Aussi bien le dire avant qu’un « woke » survolté ne me dénonce à Pénélope M.: ma grand-mère maternelle, Marie-Flore Giasson, portait un symbole offensant. En témoigne la photographie prise lors de son mariage avec Auguste Caron : elle porte au cou une broche en forme de « croix gammée ».
« J’en conviens, je l’avoue », comme disait le fabuliste, mais c’était en 1910 et elle portait en fait un svastika (ou swastika), l’un des plus anciens symboles de l’humanité, utilisé sous différentes formes dans la majorité des civilisations du monde, les plus anciens ayant été identifiés en Ukraine vers 10 000 av. J.-C.
« Svastika » signifie « ce qui apporte la bonne fortune » ou « ce qui porte chance ». Il est « dextrogyre » (dextre, droite) lorsque les pattes de la croix tournent dans le sens des aiguilles d’une montre et « lévogyre » ou « sénestrogyre » (senestre, gauche) dans le cas contraire. En Inde, les deux modèles sont généralement vus comme « bénéfiques ». Le svastika lévogyre est parfois considéré comme un symbole de malchance.
Deux décennies plus tard, Adolf Hitler choisira le svastika comme symbole, le modèle dextrogyre, en plus, celui-là même que ma grand-mère portait sur sa « photo de noces ».
On commence à annoncer des bijoux en forme de « swastika « dans les journaux en 1907.
La maison Siefert & fils, « marchands de diamants », établie sur la rue de la Fabrique, à Québec, proclame dans Le Soleil du 9 novembre 1907 que «la croix la plus vieille » est devenue « la plus grande nouveauté » :
« Pour les anciens, les quatre bras de la Swastika représentent les quatre vents et elle est aussi un signe de bonne santé, de longue vie et de prospérité pour ceux qui la porte [sic].
Swasiika est un des plus beaux et des plus sages symboles, ayant été connue [sic] dès 1503 avant l’ère chrétienne.
Elle a été découverte en Europe, en Asie et en Afrique et par ceux qui habitaient dans des hutes [sic] en Amérique et est un objet de spéculation pour les écoliers.
Les Indiens regardent Swastika comme leur chance et prétendent qu’elle vient en connection [sic] avec leur dieu, qu’ils appellent Astika.
Les breloques Swastika se vendent bien. Nous les avons sous 4 format [sic] comme l’indique [sic] les vignettes ci-dessus en breloques, en épinglette et en broches à chapeau.
Les prix de celles en argent varient de 50 cents à 75 cents. »
Le Quebec Chronicle du 9 décembre 1907 soulignait à quel point les bijoux-talisman, comme le fer à cheval, le svastika indien et le scarabée égyptien, séduisaient alors les femmes.
Le seul péché de ma grand-mère était de suivre la mode, mais on n’a pas tous les jours 20 ans. Mariée en 1910, elle donne naissance à 15 enfants, dont des jumeaux morts au berceau et un garçon trisomique, né en 1936, alors qu’elle avait plus de 49 ans.
Comme si ce n’était pas assez d’élever cette marmaille, pendant deux guerres mondiales et une crise économique, son mari meurt en 1938, la laissant avec une dizaine d’enfants encore à la maison sur une petite ferme du deuxième rang de Trois-Saumons, la dernière de la paroisse, à 8 km de l’église de Saint-Jean-Port-Joli. (Ce qui ne l’empêchera pas, plus tard, de prendre une orpheline « en élève »!)
Avec des moyens plus que modestes, sur une ferme quasi autarcique, Marie-Flore Giasson vivait à l’ancienne. Elle élevait des moutons, cardait et filait la laine pour en faire notamment des bas avec une tricoteuse à manivelle que j’ai actionnée autrefois. Elle élevait des poules et des canards pour les œufs et la chair, mais aussi les plumes avec lesquelles elle faisait des oreillers (j’en utilise encore!). Elle avait même les outils de cordonnerie nécessaires pour faire des chaussures aux enfants. Et, à travers tout cela, elle cultivait aussi des rosiers dont les rejetons se retrouvent aujourd’hui chez plusieurs descendants.