Québec en chansons

La ville de Québec a été chantée par plusieurs artistes au fil des ans, mais, mis à part le très court pot-pourri du spectacle d’ouverture et la discrète prestation des chorales au Colisée, on n’aura presque pas entendu leurs chansons cette année. Même Viens chanter ton histoire les a ignorées; c’était donc inutile de compter sur Céline et sir Paul.
Heureusement, il restera des disques, trois en particulier qui pallieront le manque de mémoire du 400e.
Kebek par Québec
Le plus québécois des trois, par sa thématique et ses interprètes, mais aussi le plus multiculturel et le plus éclaté (car il va de la musique traditionnelle au hip-hop, en passant par le jazz et le blues) est Kebek par Québec, un double DC, produit par Sismique, et lancé en grande pompe en juin à l’Espace 400e. « C’est un disque qui a d’abord été fait pour les gens de Québec, un hommage à la chanson, déclarait alors Bernard Roy. Nous trouvions que plusieurs choses reliées au 400e de Québec se faisaient à partir de Montréal. Au lieu de critiquer et de se demander ce que le 400e pouvait faire pour nous, nous nous sommes questionnés à savoir ce que nous pouvions faire pour le 400e ».
Des artistes de la capitale, en majorité, reprennent des classiques comme Dans les rues de Québec (Annie Poulain), Jos Monferrand (Pépé), La rue Saint-Jean (Micheline Bouzigon), Le fleuve (de Lelièvre, par Paule-Andrée Cassidy), La basse-ville (François Léveillée) mais aussi de nouveaux refrains, crées spécialement pour l’occasion, par Étienne Drapeau (Quatre sangs), Webster (QC History X), Gilles Sioui (Back Where I Belong), Mahrox (Québec Yako), Javi Javi (Que lina es Québec) ou Tricot Machine (Les 400 marches). La compilation de 26 plages comprend aussi des narrations de Paul Hébert, une chanson sur l’expédition du « Général de Flipe » (Phips, 1890), la chanson officielle de Danny Boudreau Tant d’histoires, et une interprétation par Les Violons du Roy du canon Freu dich des Liebens que Beethoven avait griffonné à l’intention d’un Québécois qui lui avait rendu visite à Vienne en 1825.
Si Québec m’était chantée
Même s’il s’affiche comme « Souvenir officiel du 400e », le DC de Musicor fait un peu « ch’nu » avec seulement 15 titres et 8 pages d’informations. Si Québec m’était chantée reprend des classiques du disque précédent et en ajoute quelques-uns dont Sylvie, de Michel Louvain, En revenant de Québec, du duo Roche-Aznavour, La chanson du Carnaval par Pierrette Roy, sans oublier le grand succès de Marius Delisle, À Québec au clair de lune. Signalons aussi La pente douce, un extrait de la bande sonore des Plouffe, et Dans les yeux d’Émilie de Joe Dassin. Mais on se demande ce que viennent faire sur cette compilation le Chez nous de Daniel Boucher et surtout Entre deux joints de Charlebois…
Chansons de Québec
Le meilleur des trois est sans conteste le DC produit par XXI-21, une maison spécialisée en recherche d’archives qui fait la preuve qu’une bonne compilation commémorative ne s’improvise pas.
Lancé sans bruit, le disque Chansons de Québec offre 25 versions originales accompagnées d’un livret de 32 pages. On y retrouve presque tous les classiques des deux disques précédents et plusieurs autres comme Marché Champlain de Marius Delisle, Au bassin Louise d’Hervé Brousseau, Les Plaines d’Abraham de Dominique Michel, C’est-y vrai, c’est-y ça de Vigneault, interprétée par Labrecque, Mon vieux Québec de Fernand Martel, Québec, de Pierrette Roy, Dans les rues de Québec de Jacques Michel, Au carnaval d’autrefois de Pierre Roche. Quartier latin et Les Québécoises de Vigneault auraient avantageusement remplacé Le miracle de Sainte-Anne de Beaupré de Jen Roger et De Montréal à Québec par Luis Mariano, mais nul n’est parfait !
Chansons de Québec comprend des chansons de circonstances comme Un été mer et monde de Francine Raymond, Nordiques jusqu’au bout par Mario Chenart et France Duval, et même La chanson des pee wees !
La chanson officielle Tant d’histoires a été remplacée par La plus belle fleur du Saint-Laurent de Lefebvre et Baillairgeon et, mérite ultime, Chansons de Québec se distingue en nous épargnant Les ailes d’un ange…

Lecture – Écrivains chéris, de Jean O’Neil

J’aimais bien Jean O’Neil, le maître du tourisme littéraire. En fait, par chauvinisme, je me suis intéressé aux livres qui contenaient des récits sur la Côte-du-Sud, comme Promenade et tombeaux, Géographies d’amour et surtout L’Île aux Grues.
Dans son dernier ouvrage, il traite des grands auteurs français qui l’ont inspiré, les Claudel, Montpassant, Rimbaud, Péguy, Daudet, etc. Pour ce faire, il est allé revoir les lieux où ces auteurs ont vécu.
À l’intention de ceux qui n’avait pas noté son absence, il a laissé quelques mots, dans le premier chapitre de son ouvrage, pour exprimer son bonheur de se retrouver « en congé provisoire dans ce Paris libérateur » après un exil de « quarante ans dans le péquisme grisouilleux de [son] pays » : « Car le bonheur m’est plutôt interdit au Québec. Le péquisme politique agonise comme une vieille chandelle qui fume au dernier bout de sa mèche, mais le péquisme culturel est toujours florissant, omniprésent, larmoyant, voire misérabiliste, heureux dans un nationalisme culturel plus taré que la consanguinité des villages perdus. La peinture seule semble avoir eu la grâce d’y échapper. La musique, je ne sais trop. Mais la littérature, j’en suis tellement loin que je ne la lis plus et que je m’en sauve. »
Il est donc parti, « en congé partiellement subventionné […], gracieuseté du Conseil des Arts du Canada » pour aller voir les « maîtres » qu’il a tant aimés, « faute de trouver des frères » dans son pays.
Le chroniqueur de L’Actualité a fait sa recension sans sourciller, apparemment; celui du Devoir a noté que le voyage commençait mal. « Pour justifier le bonheur français que lui ont procuré ces pèlerinages, O’Neil se sent obligé, en ouverture, de vomir sur un Québec qu’il dit vénérer […]. Que veut-il, au juste, dénoncer? On ne le saura pas vraiment. […] cette hargne, qui emprunte ses accents aux brouillons et colériques Jean-Paul Desbiens et René-Daniel Dubois, restera gratuite et navrante. […] J’ai toujours cru, quant à moi, que l’amour des cousins ne gagnait rien à se nourrir du mépris des frères ».
Pour ma part, ne bénéficiant pas du « service de presse », je me suis arrêté aux premières pages que j’ai lues au comptoir où le livre est resté.

Chanson francophone et tsunami appréhendé

Dans une chronique sur la chanson francophone (« Le déni de l’évidence », Le Soleil, 10 novembre), Régis Tremblay attire notre attention sur un communiqué publié le 30 septembre dernier par l’Observatoire de la culture et des communications du Québec : en 2007, pour la première fois, le public québécois s’est fait plus nombreux aux spectacles de chanson anglophone qu’à ceux de chanson francophone. « Chaque jour voit s’approcher la vague anglophone-anglophile qui nous submergera », écrit le chroniqueur, au sujet de cette révélation qui a fait peu de bruit.
À l’heure qu’il est, il a probablement obtenu les réactions classiques : « C’est ce que le monde veut », « faites de la musique pas de la politique », « faut s’ouvrir au monde », etc., le même type de réactions que le collectif Commémoration 1608-2008 a entendu cet été dans un dossier connexe (la présence de l’histoire au 400e).
Si la chanson anglophone séduit les Québécois et si, comme l’écrit Régis Tremblay, des artistes exploitent cette tendance « d’un peuple transformé en public », il n’est pas facile d’intervenir, mais on pourrait au moins éviter, comme société, de nourrir le mouvement avec les fonds de l’État.
À cet égard, on a eu de bien mauvais exemples en cette année du 400e anniversaire du « berceau de l’Amérique française ». On a accepté de clore le spectacle d’ouverture du 31 décembre 2007 avec une chanson en anglais et d’ouvrir le Festival d’été, le jour même de l’anniversaire en question, avec le spectacle d’un groupe anglophone (Plusieurs sont même convaincus que c’était le spectacle d’ouverture de fêtes du 400e). Ce Festival, dont on nous avait promis une « cuvée spéciale » pour 2008, a probablement été le plus « anglophile » de tous. En cette année qui marque le 400e anniversaire de l’installation permanente des Français en Amérique, l’idée d’amener un chanteur anglais sur le site qui symbolise la fin de la Nouvelle-France n’est sûrement pas née dans l’esprit de quelqu’un qui se préoccupait du sort de la chanson francophone ; on aurait pu au moins insérer dans le programme des chanteurs indigènes s’exprimant dans la langue de la majorité.
« On a le showbizz qu’on mérite », écrit monsieur Tremblay. Les leaders aussi.

Le Canada en fête permanente

Après avoir accepté sans mot dire que l’anniversaire de l’installation des Français en Amérique soit transformé en célébration du multiculturalisme et du pseudo quatrième centenaire de l’État canadien, le politicologue Guy Laforest (Le Soleil et La Presse, 23 octobre 2008) propose de re-célébrer la fête du Canada en 2009, 250e anniversaire de la bataille des Plaines d’Abraham.
Le Canada serait donc né en 1759, avec la capitulation de Québec, et non en 1608, avec sa fondation, comme les conservateurs nous l’ont dit cette année, ou en 1604, comme les libéraux l’avaient chanté aux Acadiens il y a quatre ans : y a-t-il plusieurs Canadas ou est-ce le même qui s’invente des anniversaires et court les fêtes?
D’après le politicologue de l’Université Laval, DIX dates peuvent être prises en considération pour la fondation du Canada : 1534, 1608, 1759, 1763, 1774, 1791, 1848, 1867, 1931 et 1982. Et encore, il oublie 1603 et 1604.
Pourquoi s’arrêter en chemin? Lançons un plan quinquennal de festivités! On fera le pont de 2008 à 2013, qui marquera le 250e anniversaire de la cession de la Nouvelle-France à l’Angleterre. Et, pour ne pas faire de jaloux, la métropole pourra ainsi commémorer la capitulation de Montréal en 1760. À défaut du Grand Prix, et avec un peu d’imagination, on fêtera la fondation du Canada presque tous les ans…

De retour en 1827

Dans ses récents discours, le premier ministre du Québec nous a servi de nombreuses évocations historiques mais il devra revoir les précédents concernant l’élection du président.
Jamais un président n’aurait été élu « sans consultation avec le gouvernement » depuis 216 ans? Il faut rappeler que le Parlement a existé avant l’apparition de la fonction de premier ministre et du gouvernement comme on le connaît aujourd’hui. Pendant un bon demi-siècle, les députés ont pris leurs responsabilités comme de grands garçons sans attendre les volontés de l’exécutif. Le gouverneur ne livrait d’ailleurs pas le « discours du trône » avant que les députés aient un représentant. Les députés élisaient donc leur président en toute liberté et ce dernier allait ensuite se présenter devant le gouverneur qui reconnaissait invariablement l’élu comme porte-parole légitime de l’Assemblée.
Mais il y a eu une exception. À l’ouverture de la session de 1827, Papineau est réélu président (« orateur ») par 39 voix contre 5. Le gouverneur Dalhousie n’accepte pas ce choix mais la Chambre maintient sa décision, affirmant que la présentation de l’orateur au représentant du roi n’est qu’une simple formalité et non une obligation législative. Ne pouvant accepter cette rebuffade, le gouverneur proroge tout simplement la session. Les députés du Parti patriote font alors circuler une pétition dénonçant l’attitude du gouverneur qui sera peu après rappelé à Londres et remplacé par un gouverneur plus conciliant. Aucun représentant de la Couronne n’a imité Dalhousie par la suite.
Les politiciens québécois et canadiens vivent simultanément une expérience inusitée. Ils doivent apprendre à composer avec des gouvernements minoritaires et fonctionner dans un contexte où les matamores ont moins long de corde et les bulldozers, moins de rayon d’action.
L’élection du président illustre bien le changement survenu. Autrefois, le gouvernement « proposait » un candidat à l’opposition qui n’avait pas le choix de l’accepter (mais qui pouvait parfois négocier la tranquillité de l’ouverture de la session contre un avantage quelconque) ; de toute manière, il ne servait à rien de se braquer, compte tenu des forces en présence. Et le premier ministre ne divulguait surtout pas le nom de son candidat avant de l’avoir « négocié ». Avec le scrutin secret, le gouvernement ne perd pas complètement la maîtrise du jeu, car il peut toujours contrôler les candidatures dans ses rangs et imposer une ligne de parti à ses députés, mais, dans une situation de gouvernement minoritaire, tout est différent.
Quoiqu’on en dise maintenant, il est évident que l’entente conclue entre les partis portait sur le processus du scrutin et non sur le nombre de candidats ou le résultat du vote. Chaque parti a choisi son candidat sans consulter les autres. Si on avait laissé aller le processus, les députés auraient voté sur une liste de trois candidats et aucun n’aurait eu la majorité absolue au premier tour. Le deuxième tour aurait opposé messieurs Vallières et Picard… L’Opposition officielle risquait gros, en terme d’amour-propre, car elle avait exprimé vigoureusement son point de vue sur le candidat proposé par le caucus libéral. Son candidat a trouvé la meilleure façon tirer son épingle du jeu honorablement. Le leader du gouvernement attendait peut-être que ses vis-à-vis viennent négocier l’élection de monsieur Vallières, mais, au lieu de faire un deal avec le gouvernement, ils ont préféré dealer entre eux.
On comprend sa colère – il s’en est fait passer une – et celle de ses collègues qui voient un poste envié leur échapper, mais un peu moins celle de leur chef qui, en remettant en cause la légitimité du président, nous ramène aux temps de lord Dalhousie.