Le Canada en fête permanente

Après avoir accepté sans mot dire que l’anniversaire de l’installation des Français en Amérique soit transformé en célébration du multiculturalisme et du pseudo quatrième centenaire de l’État canadien, le politicologue Guy Laforest (Le Soleil et La Presse, 23 octobre 2008) propose de re-célébrer la fête du Canada en 2009, 250e anniversaire de la bataille des Plaines d’Abraham.
Le Canada serait donc né en 1759, avec la capitulation de Québec, et non en 1608, avec sa fondation, comme les conservateurs nous l’ont dit cette année, ou en 1604, comme les libéraux l’avaient chanté aux Acadiens il y a quatre ans : y a-t-il plusieurs Canadas ou est-ce le même qui s’invente des anniversaires et court les fêtes?
D’après le politicologue de l’Université Laval, DIX dates peuvent être prises en considération pour la fondation du Canada : 1534, 1608, 1759, 1763, 1774, 1791, 1848, 1867, 1931 et 1982. Et encore, il oublie 1603 et 1604.
Pourquoi s’arrêter en chemin? Lançons un plan quinquennal de festivités! On fera le pont de 2008 à 2013, qui marquera le 250e anniversaire de la cession de la Nouvelle-France à l’Angleterre. Et, pour ne pas faire de jaloux, la métropole pourra ainsi commémorer la capitulation de Montréal en 1760. À défaut du Grand Prix, et avec un peu d’imagination, on fêtera la fondation du Canada presque tous les ans…

De retour en 1827

Dans ses récents discours, le premier ministre du Québec nous a servi de nombreuses évocations historiques mais il devra revoir les précédents concernant l’élection du président.
Jamais un président n’aurait été élu « sans consultation avec le gouvernement » depuis 216 ans? Il faut rappeler que le Parlement a existé avant l’apparition de la fonction de premier ministre et du gouvernement comme on le connaît aujourd’hui. Pendant un bon demi-siècle, les députés ont pris leurs responsabilités comme de grands garçons sans attendre les volontés de l’exécutif. Le gouverneur ne livrait d’ailleurs pas le « discours du trône » avant que les députés aient un représentant. Les députés élisaient donc leur président en toute liberté et ce dernier allait ensuite se présenter devant le gouverneur qui reconnaissait invariablement l’élu comme porte-parole légitime de l’Assemblée.
Mais il y a eu une exception. À l’ouverture de la session de 1827, Papineau est réélu président (« orateur ») par 39 voix contre 5. Le gouverneur Dalhousie n’accepte pas ce choix mais la Chambre maintient sa décision, affirmant que la présentation de l’orateur au représentant du roi n’est qu’une simple formalité et non une obligation législative. Ne pouvant accepter cette rebuffade, le gouverneur proroge tout simplement la session. Les députés du Parti patriote font alors circuler une pétition dénonçant l’attitude du gouverneur qui sera peu après rappelé à Londres et remplacé par un gouverneur plus conciliant. Aucun représentant de la Couronne n’a imité Dalhousie par la suite.
Les politiciens québécois et canadiens vivent simultanément une expérience inusitée. Ils doivent apprendre à composer avec des gouvernements minoritaires et fonctionner dans un contexte où les matamores ont moins long de corde et les bulldozers, moins de rayon d’action.
L’élection du président illustre bien le changement survenu. Autrefois, le gouvernement « proposait » un candidat à l’opposition qui n’avait pas le choix de l’accepter (mais qui pouvait parfois négocier la tranquillité de l’ouverture de la session contre un avantage quelconque) ; de toute manière, il ne servait à rien de se braquer, compte tenu des forces en présence. Et le premier ministre ne divulguait surtout pas le nom de son candidat avant de l’avoir « négocié ». Avec le scrutin secret, le gouvernement ne perd pas complètement la maîtrise du jeu, car il peut toujours contrôler les candidatures dans ses rangs et imposer une ligne de parti à ses députés, mais, dans une situation de gouvernement minoritaire, tout est différent.
Quoiqu’on en dise maintenant, il est évident que l’entente conclue entre les partis portait sur le processus du scrutin et non sur le nombre de candidats ou le résultat du vote. Chaque parti a choisi son candidat sans consulter les autres. Si on avait laissé aller le processus, les députés auraient voté sur une liste de trois candidats et aucun n’aurait eu la majorité absolue au premier tour. Le deuxième tour aurait opposé messieurs Vallières et Picard… L’Opposition officielle risquait gros, en terme d’amour-propre, car elle avait exprimé vigoureusement son point de vue sur le candidat proposé par le caucus libéral. Son candidat a trouvé la meilleure façon tirer son épingle du jeu honorablement. Le leader du gouvernement attendait peut-être que ses vis-à-vis viennent négocier l’élection de monsieur Vallières, mais, au lieu de faire un deal avec le gouvernement, ils ont préféré dealer entre eux.
On comprend sa colère – il s’en est fait passer une – et celle de ses collègues qui voient un poste envié leur échapper, mais un peu moins celle de leur chef qui, en remettant en cause la légitimité du président, nous ramène aux temps de lord Dalhousie.

«Rencontre» d’un mauvais type ?

Les Hurons-wendats jouaient le rôle de « nation hôte des Première Nations pour les célébrations du 400e anniversaire de Québec ». Ils étaient, selon les documents officiels, responsables « d’assurer une participation significative de l’ensemble des Premières Nations aux festivités de 2008 ». La programmation du 400e comprenait « un volet propre à la nation hôte, sur le territoire de Wendake, et un second volet intégré aux festivités de la Société du 400e anniversaire de Québec ». « Pour chacun, dit le programme, ce sera une occasion exceptionnelle d’échanger avec ceux qui partagent à la fois notre quotidien et les défis de demain ».
À Wendake, le spectacle à grand déploiement Kiugwe a tenu la scène du 18 juillet au 3 septembre ; il y a aussi eu des plusieurs soirées culturelles dans le cadre des « semaines thématiques ». Sur le site de l’Espace 400, les autochtones ont été particulièrement présents avec des spectacles, des conférences, etc. Pour sa part, le chef des Hurons a joué un rôle important, comme représentant officiel des autochtones, présent à toutes les activités possibles, ici et outre-mer. Il a même été le premier personnage en scène le 31 décembre 2007 avec un rituel de purification qui n’a curieusement fait sourciller personne à notre époque où il est interdit de dire une prière en ouvrant les séances des conseils municipaux…
Comme le soulignait Claude Vaillancourt dans le Soleil du 13 septembre dernier, « au-delà des installations permanentes qu’ont apportées les festivités du 400e anniversaire de Québec, c’est la reconnaissance de son peuple qui sort grande gagnante de ces longs mois de célébrations ».
Mais pourquoi s’arrêter en chemin ? « On a fêté le 400e de la Ville de Québec, rien d’autre, précise d’emblée le grand chef. On n’a pas fêté d’autre chose. On n’a surtout pas fêté l’arrivée des Européens dans nos territoires ».
Faut-il rappeler que le thème général du 400e est « la rencontre » ? Les Québécois de souche française qui croyaient célébrer l’anniversaire de leur « berceau » en 2008 ont progressivement réalisé qu’ils devaient partager la fête avec toutes les autres communautés qui les ont rejoints depuis 1608 et ceux qui étaient là avant ; mais, « mieux » encore, dans l’esprit du chef des Hurons, ils en sont plutôt exclus. La « rencontre » est annulée.
Un mois plus tard, et sans attendre la fin de la fête, le chef des Hurons profite du passage des chefs d’État francophones pour exposer ses revendications territoriales. Et, dans le cours de son argumentation, il tire une autre flèche : « Samuel de Champlain, moi j’en parle même pas. Je ne le connais pas, ce gars-là » (Journal de Québec, 17 octobre).
Une autre rencontre à l’eau? Champlain a conclu des alliances avec les Hurons, fait la guerre trois fois avec eux contre leurs ennemis iroquois, passé un hiver complet en Huronnie (région des Grands Lacs) — car il était sorti trop mal en point d’une bataille pour revenir à Québec — et il a été ensuite souvent pressé de retourner en guerre aux côtés de cette communauté avec laquelle il a entretenu de forts liens d’amitié au point de souhaiter former un nouveau peuple avec elle. Et 400 ans plus tard, le chef des Hurons ne connaît pas « ce gars-là »? C’est à se demander s’il est vraiment de la même lignée. Chose certaine, de la part d’un personnage public qui joue un rôle officiel dans l’organisation du 400e, et qui a bénéficié de tous les égards depuis un an, ces propos manquent d’élégance, pour ne pas dire plus.

Mauvaise mémoire, mauvaise foi, ou les deux ?

Comme le dirait notre maire, dans son langage imagé, Lysiane Gagnon est partie sur une « shire » dans sa chronique du 11 octobre (« Le Bloc ou la vie rêvée », La Presse, http://www.cyberpresse.ca/opinions/chroniqueurs/lysiane-gagnon/200810/11/01-28683-le-bloc-ou-la-vie-revee.php).
Vu de La Presse, le Bloc mène la belle vie. « Ses fonds de campagne sont entièrement dépensés au Québec, alors que les autres partis doivent financer des campagnes coûteuses qui se déroulent de l’Atlantique au Pacifique. Le Bloc n’est même pas obligé de louer un avion. Ainsi délesté des dépenses les plus lourdes, le parti peut se concentrer sur la propagande. Du fait qu’ils n’œuvrent que dans une seule province, le Bloc et son chef jouissent, par rapport au seul électorat qui les intéresse, d’une visibilité exceptionnelle […]. Son unique cible est le groupe relativement homogène des Québécois francophones, alors que les autres chefs doivent composer avec des populations extrêmement diverses. […] C’est exactement comme s’il existait, au niveau de la politique provinciale, un parti montréalais qui ne s’occuperait que des intérêts de la métropole, et dont le chef n’aurait jamais à se soucier des travailleurs forestiers, des pêcheurs gaspésiens ou de la médecine en région ».
Madame Gagnon a peut-être oublié, et on peut imaginer qu’elle ne veuille pas se souvenir, que son exemple n’est pas théorique. Fondé en 1989, le Parti Égalité regroupait des Montréalais mécontents de la décision de Robert Bourassa d’invoquer la clause « nonobstant » pour assurer le maintien des dispositions de la Charte de la langue française concernant la langue d’affichage. Cette position du Parti Égalité et son fédéralisme radical ont fait en sorte que ses appuis se retrouvaient parmi la minorité anglophone et qu’il ne présentait des candidats que dans les circonscriptions ayant une proportion significative d’électeurs anglophones… et peu de pêcheurs gaspésiens ! Aux élections de 1989, 1994 et 1998, le parti a présenté une vingtaine de candidats, essentiellement dans la région de Montréal. Il a remporté 4 sièges à Montréal en 1989 et aucun autre par la suite. En fait, avant la fin de la législature, trois des quatre députés avaient déjà quitté le parti.
Madame Gagnon se souvient-elle d’avoir accusé le Parti Égalité d’être « montréalo-centriste », de « manquer d’altruisme et d’ouverture d’esprit » et surtout de « fausser le jeu de la démocratie », comme elle le fait à l’endroit du Bloc ?
Madame Gagnon n’est pas seule dans son camp. Cette campagne électorale passera à l’histoire pour avoir inventé un nouvel argument électoral, repris par des gens pourtant réputé intelligents comme Bernard Lord : on reproche maintenant à l’opposition de ne pas adopter de lois et d’être inefficace administrativement ! (Curieusement, le Bloc est la seule cible alors qu’il est encore loin des « records » néo-démocrates qui siègent « impunément » depuis des décennies (sous les étiquettes NPD et CCF) sans avoir fait adopter une seule loi eux non plus !)
Derrière cette rhétorique électorale primaire se cache un mépris pour la fonction de parlementaire et pour le Parlement lui-même. Dans cette perspective, des députés comme Stanley Knowles (un des plus grands parlementaires canadiens) ou Réal Caouette (quoi qu’on en pense), qui ont consacré leur carrière à défendre des principes sur les banquettes de l’opposition, sans espoir de prendre le pouvoir, n’auraient rien fait qui vaille tout en empêchant « le reste du Canada de se donner des gouvernements majoritaires ».
On se demandera ensuite qui essaie de « fausser le jeu de la démocratie ».

Des chiffres sur le 400e

La valse des statistiques du 400e est commencée et durera plusieurs mois puisque les livres ne seront pas fermés et que le bilan de la Société du 400e ne sera pas connu avant le début de 2009.
Convoqué par le conseil municipal, le directeur général du 400e a lancé les premiers chiffres : 8 millions de personnes auraient participé aux quelque 290 événements. Le Red Bull Crashed Ice, le championnat mondial de Hockey, le Festival d’été, les Fêtes de la Nouvelle-France et le Congrès eucharistique sont-ils comptés? On verra au rapport final.
Quelques jours plus tard, c’était la fermeture de l’Espace 400. On y aurait compté 1,2 million de visiteurs dont 600 000 spectateurs pour le Moulin à images. Sur quelles évaluations de foule s’appuient ces chiffres? En fait, cela n’a pas tellement d’importance. En a-t-on eu pour notre argent, pour les fonds publics investis plus précisément? Impossible de le dire. Quand presque tout est gratuit, comment mesurer la rentabilité ou la satisfaction, mais on retiendra une chose : il y avait du monde et tout s’est déroulé correctement, à part quelques embouteillages et des petites prises de bec sans conséquences entre spectateurs du Moulin. Quand les restaurants ne suffisent plus à la tâche, et qu’il s’en trouve même pour fermer pour cause d’épuisement, c’est qu’il y a beaucoup de monde. Si le succès se mesure à cette aune, c’est réussi.
Les chiffres laisseront cependant libre cours aux interprétations. Dans son bilan esquissé à la fermeture de l’Espace 400e, le directeur général rappelait que ce lieu lui semblait une sorte d’Expo 67. La comparaison ne manque pas de pertinence. Du 3 juin au 28 septembre, on y offrait « 120 jours de rencontres inoubliables avec des artistes, chanteurs, musiciens, danseurs, acrobates, historiens, conférenciers, des gens d’ici et d’ailleurs venus célébrer les 400 ans de Québec ». Les historiens semblaient détonner dans la liste? Ils participaient aux « Grandes Rencontres », qui constituaient le volet intellectuel élaboré sous la direction de l’anthropologue Bernard Arcand et s’annonçaient « fascinantes tantôt écolos, tantôt gastronomiques ou encore historiques ».
On notera l’ordre de préséance qui concorde assez bien avec les statistiques fournies par le site Internet du 400e. Espace 400e a accueilli « 700 artistes d’ici et d’ailleurs » sur sa Grande place et « 6 500 artistes locaux, amateurs et passionnés, ont fait montre de leur talent sur la Scène des Jardins éphémères IGA ». Ont fermé la marche les « 78 conférences et classes de maître ». dont environ le tiers portaient sur l’histoire.