Mourir au mauvais moment

On dit que la mort est la seule chose juste en ce bas monde mais, encore là, il existe une hiérarchie dans la disparition surtout chez ce qu’on appelle les « personnalités ». Le monologuiste Gilles Pellerin, fort populaire à son époque, a eu le malheur de mourir un jour avant Elvis Presley. Son départ n’a pas fait de bruit. Dix ans plus tard, un grand « favori des dames », Yoland Guérard, mourait juste après René Lévesque.

Depuis une dizaine de jours, les départs se sont précipités dans le monde artistique, un décès chassant l’autre : Françoise Gratton, Picolo, Muriel Millard, … et même cette « reine du music-hall » a dû laisser toute la scène à Jean Béliveau.

Un autre grand Québécois a été éclipsé en mourant le même jour que le « Numéro 4 ». Décédé le 2 décembre, André Laurin méritait mieux, dans les médias d’information générale, qu’un simple texte du Soleil perdu en fin de journal (http://www.lapresse.ca/le-soleil/affaires/consommation/201412/03/01-4824974-andre-laurin-1926-2014-un-grand-defenseur-des-consommateurs-seteint.php) et une lettre de lecteur au Devoir (http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/426229/andre-laurin-utopiste), …

Du hautbois au budget familial

Né en 1926, dans une famille aisée de Québec, André Laurin aurait été hautboïste, n’eût été la tuberculose qui lui a littéralement coupé le souffle. Il se retrouve plutôt au comptoir postal de la Compagnie Paquet dont sa mère avait hérité du fondateur, Zéphirin Paquet.

Sensibilisé à la misère des petites gens en accompagnant son père médecin puis en s’engageant dans la société Saint-Vincent-de-Paul dès son adolescence, André Laurin s’intéresse au problème de l’endettement et réussit à redresser la situation de la première famille pauvre qui lui est confiée en lui faisant établir et respecter un budget. Sa tentative pour associer le mouvement Desjardins à une action concertée pour réduire l’endettement est reçue plus que froidement et il se tourne vers la Confédération des syndicats nationaux (CSN) où il crée le service budgétaire familial en 1962. Il se trouvait alors dans une situation paradoxale car la Compagnie Paquet avait contesté la formule Rand jusqu’en Cour suprême!

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Laurin s’attaque aux « compagnies de finance » qui régnaient alors en l’absence de toute réglementation sérieuse protégeant les consommateurs. À Chicoutimi, en particulier, comme le rappelle le président de la CSN, malgré les menaces de poursuites, il mène « une lutte acharnée contre les requins de la finance qui égorgeaient littéralement les travailleurs et leurs familles ». Dans plus de 200 procès, il prouve l’illégalité des contrats de vente à tempérament et des taux d’intérêt exigés par Household Finance et compagnie.

Un réformateur imaginatif

À cette époque où les citoyens trouvaient naturellement des solutions à leurs besoins dans l’action communautaire, André Laurin se consacre à la mise sur pied d’outils neufs. Les caisses populaires établies sur une base paroissiale ne lui semblant pas une formule adéquate pour rejoindre les travailleurs, il inspire et contribue à mettre en place une centaine de caisses d’économie au sein de grandes entreprises. Il imagine ensuite un nouveau genre d’outil communautaire, les associations coopératives d’économie familiale, à la fois centre de dépannage et d’éducation populaire, groupes de pression politique et « réseau de coopératives qui prendrait d’assaut les marchés de la consommation de l’habitation de l’automobile, des produits pétroliers, de l’alimentation, etc. »

André Laurin jouera un rôle déterminant dans la mise en place de la première loi sur la protection du consommateur, de l’Aide juridique et de la SAAQ, mais sa grande réalisation se situe en 1971, avec la création de la Caisse d’économie des travailleurs réunis de Québec, une institution innovante qui a fait un peu de bruit car elle optait pour une approche plus collective que les traditionnels services d’épargne et de crédit aux particuliers. Au lieu de viser le meilleur taux d’intérêt sur les dépôts, elle va plutôt mettre en place des services collectifs comme l’achat en groupe de mazout pour le chauffage domestique. Les membres (syndicats et syndiqués) conviennent de placer une partie de leurs épargnes dans des comptes sans intérêts, et ces fonds sont ensuite prêtés à un très faible taux pour la construction de coopératives d’habitation et sans intérêts pour les travailleurs en grève. Laurin est traité de fou (et d’hérétique par les dirigeants des caisses populaires) mais cette coopérative créée avec quelques milliers de dollars affiche aujourd’hui un volume d’affaires d’un 1,5 milliard$ et s’appelle la Caisse d’économie solidaire… Desjardins.

***

Laurin 2010

Peu connu du grand public, et mort au mauvais moment, André Laurin était une sorte de Michel Chartrand « tempéré » : il n’a pas eu le même « retentissement » que le syndicaliste de Montréal mais il n’avait rien à lui envier sur le plan de l’engagement, des convictions et surtout des réalisations.

La société québécoise, heureusement, a reconnu les mérites de ce réformateur dérangeant. André Laurin a reçu le premier Prix annuel de la protection du consommateur (2003) et le Prix de la justice (2009). Il a été fait chevalier de l’Ordre national du Québec (2012) et l’Université Laval lui a décerné un doctorat honoris causa en science de la consommation (2014).

(Sur André Laurin, une grande entrevue en deux parties sur https://www.youtube.com/watch?v=xLiexBW2cjk)

Les vestiges de l’hôpital Jeffery Hale

Les Immeubles Jeffrey Hale qui appartiennent à la société Immeuble populaire de Québec inc. (1977) sur le boulevard René-Lévesque sont les deux plus anciens pavillons qui restent de l’hôpital Jeffery Hale.

Le Répertoire du patrimoine culturel décrit ainsi les bâtiments  qui portent les numéros civiques 250 et 300:

« Le pavillon principal [250] est érigé en 1900 et 1901. Il s’agit d’un édifice en brique rouge, de plan en « T » à deux étages et demi, coiffé d’un toit à croupes. Sa façade antérieure comprend un avant-corps central coiffé d’un toit en pavillon, doté d’une imposante lucarne et flanqué de tours légèrement en saillie à toit pyramidal. Construit de 1904 à 1906, le McKenzie Memorial Building [300] est un édifice en brique rouge, de plan en « L » à trois étages, coiffé d’un toit plat et d’un dôme central. L’avant-corps central de la façade antérieure est couronné d’un fronton flanqué de tours coiffées d’un petit dôme et est doté d’un porche semi-circulaire ». (http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=92959&type=bien#.VG-uP2d0yM8)

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Ancien hôpital Jeffery-Hale, 250, boul. René-Lévesque est. Photo Christian Lemire 2007, © Ministère de la Culture et des Communications.

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McKenzie Memorial Building de l’ancien hôpital Jeffery-Hale, 300, boul. René-Lévesque est. Photo Christian Lemire 2007, © Ministère de la Culture et des Communications

Le Répertoire du patrimoine culturel fournit aussi des indications sur les architectes et le style des bâtiments :

« Les deux bâtiments ont été érigés d’après les plans des architectes montréalais Alfred Arthur Cox (1860-1944) et Louis-Auguste Amos (1869-1948). Ils témoignent de l’influence de courants architecturaux en vogue au début du XXe siècle. En effet, le pavillon principal et le McKenzie Memorial Building, dont l’organisation est conçue dans l’esprit Beaux-arts, présentent un volume fonctionnel et une ornementation puisant dans différents styles. Élevé en 1900 et 1901, le pavillon principal illustre l’influence néo-Queen Anne, entre autres par l’usage décoratif de la brique, le jeu des couleurs, les lucarnes à la hollandaise et les tours à toit pyramidal. Le McKenzie Memorial Building, construit de 1904 à 1906, ajoute une note néo-baroque, notamment par son imposant dôme ainsi que par son avant-corps central couronné d’un fronton et flanqué de tours coiffées d’un petit dôme. Les deux pavillons, grâce à leur implantation et à leurs similitudes de volume, de composition et de matériaux, forment un ensemble monumental remarquable. Avec l’ancienne résidence des infirmières, ils sont aujourd’hui intégrés à un complexe résidentiel qui dénote un effort d’intégration des immeubles récents. Ils constituent encore un élément fort du paysage urbain ». (http://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=92959&type=bien#.VHJ7VWd0yM)

Les origines du « Jeff »

(Les informations qui suivent sont essentiellement tirées de l’ouvrage d’Alain Gelly, Centre hospitalier Jeffery Hale’s Hospital Centre, 1865-1990, Québec, 1990, 188 p., ill.)

L’hôpital québécois désigné communément sous le nom de « Jeff » est fondé en 1865 et reçoit son premier patient en 1867. Il était alors situé sur la rue Saint-Olivier, à l’angle de Des Glacis et avait été nommé en l’honneur d’un important marchand de Québec, Jeffery Hale (sur Hale, voir le Dictionnaire biographique du Canada en ligne http://www.biographi.ca/en/bio.php?id_nbr=4474)


Un nouvel emplacement

En 1895, désireux de donner plus d’envergure à l’établissement, le Bureau des gouverneurs achète un vaste terrain situé dans le quadrilatère formé par les rues Saint-Cyrille (auj. René-Lévesque), Notre-Dame du Précieux-Sang (Turnbull), Lockwell et Claire-Fontaine. La propriété comprend des bâtiments de ferme ainsi que l’une des tours Martello construite entre 1805 et 1810.

« Le choix de ce terrain est dû en grande partie à la décision des autorités du Jeffery Hale’s Hospital de construire un hôpital de type pavillonnaire, c’est-à-dire un hôpital où les bâtiments sont isolés les uns des autres afin « de limiter le transport des germes, bactéries et [améliorer] les conditions antiseptiques » […]. (Gelly, p. 42)

« Les contraintes monétaires feront que ces bâtiments seront construits à plusieurs années d’intervalle et sans véritable plan directeur. Cette situation explique, en grande partie, pourquoi les bâtiments sont disposés de manière asymétrique et sans aucune uniformité architecturale. Malgré tout, les administrateurs réussiront à allouer une fonction spécifique à chaque bâtiment et à les isoler les uns des autres. Cette persévérance dotera Québec de son seul hôpital de type pavillonnaire ». (Gelly, p. 68)

Le bâtiment principal

Le bâtiment principal, le premier construit, est celui qui se trouve toujours sur le coin Turnbull-René-Lévesque (numéro civique 250). Il doit regrouper « tous les cas généraux et les bureaux de l’administration ». La construction débute en 1900 et l’inauguration a lieu le 12 juin 1901. De part et d’autre de la porte principale, des cartouches indiquent le début la construction : « Anno domine » et « MDCCCC » (1900).

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Le bâtiment principal de l’hôpital Jeffery Hale et la tour Martello no 3. BANQ-Québec, P546,D3,P31, photo Fred C. Würtele, août 1904. Pour une description, voir Quebec Chronicle, 13 juin 1901, p. 4.

Le « pavillon des contagieux »

L’année suivante, on commence la construction du « pavillon d’isolation afin de permettre la mise en quarantaine des personnes atteintes de la fièvre scarlatine et de la diphtérie ». Le « pavillon des contagieux » aurait été terminé en 1903. Il était érigé au coin de Turnbull et Lockwell. C’est le site de l’actuel Centre d’hébergement Le Faubourg, 925, avenue Turnbull.

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Le « quartier des infections », ou « pavillon des contagieux », de l’hôpital Jeffery Hale à l’angle de l’avenue Turnbull et de la rue Lockwell. BANQ, P546,D3,P32, photo Fred C. Würtele, août 1904.

Le pavillon Mackenzie

Ces pavillons sont à peine occupés que Mme Elizabeth MacKenzie-Turnbull lègue 75 000$ pour la construction d’un nouveau pavillon en posant comme condition que ce bâtiment porte le nom de ses parents, comme l’indique une inscription au fronton central : « Erected and endowed in memory of her beloved parents by Mrs J.F. Turnbull » (Érigé et doté en mémoire de ses parents bienaimés par madame J. F. Turnbull).

JHale-1910c-03Q_P546D3P58Le MacKenzie Memorial Building, à droite, et le bâtiment principal. BANQ, P546,D3,P58, photo Fred C. Würtele, vers 1910). Pour une description, voir Quebec Chronicle, 25 septembre 1906, p. 4.

La construction débute en 1904 et l’inauguration a lieu le 24 septembre 1906. Le bâtiment comprend une maternité une salle pour les incurables et des logements pour les infirmières. Il s’agit de l’édifice qui porte aujourd’hui le numéro civique 300, boul. René-Lévesque.

La tour Martello a été démolie à cette époque comme le démontre une photo prise en 1904.

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Démolition de la tour Martello no 3 en 1904. BANQ-Québec, Fonds Fred C. Würtele, P546,D5,P29.

Le pavillon Douglas et la centrale d’énergie

Au printemps 1915, la construction d’un nouveau bâtiment débute à la suite d’une vaste campagne de souscription publique pour doter les anglophones d’un hôpital pour les tuberculeux et surtout grâce à un don exceptionnel du Dr James Douglas. La guerre retarde cependant les travaux, Le « James Douglas Tuberculosis Wards », nommé en l’honneur du généreux donateur, n’ouvre ses portes au public que le 11 février 1918. Conçu par l’architecte Thomas Reid Peacock (voir à son sujet le texte de J.-F. Caron dans Québecensia, novembre 2013), il est situé dans la partie est du quadrilatère, environ à mi-chemin entre Saint-Cyrille (René-Lévesque) et Lockwell, là où se trouve aujourd’hui un complexe immobilier géré par l’OMHQ (920, Claire-Fontaine, construit en 1986).

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Les bâtiments du Jeffery Hale en 1923. BANQ, 3851855_030.

Construite simultanément, une centrale (« central heating plant » ou « Power House ») pouvant répondre aux besoins de l’hôpital commence à fonctionner durant l’hiver 1917-1918. Elle se trouvait dans la partie sud du quadrilatère, là où se dresse aujourd’hui un autre immeuble à logements géré par l’OMHQ (385, Lockwell, construit en 1982).

La résidence des infirmières

Après l’ouverture du « James Douglas Tuberculosis Wards », le développement de l’institution fait une pause. En 1927, une chapelle est inaugurée pour les infirmières résidantes et dédiée à Saint-Barnabé, leur saint patron. Mais, elles ont surtout besoin d’espace pour leur école ouverte en 1901 (la première à Québec).

Encore une fois, c’est un mécène, Frank W. Ross, qui offre 50 000$ pour doter l’hôpital d’une école et d’un lieu de résidence pour les infirmières. Les travaux débutent en 1931 et le bâtiment est inauguré officiellement lors de la cérémonie de collation des diplômes des infirmières le 6 octobre 1932 . Il est toujours debout, au centre du vaste quadrilatère, actuellement propriété de la Coopérative d’habitation Claire-Fontaine (945, Turnbull).

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Le Jeffery Hale vers 1950. Archives de la ville de Québec, no 9815. Copie tirée d’un imprimé.

Ce sera la dernière construction pour l’hôpital Jeffery Hale dans ce quadrilatère. Au lieu d’essayer de rénover les plus anciens bâtiments, les gouverneurs décideront de repartir en neuf, sur un nouvel emplacement (1250, chemin Sainte-Foy) où le « Jeff » qu’on connaît aujourd’hui est ouvert en 1956.

Acquisition de l’hôpital par le gouvernement et destin des bâtiments

Le 2 février 1956, le gouvernement prend possession des anciens bâtiments (Voir la carte de 1957). Après des travaux de rénovation, le bâtiment principal et le pavillon MacKenzie sont occupés par la Sûreté du Québec, jusqu’au milieu des années 1970 puis achetés en 1980 par la Société d’habitation du Québec afin d’être transformés en logements sociaux.

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Le quadrilatère du Jeffery Hale au moment de l’acquisition par le gouvernement. BANQ, carte de 1957, 03Q_P600S6D1P0032.

Le pavillon Douglas sera utilisé par la Cour du Bien-être social puis par divers organismes. Ravagé par un incendie au début des années 1980, il est démoli pour permettre la construction d’un édifice à logement, tel que mentionné ci-dessus, au 920, Claire-Fontaine (sur ce sujet voir la revue Continuité, hiver 1983, été 1984 et été 1985).

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Vue aérienne récente du quadrilatère (Google Maps).

Œil au beurre noir pour la démocratie municipale

Quelques semaines ont passé et il faut bien se rendre à l’évidence que les accrocs à la démocratie ne font mourir personne à Québec.

En réaction à la lettre que lui avait adressée la conseillère Anne Guérette pour protester contre certainspropos du maire de Québec, la présidente du conseil municipal a soutenu en point de presse qu’elle n’avait pas entendu les propos en question et elle a promis qu’elle serait « intraitable » dès qu’elle entendra des « propos personnels volontairement irrespectueux et disgracieux dirigés vers un membre du conseil ».

Il n’y aurait rien à redire sur cette réaction si la présidente du conseil n’avait pas été « étrangement » (selon le mot du Journal de Québec- http://www.journaldequebec.com/2014/11/06/la-presidente-du-conseil-repond-a-guerette) accompagnée de deux conseillères « qui n’ont pas épargné Anne Guérette », ce qui a créé un « certain malaise  » (http://www.quebechebdo.com/Actualites/Politique/2014-11-06/article-3931266/Faux-pas-de-la-presidente-du-conseil-municipal%3F/1).

« Faux pas de la présidente du conseil municipal? », se demandait timidement Québec-Hebdo. Il n’appartenait évidemment pas aux reporters de jouer les analystes sur la scène municipale et ces derniers, manquant de temps, d’espace, voire de sensibilité envers les institutions démocratiques, sont restés dans les coulisses.

On ne peut tout de même pas enterrer aussi facilement cet incident qui entache gravement la présidence conseil.

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C’est peut-être faire beaucoup d’honneurs à la titulaire actuelle de la fonction que de la comparer au président de l’Assemblée nationale, mais peut-on imaginer ce dernier réagir publiquement à une plainte d’un député de l’opposition flanqué de deux députés ministériels pour appuyer sa position? Ou, pour prendre un exemple d’un niveau qui passera mieux à Québec, verrait-on un arbitre de hockey rejeter le protêt d’un entraîneur en appelant des joueurs du camp adverse en renfort?

On savait déjà que la présidence du conseil municipal ne respectait pas les standards de neutralité que la présidence des assemblées parlementaires a atteints et maintenus depuis l’époque de Duplessis. On sait maintenant que même les apparences d’impartialité se sont évanouies.

Une chanson de guerre québécoise… composée par un Breton!

La commémoration de la Première Guerre mondiale permettra peut-être de mettre en valeur l’armée canadienne et ses glorieux combattants mais elle ravivera aussi le souvenir de la crise de la conscription, des émeutes qu’elle a provoquées à Québec et de tensions raciales que le Canada a connues par la suite, obligeant les « bonententistes » à se mobiliser pour raccommoder le tissu social.

Déjà, plusieurs ouvrages sont annoncés dont la réédition d’un livre-pionnier, Québec sous la Loi des mesures de guerre de Jean Provencher (Lux Éditeur). Il y aura aussi, cet automne, La Grande guerre de Paul Caron (par Béatrice Richard, aux PUL) et Le Québec dans la Grande Guerre (de Courtois et Veyssière au Septentrion).

Y aura-t-il quelqu’un pour s’intéresser aux chansons de guerre de cette époque? Probablement pas, et c’est dommage.

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Le petit conscrit

L’ouvrage de Provencher (Montréal, Boréal Express, 1971, p. 28-29) reproduit les paroles d’une de ces chansons, Le petit conscrit, qui a connu beaucoup de popularité et dont l’origine est restée longtemps nébuleuse.

À l’époque (1971), Provencher l’avait trouvée, chantée par un homme du Bas-du-fleuve, parmi les enregistrements sur ruban magnétique des Archives de folklore de l’Université Laval. Deux variantes étaient connues : l’une de Valleyfield, l’autre de la région de Varennes, ce qui permettait de croire que Le petit conscrit avait été chanté dans plusieurs régions du Québec. En fait, elle avait franchi nos frontières puisqu’on la retrouve chez les Franco-américains (http://cdi.uvm.edu/collections/getItem.xql?pid=vfc1998-0007_ms2008-3095-025_026_027_028&view=transcript) et chez les Franco-ontariens (http://bv.cdeacf.ca/bvdoc.php?no=114658&col=RA&format=htm).

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En 1987, Le petit conscrit est interprété par Eudore Belzile (l’informateur des Archives de folklore?) dans le film La Guerre oubliée (http://elephant.canoe.ca/films/guerre-oubliee_40047/); le générique mentionne alors que l’auteur est inconnu. Dix ans, plus tard, Pierre Fournier l’insère dans son recueil de chansons engagées, De lutte en turlutte (Septentrion, 1998), sous une version abrégée, toujours anonyme, avec quelques lignes différentes et un couplet nouveau.

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Jusque-là, plusieurs indices portent à croire qu’il s’agit d’une chanson folklorique dont l’origine se perd dans la nuit des temps et que tout un chacun modifie à son gré. Pourtant, elle a une origine précise.

Les bibliothèques nationales du Québec (DIS-78/00872) et du Canada (No Amicus 31386757) possèdent un enregistrement sur disque Berliner de cette chanson interprétée par Hector Pellerin, probablement en novembre 1918.

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Le petit conscrit est une « Parodie sur l’air « Sous les ponts de Paris » », la célèbre mélodie que Scotto et Rodor ont composée en 1914. Le nom du parolier, « Loie », est orthographié différemment sur la version papier conservée à la BANQ (789.1599 P4891 1918 MUS) : le document imprimé aux éditions Alfred Nohcor (Rochon) à la même époque donne plutôt « Loïc », et l’éditeur a fourni la même information pour breveter cette œuvre, le 29 juin 1918, tel qu’il apparaît dans les publications officielles (Canadian Patent Office Record et Canada Gazette, 1918, p. 36).

Qui est donc ce « Loïc »?

La clef de l’énigme se trouve dans la chronique de théâtre du Pays le 16 novembre 1918. On y annonce qu’une nouvelle revue musicale, Envoye! Envoye!, prend l’affiche à Montréal, que son auteur, Paul Gury, est inconnu du public comme « revuiste » mais que « tout le monde connaît son talent de chansonnier puisqu’il est l’auteur de la chanson Le petit conscrit et de bien d’autres qui sont devenues si populaires dans toute la province ».

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Paul Gury s’appelle en fait Loïc Le Gouriadec. Né à Vannes (Bretagne), en 1888, il s’établit à Montréal en 1909 où il s’adonne à divers métiers. Inscrit au tout récent Conservatoire d’art dramatique, il entreprend une carrière d’acteur mais le déclenchement de la guerre le ramène en France. Réformé, il revient à Montréal et se fait connaître comme parolier avec Le petit conscrit, La charge des Canadiens et Il est revenu mon soldat, cette dernière éditée à Lowell sous son vrai nom, Loïc Le Gouriadec. Son Petit conscrit aurait été joué dans une revue musicale et dans les salles de cinéma, pendant les « changements de bobines » (http://www.shrn.org/fr/chroniques-historiques/chroniques-shrn/article/le-cinema-a-saint-jerome).

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En 1918, Gury devient directeur du Théâtre National. De 1922 à 1937, il séjourne en Europe. À son retour au Québec, il connaît une carrière prolifique comme metteur en scène, auteur de radio-romans (dont Rue Principale, Leprocès du fils de l’homme, La fiancée du commando et Vie de femmes) et réalisateur des premiers films tournés au Québec dont Le curé du village et Un homme et son péché (1949). Gury est décédé à Montréal en 1974. Il était l’époux d’Yvette Brind’Amour.

A défaut de pouvoir entendre l’interprétation de Pellerin (son disque n’est pas numérisé), voici les paroles originales éditées, probablement en 1918, par Alfred Rochon. On peut écouter la version de Pierre Fournier et de son groupe Break syndical sur Youtube (http://www.youtube.com/watch?v=VvtnoxV7clw). 

LE PETIT CONSCRIT

(Air : Sous les ponts de Paris)

1
À la famille entière,
Le fils fait ses adieux,
Mais pourquoi tant d’misère,
D’angoisse dans les yeux;
Sa vieill’ maman
Longtemps, longtemps,
Le regard’ les yeux pleins de larmes.
Où va-t-il donc,
Le pauvre garçon,
Que son départ caus’ tant d’alarmes?

Refrain 1

C’est un petit conscrit
Qu’on prend à son pays
Parce qu’il faut sur un’ terre lointaine
Encor’ du sang à la guerre inhumaine!
C’est un bien triste sort
D’aller risquer la mort
Si loin des siens, si loin de son pays!
Plaignez le p’tit conscrit!


2
Pensif et solitaire,
Habillé de kaki,
Couché sur de la terre,
La main sur son fusil,
Le jeun’ soldat
Redit tout bas
Un nom de femme, avec tendresse.
Mais, dans ses yeux,
Quel doute affreux
Met tout-à-coup quelle détresse?

Refrain 2

C’est un petit conscrit
Sans nouvell’s du pays.
Il la revoit sa douce Canadienne
Qu’il a quittée voilà deux mois à peine.
Quand on est loin, si loin,
Le doute vous étreint.
N’oubliez pas, fillette, écrivez-lui,
Pensez au p’tit conscrit!

3
Dans la tranchée profonde,
On s’prépare l’assaut.
Ça fait pâlir tout l’monde,
Anglais ou coloniaux.
Le jeun’ soldat
Du Canada
Rest’ ferm’ et sourit d’vant l’orage
Il n’a qu’vingt ans
À pein’, pourtant!
D’où lui vient donc tout ce courage?

Refrain 3

C’est un petit conscrit
Qui, bravement, s’est dit :
« S’il faut mourir, j’veux un’ mort héroïque,
Afin d’montrer à tous ces « Britanniques »
Qu’les Canadiens Français,
S’ils sont d’mauvais sujets,
Ne tremblent pas devant les ennemis
Ils sont de fiers conscrits!


4
Il fut trop téméraire,
Une ball’ l’a touché.
Sur la terre étrangère,
La mort va le faucher.
Adieu, amis,
Adieu, pays,
Adieu beau fleuv’, neiges sereines!
Il dit: « maman »
Et tendrement
Murmur’ le nom d’sa Canadienne.

Refrain 4

Et le petit conscrit
Meurt loin de son pays
Sans bien savoir pourquoi là-bas il tombe,
Aucun ami ne fleurira sa tombe.
Pour remplacer les fleurs,
Gardez dans votre cœur
Le souvenir de tous les p’tits conscrits
Qui meur’nt loin du pays

PS:  il en existe une version légèrement différente sur le site Chez Muse, sans musique (http://gauterdo.com/ref/pp/petit.conscrit.html).

Une motion bizarre

Une proposition fort curieuse a été présentée à l’Assemblée nationale le 16 septembre dernier. Au moment de la présentation des motions sans préavis (celles qui ne sont pas inscrites à l’ordre du jour et qui requièrent l’unanimité pour être traitées sur-le-champ), le whip du gouvernement a sollicité le consentement des députés pour présenter la motion suivante, conjointement avec le whip du PQ et celui de la CAQ :

«Attendu l’exercice de la Commission de révision permanente des programmes gouvernementaux mise en place;

Attendu que l’Assemblée nationale du Québec est souveraine;

Attendu que le Bureau de l’Assemblée nationale exerce une fonction de contrôle et de réglementation ainsi que toute autre fonction que l’Assemblée lui confie;

Attendu que les parlementaires veulent s’assurer de la saine gestion des crédits qui sont accordés à l’Assemblée;

Les membres de l’Assemblée nationale demandent au Bureau de l’Assemblée de se réunir avec diligence afin de procéder à un exercice complet d’évaluation du budget des dépenses de l’Assemblée;

Qu’au terme de cet exercice le président de l’Assemblée dépose un rapport faisant état des commentaires, observations ou recommandations.»

Québec solidaire ayant refusé son consentement, la motion n’a pas été débattue.

Un Bureau encombré

Pour bien saisir de quoi il s’agit, quelques rappels s’imposent :

  • en novembre 2013, un comité de travail présidé par l’ex-juge de la Cour suprême Claire L’Heureux-Dubé propose d’amincir le régime de retraite des élus en échange de meilleures conditions salariales (une augmentation de 88 186 $ à 136 000 $), ce que la CAQ et QS rejettent; en juillet dernier, le premier ministre invite le Bureau de l’Assemblée nationale à se saisir du rapport; le Bureau aurait déjà donné suite au rapport du comité « s’il n’en tenait qu’aux élus libéraux et péquistes, ont soutenu tour à tour le PLQ et le PQ » au Devoir le 20 août;
  • en août, la CAQ annonce qu’un projet de loi sera présenté pour augmenter la contribution des députés à leur régime de retraite qui se situe à 21% actuellement; le PLQ et le PQ expriment leur désaccord (Le Devoir, 21 août 2014);
  • le 25 août, le Soleil publie une analyse démontrant que les 70 députés libéraux occupent une fonction parlementaire qui leur vaut une « prime », la moins élevée étant celle des président de séances et des membre du Bureau (13 493$); le lendemain, la CAQ « dénonce le système de rémunération »; son porte-parole soutient que les libéraux « se cachent derrière le BAN » pour ne pas agir;
  • le 10 septembre, le Journal de Québec « révèle » que les dépenses de l’Assemblée nationale ne seront pas scrutées par la Commission de révision permanente des programmes (Commission Robillard), par respect pour la souveraineté du Parlement  dont l’administration est réglée par le Bureau, comme l’expliquera le président du Conseil du Trésor (Journal de Québec du 11 sept.), une vision que ne partage pas le leader parlementaire de la CAQ;
  • le 13 septembre, Le Soleil révèle que des appels d’offres ont été publiés pour des travaux de 50 millions de dollars à l’Assemblée nationale (dont un agrandissement par l’intérieur de l’Hôtel du Parlement); la nouvelle reçoit « un accueil discret » chez les députés qui ne semblent pas au courant de cette décision prise par le Bureau de l’Assemblée nationale; le chef de la CAQ demande à être convaincu (Soleil, 16 et 17 septembre 2014).

    La mutation du Bureau

    Le Bureau de l’Assemblée est une instance singulière qui ne fait pas souvent la manchette et fréquente peu la place publique.

    Autrefois, l’administration de l’Assemblée nationale était sous la responsabilité du « Comité de régie interne » composé du président de l’Assemblée nationale et de trois ministres désignés par le premier ministre. Cette situation incongrue, où le Parlement se trouvait sous la coupe du gouvernement, est corrigée en 1982 avec la création du Bureau composé du président de l’Assemblée et de députés désignés par les groupes parlementaires. Une indemnité additionnelle est attachée à la fonction de membre du Bureau, sauf si ce membre occupe une autre fonction. C’est évidemment le cas du président et c’était aussi celui des whips qui, à l’origine, se retrouvaient quasi automatiquement membres du Bureau, les questions concernant la condition de député (salaire et avantages sociaux, locaux, etc.) tombant sous leur juridiction.

    Quelque part entre 1982 et aujourd’hui, la composition du Bureau s’est transformée sans faire de bruit. Actuellement, le whip du gouvernement, son adjoint et les whips des deux groupes d’opposition reconnus (PQ et CAQ) sont membres substituts. Les neufs députés qui composent officiellement le Bureau (avec le président) sont de « simples députés », selon l’expression consacrée, sauf deux qui sont vice-président de commission et président de séance (http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/fonctions-parlementaires-ministerielles/membres-bureau-assemblee.html).

    Cette formule permet de répartir les tâches sur un plus grand nombre d’épaules mais aussi d’utiliser efficacement les indemnités additionnelles qui sont attachées aux fonctions parlementaires et qui sont « perdues » quand les whips siègent au Bureau. On se trouve cependant devant un jeu bizarre où les plus « gros frappeurs » sont sur le banc des « substituts » et il n’est pas interdit de penser que les décisions du Bureau sont fixées en coulisses par ces « substituts » avant d’être ratifiées en réunion formelle par « l’alignement de départ ».

    Et la motion?

    Qu’est-ce qui a justifié la présentation de la motion du 16 septembre dernier par les whips des trois principaux groupes parlementaires, tous membres « substituts » du Bureau? S’ils étaient tous trois d’accord (ce qui est rare, comme on l’a vu) pour que le Bureau procède « à un exercice complet d’évaluation du budget des dépenses de l’Assemblée » et fasse rapport, ils n’avaient qu’à passer le message à leurs caucus respectifs, non ? Pourquoi donner un ordre aussi formel qu’inédit, et presque gênant pour les membres du Bureau qui ont l’air insensibles à l’impasse financière de l’État ?

    Et si le Bureau voulait annoncer qu’il avait l’intention de préparait ce genre d’évaluation, n’est-ce pas le président qui en aurait normalement fait l’annonce ?

    À moins que les membres du Bureau ne soient devenus hors de contrôle ? On serait alors en plein roman.

    Ou qu’il ne s’agisse finalement que d’une opération de relations publiques, pour montrer que l’Assemblée nationale va faire sa « juste part » dans l’exercice de compressions budgétaires ?

    « On verra ».