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Une solution anti-Christ

Dans La Presse du 5 février, un professeur agrégé aux départements des sciences des religions et d’études théologiques de l’Université Concordia commente la méthode imaginée par la ville de Montréal pour bloquer la propagande religieuse de l’imam Chaoui, i.e. refuser de délivrer une certification d’occupation permettant des activités religieuses dans un centre communautaire.

Comme la Charte des droits garantit la liberté de religion et que la radicalisation peut aussi se faire dans des lieux de culte, le professeur propose une autre solution : l’accréditation des leaders religieux.

« Pour être un dirigeant religieux, l’État québécois devrait exiger une formation universitaire reconnue par le ministère de l’Éducation. Sans formation, pas d’accréditation ni reconnaissance. En somme, une personne ne devrait pas avoir le droit d’exercer la profession de membre du clergé sans avoir les compétences requises ». http://plus.lapresse.ca/screens/30a8a9a9-016d-44d5-85aa-c9b023876289%7C_0.html

Pas de prêcheur sans diplôme! La grosse paix! Et ça crée des emplois en théologie…

Bel effort, mais ce genre de propos n’évoque-t-il pas « l’habitant de l’île d’Orléans » de Félix Leclerc :

« Pour philosopher apprenez
Qu’il faut d’abord la permission
Des signatures et des raisons
Un diplôme d’au moins une maison spécialisée… »

Il y a 2000 ans, la solution du professeur Gagné aurait neutralisé le Christ.

Chicane franco-canadienne

Dans Le Devoir de ce matin, sous le titre « Québec, notre grand frère nous abandonne », le président de l’ACFA, porte-parole de la francophonie albertaine, écrit entre autres choses que le Québec « dit non à l’enseignement du français dans l’Ouest canadien » (http://www.ledevoir.com/politique/canada/430330/francophones-hors-quebec-le-quebec-notre-grand-frere-nous-abandonne). Jean Johnson réagit à un article de Philippe Orfali qui s’intitulait « Québec s’oppose aux minorités francophones » (Le Devoir du 22 janvier).

Les Québécois peu familiers avec la cause actuellement débattue en Cour suprême le resteront malheureusement si leur information se limite à ces deux textes (et particulièrement aux titres simplificateurs), d’autant plus qu’il règne un silence à peu près total sur ce sujet dans les médias québécois, mis à part Le Devoir, justement, qui a consacré plusieurs textes de fond sur cette cause et l’interprétation de l’article 23 de la Charte canadienne des droits.

Michel David a cerné la question dans sa chronique du 27 janvier (« La famille éclatée » – http://www.ledevoir.com/politique/quebec/430050/la-famille-eclatee).

« L’article 23 de la Charte canadienne des droits stipule que les citoyens canadiens qui ont reçu leur instruction primaire en français ou en anglais au Canada, et qui résident dans une province où cette langue est celle de la minorité, ont le droit de faire instruire leur enfant dans cette langue au primaire et secondaire.

Le bassin d’élèves francophones étant limité, la Commission scolaire francophone du Yukon (CSFY) voudrait pouvoir accueillir des descendants de francophones, des immigrants ou simplement des francophiles qui ne répondent pas aux critères de l’article 23, mais le gouvernement du territoire s’y oppose pour des raisons financières ».

La question est de savoir s’il revient à la minorité francophone d’une province de déterminer qui peut avoir accès à l’instruction en français. On imagine avec quel intérêt la minorité anglo-québécoise attend cette décision qui pourrait lui permettre de contourner les dispositions de la loi 101. David précise qu’« aucun gouvernement, libéral ou péquiste, n’a voulu envisager cette possibilité » et, comme l’avait fait le gouvernement Bourassa en 1989, dans une cause concernant les Franco-Albertains, le gouvernement du Québec se range de l’avis du Yukon.

Dans un point de vue publié mercredi, toujours dans Le Devoir (« Québec ne joue pas franc jeu »), le professeur André Braën « imagine facilement ce qu’il adviendrait si l’admissibilité à l’école anglaise au Québec était laissée entre les mains de la minorité elle-même. Bref, ce serait la situation du libre choix d’avant la loi 101 ». Mais le juriste se demande si l’interprétation de l’article 23 « doit être uniforme partout au Canada ou si l’asymétrie est possible ». (http://www.ledevoir.com/politique/quebec/430095/francophones-au-yukon-quebec-ne-joue-pas-franc-jeu)

Un autre juriste, Guillaume Rousseau, reprend cette idée d’asymétrie dans un texte qu’il signe le même jour, et dans le même journal, avec Éric Poirier (« Sortir du piège de l’article 23 »  -     http://www.ledevoir.com/politique/quebec/430094/sortir-du-piege-de-l-article-23).

« Le Québec pourrait inciter la Cour suprême à davantage tenir compte du contexte et donc à interpréter strictement le droit à l’école anglaise au Québec, tout en interprétant largement les droits scolaires des minorités francophones du reste du Canada.

Théoriquement, cette position se tiendrait, entre autres parce que la Cour a elle-même souvent répété que, lorsqu’on interprète une loi, il faut tenir compte du contexte. Les conséquences politiques d’un tel raisonnement pourraient toutefois freiner une évolution de la jurisprudence dans ce sens. Les Canadiens anglais accepteraient mal une interprétation moins favorable à l’anglais au Québec qu’au français dans le reste du Canada. »

On voit ça d’ici : le Québec traité différemment… Pour Rousseau et Poirier, c’est risqué : la jurisprudence interprétant largement le droit à l’école française au Canada anglais servirait d’argument en faveur d’un droit toujours plus large à l’école anglaise au Québec.

La position du Québec pourrait cependant évoluer afin d’échapper au piège de l’article 23 : « Québec pourrait cesser ses interventions devant les tribunaux contre les droits des francophones du reste du Canada et les associations franco-canadiennes pourraient cesser d’intervenir contre la loi 101 et ses objectifs ».

Dans les familles en chicane, il faut peut-être espacer les réunions ou éviter certains sujets de discussion.

Partant pour la Syrie…

Les nombreuses allusions à des voyages entre la France et la Syrie ont éveillé le vague souvenir d’une chanson sur ce thème. Coup d’œil dans l’extraordinaire Mémoire de la chanson (Omnibus, 1998, p. 364) : c’est précisément Départ pour la Syrie ou Partant pour la Syrie, un «chant national» , paroles du comte Alexandre de Laborde (1774-1842), archéologue, et musique de la belle-fille de Napoléon, Hortense de Beauharnais (1783-1837), reine de Hollande.

Partant

Quelques clics sur Internet en révèlent autant qu’on en veut.

Créé à l’époque de Napoléon 1er, puis séditieux sous la Restauration, Partant pour la Syrie devient un véritable hymne national sous le Second Empire en 1852 (La Marseillaise était en pénitence…). On le chante partout, dans les bals et les cérémonies officielles, jusqu’à plus soif, dira-t-on…

Partant-Hortense_de_Beauharnais

Témoin d’un genre à la mode sous le Premier Empire (les chansons évoquant le Moyen Âge et ses troubadours), Partant pour la Syrie raconte l’histoire du comte de Dunois, un compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, qui aurait demandé à la Vierge Marie de le bénir avant son départ pour une croisade en Syrie. À son retour, son seigneur lui aurait accordé la main de sa fille Isabelle.

En fait, le vrai Dunois n’a pas participé aux croisades qui ont débuté en 1095, peu après que les Turcs Seldjoukides eurent pris le contrôle de Jérusalem (à partir de 1078) et bloqué le passage vers les Lieux saints aux pèlerins chrétiens.

Quelques clics supplémentaires permettent de trouver des partitions d’époque et de corriger quelques imprécisions dans les versions reproduites sur plusieurs sites (On voit aussi que plusieurs interprétions disponibles sont incomplètes, dont celle-ci https://www.youtube.com/watch?v=ORvTZMXV_ok).

Partant3

La fin du règne de Napoléon III aura raison de ce « ver d’oreille ». Partant pour la Syrie a connu peu d’enregistrements (il y a eu Tino Rossi), l’armée française le garde à son répertoire, mais les Français l’ont oublié.

Cette chanson rappelle que des Français, entre autres, sont partis pour le Syrie combattre les infidèles.

On en est heureusement revenus. Depuis près de 1000 ans.

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Partant pour la Syrie

I
Partant pour la Syrie
Le jeune et beau Dunois
Venait prier Marie
De bénir ses exploits.
« Faites, Reine Immortelle,
Lui dit-il en partant,
Qu’aimé de la plus belle (bis)
Je sois le plus vaillant. » (bis)
III
« Viens, fils de la victoire
Dunois, dit le Seigneur,
Puisque tu fais ma gloire
Je ferai ton bonheur !
De ma fille Isabelle,
Sois l’époux à l’instant,
Car elle est la plus belle (bis)
Et toi le plus vaillant. » (bis)
II
Il écrit sur la pierre
Le serment de l’honneur
Et va suivre à la guerre
Le comte, son seigneur.
Au noble vœu fidèle,
Il crie en combattant :
« Amour à la plus belle (bis)
Honneur au plus vaillant. » (bis)
IV
À l’autel de Marie,
Ils contractent tous deux
Cette union chérie
Qui seule rend heureux.
Chacun dans la chapelle
Disait en les voyant :
« Amour à la plus belle (bis)
Honneur au plus vaillant. » (bis)

 

Le fantasme d’Auguste Choquette

Auguste Choquette était député libéral à Ottawa quand l’unifolié canadien est né dans la douleur, en décembre 1964.

Drapeau canadien -1965

Fier d’avoir participé au vote historique, il s’anime en voyant poindre le 50e anniversaire de la présentation officielle du drapeau canadien le 15 février 1965. Aussi « rêve-t-il tout haut » dans une entrevue au Soleil : « Ce que je nourris comme souhait, ce qui est matérialisable, selon moi, sans blesser les susceptibilités de trop de gens, c’est ceci: ce serait merveilleux de hisser sur la tour du parlement, à Québec, le drapeau du Canada avec celui du Québec ». D’après ce qu’il a confié à la journaliste Brigitte Lavoie, dans Le Soleil du 27 décembre dernier, l’ancien député fédéral aurait même écrit au premier ministre du Québec à ce sujet (http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/societe/201412/26/01-4831097-rendez-vous-pour-les-50-ans-de-lunifolie.php)

Avant que cette idée saugrenue ne trouve des adeptes au Cabinet et chez les Québécois qui considèrent les drapeaux comme des éléments décoratifs qu’on accroche au gré de ses humeurs, est-il nécessaire de rappeler les dispositions de la Loi sur le drapeau? Article 2 : « Emblème national du Québec, le drapeau doit être déployé sur la tour centrale de l’Hôtel du Parlement ».

Drapeau + Hôtel du Parlement

Le législateur n’a pas jugé bon de dire explicitement « à l’exclusion de tout autre emblème », tellement la chose va de soi. Il a cependant tenu à consigner cette obligation dans la loi en sachant à quel point le Québec peut parfois hésiter à se comporter comme tout État normal, soit exprimer son identité et défendre son champ de compétences (ce que monsieur Choquette inclut probablement dans les « susceptibilités »). On a vu comment le gouvernement du Québec, pendant une décennie, a « oublié » de souligner correctement la journée du drapeau (21 janvier), son emblème national le plus important, alors que le gouvernement fédéral, lui, multiplie le matériel promotionnel et « pédagogique », sans aucune crainte de se faire accuser de propagande. Pire, on maintient au Salon rouge, contre toute logique protocolaire, un drapeau qui n’a rien à voir avec les attributions constitutionnelles du Québec et les compétences législatives de son Assemblée nationale, comme si l’Hôtel du Parlement abritait une succursale du Parlement canadien. N’a-t-on pas déjà assez des municipalités et des universités qui se considèrent comme des créatures du gouvernement fédéral?

Monsieur Choquette peut s’enorgueillir, à juste titre, d’avoir participé à l’adoption de la Loi sur le drapeau et espérer être invité, « le temps d’une cérémonie », à Ottawa, pour ce qu’il appelle « son dernier rendez-vous avec l’histoire politique canadienne », la commémoration des 50 ans de l’unifolié. Il faut cependant que le premier ministre du Québec lui réponde que son gouvernement respecte les champs de compétences définis par son ancêtre Étienne-Pascal Taché, un Père de la Confédération (même s’il est mort en 1865), et qu’il laissera au gouvernement fédéral le soin de célébrer les anniversaires des institutions canadiennes, ce dont il s’acquitte généralement sans peine et sans compter.

Mourir au mauvais moment

On dit que la mort est la seule chose juste en ce bas monde mais, encore là, il existe une hiérarchie dans la disparition surtout chez ce qu’on appelle les « personnalités ». Le monologuiste Gilles Pellerin, fort populaire à son époque, a eu le malheur de mourir un jour avant Elvis Presley. Son départ n’a pas fait de bruit. Dix ans plus tard, un grand « favori des dames », Yoland Guérard, mourait juste après René Lévesque.

Depuis une dizaine de jours, les départs se sont précipités dans le monde artistique, un décès chassant l’autre : Françoise Gratton, Picolo, Muriel Millard, … et même cette « reine du music-hall » a dû laisser toute la scène à Jean Béliveau.

Un autre grand Québécois a été éclipsé en mourant le même jour que le « Numéro 4 ». Décédé le 2 décembre, André Laurin méritait mieux, dans les médias d’information générale, qu’un simple texte du Soleil perdu en fin de journal (http://www.lapresse.ca/le-soleil/affaires/consommation/201412/03/01-4824974-andre-laurin-1926-2014-un-grand-defenseur-des-consommateurs-seteint.php) et une lettre de lecteur au Devoir (http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/426229/andre-laurin-utopiste), …

Du hautbois au budget familial

Né en 1926, dans une famille aisée de Québec, André Laurin aurait été hautboïste, n’eût été la tuberculose qui lui a littéralement coupé le souffle. Il se retrouve plutôt au comptoir postal de la Compagnie Paquet dont sa mère avait hérité du fondateur, Zéphirin Paquet.

Sensibilisé à la misère des petites gens en accompagnant son père médecin puis en s’engageant dans la société Saint-Vincent-de-Paul dès son adolescence, André Laurin s’intéresse au problème de l’endettement et réussit à redresser la situation de la première famille pauvre qui lui est confiée en lui faisant établir et respecter un budget. Sa tentative pour associer le mouvement Desjardins à une action concertée pour réduire l’endettement est reçue plus que froidement et il se tourne vers la Confédération des syndicats nationaux (CSN) où il crée le service budgétaire familial en 1962. Il se trouvait alors dans une situation paradoxale car la Compagnie Paquet avait contesté la formule Rand jusqu’en Cour suprême!

laurin-jeune

Laurin s’attaque aux « compagnies de finance » qui régnaient alors en l’absence de toute réglementation sérieuse protégeant les consommateurs. À Chicoutimi, en particulier, comme le rappelle le président de la CSN, malgré les menaces de poursuites, il mène « une lutte acharnée contre les requins de la finance qui égorgeaient littéralement les travailleurs et leurs familles ». Dans plus de 200 procès, il prouve l’illégalité des contrats de vente à tempérament et des taux d’intérêt exigés par Household Finance et compagnie.

Un réformateur imaginatif

À cette époque où les citoyens trouvaient naturellement des solutions à leurs besoins dans l’action communautaire, André Laurin se consacre à la mise sur pied d’outils neufs. Les caisses populaires établies sur une base paroissiale ne lui semblant pas une formule adéquate pour rejoindre les travailleurs, il inspire et contribue à mettre en place une centaine de caisses d’économie au sein de grandes entreprises. Il imagine ensuite un nouveau genre d’outil communautaire, les associations coopératives d’économie familiale, à la fois centre de dépannage et d’éducation populaire, groupes de pression politique et « réseau de coopératives qui prendrait d’assaut les marchés de la consommation de l’habitation de l’automobile, des produits pétroliers, de l’alimentation, etc. »

André Laurin jouera un rôle déterminant dans la mise en place de la première loi sur la protection du consommateur, de l’Aide juridique et de la SAAQ, mais sa grande réalisation se situe en 1971, avec la création de la Caisse d’économie des travailleurs réunis de Québec, une institution innovante qui a fait un peu de bruit car elle optait pour une approche plus collective que les traditionnels services d’épargne et de crédit aux particuliers. Au lieu de viser le meilleur taux d’intérêt sur les dépôts, elle va plutôt mettre en place des services collectifs comme l’achat en groupe de mazout pour le chauffage domestique. Les membres (syndicats et syndiqués) conviennent de placer une partie de leurs épargnes dans des comptes sans intérêts, et ces fonds sont ensuite prêtés à un très faible taux pour la construction de coopératives d’habitation et sans intérêts pour les travailleurs en grève. Laurin est traité de fou (et d’hérétique par les dirigeants des caisses populaires) mais cette coopérative créée avec quelques milliers de dollars affiche aujourd’hui un volume d’affaires d’un 1,5 milliard$ et s’appelle la Caisse d’économie solidaire… Desjardins.

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Laurin 2010

Peu connu du grand public, et mort au mauvais moment, André Laurin était une sorte de Michel Chartrand « tempéré » : il n’a pas eu le même « retentissement » que le syndicaliste de Montréal mais il n’avait rien à lui envier sur le plan de l’engagement, des convictions et surtout des réalisations.

La société québécoise, heureusement, a reconnu les mérites de ce réformateur dérangeant. André Laurin a reçu le premier Prix annuel de la protection du consommateur (2003) et le Prix de la justice (2009). Il a été fait chevalier de l’Ordre national du Québec (2012) et l’Université Laval lui a décerné un doctorat honoris causa en science de la consommation (2014).

(Sur André Laurin, une grande entrevue en deux parties sur https://www.youtube.com/watch?v=xLiexBW2cjk)