(texte paru dans le Soleil du 7 janvier 2008)
En cette année du 400e anniversaire, Québec imposera à Champlain l’humiliation de défendre son titre de fondateur dans un duel théâtral avec un personnage, Pierre Dugua de Mons, qui a marqué les débuts de l’Acadie mais n’a jamais remonté le Saint-Laurent, n’est jamais venu à Québec et n’a fait qu’un passage fugace dans son histoire.
Pierre Dugua de Mons
Démobilisé au terme des guerres de religion, Pierre Dugua de Mons liquide la plupart de ses biens pour investir dans la lucrative traite des fourrures. Henri IV lui accorde un monopole pour dix ans et le titre de « lieutenant général au pais, territoire, des côtes de la terre de l’Acadie » (à défaut de celui de vice-roi). En retour, Dugua de Mons doit « transporter et laisser audict pais cent personnes » par année, nombre qu’il fera ensuite réduire à soixante. Il s’associe à d’autres marchands pour la traite et vient s’établir en Acadie, une région qu’il préfère à Tadoussac et à la vallée du Saint-Laurent. Après un hiver catastrophique à l’île Sainte-Croix, Dugua de Mons déménage le camp à Port-Royal et, dès 1605, s’en retourne en France. Son monopole est tellement contesté que le roi le révoque en 1607. Les gens de Port-Royal sont alors rapatriés, dont Champlain qui persuade Dugua de Mons de se tourner vers le Saint-Laurent. Au début de 1608, le privilège de traite est rétabli, pour un an seulement, sans obligation d’amener des colons. Dugua de Mons forme une nouvelle compagnie mais il renonce à revenir lui-même en Nouvelle-France ; c’est Champlain qui débarque à Tadoussac le 3 juin et prend la direction du site qu’il a repéré avec Dupont-Gravé en 1603. Le 3 juillet 1608, il arrive à Québec avec deux douzaines d’hommes et entreprend de construire une « habitation ».
Des historiens comme Armstrong, Biggar, Bishop, Heidenreich, ont étudié sérieusement la vie de Champlain et n’ont jamais mis en doute son titre de fondateur. Prétendre aujourd’hui que Dugua de Mons a été mis en marge parce qu’il était protestant ne tient pas la route. Ce sont des protestants qui lui ont préféré Champlain, supposément catholique.
Dugua de Mons est présent dans les manuels d’histoire du Canada comme pionnier de l’Acadie. C’est l’Acadie, et non Québec, qui était visée par les « requêtes » (où certains prétendent voir un « plan en sept points ») qu’il soumet au roi de France en novembre 1603. Ses mérites ont été reconnus par le gouvernement canadien qui a émis un timbre en son honneur en 2004 et qui lui avait érigé un monument à Annapolis Royal un siècle plus tôt, à titre de « pionnier de la civilisation en Amérique du Nord » et de fondateur du « premier établissement européen au nord du golfe du Mexique ». Le Canada a aussi participé au dévoilement d’un monument au « fondateur de l’Acadie et du Canada, initiateur et financier des expéditions de Champlain » à Royan (Charente) en 1957.
Mais les Royannais ne se sont pas arrêtés là, multipliant les commémorations où le fils du pays est mentionné comme « fondateur » ou « cofondateur de Québec », avec et même sans Champlain. Dans la biographie intitulée Pierre Dugua sieur de Mons, fondateur de Québec, Jean Liebel prétend que son héros mérite ce titre car il a fourni les fonds… Or, en 1608 (et encore plus après 1613), Dugua de Mons était un investisseur minoritaire dans l’entreprise de traite qui possédait « le lieu appelé Québec » : faudrait-il encore allonger la liste des « cofondateurs » pour inclure les autres associés ?
« Pionnier de la civilisation en Amérique du Nord », « fondateur du premier établissement européen », « fondateur de l’Acadie et du Canada », voilà beaucoup de titres pour un homme « oublié ». Mais pourquoi serait-il en plus le fondateur d’une ville où il n’a jamais mis les pieds ?
Champlain
Champlain a effectué 23 traversées de l’Atlantique et passé plusieurs hivers en Nouvelle-France. Il a négocié avec les Amérindiens, arbitré leurs disputes, établi des alliances et mené la guerre contre les Iroquois, sortant gravement blessé du second combat. Après avoir exploré plus de 2400 kilomètres le long du Saint-Laurent et quelque 2000 kilomètres de la côte atlantique, il a poursuivi ses explorations jusqu’au lac Huron et plaidé inlassablement la cause de la colonie. En 1629, les Kirke amènent Champlain prisonnier en Angleterre ; déterminé à poursuivre son œuvre, il revient à Québec où il meurt en 1635.
Non seulement Champlain a-t-il fondé Québec, mais il a veillé sur son développement pendant plus de vingt-cinq ans. Il l’a défendue et l’a fait connaître par ses écrits et ses cartes. Il aurait pu se décourager et vivre de ses rentes, de la pension qu’il touchait depuis 1601 ou de faveurs royales, comme Dugua de Mons l’a fait après son unique hivernement de 1604, se contentant ensuite d’une participation financière mineure aux opérations de traite et cherchant à se départir de l’« habitation » dès la fin de son monopole. De son côté, Champlain n’a jamais abandonné Québec, qui aurait bien pu connaître alors le sort de Port-Royal.
La part des choses
À Québec, la plaque posée en 1999 et celle qui accompagne le monument érigé en 2007 n’attribuent pas au lieutenant général Dugua de Mons le titre de fondateur ou de cofondateur de Québec. Dans des périphrases à peu près semblables, ces plaques disent, en bref, que Dugua de Mons a donné à Champlain « les pouvoirs et le soutien matériel et financier nécessaire pour fonder Québec » (pouvoirs et moyens qu’il avait lui-même reçus du roi avec sa commission de lieutenant général et son monopole de traite).
Après une dizaine d’années de pressions, c’est vraisemblablement ce que la ville lui reconnaîtra de mieux. Quant à Champlain, son rôle est exprimé clairement, sans détours ni circonlocutions, sur le monument qu’on lui a érigé en 1898 : il « fonda Québec en 1608 ».
La fondation de Québec en janvier 1608!?
Les lecteurs du Soleil (7 janvier 2008) ont sûrement été surpris d’apprendre que Québec n’aurait pas été fondée le 3 juillet 1608 mais à Paris, l’hiver précédent, lorsque Henri IV en aurait donné le mandat à Pierre Dugua de Mons. Qu’ils se rassurent : même les deux plus fervents biographes (Liebel, 1999 et Binot, 2004) de Dugua de Mons n’ont pas vu la portée de cet événement.
On comprendra facilement pourquoi. Le document émis le 7 janvier 1608 ne s’adresse pas au sieur de Mons mais aux officiers de justice du royaume. Il leur ordonne de faire respecter le monopole de traite accordé à de Mons, d’appréhender les concurrents, etc. C’est dans le préambule du document (et non dans le dispositif, qui en constitue l’essentiel) que le roi rappelle qu’il est «résolu de faire continuer l’habitation qui avoit esté cy devant commencée audit pays, à fin que nos subjects y puissent aller librement trafficquer» et que le sieur de Mons s’est porté volontaire moyennant compensation.
Québec n’est mentionnée nulle part dans ce document, ni même les «rives du Saint-Laurent». Comme le roi veut «continuer l’habitation», ne peut-on pas penser plutôt qu’il s’agit de relever l’établissement acadien de Port-Royal, que de Mons confie à Poutrincourt en février 1608? Ce serait un bien mince effort d’imagination à côté de celui qu’il faut déployer pour trouver dans cette ordonnance à caractère judiciaire «l’équivalent de l’acte de naissance [sic]» de Québec.
L’accommodement inuit
Le gouvernement du Québec consulterait sur la pertinence de créer une circonscription électorale épousant les limites du Nunavik. Cette nouvelle circonscription serait détachée de celle d’Ungava et compterait environ 10000 habitants dont quelque 750 Blancs. Le reste de la circonscription pourrait être partagé entre les voisines (Abitibi et Roberval) mais pourrait aussi survivre comme circonscription distincte. Le ministre a laissé entendre que cette décision reviendrait à la Commission de la représentation électorale.
On peut facilement imaginer que les commissaires auraient préféré éviter cette « responsabilité » qui s’ajoute aux difficultés qui se présentent chaque fois qu’ils doivent apporter des modifications à la carte électorale.
Le principal critère établi par la Loi électorale est l’égalité du vote: chaque circonscription doit compter un nombre à peu près égal d’électeurs. Comme il serait illusoire d’obtenir une égalité parfaite, la loi prévoit que le nombre d’électeurs dans une circonscription ne doit pas être inférieur ni supérieur à plus de 25 p. 100 de la moyenne qui se situait autour de 45000 électeurs au dernier scrutin général. La loi prévoit une exception (une sorte de clause grand-père), soit les Iles-de-la-Madeleine qui comptent environ 11000 électeurs, mais, dans les faits, plusieurs autres circonscriptions étaient sous la barre inférieure de 33 600 en 2007.
La circonscription d’Ungava était du nombre avec ses 24 000 électeurs inscrits et elle en perdrait environ 5000 avec la création d’une circonscription « nordique». Elle deviendrait la troisième exception avec les Îles et le Nunavik.
La prochaine carte électorale suscitera des grincements de dent en région, notamment dans l’Est où plusieurs circonscriptions sont « sous la barre ». Des régions risquent de perdre du poids politique; elles demanderont des « accommodements »: si on peut faire une circonscription de 5000, 10000 ou 20000 électeurs, pourquoi ne peut-on pas vivre avec seulement un peu moins de 33000?
Et pourquoi d’autres communautés ethniques, culturelles ou religieuses n’auraient-elles pas leur représentant au Parlement? Il y a plus de Mohawks dans la région de Montréal et de Cris à la Baie James que d’Inuits au Nunavik. Le précédent sera sûrement invoqué, de la même manière qu’on cite les Îles pour justifier le projet du Nunavik, même si le contexte est très différent et le nombre d’électeurs bien inférieur? Une commission d’enquête fédérale a déjà proposé la création d’un registre distinct pour les électeurs autochtones et l’élection de députés qui n’auraient pas de base territoriale; on pourrait bien imaginer un député représentant plusieurs villages ou réserves.
Le principe de l’égalité du vote des électeurs n’est pas apparu par hasard dans notre législation. Pendant près d’un siècle, la carte électorale du Québec a pourri sur place, jusqu’à ce qu’on la réforme dans les années soixante et soixante-dix en faisant disparaître les inégalités et les privilèges. Veut-on vraiment repartir dans l’autre direction?
Hommage à notre « passé monarchique » ?
Monsieur le maire a invité les Québécois à ne pas trop critiquer le 400e et à faire preuve de solidarité. On sera tous d’accord pour ne pas « chiquer la guenille » inutilement mais il est difficile de promettre le silence sur ce qu’on n’a pas encore vu et sur tout ce qu’on verra durant cette longue année de festivités.
Que retient-on, par exemple, d’une première visite dans la boutique virtuelle « Québec 1608-2008 » (http://www.e-collection.ca/monquebec2008/). On y trouve un ensemble de produits dérivés (t-shirt, coton ouaté et casquette) qui se déclinent en trois collections: Célébration, Eco-bio et Héritage. Les vêtements de la collection Célébration mettent en évidence les rubans du 400e avec la mention « Québec 1608–2008 ». Les Éco-Bio 100% coton organique sont marqués du logo « Québec 08 » (sans point avant le 08…).
Jusque là, tout va bien. C’est dans la dernière collection que ça se complique. La gamme Héritage comprend des T-shirts « Ville » ornés d’une vue de la haute-ville de Québec et des T-shirts « Couronne », dont l’illustration n’est pas une évocation de la banlieue, comme certains pourraient le penser, mais une « sérigraphie illustrant le passé monarchique avec mention « Québec 400″ positionnée sur le devant ». En fait, il s’agirait d’une sorte de représentation stylisée des armoiries de Québec surmontées d’une couronne. Intéressant, au point de vue graphique, mais, si c’est le cas, pourquoi associer cette image au « passé monarchique » de Québec?
Cette évocation du « passé monarchique » de la ville en étonnera plus d’un, surtout que c’est le seul contenu historique visible dans ces trois collections de produits dérivés accessibles en ligne, mis à part les chiffres 400 et 1608.
On apprend aussi aujourd’hui que la chanson-thème intitulée Tant d’histoires ne sera pas au programme du spectacle d’ouverture. Décidément, l’histoire n’a pas la cote en cette veille de 2008.
Le grain de sel de l’épicier du coin
La sortie de l’atlas historique intitulé La mesure d’un continent a provoqué un vif échange épistolaire entre un professeur d’histoire de Québec et la pdg montréalaise de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
« Le vrai lancement se fera peut-être à Montréal », écrivait Jacques Mathieu (Le Soleil, 12 novembre), qui s’étonnait surtout qu’une exposition conçue par un chercheur de Québec sur le tricentenaire de Québec (et probablement avec des documents de Québec) ne se tienne qu’à Montréal. Madame Bissonnette répliqua vivement (16 novembre) à cette « réaction mesquine d’un universitaire jouant les pions ». Le lancement ? Il n’y en aura pas du tout. Ça règle la question. L’exposition ? Elle aura lieu d’abord au Centre d’archives de Montréal, mais on cherche un lieu d’accueil à Québec. Le Centre d’archives de la capitale, qui a longtemps abrité le « siège social » des Archives nationales, ne serait donc pas assez accueillant.
Tout en déplorant ces « comptes d’épicier entre métropole et capitale », madame Bissonnette n’a pu résister à la tentation faire la liste de « gestes concrets » qui témoignent de son « attachement à Québec » mais l’opération a toutes les allures d’un raclage de tiroirs : une exposition intitulée Tous ces livres sont à toi, d’abord tenue à Montréal, « québécisée » pour le Musée de la civilisation et malheureusement terminée au moment de l’échange épistolaire ; une « collaboration scientifique » à l’exposition permanente du même musée ; un « rôle-clé » dans « deux manifestations internationales majeures », dont l’une (la Conférence internationale de la table ronde des archives, novembre 2007) a été planifiée par les Archives nationales bien avant leur fusion avec la Bibliothèque nationale et l’autre (la rencontre de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires et d’institutions, août 2008) organisée par l’Association pour l’avancement des sciences et des techniques de la documentation (ASTED) avec l’aide d’un vaste comité dont Bibliothèque et Archives nationales du Québec fait partie.
Quant au cinquième des « gestes concrets », soit le don « d’une collection importante au Musée national des beaux-arts du Québec » (MNBAQ), il n’a pas laissé de traces sur les sites pourtant bavards des deux institutions. Et pour cause : il s’agirait d’un simple transfert d’œuvres art du Centre d’archives de Québec au MNBAQ, quelques kilomètres plus loin. Le geste est peut-être concret mais les retombées sur Québec sont nulles : on a déshabillé saint Pierre, l’archiviste du Campus, pour habiller saint Paul, le conservateur des Plaines. Faut-il vraiment dire merci ?
La fusion des Archives nationales du Québec avec la Bibliothèque nationale a déplacé vers Montréal la direction de l’institution qui conserve notamment les archives de l’État. Il faudra plus que des collaborations ponctuelles à l’accueil de congressistes, fussent-ils savants, pour compenser cette perte dans la capitale.