« Chacun son rang, chacun sa classe »

Le salaire des députés fédéraux augmentera de 3,1 % le 1er avril. Seul Le Devoir semble avoir publié cette nouvelle (29 février) de la Presse canadienne qui a vraisemblablement obtenu le tuyau par la Fédération canadienne des contribuables. Le directeur national de ce lobby en profite évidemment pour dénoncer les «extravagances» de ces parlementaires qui ont une indemnité comparable à celle des membres du Congrès américain sans en avoir l’envergure et les responsabilités… C’est de bonne guerre mais il faut regretter que le journaliste qui a «passé» le message de monsieur Williamson n’ait pas pris la peine de dire ce qui justifiait ce 3,1%.
Les parlementaires ont de tout temps eu de la difficulté à établir leur indemnité. D’abord parce que leur tâche est difficile à comparer avec d’autres fonctions et surtout parce qu’ils doivent s’auto-évaluer. Depuis 2004, les députés fédéraux ont adopté une méthode mécanique : leur rémunération est ajustée annuellement en fonction des règlements salariaux négociés dans les entreprises de 500 employés et plus du secteur privé. Un indice est établi par «Ressources humaines et Développement des compétences Canada» au mois de février à partir de l’évolution des salaires pendant l’année civile précédente et la rémunération des parlementaires est ajustée en conséquence en avril.
Les parlementaires obtiennent donc des augmentations comparables à celles de leurs administrés. Les salaires des bénéficiaires du salaire minimum ne sont évidemment pas pris en considération dans le calcul mais les banquiers et les médecins spécialistes n’y sont pas non plus. (On notera que les dirigeants d’organismes publics au Québec ont aussi obtenu 3,1% en novembre dernier, comme quoi l’indice de «machin chose Canada» peut servir ailleurs. Les fonctionnaires québécois s’en satisferaient probablement.)
Le hic est qu’il a fallu un long détour pour arriver à cette solution. En 2001, les députés fédéraux avaient imaginé une autre solution mécanique qui consistait à attacher leur salaire à celui des juges. Comme le rappelait le député conservateur de West Vancouver—Sunshine Coast—Sea to Sky Country, en décembre 2004, «cette très bonne solution était que nous allions lier le salaire du premier ministre à celui du juge en chef, et tout le monde pensait que c’était bien équitable. Nous allions vivre avec l’indépendance des magistrats de la Cour suprême et avec le salaire qu’ils obtiendraient». Ce qui s’avère maintenant un détour a quand même permis aux députés fédéraux de passer par « GO », comme on dit au Monopoly. Leur indemnité est passée des alentours de 100 000$ à plus de 140 000$ en quelques années mais iIs ont frappé un os en 2004 quand la Commission d’examen de la rémunération des juges a recommandé une hausse de 10% pour les magistrats. «Chacun son rang, chacun sa classe» : au lieu de remettre le système en question, le gouvernement a préféré attacher ses parlementaires au petit bonheur d’une catégorie plus modeste, comme on vient de le voir, les cols blancs et les cols bleus. «C’est trop pour les Canadiens qui paient le salaire des députés, mais ce n’est pas trop pour les Canadiens qui paient le salaire des juges», s’est exclamé en vain un député bloquiste.
Depuis un mois, la Commission d’examen de la rémunération des juges (un fonctionnaire retraité et deux avocats…) s’est remise au travail afin de déterminer si les magistrats sont bien payés. Un juge nommé par le gouvernement fédéral touche présentement 252 000$ par année. Le salaire des juges de juridiction québécoise a presque doublé depuis 10 ans mais ils «stagnent» autour de 220 000$ et demandent encore 15% d’ici 2010. Il faut protéger leur indépendance, dit-on. Qu’adviendra-t-il de celle des députés fédéraux, qui sont maintenant loin derrière avec leur 150 000$, et de leurs homologues québécois, qui sont probablement tombés dans le sous-prolétariat de la gouvernance?

« Fouetter un cheval mort »

Les blagues les plus faciles surgissent inévitablement quand il est question des hippodromes. La situation n’est pas rose pour les gens qui gagnent leur vie dans cette industrie en perte de vitesse mais ce ne serait pas la première activité de loisirs à mourir au bout de sa course.
Au lieu de reconnaître que cette industrie est en phase terminale, l’État a eu le génie de la mettre sous respirateur artificiel en permettant au propriétaire des hippodromes de se financer avec les revenus des machines à sous. En d’autres mots, le cheval a fait place à la machine (à sous), les bêtes sont devenues décoratives, les « hommes à chevaux », des figurants, les hippodromes, des Ludoplex (qu’on refuse de nommer « casinos » pour ne pas énerver les Charlevoisiens). Tout est factice dans ce dossier boiteux.
Manque de pot, le respirateur manque de souffle : les joueurs se font rares, le « foin » ne rentre pas, le promoteur réduit son programme (déjà famélique) de courses live et, avant de se retrouver sur la paille, il demande au gouvernement et à Loto-Québec « de relever le marché »!
Wo! Farlantine! S’il y a moins de joueurs que prévu, n’est-ce pas une bonne nouvelle? S’il y a trop de machines, il suffit d’en supprimer et non de fouetter l’ardeur des joueurs. N’était-ce pas le but de l’opération (réduire l’offre) quand on a retiré les video poker des bars pour les regrouper dans les « salons de jeu »?
Le problème est que l’État sourit d’un côté de la bouche et ronge son frein de l’autre.

Champlain sort du placard!

Le 400e de Québec est comme un long convoi ferroviaire : il se met en branle lentement, dure longtemps et ne peut pas changer facilement de direction.
Les changements apportés au pavoisement la semaine dernière témoignent d’une volonté de réajuster le tir et d’une sensibilité aux commentaires des citoyens. Il faut aussi saluer la libération de Champlain qui sera davantage utilisé pour promouvoir le 400e à Québec et dans les régions. Pourquoi l’avait-on bâillonné jusqu’à maintenant? On le saura peut-être un jour, tout comme on comprendra éventuellement les facteurs qui ont influencé les choix de la Société du 400e, quand les historiens se pencheront en observateurs sur les préparatifs de la fête, à défaut d’y avoir joué un rôle actif.
Il est amusant de relier la « résurrection » de Champlain à une chronique publiée par Stéphane Laporte dans La Presse du 10 février (http://www.cyberpresse.ca/article/20080210/CPOPINIONS05/802100591/6978/CPOPINIONS05).
« Le problème avec les fêtes du 400e, c’est qu’on n’explique pas assez les raisons de la célébration. On devrait fêter beaucoup plus qu’une ville. On devrait fêter la vision de son fondateur. Fêter le fait français en Amérique. Ce petit miracle que ni l’abandon de la mère patrie ni la conquête des Anglais n’ont empêché de se produire.
« Encore plus que de trouver des événements, les membres du comité organisateur doivent trouver un sens à cette fête. Et ce ne peut être que le sens de l’histoire. Honorer ceux grâce à qui, durant 400 ans, le français est resté ici.
« Tous ces perdants qui n’ont jamais accepté la défaite. Jamais accepté l’éloignement. Tellement qu’ils sont devenus des gagnants. C’est en le rappelant que nos enfants pourront continuer à gagner.
« Les grands peuples fêtent toujours leurs victoires. Champlain a remporté la plus belle des victoires. Celle sur le temps. »
On n’entend pas beaucoup ce genre de propos à Québec, mais on a justement encore du temps.

« Prendre une chance» sur les Plaines?

Céline Dion part en tournée mondiale jusqu’au 30 janvier 2009; elle visitera 85 villes sur 5 continents. La caravane Taking Chances entreprend cette semaine la première étape qui durera six mois. Après la pause de juillet, Céline Dion sera à Montréal du 15 au 31 août mais elle se produira sur les plaines d’Abraham le 22, un one-night stand qui figure parmi les dix grands événements inscrits au programme du 400e anniversaire de Québec.
Céline et ses musiciens ont préparé une soixantaine de chansons pour cette tournée et elle en choisira 20-25 chaque soir en fonction des préférences des auditoires. Selon ce que son chef d’orchestre a confié à la presse, une seule chanson en français sera interprétée : Pour que tu m’aimes encore, la chanson de Céline la plus populaire, en français, tous marchés confondus.
« La question qui tue », dirait Guy A. : a-t-elle un plan B pour Québec?
Il paraît que les clauses monétaires du contrat intervenu entre la Société du 400e et René A. doivent demeurer confidentielles mais, si on peut se résigner à ne pas savoir combien on paie, sait-on au moins ce qu’on entendra? « En Afrique du Sud comme ailleurs, selon le chef Mégo, le choix s’arrête sur les [chansons] préférées du public ». Alors, la Société du 400e a-t-elle fait des demandes spéciales? À six mois de l’événement, la diva peut-elle répéter quelques airs dans la langue de Charlemagne?

Les Québécois, « chiqueux de guenilles » ?

Il a fallu quelques semaines mais Denis Bouchard a réagi de façon classique aux commentaires suscités par le spectacle qu’il a mis en scène le 31 décembre : «… il y a beaucoup de chiqueux de guenilles à Québec, ça s’entretue, ça n’a pas de bon sens. C’est propre à cette ville-là… » (propos livrés à Radio X tels que rapportés par le Journal de Québec du 2 février). Au moins, il n‘a pas dit « village » et, comme la situation lui fait « beaucoup penser à Paris », on se retrouve en pas si mauvaise compagnie. D’ailleurs, les commentaires les plus raides sont venus de Montréal.
Le Devoir du 3 janvier a titré « Un ratage historique » : « Quel gaspillage ! Quarante-cinq petites minutes à remplir, un an de travail, près de trois millions de dollars de fonds publics et on nous a servi ça. […] On est en droit de se demander pourquoi la Société du 400e lui a confié la direction artistique de ce spectacle, certes rodé techniquement, mais au contenu faible et bâclé ? À la décharge du maître d’œuvre, comment les patrons du 400e ont-ils pu donner le feu vert à une proposition artistique aussi pitoyable ? »
Dans son édition de janvier, L’Action nationale a donné un autre point de vue :
« Ce spectacle navrant n’était pas un échec, bien au contraire. On a pu y voir là la représentation de ce que l’ordre canadian tolère qu’on soit, un vestige désincarné, ballotté entre le quétaine et le folklore, s’agitant dans le party parce qu’on lui a refusé la Fête et beuglant son contentement dans une finale en anglais achevant de dire le contraire de ce que tout cela aurait dû signifier. […]
« L’absolue médiocrité qui a empêché ce spectacle d’atteindre à la vérité artistique a tout simplement permis de révéler, en quelque sorte in absentia, ce qui faisait objet de censure : la culture québécoise, la vérité de la nation. « Tu penses qu’on s’en aperçoit pas » chante Ti-cul Lachance (Gilles Vigneault). Ce spectacle était criant de vérité. Et la réaction qu’il a suscitée, porteuse d’une vérité plus grande et plus forte encore : nous ne sommes pas cela, nous ne voulons pas cela. Nous aurions pu faire autrement, mais, somme toute, nous avons commencé l’année du bon pied, en refusant, les uns sur la place d’Youville, les autres dans les chaumières et les fêtes de famille, ce qu’on veut faire de nous. »
Dures, les critiques de Québec ? Le programme officiel de cette soirée n’avait-il pas promis « un univers imaginaire qui fera revivre 400 ans de notre histoire » ?