Dans sa dernière chronique (« L’histoire est dans les livres, pas sur les plaines! », L’Actualité, septembre 2008, p. 74), Pierre Cayouette écrit: « Les rabat-joie qui déplorent l’absence de la dimension historique dans les festivités entourant le 400e anniversaire de Québec oublient que l’on n’a jamais publié autant de livres consacrés à la capitale nationale. Il suffit d’un détour en librairie pour s’en convaincre. Le volet historique des fêtes du 400e se trouve là, dans ce foisonnement d’ouvrages tous plus instructifs les uns que les autres. » Et, après avoir recensé six ouvrages, fort pertinents (même si l’un est paru en 2004), il conclut: « Qui a dit que la dimension historique était absente du 400e de Québec ? »
Les rabat-joie n’oublient rien, ce qui leur vaut justement cette réputation d’empêcheurs de fêter en rond. Ils se souviennent trop bien: la Société du 400e a mis de côté les emblèmes et les couleurs identitaires des Québécois et de leur capitale, choisi une chanson-thème qui omet le mot « Québec », sorti à contre-coeur Champlain de son placard, refusé d’investir dans des publications, des documents audio-visuels ou des expositions d’envergure qui auraient mis au premier plan l’histoire de Québec, du Québec et de l’Amérique française, refusé de financer tous le projets des sociétés historiques de la région, oublié d’honorer les familles pionnières, et on pourrait continuer l’énumération. Son repositionnement au cours de l’hiver, à la suite des protestations des « chiâleux », des « chiqueux de guenilles », des « casseux de party » et autres « morons », n’a rien changé de significatif dans l’orientation d’une fête préalablement bien balisée pour éviter les débordements d’émotion. Et de souvenirs.
S’il y a un « volet » ou une « dimension historique » dans ces fêtes, il faut y voir essentiellement le fait de l’initiative privée et de quelques rares institutions publiques, comme l’Assemblée nationale. C’est ce qui nous a valu une longue listes d’ouvrages (dont L’Actualité donne un bel échantillon) et d’éditions spéciales de périodiques, un foisonnement qui peut faire illusion chez les observateurs et que la Société du 400e cherchera probablement à glisser dans son bilan, comme elle a rétroactivement apposé des collants « Souvenir officiel » sur des livres auxquels elle n’a pas collaboré.
Un 400e à l’envers
Les Québécois n’en auront peut-être pas conscience mais leur mois d’août aura une saveur particulière.
Du 31 juillet au 17 août, le parc de l’Esplanade est le point de convergence d’artistes francophones de partout au Canada. C’est la « Francoforce » (une activité inscrite « à retardement » dans le programme officiel du 400e de Québec) qui termine ici sa tournée et vient témoigner de la vitalité de la francité, d’un océan à l’autre.
Du 5 au 10 août, les Fêtes de la Nouvelle-France devaient avoir cette année une plus grande envergure mais la pluie est venue gâcher les premiers jours. Elles ont débuté avec un magnifique défilé de géants dirigé par le fondateur de Québec et fermé par deux grands patriotes québécois, Ludger Duvernay (fondateur de la SSJB de Montréal) et Félix Leclerc; le Louisianais Zachary Richard a été la vedette du spectacle de clôture.
En fin de semaine dernière, dans une autre activité concoctée sur le tard, le maire de Québec a reçu une délégation de 13 maires venus de villes américaines dont la fondation est due à l’action ou à l’influence des Français ou des Canadiens de souche française.
Un grand tintamarre acadien est prévu dans la capitale le 15 août. La Société nationale de l’Acadie en profitera pour décorer une personnalité québécoise et la journée se terminera par un grand spectacle qui mettra en scène des artistes acadiens et québécois.
Le 22, Céline Dion s’amène avec ses invités dans un spectacle conçu spécialement pour Québec, en français, cette fois; deux jours plus tard, sur la même scène, une vingtaine d’artistes rendront hommage à la chanson francophone dans le spectacle Paris-Québec à travers la chanson, lui aussi greffé tardivement à la programmation officielle.
Pour en arriver là, il a fallu que les chiâleux forcent un peu la main aux idéateurs du 400e mais ce programme rafistolé suffira-t-il pour se consoler d’un rendez-vous raté avec l’histoire de l’Amérique française au cours des sept premiers mois de 2008, la seule « rencontre » qui importait vraiment ? Tous les ingrédients auraient été là si les cuisiniers avaient su apprêter le plat pour en faire ressortir la saveur. Il y avait bien un « biscuitier » et un « boulanger » aux chaudrons mais leurs marmitons se sont égarés dans une cuisine internationale qui ne privilégie pas les racines.
Maintenant que les Pascale Picard Band du « Summer festival of Quebec » et sir Paul sont passés, c’est comme si l’essence de cet anniversaire remontait naturellement à la surface et que le « chanteur indigène » (selon le mot de Sylvain Lelièvre) finissait par prendre le plancher.
Avec ces manifestations artistiques de la Franco-Amérique et les hommages hors programme à Félix Leclerc (la Société du 400e s’étant contentée de clins d’œil), sans compter la participation spéciale de la France à Expo-Québec, on dirait que 2008 commence au mois d’août. Et ça se poursuivra cet automne avec les Entretiens Jacques-Cartier, le Sommet de la francophonie et l’ouverture du Centre de la francophonie des Amériques. Décidément, ce 400e se déroule à l’envers.
L’humilité des grands
Pour le bénéfice de ceux qui ne lisent pas régulièrement l’hebdomadaire français Le Point, la Presse canadienne a mis à la disposition des journaux québécois le résumé d’une remarquable et rare entrevue que le milliardaire Paul Desmarais a donnée à Patrick Bonazza (26 juin 2008).
Les Français ont appris notamment que le magnat des affaires a « la haute main sur la presse de la Belle Province ». Ils ont aussi été mis au parfum de la position éditoriale du journal La Presse : « … nous sommes fédéralistes. […] Le point de vue des séparatistes peut apparaître, mais la ligne éditoriale est fédéraliste. Il n’y a pas d’ambiguïtés. Si le Québec se sépare, ce sera sa fin. Moi, je suis attaché à la liberté et à la démocratie. Bien sûr, notre directeur de la rédaction est fédéraliste. Mais c’est lui qui mène son affaire. Je ne l’appelle pas pour lui dire ce qu’il doit faire ». Les Français ont sûrement compris que le directeur en question n’a pas besoin de dessin.
Le Globe and Mail a fait écho à ce reportage le 3 juillet avec une pointe de jalousie: « It is the first time in years that the Power Corp. of Canada patriarch has sat down with a journalist anywhere». Les quotidiens de Québécor ont publié la dépêche de la Presse canadienne le 4 juillet. Les journaux de Gesca n’ont pas repris cet article élogieux sur leur propriétaire.
Probablement un signe d’humilité.
Une ignorance stupéfiante, en effet…
S’il fallait illustrer à quel point les fêtes du 400e ont manqué de contenu sur l’histoire de Québec, on pourrait citer le « point de vue » publié dans Le Soleil du 22 juillet par trois étudiants en histoire sous le titre « Une ignorance stupéfiante ». J’exagère évidemment : la Société du 400e n’est pas responsable des lacunes de l’enseignement de l’histoire au Québec et surtout pas des conséquences d’un enseignement qui se préoccupe médiocrement des faits et des dates pour privilégier les « grandes interprétations ».
Trois éléments de cette lettre ouverte méritent une réaction.
D’après les auteurs, au moment où Champlain fonde un comptoir de traite à Québec, « des populations francophones s’enracinaient déjà en Amérique ». Ce serait une éminente contribution à nos connaissances s’ils pouvaient révéler le lieu de ces « enracinements ». En 1608, les essais brésilien et floridien sont de l’histoire ancienne; l’établissement acadien de Port-Royal est fermé; à part les pêcheurs qui jettent l’ancre (et non des racines) dans le golfe, les gens de Champlain sont les seuls à porter les couleurs françaises.
Ces auteurs reprennent aussi une légende urbaine au sujet de la population « majoritairement anglophone » à Québec au XIXe siècle. Ils lisent peut-être trop de chroniques d’Alain Dubuc, qui a écrit la même chose récemment. Les Québécois d’origine britannique ont représenté environ 40 % de la population de Québec au milieu du siècle, résultat de la grande vague d’immigration irlandaise des années 1840. Ce pourcentage a baissé ensuite très rapidement pour se situer aux environs de 15 % vers 1900.
Enfin, pour ces trois étudiants en histoire, 2008 est l’anniversaire de la ville de Québec, « n’en déplaise à ceux qui veulent y voir autre chose de moins banal ». Là, il était temps qu’ils interviennent. Est-on en train de dépenser près de 100 millions de dollars pour un anniversaire « banal » ? Tout ce que nous avons de dirigeants politiques, du maire de Québec à la gouverneure générale, se fend de grands discours depuis plusieurs mois pour nous dire que la fondation de Québec marque le début de l’Amérique française. Ces déclarations protocolaires ne se sont pas concrétisées souvent dans les fêtes mais on était plusieurs à y croire…
Cent ans après
Pour ceux qui n’y étaient pas (…), les historiens ont raconté comment les fêtes du 300e anniversaire de Québec ont été marquées de l’empreinte de l’empire britannique avec la présence du prince de Galles, ses troupes et sa marine. Sur les Plaines, de grands pageants (reconstitutions historiques) racontant l’histoire de la Nouvelle-France furent cependant le clou des festivités.
En 2008, le plus haut dignitaire étranger accueilli à Québec a été le premier ministre de la France. Si la tendance se maintient, le spectacle qui passera à l’histoire comme le moment fort des fêtes du 400e (dixit Radio-Canada) sera celui de Paul McCartney sur les Plaines, accompagné de « chanteurs indigènes » (ne me lapidez pas: le mot est de Sylvain Lelièvre) chantant aussi en anglais.
Prenons un moment pour méditer sur l’évolution de la nation québécoise, en attendant l’avènement de Céline.