La plupart des commentaires émis sur le livre de Louise Lanctôt, Une sorcière parmi les felquistes : journal de la crise d’Octobre (Scriptorium, 2020), omettent de mentionner qu’il s’agit d’une « nouvelle édition revue et enrichie » de Louise Lanctôt, une sorcière comme les autres, paru chez Québec-Amérique en 1981, tel que mentionné dans la page des crédits. Le titre, la couverture, le texte de quatrième et le nombre de pages en font un ouvrage sensiblement différent, qui contient une grande quantité de passages nouveaux ou modifiés.
Plus évidente différence : alors que l’ouvrage précédent commençait avec le départ des membres de la cellule Libération pour Cuba (l’avion de 1981 est changé pour un hélicoptère!), la nouvelle édition débute avec une quarantaine de pages sur ce qui a précédé le départ, de février à novembre 1970. On n’y apprend pas grand-chose, mais l’auteure martèle l’idée que la GRC « connaissait tous nos faits et gestes, avant l’enlèvement, pendant l’enlèvement et bien sûr durant notre exil et à notre retour »; elle a exercé un « contrôle […] sur toute l’activité du FLQ depuis le début de 1970 et jusqu’à notre arrestation en décembre 1970 ». Elle conclut d’ailleurs cette nouvelle partie sur ce thème » : « […] je n’ose qualifier cette utilisation de nos actions que les corps policiers ont faite en nous laissant aller à nos différentes activités sans intervenir, et entrer en scène au moment dit de leur stratégie. Chaque fois que j’ai tenté d’en parler au groupe à Cuba, on me rabrouait, en me répondant que je cherchais à diminuer la portée de l’action du FLQ et à le discréditer ».
Élément intriguant de ce chapitre nouveau : quand le groupe (qui se divisera ensuite en deux cellules) est à Percé (en 1970), il apprend « qu’un groupe de personnes possède de l’argent pour faire un enlèvement ». Ce groupe, qui n’est évidemment pas identifié, est prêt à le remettre si les felquistes s’engagent « expressément à n’utiliser cet argent que pour faire un enlèvement et non pour organiser un groupe de guérilla, comme tous supposent que Paul [Rose] entend le faire ». C’est Louise Lanctôt « sensible à cette marque de confiance d’un groupe [qu’elle ne connait] pas vraiment », qui doit se porter garante de la somme effectivement reçue, ce qui ne manquera pas de mécontenter « les gars ». On ne peut qu’être curieux de savoir qui sont ces mystérieux « investisseurs »…
Dans les parties qui traitent du séjour en France (1974-1978), l’auteure ajoute ici et là des nombreux passages sur les conditions de vie de la famille (elle a deux enfants), son travail et ses activités syndicales et politiques (elle milite au Parti communiste révolutionnaire marxiste-léniniste). Tout au long de cette nouvelle édition, elle dissémine des détails sur les chicanes qui les opposaient, elle et son mari Jacques Cossette-Trudel, aux autres membres de la cellule Libération dès l’arrivée à Cuba et ensuite à l’ensemble des felquistes. À Cuba, les discussions tournent autour de la pertinence des enlèvements. Louise Lanctôt et son mari ne tardent pas à rompre avec le FLQ. Quand sa mère vient à Cuba, elle doit voir ses enfants (Louise et Jacques Lanctôt) séparément. Quand Michel Chartrand passe à son tour, il traite les Cossette-Trudel d’« intellectuels de café ».
Le départ vers la France permet de s’éloigner de ces conflits mais ils sont évoqués à l’occasion, notamment après la diffusion d’une entrevue que les Cossette-Trudel donnent à Denise Bombardier en avril 1978. Le Centre d’information sur les prisonniers politiques (CIPP) délègue une avocate pour les rencontrer à leur appartement et ses premiers mots seront : « Paul fait dire de vous la fermer! ». La déléguée leur reproche d’avoir « présenté l’exil comme un châtiment alors qu’il n’est qu’un magnifique voyage de couple qui, en plus, a eu la liberté d’avoir des enfants », un argument « que la mouvance felquiste et les felquistes ne cesseront par la suite de […] rabâcher »; elle prétend de plus que « les autres exilés ont honte d’avoir été en exil plutôt qu’en prison et qu’ils savent se taire et respecter ceux qui sont en prison! ». Louise Lanctôt est évidemment outrée et dit avoir ensuite été suivie par deux hommes pendant quelque temps, craignant même de subir le même sort que Bachand.
Dans la partie où elle raconte le retour au Québec, elle insère quelques nouveaux passages qui vont dans le même sens, dont celui-ci : « Chaque fois que nous passons à la Cour, le palais de justice est rempli de journalistes, de personnes qui veulent voir comment se déroule notre procès, mais il y a aussi des membres du CIPP et amis de l’entourage de Paul Rose, haranguant les gens autour d’eux pour expliquer comment Jacques Cossette-Trudel et Louise Lanctôt sont des traitres. Ils ont des mots crus qu’aucune de mes sœurs n’ose me répéter. Mes sœurs sont scandalisées et les reprennent vertement. »
Elle revient sur les conflits dans les dernières pages (nouvelles) de l’ouvrage. « Je me suis longtemps souvenue, écrit-elle, du jour où, après une discussion autour de la table à Guanabo – la dernière du groupe en fait – l’amie d’un des membres est venue me trouver pour me dire que celui-ci ne pouvait plus discuter avec moi parce que je n’étais pas féminine. Quelle dignité a acquise celle-là au point de venir me déclarer marginale face à mon sexe parce que son mâle l’avait ainsi décidé! »
Il ne fait pas de doute que cette nouvelle édition a permis de plus explicites règlements de comptes, entre autres choses. En tant que femme, Louise Lanctôt a conservé de douloureux souvenirs de la crise d’Octobre et de l’exil. « Il me reste, écrit-elle, de ce vécu spécifique et exacerbé cette fine couche de la hargne des hommes du FLQ qui s’est déposée sur moi tout au long de cette saga et qui s’est durcie à même ma peau, sorte de cotte de mailles que je ne peux décoller sans hurler de douleur ».