Les bretelles de monsieur Deltell

Comptant probablement sur une certaine ignorance du fonctionnement de nos institutions parlementaires, le gouvernement Harper attaque l’opposition sous un angle « innovateur » : l’efficacité. Le candidat conservateur dans Saint-Laurent en a donné un exemple la semaine dernière en déclarant que le bilan du NPD était « nul », comme si on pouvait mesurer l’efficacité de l’opposition à la même aune que le gouvernement (http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/dossiers/elections-federales/201508/03/01-4890148-le-bilan-du-npd-est-zero-attaque-gerard-deltell.php).

Et pour montrer qu’on peut « faire avancer les choses », même dans l’opposition, il a cité « l’exemple de la route de la Bravoure dans le secteur de la base militaire de Valcartier, un projet dont il [a été] l’instigateur ».

Bravoure

Monsieur Deltell compte à la fois sur l’ignorance et l’oubli. Il ne s’agit pas ici de défendre le NPD mais de rappeler certains faits.

En 2009, le député caquiste de Chauveau s’est mis en campagne pour que l’autoroute Henri-IV soit renommée « autoroute de la Bravoure », du pont de Québec jusqu’à Valcartier. Malgré le battage publicitaire mené pendant trois ans et amplifié par certaines stations de radio, la Commission de toponymie (CTQ) a rejeté cette idée, trois fois plutôt qu’une (2009, 2010 et 2012), acceptant cependant que le prolongement de l’autoroute Henri-IV, de Bélair à Shannon, soit appelé « ROUTE de la Bravoure ». Cette décision a été présentée diplomatiquement comme un « compromis ». Oubliant son objectif initial, le député caquiste a convaincu les médias que c’était « une victoire » (Le Soleil, 16 mai 2012), et même une « victoire totale pour les militaires, pour leurs familles, pour leurs proches » (http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/regional/quebec/archives/2012/05/20120516-163748.html). Quant à ceux qui défendaient Henri IV (dont la Fédération des sociétés d’histoire), ils ont eu la délicatesse de ne pas pavoiser après avoir conservé leur cheval en échange d’un lapin.

Ce que le candidat conservateur ne dit pas, c’est qu’il avait l’appui du tout-puissant maire de Québec, du caucus régional des députés ministériels et du premier ministre Jean Charest lui-même, sans compter que ce dernier venait de nommer à la CTQ une nouvelle présidente plus « ouverte » au réexamen d’une proposition refusée deux fois. Ainsi armé, un député de l’opposition n’a pas vraiment de mérite à gagner sa cause… Or, il l’a perdue, n’obtenant comme prix de consolation qu’un bout de route de campagne sans bretelles.

 

Ce qui n’empêche pas le député de faire péter les siennes.

Bravoure3

 

 

Déjà un record pour le Centre Videotron: le premier spectacle annulé

Centre Videotron

On aurait dû la voir venir, celle-là.

En avril, le Groupe Sports et divertissement de Québecor avait annoncé « trois semaines de spectacles et d’événements sportifs […] pour lancer en grand les festivités d’inauguration du Centre Vidéotron ». Un éventail « de spectacles et d’événements où chacun y trouverait son compte », avait déclaré Benoît Robert : deux matchs des Remparts, un match des Canadiens, un match de boxe, Metallica, Madonna, RBO, et, pour donner un petit vernis culturel à la chose (car cet amphithéâtre n’a pas été construit seulement pour le sport, n’est-ce pas ?), un grand « party d’ouverture mettant en vedette des artistes que le public québécois affectionne », une « grande fête musicale en trois temps » pour un public « qui aura droit à un feu roulant de surprises dès son arrivée sur place, et jusqu’à la toute fin de la soirée, alors que le spectacle se poursuivra à l’extérieur de l’amphithéâtre ».

http://www.quebecor.com/fr/comm/le-centre-vid%C3%A9otron-d%C3%A9voile-sa-programmation-d%E2%80%99ouverture

Les détails devaient être « dévoilés prochainement ». Les rumeurs partaient: Céline, Marie-Mai….

Trois mois plus tard (et deux jours après avoir pris possession des lieux), le gérant de la bâtisse profite d’un beau vendredi après-midi et d’une population encore « stone » pour émettre le communiqué classique du politicien qui veut noyer la mauvaise nouvelle et annoncer qu’il n’y aura pas de spectacle le 11 septembre. C’est le premier match des Remparts qui marquera l’ouverture du Centre Vidéotron le lendemain et  la « Nordi City » sera à l’honneur. Exit le contenu musical francophone; on ne fera pas ombrage au Festival d’été.

http://ici.radio-canada.ca/regions/quebec/2015/07/17/011-centre-videotron-spectacle-ouverture-annule.shtml

Depuis l’annonce d’avril, explique-t-on, Québec a programmé des visites guidées du nouvel amphithéâtre… Donc, les contribuables qui veulent voir la couleur de leur investissement et ne sont pas entichés de sport ou de rock (incluant celui qui a des oreilles) n’ont qu’à s’inscrire pour les visites au début de septembre.

Si le maire pouvait les guider personnellement, ça ferait au moins un petit spectacle.

 

Le Summer Fest-Québec

Les jeux sont faits pour le Festival d’été. Nickelback est remplacé par Alan Parsons et les Foo Fighters viendront même en béquilles.

Le placard publicitaire publié récemment est éloquent : dans la mer des artistes anglo-américains surnagent des Français (Bruel et IAM) et deux Montréalais qui chantent en anglais; puis, beaucoup plus bas (neuvième rang), Vincent Vallières, suivi, en formation dispersée, de quelques artistes qui chantent au Québec dans la langue de la majorité. Ne cherchez pas Alexandre Belliard, il est probablement dans les « plusieurs autres » et il s’exécutera le soir où les Foo Fighters seront sur le Plaines et pourraient bien enterrer ses « Légendes d’un peuple ». (il ne sera pas le premier artiste confiné au parc de la Francophonie à subir ce genre de concurrence).

FEQ 2015

Comme le soulignait le Journal de Québec du 3 juillet dernier, les festivaliers de 2015 vivront « une première: les Plaines n’auront aucune tête d’affiche québécoise chantant en français en 2015. Les deux cases horaires consacrées à la chanson francophone seront défendues par des Français ». Consolation : d’après le Journal de Québec (7 juillet), « il est presque assuré que [Pascale] Picard fera une chanson en français »…

En 2010, la programmation du FEQ avait suscité une certaine contestation et pourtant Vigneault était assez haut dans l’affiche (quatrième ligne) immédiatement suivi des « Chansons d’abord ». C’est dire le « progrès » réalisé en cinq ans!

Dans une mise au point publiée par Le Soleil le 12 mai 2010, la présidente du Festival était intervenue pour « rétablir les faits » et avait cité le texte même de la mission de son organisation : « Le Festival doit animer, l’année durant, la ville de Québec, pour tous les gens d’ici et d’ailleurs, avec une fête des arts de la scène et de la rue valorisant la chanson francophone et les projets de création, tout en étant ouverte au reste de la production culturelle dans le monde et à la découverte ».

Analysée logiquement, cet énoncé priorise « la chanson francophone et les projets de création ». Si c’est toujours la mission du FEQ, on est loin du compte.

Pris sur le fait

Au milieu des années 1970, quand le député de Charlevoix était ministre des Transports, on disait à la blague qu’on ne pouvait rester trop longtemps sur le bord d’une route de son comté sans risquer de se faire asphalter!

De la même manière, ceux qui fréquentaient (trop?) le Café du Parlement risquaient pour leur part de figurer sur les cartes postales officielles de l’Assemblée nationale.

Café du Parlement0001

À preuve, cette pièce de collection (et à conviction) qui date des environs de 1977 et montre, au centre, un trio de fonctionnaires attablés un matin d’été, soit une jeune femme aux épaules dénudées assise en face d’un moins jeune homme, le soussigné, avec son fameux safari marine (et les coudes sur la table…), et en compagnie (de dos) d’un collègue à la calvitie précoce.

C’était la belle époque où les photographes pouvaient travailler sans demander de permissions, surtout aux figurants pris sur le fait d’une pause allongée.

Je me souviens (c1907)

Il a déjà été question de Rémi Tremblay (1847-1926) dans ce blogue. Ce journaliste se plaisait à décrire l’actualité en parodiant des chansons populaires, à la mode ou folkloriques. Ses pièces étaient souvent légères, et sans prétention littéraire, mais il en a produit de plus tragiques, comme Aux Chevaliers du nœud coulant (allusion aux bourreaux de Louis Riel…) qui lui fit perdre son poste de traducteur aux Communes. Celle qui suit constitue un véritable cours d’histoire pour les Canadiens français et prend pour titre la devise créée par Taché qui deviendra officielle en 1939.

Tremblay, Rémi

Je me souviens du temps où les tendres caresses
De parents vénérés savaient sécher mes pleurs,
Où Clio, me narrant les antiques prouesses,
M’entrouvrait du passé les vastes profondeurs.
Je me souviens des jours de ma première enfance,
J’étais naïf alors et je le redeviens.
Des vieux actes de foi, d’amour et d’espérance,
Je me souviens.

Je me souviens d’un temps, qui reviendra peut-être,
Où le mérite avait le pas sur l’entregent,
Où l’on sacrifiait volontiers son bien-être
Au devoir, sans passer pour inintelligent,
Où le vice doré n’osait lever la tête,
Où la seule vertu comportait tous les biens.
D’un temps où l’on était tout simplement honnête.
Je me souviens.

Je me souviens — Voyez, si j’ai bonne mémoire
Alors que sur mon front douze lustres ont lui —
Je me souviens d’exploits consignés dans l’histoire
Qui scandaliseraient nos hommes d’aujourd’hui.
Si l’on mourait encor pour défendre sa race,
Lorsqu’ils verraient surgir des héros canadiens,
Nos froids calculateurs se voileraient la face.
Je me souviens.

Je me souviens aussi des jours de défaillance.
Où nos chefs, oublieux de notre dignité
Ont, après un semblant de molle résistance,
Laissé porter atteinte à notre liberté.
De tous les tyranneaux qui se disaient nos maîtres,
De ceux qui se sont faits leurs perfides soutiens,
Des lâches apostats, des vendus et des traîtres,
Je me souviens.

Je me souviens aussi des braves patriotes
Morts au champ de l’honneur: de tous ceux qui, jadis,
Ont su rester debout en face des despotes,
Réfractaires et sourds aux lâches compromis.
De ces fiers laboureurs qui, prompts comme la foudre,
Savaient se transformer en soldats-citoyens,
(Sans vivres, sans argent, sans fusils et sans poudre.)
Je me souviens.

Je me souviens de ceux qui, dans une autre sphère,
Ont su, par leurs écrits, leurs actes, leurs discours,
Assurer, sur le sol du nouvel hémisphère,
Des généreux efforts le précieux concours.
Des hardis découvreurs, prêtres et moralistes,
Poètes, romanciers, doctes historiens,
Apôtres du progrès, orateurs, journalistes,
Je me souviens.

Je me souviens. Malgré ce qu’on a feint de croire,
Je n’admettrai jamais qu’un malheureux traité,
Nous dérobant le fruit d’une ultime victoire,
Nous décerne un brevet d’infériorité.
Nos pères, en tous lieux signalant leur vaillance,
Se sont montrés du droit inflexibles gardiens.
Admirant leurs hauts faits, des gloires de la France,
Je me souviens.

Rémi Tremblay
Tremblay, Rémi -livre