L’incendie de l’édifice du Parlement, le 25 avril 1849, n’est pas un simple fait divers. Il figure en tête d’une liste d’événements survenus à Montréal en 1849, «l’année de la terreur», selon le mot d’Édouard-Zotique Massicotte, «terreur jaune», précisait Joseph Royal, en référence aux Orangistes: le 25 avril, assaut contre le cortège du gouverneur par des extrémistes anglo-montréalais, saccage de l’Hôtel du Parlement, agressions contre les élus, incendie de l’édifice du Parlement et de sa bibliothèque, sabotage du matériel du service des incendies; dans les jours suivants, saccage de plusieurs résidences dont celle du premier ministre La Fontaine; le 30 avril, nouvelles agressions contre le cortège du gouverneur; le 10 mai, agression contre les convives de l’hôtel Cyrus; le 15 août, nouvelle attaque armée contre la résidence du premier ministre; le 20 août, incendie de l’hôtel Cyrus (où se déroulait l’enquête du coroner en présence du premier ministre), sans compter plusieurs autres incendies criminels, des agressions et combien d’autres méfaits tout au long de l’année.
Que s’est-il passé pour qu’un segment important de la communauté anglo-montréalaise s’attaque subitement aux institutions les plus fondamentales du pays, le gouverneur, le premier ministre, le Parlement et sa bibliothèque?
La nouvelle politique coloniale de la Grande-Bretagne constitue l’arrière-plan. Porté au pouvoir en 1846, le gouvernement whig prône le libre-échange, une décision qui bouleverse l’économie canadienne. Les vraies causes de cette violence sont cependant politiques et ethniques. Dans les 20 mois qui ont précédé l’émeute d’avril 1849, une série d’événements provoque une irritation croissante chez les tories qui croyaient bien l’avenir réglé par l’Acte d’Union:
· – le 10 août 1847, la reine sanctionne une loi qui établit une liste civile permanente et marque la fin de la «querelle des subsides» qui avait opposé le gouverneur à la majorité parlementaire du Bas-Canada pendant des décennies;
· – le 3 mars 1848, l’Assemblée retire sa confiance aux ministres nommés par le gouverneur et le gouverneur Elgin invite les chefs de la majorité réformiste, La Fontaine et Baldwin, à former un gouvernement, ce qu’ils font le 11. Un francophone, La Fontaine, devient premier ministre et Baldwin lui-même le reconnaît comme son chef;
· – le 14 août 1848, une loi du Parlement britannique révoque la clause de l’Acte d’Union qui proscrivait l’usage de la langue française dans les documents du Parlement;
· – le 18 janvier 1849, dans un discours du trône prononcé en partie en français, le gouverneur Elgin annonce l’amnistie générale des insurgés de 1837-1838 et une loi en ce sens est sanctionnée le 1er février 1849;
· – et, goutte d’eau ultime, le 13 février 1849, l’Assemblée législative entreprend l’étude d’une proposition de La Fontaine qui vise à indemniser les personnes dont les biens ont été endommagés ou détruits durant les répressions de 1837 et 1838 au Bas-Canada. Une mesure semblable avait été précédemment adoptée pour le Haut-Canada, à l’initiative d’Allan MacNab qui sera néanmoins le leader des opposants au bill de 1849! «L’Union, disait-il, d’après un reportage du Journal de Québec (8 février 1849), a complètement manqué son but. Elle fut créée pour l’unique motif d’assujettir les Canadiens français à la domination anglaise. Le contraire en est résulté».
En somme, en quelques mois, dans un esprit de démocratie, de justice et d’équité, le gouvernement britannique avait satisfait certaines revendications des Patriotes, reconnu leur langue, amnistié leurs chefs: fallait-il en plus, disaient les tories, dans une interprétation très particulière de la loi, «récompenser les rebelles»? Le 25 avril, quand le gouverneur Elgin sanctionne le bill des indemnités, on voit sauter la marmite que les médias anglophones de Montréal (The Gazette en tête) chauffaient depuis quelques mois.
Il y a dix ans, le 150e anniversaire de ces événements a failli passer inaperçu. Seul Le Devoir y a consacré un article substantiel le mercredi 21 avril. La Presse, qui avait régulièrement des articles de fond sur des sujets historiques, a choisi le 25 avril pour publier un texte sur les cinquante ans de l’Institut de réhabilitation de Montréal (ironie?), dont les lettres patentes datent de novembre 1949. Quant aux éditeurs de la Gazette, ils se sont probablement bien amusés en décidant de publier, dans leur édition du 25 avril 1999, un long texte sur une émeute survenue… le 10 mai 1849… à New York!
C’est pour réagir à cette amnésie, quelques mois plus tard, que Septentrion a édité Une capitale éphémère, une compilation d’études et de témoignages sur ces événements dramatiques qui attendent quand même toujours leur historien.
En transit vers le Mexique
En quittant volontairement ses fonctions quatre mois seulement après sa réélection, l’ex-ministre des Finances toucherait une « prime de départ » de 146000$. Le montant calculé par la Ligue des contribuables du Québec restera approximatif pour la bonne raison qu’il échappe à la loi dite d’« accès » à l’information. Les mots (et les chiffres) sont imprécis mais on connaît l’air et il fait grincer des dents.
Cette « prime » s’appelle en fait officiellement une « allocation de transition ». Elle est apparue au début des années 1980 lors d’une réforme majeure des lois régissant l’Assemblée nationale et les conditions de travail des députés.
C’était au temps de la « piscine », cet euphémisme inventé par monsieur Parizeau, paraît-il, pour désigner la figure imposée aux salaires des fonctionnaires. À cette époque, les députés ne digéraient pas le fait que leur indemnité de base soit inférieure au traitement maximal d’un professionnel de la fonction publique. Pour faire passer une augmentation substantielle de cette indemnité, au moment où tout le secteur public se faisait serrer la ceinture, les législateurs ont restreint leur généreux « régime de pension » (ce qui devait laisser, disait-on, la rémunération globale inchangée…) : les députés admissibles au régime ne pourraient plus toucher leurs prestations avant 55 ans mais, pour leur permettre « de se virer de bord », le temps de se dénicher un « emploi-difficile-à-trouver-quand-on-a-fait-de-la-politique-et-que-les-portes-se-ferment… », tous les futurs retraités, volontaires ou non, pourraient empocher en quittant une « allocation de transition » représentant au maximum une année de salaire.
Plusieurs ont remis en question la prime de départ de l’ancien PDG de la Caisse de dépôt qui a quitté volontairement ses fonctions avant la fin de son contrat. C’est aussi le cas de l’ex-ministre des Finances mais, pire encore, de son propre aveu, elle n’est plus sur le marché du travail. Sa sacoche rentière comprend RRQ, pension de vieillesse, retraite de parlementaire et sûrement d’autres, toutes méritées et payées, mais pourquoi une « prime » en plus? Vers quoi est-elle en « transition »? La maison de retraite?
D’autres cas similaires sont survenus ces dernières années; ils ont probablement été assez bien distribués dans l’arc-en-ciel politique pour expliquer le silence qui les entoure. Les citoyens sont en droit d’espérer que le mouvement de réforme qui se dessine au Parlement pose des balises à cette allocation dénaturée.
Maître Aubut
Je n’ai jamais été un fan naturel de Marcel Aubut, la principale raison étant probablement que je suis un éternel partisan des Canadiens de Montréal…
La manie des journalistes de lui donner du « maître » avec une certaine obséquiosité m’a toujours agacé, mais il n’y était pour rien. Un quotidien de Québec lui a même donné du « tsar » à la une ces jours-ci. On le disait aussi « fils spirituel » de Jean Lesage…
L’histoire va relativiser le rôle de l’ancien premier ministre qui a cueilli un fruit mûr à Québec (en profitant de deux décès subits) pour être ensuite entraîné dans la Révolution tranquille par quelques ministres-vedettes. Qui se souvient du reste de sa carrière après 1966, hormis sa participation au camp du NON en 1980?
Marcel Aubut joue sur une tout autre patinoire depuis près de trente ans et on ne voit pas la fin de son parcours. Son dernier coup est impressionnant. Combien de Québécois ignoraient que la fonction qu’il occupe maintenant était restée fermée aux francophones depuis plus de cent ans ? Le nouveau président du Comité olympique canadien ne joue pas la corde nationaliste mais il ne cache pas sa fierté, ni l’importance que cette nomination prend pour sa communauté.
Tout le monde sait qu’il a été propriétaire des Nordiques. Les plus jeunes ignorent qu’il a organisé l’une des plus grandes manifestations sportives de l’histoire de Québec, un tournoi international de hockey appelé « Rendez-vous 87 ». À cette époque, on ne pensait pas se fermer au monde en utilisant des mots français pour désigner des « événements » sportifs d’envergure internationale. C’était avant le Red Bull Crashed Ice, le Surf Big Air, le Pound Hockey, le Trip Hockey Bud Light, l’Ultimate Frisbee…
« Justice suprême, suprême injustice »
L’ex-grand chef David Ahenakew a été acquitté le mois dernier. Dans un jugement du 21 février, le juge Wilfred Tucker a estimé que ses déclarations n’étaient pas préméditées et qu’il avait cité en exemple les Juifs dans le but de convaincre ses confrères de défendre leurs droits en tant qu’autochtones… Le juge a aussi souligné que la Couronne n’a pu prouver hors de tout doute que l’ancien « sénateur » de la FSIN (Federation of Saskatchewan Indian Nations) faisait la promotion de la haine envers un certain groupe et qu’il en était conscient.
Les reportages des médias de langue française sur cette affaire ne nous éclairent malheureusement pas sur les propos qui ont justifié les accusations et amorcé cette saga judiciaire.
En décembre 2002, après une allocution devant les membres de la FSIN, où il avait notamment évoqué les « goddamn immigrants » et la responsabilité des Juifs dans le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale, Ahenakew avait été invité par un reporter du Star Phoenix de Saskatoon à préciser sa pensée : « The Jews damn near owned all of Germany prior to the war. …That’s how Hitler came in. He was going to make damn sure that the Jews didn’t take over Germany or Europe. That’s why he fried six million of those guys, you know ». Le reporter lui ayant demandé comment il justifiait l’Holocauste, il répondit : « How do you get rid of a disease like that…? » Bref, si on a bien compris le « chef » Ahenakew, pour se défaire de cette « maladie », il suffisait de la faire « frire »…
Si cette affaire mérite un rappel, c’est que deux ans auparavant, dans un geste sans précédent dans l’histoire du parlementarisme d’inspiration britannique, l’Assemblée nationale a blâmé Yves Michaud pour des propos prononcés 24 heures plus tôt, sans même prendre le soin de citer « l’acte d’accusation », comme si ce qu’on lui reprochait était trop grave pour être répété… La vérité était qu’il n’y avait rien pour soutenir une initiative aussi exceptionnelle. Quelqu’un se rappelle-t-il desdits propos? Il aurait dit que les Juifs n’étaient pas les seuls à avoir souffert dans l’histoire de l’humanité. Comme il n’y a eu ni dépôt d’accusation ni enquête, on n’en sait officiellement rien!
Monsieur Michaud a été victime d’un exceptionnel alignement de planètes : sous couvert de rectitude politique, le chef de l’Opposition et le premier ministre ont sauté à pieds synchronisés sur l’occasion d’écarter un candidat encombrant à l’élection complémentaire de Mercier. Un tribunal sérieux aurait au moins pris la peine d’entendre l’accusé.
Ce dernier a épuisé en vain tous les recours judiciaires. Il s’est heurté au refus des tribunaux de remettre en cause l’omnipotence du Parlement. Un juge de la Cour d’appel n’a cependant pas pu s’empêcher d’émettre ce commentaire exceptionnel, presque cynique, dans l’arrêt du 8 juin 2006 :
« […] Je suis d’accord avec l’analyse et les conclusions de ma collègue, la juge Dutil. Je ne peux cependant m’empêcher de penser que le Droit est ici devant un étrange paradoxe. […] Pour préserver la démocratie parlementaire, et donc la libre circulation des idées, le Droit à l’époque des Chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu’un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce, sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires. Summum jus summa injuria auraient dit les juristes romains ! »
«Justice suprême, suprême injustice». Il est évident que le Parlement a abusé de son « droit » de tout faire, pire encotre, que les partis ont utilisé le Parlement pour régler leurs comptes.
Contes du Bas-du-Fleuve
2002 ou 2003. Appel de Victor-Levy Beaulieu à mon bureau de l’Assemblée nationale. Il envisage de publier une série d’ouvrages sur les contes et légendes du Québec et me demande si je suis intéressé à en préparer un sur la Côte-du-Sud. Difficile dans l’immédiat, mais la retraite s’en vient dans quelques mois et c’est un beau projet, d’autant plus que j’ai déjà publié un ouvrage de ce genre en 1994. Contes et légendes de la Côte-du-Sud réunissait 13 textes, un pour chacune des vieilles paroisses riveraines de la région, de Beaumont à Kamouraska, une anthologie des auteurs les plus connus dans ce domaine, Casgrain, Taché, Aubert de Gaspé, Faucher de Saint-Maurice, Rouleau, Gagnon, etc. L’ouvrage est épuisé et ce serait une bonne occasion de reprendre le sujet sur une autre base, l’élargir, pour démontrer l’extraordinaire productivité de la Côte-du-Sud en ce domaine.
Il y a cependant une question qui accroche : comment l’éditeur de Trois-Pistoles conçoit-il la Côte-du-Sud? Je ne cache pas ma position : je travaillerai sur ce projet dans la mesure où il adoptera le découpage des histoires régionales de l’IQRC, la Côte-du-Sud incluant le Kamouraska.
La conversation se termine en point d’interrogation et je n’entendrai plus parler du projet jusqu’à la parution du premier titre, Contes, légendes et récits du Bas-du-Fleuve, tome 1, Les Temps sauvages (en 2003 ), qui faisait une large place à Joseph-Charles Taché (né à Kamouraska mais associé par la suite à la région de Rimouski) et comprenait aussi les classiques de Casgrain (Rivière-Ouelle) et un texte de Philippe-Aubert de Gaspé (Saint-Jean-Port-Joli). En 2008 paraît le deuxième tome, Les Temps apprivoisés, qui comprend évidemment de nombreux auteurs du Kamouraska mais aussi des textes du seigneur de Saint-Jean-Port-Joli et même de Joseph Marmette, bien associé à Montmagny… De Gaspé et Marmette se retrouvent aussi dans un autre ouvrage de la même collection, publié la même année, Contes, légendes et récits de la région de Québec, bref n’importe où, sauf sur la Côte-du-Sud qui a vu naître ce courant littéraire des « contes et légendes » vers la fin du XIXe siècle.
La collection est magnifique. Le projet était ambitieux et il a carrément ambitionné. Après la partition administrative entre le Bas-Saint-Laurent et Québec dans les années 1960, puis le dépeçage « touristique » entre le même Bas-Saint-Laurent et Chaudière-Appalaches dans les années 1980, voilà les dépouilles culturelles de la Côte-du-Sud rapaillées pour enrichir le patrimoine littéraire de ses voisines.
La situation ne manque pas d’ironie. En 1855, c’est Joseph-Charles Taché qui écrivait à un visiteur hypothétique venu en bateau : « À notre gauche est le comté de Kamouraska qui, avec ceux de Témiscouata et Rimouski, forment le district de Kamouraska, compris dans cette magnifique suite d’établissements, et qui est connu et célèbre dans le pays sous le nom de Côte du Sud ». Le Bas-Saint-Laurent de Taché était inclus dans la Côte-du-Sud.
Le monde à l’envers.