et françaises du Canada depuis 1871. « Pire, écrit le biographe de Laurier, c’est probablement la dernière chance qu’avait le pays de se doter, avant qu’il ne soit trop tard, des moyens concrets pour devenir une nation bilingue et biculturelle d’un océan à l’autre » (p. 305).

Pour éviter les conflits, Laurier a joué le compromis en croyant que la majorité canadienne-anglaise saurait à son tour faire des concessions. Il s’est trompé, comme il le réalisera, une fois dans l’opposition, lors du débat sur le Règlement 17 adopté par le gouvernement ontarien en 1912.

…et en 2015

Moins d’un mois après l’élection de Trudeau, l’Alberta et la Saskatchewan font la manchette : la Cour suprême du Canada refuse d’interpréter généreusement les textes constitutionnels et décide qu’aucun élément historique n’empêche ces deux provinces de se déclarer unilingues sur le plan législatif.

Comme l’écrivait le biographe de Laurier, « le Canada de 1986 [c’était avant Meech…], anglo-saxon de caractère et de mentalité dans neuf de ses dix provinces, est en partie le produit des concessions du grand homme […] ».

Et de ses « sunny ways ».

Québec, capitale de la francophonie en Amérique? Yes, sir Losique!

Dans Le Soleil du 28 mars dernier, le président du FFM s’est étonné des prétentions de Québec au titre de « capitale de la francophonie en Amérique ». Selon Serge Losique, sans Montréal, « il n’y aurait pas de francophonie en Amérique »! (http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/points-de-vue/201503/27/01-4856187-quebec-capitale-de-la-francophonie-en-amerique.php)

Les lecteurs du Soleil sont restés cois. Se sont-ils amusés de ce cinéma? Ou rentrés dans le rang? Il faut pourtant rappeler certaines choses.

Hochelaga était un désert (même les Iroquois l’avaient abandonnée) quand Champlain fonde Québec (la « capitale d’un empire », comme en rêvait Frontenac). Il faudra près de deux siècles pour que la population de Québec soit surpassée par celle de Montréal, vers 1840, mais cette dernière est alors majoritairement anglophone. Le gouvernement tente d’y installer le gouvernement du Canada-Uni, mais des émeutiers tories brûlent le Parlement (qui y est demeure seulement le temps d’une législature), excédés d’y voir un gouvernement dirigé par un premier ministre francophone indemniser les victimes bas-canadiennes des répressions de 1837-1838, avec l’appui d’un gouverneur qui parle français.

En 1867, le gouvernement de la province de Québec retrouve évidemment son ancienne capitale qui, à la fin du XIXe siècle, devient le point de ralliement des Canadiens français du continent (une expression qui inclut alors les Franco-américains). En 1880, Québec accueille la grande convention qui entend la première interprétation du « chant national des Canadiens français », Ô Canada.

Capitale-Fete nationale 1880

En 1912, le premier Congrès de la langue française y rassemble des délégués des communautés francophones du Canada et des États-Unis; l’Académie française est représentée.

Capitale-Congrès 1

Vingt-cinq ans plus tard, le deuxième congrès accueille en plus une délégation louisianaise et une délégation haïtienne, ainsi que des invités belges. Au troisième, en 1952, il y a aussi des Mauriciens.

Congrès 3

Le « Comité permanent des congrès de langue française » créé en 1912 deviendra le « Conseil de la vie française en Amérique » en 1956.

Après la Révolution tranquille, le Québec n’a plus les mêmes relations avec la francophonie canadienne mais ses horizons s’ouvrent sur le monde.

Capitale- Superfrancofête

Il y aura donc la Superfrancofête en 1974, les sommets francophones en 1987 et en 2008 ainsi que premier Forum mondial de la langue française en 2012. Tous à Québec, évidemment.

Capitale-Sommet 2008

Si « Capitale de la francophonie en Amérique » n’est pas nécessairement la meilleure expression pour décrire le statut de Québec, ce n’est quand même pas une surprise et l’idée d’un réseau de villes francophones est un projet prometteur. Pour lui donner de la cohérence, peut-être faudrait-il cibler prioritairement les villes des États-Unis qui portent la marque du passage des Canadiens français et partagent des racines avec les Québécois. Enfin revenue du rapaillage de « brandings » et en voie de guérison de son allergie au titre de « Vieille Capitale », Québec s’est donnée un slogan (« l’Accent d’Amérique ») qui dépasse les limites d’une ville « ordinaire » et elle devrait remettre au premier plan son trait de caractère le plus solide, celui qui est inscrit incontestablement dans son histoire et que David Mendel célèbre dans un livre si justement nommé : Québec, berceau de l’Amérique française.

Capitale-Québec berceau

PS : Montréal « deuxième ville francophone du monde »? Même en considérant l’agglomération et en présumant que tout le monde y parle français, elle est peut-être la quatrième, après Kinshasa et Abidjan, et n’a pas beaucoup de chances de reprendre son rang compte tenu (on peut le dire ici sans perdre des votes) « de la démographie et de l’immigration ».

L’auteur du «Noël des petits oiseaux» était un drôle de moineau

(Mis à jour le 9 décembre 2019)

J’ai longtemps cherché des interprétations de ce chant de Noël dont on retrouve les paroles dans les cahiers de la Bonne chanson, mais qui a eu très peu d’interprètes sur disque. C’est finalement chez Sillons, rue Cartier (une bonne adresse disparue…) que j’ai, non pas trouvé, mais commandé un disque français repéré sur Internet, plus précisément un coffret de cinq disques, intitulé Vive Noël!, qui comprend le Noël des petits oiseaux, paroles de Camille Soubise et musique de Charles Pourny, chanté par Jacques de Mersan. Ces disques m’ont fait découvrir de nombreuses chansons de Noël inconnues ici.

OIseaux

Rarement interprété sur disque, le Noël des petits oiseaux était aussi peu fréquent sur Internet, au moment de la première version de ce texte, et les rares prestations étaient peu impressionnantes. On le trouvait accompagné de diaporamas plutôt kitsch (https://www.youtube.com/watch?v=XGO1Sx5VZ0U), interprété par une chorale mal filmée (https://www.youtube.com/watch?v=_sz5O0e7a2U) ou par un ténor correct qui devrait cependant suivre son texte (https://www.youtube.com/watch?v=58h4mhbs6yA). Il y avait aussi  la sympathique interprétation de Passe-Partout (https://www.youtube.com/watch?v=gMQ_gA8_32Q).

Aujourd’hui, on a plus de choix avec l’interprétation de Mersan (https://www.youtube.com/watch?v=1JNTAOUOVgQ) et celle de Fabienne Thibeault (https://www.youtube.com/watch?v=jE4v0cyHZwg), entre autres.

Aucun des interprètes ne donne au complet le texte de Camille Soubise qui, pour tout dire, n’est pas vraiment Soubise, comme Francis Sartorius l’a révélé en 2000 dans un article (« La métamorphose d’un aventurier des lettres » publié dans la revue Histoires littéraires) dont on trouve l’essentiel sur le site du cimetière du Père-Lachaise (http://www.appl-lachaise.net/appl/article.php3?id_article=2470).

Soubise-portrait

Né à Perwez (Belgique) en 1833, Camille Soubise s’appelait en fait Alphonse Vanden Camp, nom sous lequel il a été légitimé en 1840 par le mariage d’Adolphine Raynaud avec Jean-Baptiste Vanden Camp. Il a 19 ans quand il lance un premier journal, une feuille hostile aux élites (clergé et noblesse) et proche des idées socialistes de Fourier. En 1856, il devient rédacteur en chef du Libre Penseur et collabore à différents journaux sous divers pseudonymes.

Plusieurs motifs pourraient expliquer son départ pour Paris. Il semble avoir été condamné par défaut à cinq ans de prison en 1864, puis à six mois pour port public de faux nom;  il divorce ensuite en 1867 ou 1868. À Paris,  il se serait aussi compromis dans des affaires douteuses. Pour gagner sa vie, celui qui s’identifie maintenant sous le nom de « du Camp » propose des textes aux éditeurs de chansons populaires. C’est sous le nom de Camille Soubise (pour éviter d’être confondu avec l’auteur Maxime du Camp) qu’il se fait connaître avec un de ses grands succès, la fameuse Chanson des blés d’or (https://www.youtube.com/watch?v=eJYWaZNc7Lo). 

À Paris, c’est bientôt l’insurrection de la Commune contre le régime de Napoléon III et notre homme devient membre du Comité central de la Garde nationale puis membre du Conseil de la XVIIe légion fédérée et secrétaire de la Commission municipale du XVIIe arrondissement. Encore là, les ennuis le courent. Arrêté pour fraude, il parvient à se disculper; soupçonné d’être un mouchard, il est sauvé par la chute de la Commune; recherché par l’armée versaillaise et condamné par contumace à la déportation, il resurgit, comparaît en 1873 et réussit à se faire acquitter.

Vanden Camp regagne alors Bruxelles où il s’adonne encore au journalisme et se retrouve encore devant les tribunaux. Il est condamné en 1874 à trois mois de prison pour usage de faux noms, malgré ses tentatives de se présenter… sous une autre identité !

En 1879, il retourne à Paris où il gagnera sa vie en composant le texte de nombreuses chansons, dont le Noël des petits oiseaux, probablement en 1880, et l’une des plus célèbres romances sur le thème de la perte de l’Alsace-Lorraine, C’est un oiseau qui vient de France (https://www.youtube.com/watch?v=T_JQR2I9L50),  un thème qui ne correspondait pas vraiment à ses convictions anarchistes… En 1887, il lance une éphémère revue littéraire et artistique, La Muse française. En 1892, il publie un recueil de poésies, Les Lunes bleues, toujours signé Camille Soubise, le nom sous lequel il était désormais connu et qui paraîtra sur le faire-part de son décès en 1901. Il laissait dans le deuil Marie Buisson, avec qui il avait régularisé sa relation en 1897, légitimant du même coup deux filles nées respectivement en 1871 et 1873.

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Noël des petits oiseaux

(paroles tirées de La Bonne Chanson, troisième cahier, page 119)

Les verts sapins de la vallée,
Ce soir sont habillés de blanc,
Car de Noël c’est la veillée,
Et minuit s’avance à pas lents.
Plus d’un petit oiseau frissonne,
Car il a neigé sur les toits;
Mais chut! voici l’heure qui sonne!,
Entendez-vous ces douces voix?

(Ref.) Il est minuit et Jésus vient de naître,
Pour protéger les nids et les berceaux.
Le ciel est bleu, le printemps va renaître…
Noël! Noël! pour les petits oiseaux! (bis)

Merles pinsons, bergeronnettes,
Se réveillant tous à la fois,
Comme au bon temps des pâquerettes,
Soudain font retentir les bois!
Voyant que la neige étincelle,
Et que l’étoile brille aux cieux,
Ces chers mignons battant de l’aile,
Redisent dans leurs chants joyeux :

(Ref.)

Les roitelets, les rouges-gorges,
Quittant les toits et les buissons,
Gazouillant comme au temps des orges
Et l’air était plein de chansons!
Puis, croyant au réveil du monde,
Et préparant déjà leurs nids,
Ils cherchaient de la laine blonde
Pour abriter tous leurs petits!

(Ref.)

Mais tout à coup, la nuit s’achève,
Voici l’aurore au front vermeil!
Et ne sachant si c’est un rêve,
Chacun se dit « Quel doux soleil! »
Car Noël sur les plaines blanches
A fait luire un beau rayon d’or!
Puis sous les toits et sur les branches
On entend gazouiller encor :

(Ref. final)
L’ombre s’enfuit, le jour vient de paraître,
Pour éclairer les nids et les berceaux!
Le ciel est bleu le printemps va renaître…
Noël! Noël! pour les petits oiseaux! (bis)