On ne reconnaît plus la chanson

Trop fort casse pas. George-Étienne Cartier avait déjà un monument imposant au parc Montmorency : il aura aussi une plaque expliquant pourquoi il a mérité le titre de « Père de la Confédération », histoire de démontrer, par a plus b, que les Canadiens français ont contribué à la mise en place de ce régime en 1867. (Il n’y a toujours rien dans ce parc fédéral pour rappeler que le premier parlement québécois y a siégé en 1792 mais le premier ministre Harper a peut-être ouvert une porte en déclarant que Québec était le « berceau de la démocratie canadienne ». Tant pis pour les Maritimes qui ont toutes eu leur parlement avant le nôtre (sauf Terre-Neuve) ! Mais qui se surprendra de voir le gouvernement Harper manipuler l’histoire selon le goût du jour ?)

Cartier

Lors du dévoilement de cette plaque, une chorale est venue interpréter « Ô Canada, mon pays, mes amours ! », une œuvre du même George-Étienne Cartier. Quelle heureuse coïncidence ! Le problème est que cette chanson n’a pas été composée pour la Confédération dont on commence à célébrer le 150e anniversaire, mais pour un « autre Canada », celui des survivants de la Conquête, des Patriotes des années 1830 et du « Canadien errant »  (http://gauterdo.com/ref/oo/o.canada.mon.pays.html).

Cartier est encore étudiant en droit mais déjà militant patriote quand il entonne sa chanson, le 24 juin 1834, au banquet qui voit la naissance de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. La Minerve du 29 juin 1835 publie la plus ancienne et la plus longue version connue de cette œuvre qui a été très populaire à l’époque et qu’on chantait encore beaucoup, en version écourtée, « au temps de la Bonne chanson » (ci-dessous), soit au milieu du siècle dernier.

O Canada-Bonne chanson

Le premier couplet est demeuré, à peu près identique à sa version originale :

Comme nous dit un vieil adage,
Rien n’est si beau que son pays,
Et de le chanter, c’est l’usage,
Le mien je chante à mes amis; (bis.)
L’étranger voit avec un œil d’envie
Du Saint-Laurent le majestueux cours,
A son aspect le Canadien s’écrie:
O Canada, mon pays, mes amours. (bis.)

Les deuxième et troisième couplets semblent vite disparus ; le deuxième vantait la géographie du pays et le troisième, les attraits des quatre saisons. Les quatrième et cinquième couplets ont perduré dans de nombreuses versions, mais pas toujours ensemble, ni dans l’ordre initial. Ils évoquent les qualités respectives du Canadien et de la Canadienne :

Le Canadien, comme ses pères,
Se plaît à rire, à s’égayer.
Doux, aisé, vif en ses manières,
Poli, galant, hospitalier,
A son pays il ne fut jamais traître,
A l’esclavage il résista toujours,
Et sa maxime est la paix, le bien-être
Du Canada, son pays, ses amours.

Chaque pays vante ses belles,
Je crois bien que l’on ne ment pas,
Mais nos Canadiennes comme elles
Ont des grâces et des appas;
Chez nous la belle est aimable, sincère,
D’une Française elle a tous les atours,
L’air moins coquet, pourtant assez pour plaire,
O Canada, mon pays, mes amours !

Le sixième enfin se lisait ainsi, à l’origine :

O! mon pays de la nature
Vraiment tu fus l’enfant chéri,
Mais d’Albion la main parjure
En ton sein, le trouble a nourri;
Puissent enfin tous tes enfants se joindre,
Et valeureux voler à ton secours!
Car le beau jour déjà commence à poindre…
O Canada, mon pays, mes amours.

Ce dernier couplet éminemment politique est généralement « oublié », ce qui fut le cas samedi dernier; quand il subsiste, dans les transcriptions ou les interprétations, la troisième ligne se lit maintenant « Mais l’étranger, souvent parjure », sans qu’on puisse dire de quel « étranger » on parle exactement : des immigrants, des espions, des communistes?

Chose certaine, quand Cartier a écrit « le beau jour déjà commence à poindre… »  (avec ses points de suspension), au plus fort des revendications patriotes, il ne parlait évidemment pas de la Confédération.

Lettre ouverte à monsieur Lucien Bouchard

En écoutant le reportage que Télé-Québec vous a consacré le 25 août, on pouvait aisément se mettre à penser qu’il s’agissait d’un témoignage utile pour l’enseignement de l’histoire du Québec.  Dans la dernière décennie du XXe siècle, vous y avez joué  un rôle de premier plan et vos propos ne pouvaient manquer d’émouvoir l’auditoire, tout en l’éclairant sur une période-clé de son histoire. Le charme a malheureusement été rompu quand vous avez évoqué l’affaire Michaud. Vous avez alors répété à Yves Boisvert à peu près exactement ce qu’un extrait d’archives venait de nous montrer, c’est-à-dire que vous n’étiez pas intéressé à discuter si les Québécois ont souffert autant, plus ou moins que les Juifs, comme s’il s’agissait là de la grande préoccupation d’Yves Michaud que vous avez fait condamner injustement par l’Assemblée nationale, le 14 décembre 2000. On aurait pu croire que cette entrevue-bilan serait l’occasion de faire amende honorable. Au contraire.

Il faut rappeler le texte de cette motion : « Que l’Assemblée nationale dénonce sans nuance, de façon claire et unanime, les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000 ».

Il a été clairement démontré depuis que le témoignage d’Yves Michaud aux États généraux ne comportait absolument rien de semblable ni rien de négatif à l’égard des Juifs. Je ne serais pas gêné de citer mon livre intitulé L’Affaire Michaud : chronique d’une exécution parlementaire (Septentrion, 2010) ─ puisque c’est le seul sur le sujet, et que personne n’en a contredit une ligne publiquement ─, mais il faut surtout mentionner qu’après la publication de cette étude une cinquantaine de vos députés ont reconnu avoir fait une erreur en appuyant aveuglément cette motion.

Mieux encore, celui qui en était le co-auteur, André Boulerice, a lui-même présenté ses excuses à Yves Michaud, par l’intermédiaire de votre ancien collègue Paul Bégin, en lui précisant ceci dans un courriel du 26 janvier 2011 : « Il appert, des différents documents portés à ma connaissance, que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive. L’opposition libérale d’alors ou certains de ses affidés a (ont) vraisemblablement agi par intérêt bassement partisan. On disait de Talleyrand que «  l’ambition se nourrit des matières les plus viles comme des plus nobles », il en est de même des fédéralistes dans leur quasi-haine des indépendantistes  » ».

Le co-auteur de la motion a ainsi reconnu qu’on a construit une « preuve » pour exécuter Yves Michaud. Si l’Assemblée avait respecté la plus élémentaire justice, en citant les « propos inacceptables » qu’elle voulait dénoncer, on aurait vite réalisé que l’acte d’accusation était sans fondement. Mais il fallait agir en vitesse, avant que la presse ne réagisse; vous étiez dans une période difficile, excédé, irrité, et de plus en plus frustré de vous être « embarqué » en politique, comme l’émission de Télé-Québec nous l’a bien fait comprendre. On connaît la suite.

Monsieur Boulerice a été trompé et vous l’avez été. C’est humiliant mais pas déshonorant. Personne ne vous demande d’organiser des retrouvailles avec Yves Michaud, ni même de refaire l’exégèse des « propos », ou de retracer ceux qui vous ont trompé. Reconnaître que l’Assemblée nationale n’a pas procédé de façon équitable, qu’elle s’est prononcée sans s’être informée sérieusement au préalable, serait cependant la moindre des choses. On effacerait ainsi une motion honteuse, l’une des rares de notre plus fondamentale institution, celle qui a fait en sorte qu’un individu soit « exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires », comme l’écrivait l’honorable Jean-Louis Baudouin, dans une étonnante conclusion du jugement de la Cour d’appel, le 8 juin 2006.

À défaut d’enthousiasme, il y aurait de l’honneur.

Le (dé)Boisé du Parc-Falaise

Les tronçonneuses de la rue Barrin et de Quatre-Bourgeois ont détourné l’attention des autres « développements densificateurs » qui massacrent les arbres de Québec.

Entre la côte du Verger et la rue de Bruyères s’étendait encore l’an dernier un boisé dont « Terre Google » va nous rappeler le souvenir, jusqu’à sa prochaine mise à jour.

Parc-Falaise avant

Dans le coin droit du boisé, qui était borné par l’avenue du Parc-Falaise, on pouvait à peine voir le début d’une allée et imaginer qu’il y avait une maison quelque part au cœur de cette immense propriété. Impossible de voir quoi que ce soit de l’avenue qui était bordée du côté sud par un mur végétal.

Le boisé du Parc-Falaise est aujourd’hui pratiquement disparu. Une rue a été ouverte à peu près au centre pour y construire plusieurs propriétés.

Falaise2

Entre cette nouvelle rue et la côte du Verger, les arbres (sauf un!) ont été remplacés par ceci :Falaise1

Et de l’autre côté, il en reste deux en façade et quelques-uns plus loin… mais il reste aussi des maisons à construire. Les arbres sont coupés progressivement. C’est quand même une délicate attention.

Falaise3

Ce qui s’est passé dans le (dé)boisé du Parc-Falaise, à deux pas de la résidence du maire de Québec, préfigure ce qui va arriver plus à l’est, dans les propriétés patrimoniales de Sillery.

Pensez-y…

PS : La nouvelle rue porte le nom de Léon Dion, fameux politicologue de stricte obédience fédérale, qui s’avoua un jour « fédéraliste fatigué ». Il s’agit d’un cul-de-sac (la rue..) qui se termine par un rond-point. Rendu au bout, il n’y a pas d’autres solutions que de tourner en rond, indéfiniment, ou de revenir au point de départ. Ça ne s’invente pas.

Falaise4

Les observateurs du cabinet

Regardez bien la photo officielle du cabinet Couillard en avril dernier : le lieutenant-gouverneur  et le premier ministre sont flanqués de deux personnages que bien peu de citoyens pourraient identifier. Non, ce ne sont pas des gardes du corps. (Mais on n’est pas très loin.)

Cabinet Couillard avril 2014

On s’attendrait à voir, aux côtés du chef de l’État et de son premier ministre, les titulaires de postes de premier plan comme la vice-première ministre (qui est reléguée plus loin), des vétérans comme Jean-Marc Fournier et Pierre Paradis, des méritants comme Pierre Moreau et Yves Bolduc, bref, les poids lourds du Conseil des ministres. Or, les deux personnages qui se trouvent le plus près du « pouvoir » ne font même pas partie du Conseil. Il s’agit du whip du gouvernement (Stéphane Billette), près du lieutenant-gouverneur, et de la présidente du caucus du « parti ministériel » (Nicole Ménard), à côté du premier ministre, .

Le whip est nommé par le premier ministre pour encadrer les membres de son groupe parlementaire. Comme on peut le lire sur le site de l’Assemblée nationale, il « s’assure notamment de la présence de ces derniers aux séances de l’Assemblée et des commissions où le quorum doit être maintenu et veille à la discipline du groupe. Il remplit diverses fonctions touchant des aspects matériels de la vie de ses collègues ».

Traditionnellement, le whip présidait le caucus mais, en 1982, estimant que celui qui présidait leurs réunions était devenu trop près de l’Exécutif, les députés du Parti québécois ont fait leur petite révolution en élisant un « président du Conseil des députés » pour « diriger leurs délibérations et les représenter auprès du gouvernement ». D’abord bénévole, le président du caucus a obtenu une indemnité de fonction en 1986. Puis, le caucus de l’Opposition officielle s’est lui aussi donné un président (1994), lequel a évidemment obtenu une indemnité quelques années plus tard. Les présidents de caucus sont aujourd’hui nommés par le chef du parti.

En 1994, probablement pour mieux digérer la perte de son portefeuille ministériel, le nouveau whip du Parti libéral (Vallières) obtient le privilège d’assister aux réunions du Conseil exécutif et ─ ce qui n’était sûrement pas dans les vues des frondeurs de 1982 ─ le président du caucus du Parti québécois bénéficie de la même faveur à compter de 2001.

Dans le cabinet Landry (2001), on les voit à peine (il faut dire qu’il y avait du monde…). Whip et président du caucus (les députés Morin et Gendron)  sont dans la dernière rangée alors que les piliers du cabinet occupent la première, avec madame la vice-reine.

Cabinet Landry 2001

En 2012, le conseil des ministres de madame Marois est moins imposant mais ceux qui n’y sont que des « auditeurs » (Blanchet et Dufour) se tiennent toujours discrètement en arrière.

cabinet marois 2012

C’était aussi le cas au Parti libéral en 2003. La photo officielle du cabinet Charest est difficile à trouver mais, à défaut d’une image claire, celle qui suit montre que le whip et le président du caucus n’étaient pas au premier plan.

Cabinet Charest 2003

En 2007, dans le mini-cabinet Charest, ils apparaissent soudain aux extrémités de la première rangée (MacMillan et Vallières).

cabinet Charest 2007

Puis, en 2008, les deux « observateurs » (Bergman et Moreau) se collent aux chefs (de l’État et du gouvernement), écartant de ce fait les poids lourds de l’Exécutif, dont la vice-première ministre.

Cabinet Charest 2008

Et, en 2010 (remaniement), ils permutent, tout en conservant leurs positions privilégiées.

Legis 20100811

C’est la même disposition qui sera reproduite en 2014 lors de la présentation du cabinet Couillard.

Qu’est-ce à dire ? Ce n’est pas un accident. Les cadres du parti ont préséance sur les ministres ? Ces photographies illustrent un double phénomène dont on parle depuis longtemps : la place croissante occupée par  les partis et l’Exécutif dans notre système parlementaire. Ils agissent comme les « trous noirs » dans l’espace : il n’y a pas grand-chose qui résiste à leur force d’attraction gravitationnelle.

[PS en janvier 2016: même observation en 2014 (photo ci-dessous)

Cabinet Couillard janvier 2016

PS2: puis, en 2018, avec la CAQ, les deux "auditeurs" ne sont plus dans le portrait!]

Cabinet Legault 2018-JDQ

 

 

Les loisirs d’un député urbain (suite)

Plusieurs se demandent, comme je l’ai fait il y a 18 mois (https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2012/10/08/les-loisirs-dun-depute-urba/), comment le député de Jean-Talon a pu pratiquer la médecine pendant la 40e législature? Il était alors membre de la Commission de la santé et des services sociaux (CSSS) et porte-parole de l’Opposition officielle en matière de santé (le volet « services sociaux » relevant de Stéphanie Vallée), soit le minimum de fonctions pour un « simple député » de l’opposition : membre d’UNE commission et un volet de l’administration à surveiller.

Entre l’élection générale du 4 septembre 2012 et le début officiel de la dernière campagne électorale, le 5 mars 2014, le député de Jean-Talon est intervenu dans 52 des 110 séances de l’Assemblée nationale[1]. Il a posé 33 questions, dont 8 se sont prolongées dans des débats de fin de séance (« mini-débats » de 12 minutes). Il a lui-même présenté un projet de loi (le projet 196 mort au Feuilleton) et il est intervenu dans l’étude de 7 autres en « deuxième lecture » (les 7), lors de la prise en considération du rapport (3) ou à la « troisième lecture » (3). Le règlement prévoit alors une intervention de 20 minutes. Outre quelques autres interventions substantielles du même ordre (débat sur le discours d’ouverture, débat sur le budget, débat sur le rapport des crédits, deux « motions du mercredi »), il a pris la parole sur des questions qu’il faut bien qualifier de mineures : 8 motions sans préavis (la plupart adoptées sans débat ou rejetées faute de consentement), 5 déclarations de député (une minute), 3 dépôt de pétition.

Comment qualifier cette performance? Aucun instrument de mesure ne permet d’en juger. Il y a des parlementaires qui interviennent tous les jours, d’autres qu’on n’entend pratiquement pas. On retiendra que ces interventions prennent place dans un peu moins de la moitié des séances. Quant à l’absence d’interventions dans les autres, on ne peut rien en conclure à moins de compiler les votes par appel nominal ou de mettre la main sur d’autres sources d’information.

On dira que le travail parlementaire le plus important se fait en commission. La Commission de la santé et des services sociaux (CSSS) a tenu 80 séances publiques pendant la 40e législature[2]. Le député de Jean-Talon n’en a manqué que deux ou trois (selon le relevé des interventions). Il a aussi participé à une séance de la Commission de l’administration publique sur la gestion de la Corporation Urgence-santé.

La CSSS a consacré une dizaine de séances à des activités de contrôle parlementaire, dont 3 séances pour l’étude des rapports de gestion d’agences de santé, 2 pour les crédits du ministère (volet « santé ») et 3 pour des interpellations (débat de deux heures le vendredi); le député de Jean-Talon était présent comme témoin (ancien ministre) aux séances sur la gestion du CHUM et n’a pas participé aux crédits du volet « services sociaux ».

La CSSS a consacré une vingtaine de séances à l’étude détaillé de 4 projets de loi, dont 13 pour le projet de loi sur les soins de fin de vie.

Finalement, ce sont les consultations qui ont le plus occupé cette commission, soit une quarantaine de séances dont 13 pour le projet de loi concernant les soins de fins de vie, 13 autres pour le projet d’assurance autonomie, 7 pour les conditions de vie en centre d’hébergement, etc.

Encore une fois, bien malin qui pourrait évaluer le travail effectué pendant ces 80 séances : est-ce plus ou moins que la moyenne? Examiner la gestion d’un ministère dont on a été le titulaire pendant les quatre années précédentes n’est pas particulièrement « sorcier »; c’est même plus inconfortable qu’autre chose. Entendre réciter des mémoires, souvent répétitifs, dont on a précédemment eu le résumé (quand ils n’ont pas été rendu publics) est plus fastidieux que pénible. On comprend les membres des commissions d’y être parfois distraits ou occupés à autre chose. Quant aux questions posées aux témoins, il faudrait voir dans quelle mesure elles ont été préparées par le personnel politique ou administratif.

Les 110 séances de l’Assemblée et les 80 de la CSSS donnent apparemment 190 jours de travail au Parlement. En pratique, commission et Assemblée siègent souvent les mêmes jours. Les séances de l’Assemblée durent en moyenne environ 4h00 et les parlementaires les désertent pour la plupart après les affaires courantes (le premier tiers environ). On explique souvent leur absence en disant qu’ils travaillent ailleurs, notamment en commission dont les séances durent en moyenne trois heures. La commission dont le député de Jean-Talon faisait partie a siégé 17 fois quand l’Assemblée n’était pas elle-même en séance, ce qui lui ajoute 17 jours de travail parlementaire, pour un total de 127. La période prise en considération ayant duré 18 mois, soit environ 375 jours ouvrables (déduction faite des fins de semaine et des jours fériés), cette charge de travail représente en gros un jour sur trois, ou, pour le monde ordinaire, 1,6 jour de travail par semaine.

Reste le « travail de comté », un volet du mandat de député encore plus difficile à évaluer. Ajouter une journée de « bureau de comté » ─ ce qui nous mène au demi-temps (1,6 + 1 = 2,6 jours) ─ ne rend évidemment pas justice au député qui a bien d’autres choses à faire, en principe, que de légiférer et de surveiller le gouvernement à l’Assemblée nationale. Il joue aussi un rôle d’intermédiaire qu’il est difficile à définir : est-ce un agent de développement régional, un agent d’information sur les programmes gouvernementaux, un travailleur social, un ombudsman local à qui se confient les désespérés? Tout cela et davantage. Le travail du député qui se voue au bien-être de ses commettants est infini car, jusqu’à preuve du contraire, il reste encore des victimes et des défavorisés, des pauvres et des chômeurs, des demandeurs d’aide toutes sortes, des personnes et des groupes qui cherchent des appuis pour atteindre leurs objectifs quand ce ne sont pas leurs rêves.

Y a-t-il de ces personnes dans Jean-Talon? Des gens qui « comptent dans bien des cas sur le député pour leur servir de guide ou pour intervenir en leur nom. Face à l’appareil gouvernemental, le député est souvent pour le citoyen le dernier recours pour recevoir des services ou faire valoir ses droits[3] »? Sûrement.

Mais le député n’est pas seulement le représentant de son comté. Une fois élu, il représente toute la population et rien de ce qui la préoccupe ne devrait lui être étranger. Comment le député de Jean-Talon s’est-il acquitté de ce volet du mandat parlementaire, le plus vaste et le plus important, se plaît-on à dire, et pour lequel il lui restait encore la moitié de son temps, sans compter les fins de semaine?

Il est impossible de répondre à cette question sans jeter un coup d’œil à l’agenda du député et on n’est pas à la commission Charbonneau (sans compter que les documents des députés sont bien protégés par la Loi d’ACCÈS à l’information). Un coup d’œil aux journaux montre qu’il n’a pas fait grand bruit (ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas fait de bien), à part les échos des débats parlementaires. Jean-Talon ne comprend pas des dizaines de municipalités, comme c’est sou vent le cas des circonscriptions rurales, ce qui réduit considérablement les instances à soigner, que ce soit les conseils municipaux, les chambres de commerce où les clubs de l’Âge d’or. Il faudrait dépouiller l’hebdo local pour pouvoir compter les rubans coupés, les chèques remis, les présences aux événements mondains et aux soupers-spaghettis. Dans Le Soleil, on trouve une sortie contre le RTC qui s’entête à vouloir aménager des voies réservées sur Henri-IV (!) et un silence complet dans un dossier pourtant fondamental pour sa circonscription, celui de la construction résidentielle sur les grands domaines de Sillery. Dans ce dossier comme dans plusieurs autres, il faut se poser une question : le Parti avait-il une position? Non? Il y a alors peu de chances que le député en ait.

L’opposition réclame le remboursement des primes qu’il a reçues : comme l’a dit Denis Vaugeois, c’est peut-être son indemnité de député qu’il faut remettre en question! Il a choisi de consacrer les heures que son emploi de député à temps partiel lui laissait pour prendre 1500 patients, ce qui représente un « gros temps partiel » ou un « petit temps plein », selon les points de vue. C’était sa façon de démontrer qu’il avait du cœur, plaide-t-il, mais la perspective de quadrupler son salaire de député ne devait pas manquer d’attrait. Dans une clinique modèle, en plus, « située à trois rues de mon domicile et le centre Entrain où je m’en entraîne est à côté. Plus idéal que ça, tu meurs[4] ».

Dans le même coin, il a aussi la maison Michel-Sarrazin, pour ceux et celles qui préfèrent le bénévolat auprès de gens qui meurent pour vrai.


[1] Les données statistiques sur les travaux ont été compilées à partir du site de l’Assemblée nationale qui donne, avec la biographie de chaque député, la liste de ses interventions. Le compilateur sollicite la clémence s’il y a des petits écarts dans les chiffres : il ne devrait pas y en avoir plus que dans ladite liste qui attribue au député de Jean-Talon des interventions de son homonyme de Mégantic.

[2] Ce total correspond au nombre de cahiers du Journal des débats et ne comprend pas les séances de travail qui ne sont pas transcrites. Il s’agit généralement de courtes réunions d’organisation et de planification qui précèdent souvent et préparent les séances publiques. Elles ont toutes été tenues les jours où la commission ou l’Assemblée siégeaient; elles n’exigent donc pas de présences supplémentaires au Parlement.

[3]Le député au cœur de notre démocratie. Pour une rémunération juste et équitable. Rapport du Comité consultatif indépendant sur les conditions de travail et le régime de retraite des membres de l’Assemblée nationale, novembre 2013, p. 29.

[4]Le Soleil, jeudi 4 octobre 2012, p. 22.