Je termine la lecture de Champlain’s Dream, une biographie publiée à l’automne 2008 sous la signature de David Hackett Fischer chez Knopf Canada : 834 pages dont 110 pages de notes, 100 pages d’appendices, 40 pages de bibliographie et 35 pages de d’index. Un ouvrage magistral qui devrait demeurer sans égal pendant des décennies, à moins qu’on ne trouve de nouveaux documents.
Fisher présente un Champlain déterminé, tenace, totalement dédié à la réalisation de ses rêves d’exploration et de colonisation, un homme qui possédait de nombreuses qualités, un navigateur de premier ordre, un cartographe, un artiste, et quoi encore !
C’était aussi un soldat d’expérience qui a relevé le défi de combattre les Iroquois, comme le voulaient ses alliés amérindiens, mais qui ne demandait pas mieux que la paix et l’harmonie. À cette fin, il multiplia les efforts diplomatiques pour maintenir de bonnes relations avec les Indiens, ce qu’il a réussi, là où ses prédécesseurs (Dugua, Poutrincourt) avaient échoué. Fisher insiste d’ailleurs pour mettre en évidence une différence entre les projets de colonisation menés par les Européens. Les Français, écrit-il, n’ont pas essayé de conquérir les Indiens et de les asservir comme les Espagnols ; ils n’ont pas abusé d’eux comme les Virginiens et ne les ont pas repoussés comme en Nouvelle-Angleterre. À l’époque de Champlain, les petites colonies françaises ont côtoyé les grandes nations indiennes dans un esprit d’amitié et de concorde, de confiance et de respect mutuel. Bien des Québécois ont oublié cela, et plusieurs de nos concitoyens autochtones.
On ne peut sortir de ce livre sans se dire aussi que c’est encore un historien anglophone qui nous offre un remarquable travail sur Champlain. Les nôtres préfèrent malheureusement l’odeur des travaux de déconstruction.
Les deux mains sur les rênes
Je ne suis pas monarchiste et je me passerais bien d’un lieutenant-gouverneur mais son abolition requiert un amendement constitutionnel qui aurait l’appui de tous les parlements du Canada, y compris les deux chambres du Parlement fédéral. Ou un OUI clairement majoritaire dans un référendum sur la souveraineté. Alors… En attendant la première éventualité, comme disent les assureurs, il faut vivre avec.
« L’Assemblée nationale et le lieutenant-gouverneur constituent le Parlement du Québec » : c’est l’article 2 de la Loi sur l’Assemblée nationale et le début des problèmes pour les technocrates qui veulent faire entrer ces institutions dans leurs cases comptables. Il fut un temps où l’Assemblée nationale se retrouvait dans la liste des « organismes du gouvernement », une parfaite aberration qu’elle a réussi à corriger, de longue lutte, il y a plus de 25 ans, au nom d’une saine conception du partage des pouvoirs et de l’autonomie du parlement par rapport au gouvernement. C’est donc avec une certaine surprise qu’on voit maintenant des membres de l’Assemblée nationale appliquer le même statut au lieutenant-gouverneur. Surtout que l’Assemblée, elle, s’autogère sans contrôle externe depuis 1982 et n’a plus d’étude de crédits depuis une dizaine d’années. De plus, toujours au nom de l’autonomie du Parlement, elle s’est assuré un statut particulier en matière d’accès à l’information et une longue guérilla contre les médias a permis de mettre les dépenses des députés à l’abri. Faut-il rappeler aussi, comme le lieutenant-gouverneur le précisait lui-même le 30 octobre 2008, que le budget vice-royal est inférieur à celui du whip de l’opposition officielle ?
Lorsque le législateur dit que « l’Assemblée a un pouvoir de surveillance sur tout acte du gouvernement, de ses ministères et de ses organismes » (LAN, art. 4), il ne laisse planer aucun doute sur la nature des organismes qu’il vise : ce sont ceux qui relèvent du gouvernement et on y reconnaît difficilement le lieutenant-gouverneur qui représente constitutionnellement le chef de l’État. Et lorsque le législateur précise plus loin que le secrétaire général de l’Assemblée nationale fournit des copies imprimées des lois « au lieutenant-gouverneur, aux ministères et aux organismes publics visés dans l’article 66 », il est clair que le représentant de la reine n’est pas dans la même catégorie que la Société nationale du cheval de course.
C’est la Loi sur l’administration publique, et non la Loi sur l’Assemblée nationale, qui prévoit que « chaque ministre dépose à l’Assemblée nationale le rapport annuel de gestion de son ministère ainsi que celui des organismes et des unités administratives relevant de sa responsabilité ». La loi prévoit ensuite que « la commission parlementaire compétente de l’Assemblée nationale doit entendre au moins une fois tous les quatre ans le ministre, si celui-ci le juge opportun, et, selon le cas, le sous-ministre ou le dirigeant d’organisme afin de discuter de leur gestion administrative ».
Le lieutenant-gouverneur est-il un organisme « relevant de [la] responsabilité » d’un ministre ? Fait-il partie de « l’Administration gouvernementale » définie à l’article 3 de la Loi sur l’administration publique? Cette loi respecte l’autonomie de l’Assemblée nationale, qui lui est assujettie « dans la mesure prévue par une loi » (art. 4), mais ne prévoit rien de semblable pour le lieutenant-gouverneur, l’autre partie du Parlement. Pourtant, les deux institutions ont des crédits qui figurent au budget et des employés nommés suivant la Loi sur la fonction publique, deux critères qui définissent les organismes dans la Loi sur l’administration publique.
La question est loin d’être claire, d’où le projet de loi dont le lieutenant-gouverneur a pris l’initiative pour préciser les modes de contrôle qui devraient lui être applicables. Reconnaissons qu’il ne s’enfarge pas trop dans les prérogatives royales.
En pratique, et en dépit de ce qui précède, les dépenses du lieutenant-gouverneur ont été soumises au contrôle parlementaire depuis des temps immémoriaux, sans que personne ne s’émeuve de voir les crédits vice-royaux scrutés par la « chambre basse ». En remontant seulement au début de ce siècle, on peut constater que les dépenses du « Bureau du lieutenant-gouverneur » ont été soumises à l’attention de la Commission des institutions lors de l’étude des crédits du Conseil exécutif chaque année pendant le règne de madame Thibault. « Étude », il faut le dire vite, car la seule substance apparaissant au Journal des débats (jusqu’à ce que la presse fasse éclater « l’affaire ») se résume a peu près ainsi :
« Le président : … Est-ce que le programme 1, Bureau du lieutenant-gouverneur, est adopté?
Des voix : Adopté.
Une voix : Sur division. »
On aura noté qu’il s’agit des crédits du « Bureau du lieutenant-gouverneur » et non du lieutenant-gouverneur lui-même, personnage nommé et payé par une autre administration. Le représentant de la reine ne s’est évidemment jamais présenté devant les parlementaires pour cet examen annuel. Les premiers ministres l’ont représenté, selon une tradition le premier ministre actuel a justement expliquée le 27 avril dernier :
« M. le Président, c’est une tradition, c’est dans nos coutumes des crédits, l’occasion pour nous de rendre compte des crédits dont je suis directement responsable, évidemment ceux du Conseil exécutif, ceux qui relèvent du bureau du lieutenant-gouverneur. Plus tard dans la semaine, j’aurai l’occasion de revenir devant vous ― je crois que c’est mercredi ― pour rendre compte des crédits du Secrétariat à la jeunesse, dont je suis également responsable. »
L’Opposition peut tirer sans réserve ni danger sur ce représentant royal nommé par le fédéral dont 90 % des Québécois souhaitent la disparition. Pour ce qui est du premier ministre, on s’attendrait à ce qu’il se garde une petite gêne avant de demander au lieutenant-gouverneur de parader personnellement devant les députés. Nommé par le lieutenant-gouverneur (qui ne fait bien sûr que reconnaître le verdict populaire), le premier ministre est juridiquement le premier conseiller du représentant de la Couronne et c’est à lui (et à ses prédécesseurs) qu’il appartenait de défendre les crédits du « Bureau du lieutenant-gouverneur », en s’assurant au préalable qu’ils étaient défendables.
Pour l’avenir, la proposition du lieutenant-gouverneur (être autonome dans l’exercice de ses fonctions, au même titre que le Vérificateur général, le Protecteur du citoyen et les autres personnes désignées par l’Assemblée, et rendre compte de sa gestion annuellement par le dépôt d’un rapport à l’Assemblée) clarifierait la situation et constituerait un net progrès sur le mode de contrôle traditionnel qui permettait néanmoins aux services du premier ministre de tamiser les dépenses du lieutenant-gouverneur et aux parlementaires, ministériels et oppositionnistes, de poser des questions. Ce ne fut pas le cas et, les responsables du « char de l’État » n’ayant pas gardé les deux mains sur les rênes, le lieutenant-gouverneur a roulé sans freins, la bride sur le cou, pendant une dizaine d’années.
Ceci expliquant peut-être cela.
Grosse fête !
Le Jour du drapeau s‘est encore passé dans l’indifférence quasi complète : aucune publicité gouvernementale, aucun texte dans mes quatre quotidiens habituels, sauf dans le Journal de Québec qui avait un minuscule article et une mention dans ses éphémérides. Je présume que la Gazette s’est aussi abstenue.
Le ministère de la Justice (et non la ministre) a émis un très bref communiqué à 11 h 20 le Jour du drapeau, communiqué parfaitement inefficace car les citoyens ne sont pas abonnés à Telbec et ce n’est plus matière à nouvelle le lendemain de la « fête » s’il n’y a aucune activité pertinente du côté du premier ministre ou de l’Opposition. Il faudrait dire à la ministre qu’il n’y a plus de journaux du soir.
Le texte du communiqué est plutôt désincarné. Après le paragraphe historique obligé, il contient un commentaire général sur l’importance d’un drapeau pour une nation (sans préciser laquelle), mentionne que le drapeau du Québec arboré devant les édifices gouvernementaux « répond à un besoin de traçabilité des services » (Ô technocratie ! On se croirait dans le dossier des OGM !) et tient à préciser que la Loi sur le drapeau relève de sa responsabilité…
Le communiqué est quand même en avance de deux heures sur celui de l’an dernier qui était sorti en début d’après midi (13 h 44). À ce rythme, dans une douzaine d’années, les citoyens seront informés AVANT le Jour du drapeau (comme c’était le cas il y a quelques années), ce qui donnerait une certaine utilité au communiqué ministériel.
Recyclage 101
Biscuits Leclerc vient d’investir près de deux millions de dollars dans un nouveau procédé industriel afin de supprimer le plastique multicouches dans ses emballages de biscuits. Les nouvelles boîtes de carton de Leclerc contiennent 50 % de matières recyclées et sont elle-même recyclables.
Les industriels n’ont pas tous la main aussi heureuse. Le café Nabob, qui se targue de donner dans le développement durable, a aussi une nouvelle boite dont les parois sont faites à 100% de matières recyclées et qui est recyclable « si les installations adéquates existent », ce qui n’est pas évident car le fond est en métal, les côtés en carton et le couvercle en plastique. L’art de compliquer le recyclage.
Mais il y a pire. Après avoir désossé un poulet la semaine dernière, je me suis retrouvé avec un contenant en plastique dont le dessous est codé 5 et le dessus, codé 6, le premier recyclable à Québec, l’autre pas.
Il n’y a pas seulement les ours blancs qui ont besoin d’aide.
L’épidémie
Quelques jours avant Noël, la presse s’est émue du nombre important de députés ayant mis fin hâtivement à leur mandat depuis 2004. C’est le Journal de Québec qui a attaché le grelot (J.-Jacques Samson, « Les déserteurs », 16 décembre, p. 19), suivi du Devoir (Antoine Robitaille, « Chers, chers, les députés démissionnaires », 19 décembre, p. 6). L’affaire a fait long feu, compte tenu de la trêve des Fêtes, mais aussi de l’absence de participation des parlementaires, partis en vacances et sûrement peu enclins à alimenter un débat qui les concerne tous, tous partis confondus.
Vingt-deux parlementaires ont démissionné de 2004 à 2009, soit près de 4 par année. De la Confédération à la fin des années 1970, le Parlement a perdu en moyenne 3 députés par année. Cette moyenne est passée à 3,2 depuis 1980 et à 3,4 depuis 2000. La hausse n’est pas vraiment énorme, d’autant plus que le nombre de sièges est passé de 65 à 125 pendant cette période.
Départs volontaires et involontaires
Un examen plus approfondi des statistiques ouvre cependant d’autres perspectives. Dans le dernier tiers du XIXe siècle, plusieurs députés ont plié bagages lorsque leur élection a été annulée. Par ailleurs, entre 1890 et 1960, il mourrait en moyenne un député par année. Avec le temps, ces deux formes de départs involontaires se sont raréfiées : les élections annulées se comptent presque sur les doigts de la main depuis un siècle, seulement six députés sont morts en fonction depuis 30 ans et le Parlement n’a vécu aucune de ces deux situations malheureuses depuis 2000. Parallèlement, le nombre de départs volontaires (démission ou nomination à un poste incompatible) a augmenté, au fil des ans, passant de 1,7 par année, en moyenne, de 1867 à la fin des années 1970, à 2,9 depuis 1980 et 3,4 depuis 2000. En conséquence, alors que les départs étaient volontaires dans 57 % des cas de 1867 à la fin des années 1970, cette proportion est passée à 93 % depuis 1980 et à 100 % depuis 2000.
En bref, les élections sont mieux tenues, les députés se portent mieux, des règles administratives plus justes restreignent les nominations partisanes (à la magistrature par exemple) et il ne reste plus qu’une façon de quitter le Parlement avant la fin du mandat : démissionner, ce qui s’est produit 34 fois depuis 2000 (ce qui n’exclut pas la possibilité de voir les démissionnaires nommés quelque part dans les semaines ou les mois suivants).
Une analyse plus pointue révèle un autre phénomène qui contribue à justifier les réactions des médias: 14 des 22 derniers démissionnaires ont quitté moins de 24 mois après l’élection générale et 7 ont posé ce geste dans les 12 mois suivant le scrutin (sans compter le dernier démissionnaire qui a quitté après un an et 6 jours). Le phénomène n’est pas sans précédent. On a vu, par exemple, 6 départs volontaires dans les 12 mois suivant l’élection de 1881 mais ces départs hâtifs se sont raréfiés par la suite et on n’en comptait que 7 dans toute la seconde moitié du siècle dernier.
L’allocation de transition
Associer la prolifération des démissions après 1980 avec l’apparition de l’allocation de transition accordée indistinctement aux vaincus et aux démissionnaires depuis 1983 serait sûrement un raccourci dangereux. Il demeure que le total des démissions depuis 1980 est à peu près trois fois ce qu’il était dans les 30 années précédentes.
A l’époque où la Loi sur les conditions de travail et le régime de pension des députés (1982) a été adoptée, c’est la générosité du régime de retraite qui faisait problème. Un député pouvait toucher une retraite à vie après quelques années de service, quel que soit son âge. Par ailleurs, l’indemnité était inférieure au salaire d‘un agent de recherche. Il fut donc convenu d’augmenter l’indemnité et de rétreindre l’accès à la pension (en suggérant que le coût de l’opération serait nul…), tout en créant une « allocation de transition » pour aider ceux qui n’était pas admissible à la pension à se « revirer de bord ».
Depuis janvier 1983, un député qui démissionne comme membre de l’Assemblée, est défait lors d’une élection ou termine un mandat à ce titre sans être candidat à l’élection qui suit a droit à une allocation de transition égale à deux fois son traitement mensuel pour chaque année complète pendant laquelle il a été membre de l’Assemblée. L’allocation ne peut être inférieure à quatre fois le traitement mensuel ni supérieure à douze fois le traitement mensuel.
A-t-on pensé que ce parachute aurait des effets pervers ? Il faudrait relire les débats pour s’en assurer mais c’était une époque où les démissions étaient assez rares et les nominations partisanes, en voie de disparition. La moyenne annuelle des départs volontaires de 1867 à 1980 (1,7) cache d’ailleurs un creux significatif dans les années 1950-1979 (1,2 départ volontaire par an). Pouvait-on prévoir que cette moyenne rebondirait pour tripler au cours des 30 années suivantes (3,4 départs depuis 2000)?
***
Trente ans après sa création, une réflexion s’impose sur l’allocation de transition, son universalité et ses autres modalités d’application. Plusieurs s’interrogent avec raison sur la pertinence de verser une allocation de transition à un député qui retourne à son emploi antérieur, obtient un mandat électif à un autre niveau (municipal ou fédéral) ou est admissible à la retraite.
Cette réflexion devrait s’accompagner d’un retour à la transparence sur l’ensemble des conditions de travail des parlementaires. Les Comptes publics fournissaient autrefois des données nominales sur les indemnités, les allocations et même les prestations de retraite. On n’y trouve presque plus rien depuis qu’il existe une Loi d’accès à l’information…
(Note: Les données ont été compilées à partir de la chronologie du site de l’Assemblée nationale (http://www.assnat.qc.ca/fra/patrimoine/chronologie/index.html). La rédaction de cette chronologie s’étant étendue sur plusieurs années, il est possible qu’on y trouve une certaine inconstance dans la formulation des entrées. Les démissions causées par l’abolition du double mandat (1874), l’accession au cabinet (réélection obligatoire avant 1927) et l’élection dans deux circonscriptions (permise avant 1952) n’ont pas été prises en compte.)