Le bilan de madame Boucher

Il est malheureux que des incidents aient troublé la tranquillité que la famille de la mairesse de Québec aurait souhaitée pour vivre son deuil. C’est l’élément essentiel — la perte d’une épouse et d’une mère — qui devait primer la semaine dernière. Mais cette femme expressive, authentique, colorée, fonceuse et déterminée pouvait-elle sortir sans bruit?
Maintenant qu’elle a été portée en terre, et qu’on retrouvera la possibilité de faire son bilan politique sans heurter les sensibilités, il faudra sortir de l’immense marmite de guimauve chauffée au papier-journal dont les vapeurs nous ont embrouillé les lunettes depuis une semaine.
On mettra probablement sur le compte de l’émotion (et de la délicatesse de ses adversaires) un certain nombre de propos tenus ces derniers jours à son égard. Pigés parmi les commentaires générés par la controverse entourant les funérailles, les propos suivants illustrent un certain décalage par rapport à la réalité historique. « [Elle] a servi la population de Québec depuis 40 ans », a-t-on avancé pour justifier des changements protocolaires, qui s’imposaient par ailleurs « avec tout ce que cette femme a fait pour la ville de Québec ».
Madame Boucher a été mairesse de Québec pendant moins de deux ans. Elle aurait peut-être inscrit des réalisations dignes de mention dans l’histoire de la capitale si la mort n’avait pas interrompu un bref mandat dont le bilan ne pèsera évidemment pas lourd, surtout si on le compare à celui de son prédécesseur. Pour le reste, soit de 1968 à la fin du siècle dernier, la carrière de madame Boucher s’est déroulée dans la ville voisine (qui saura en faire le bilan) et dans un climat d’incessante opposition avec Québec.
Après l’avoir vue s’opposer à la candidature de Québec aux Jeux de 2002, on n’ose imaginer comment elle aurait vécu la célébration du 400e, de son point de vue fidéen, s’il n’y avait pas eu de fusions. Pour la mairesse de Sainte-Foy, Québec était comme une mauvaise herbe apparue inopinément dans un champ de banlieues.
Qu’elle soit devenue ensuite mairesse de la capitale n’est pas le seul paradoxe de cette femme qui, tout en se réclamant du peuple, pouvait « contourner » les résultats d’un référendum sur l’hôtel de ville et s’opposer à la construction de HLM sur son territoire. Mais ce sont là des considérations que ses « fidèles » évalueront. À Québec, la perspective sera différente.

Rosaire Saint-Pierre, «seigneur de Beaumont»

Beaumont, Bellechasse, la Côte-du-sud et, pour tout dire, le patrimoine québécois au complet ont perdu une partie de leur mémoire avec le décès de monsieur Rosaire Saint-Pierre. L’histoire locale et régionale, le patrimoine bâti, les antiquités et même la généalogie n’avaient pas de secrets pour lui et, au cours du dernier demi-siècle, il était devenu une référence incontournable, « un centre d’archives ambulant », comme l’écrit Jean-Claude Labrie dans la Voix-du-Sud, « tellement il avait des connaissances en tout et tellement il les partageait généreusement ».
À la fin des années soixante, Rosaire Saint-Pierre s’était fait la main en restaurant lui-même quatre maisons datant du Régime français. Il avait ensuite acquis le domaine seigneurial de Beaumont dont il a restauré le manoir de pierre et les dépendances. La Société historique de la Côte-du-Sud avait reconnu son mérite en 1995 et, en 2002, le prix Robert-Lionel Séguin soulignait sa contribution exemplaire à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine bâti.
C’est là qu’il est décédé dimanche le 26 août, au milieu de ses meubles antiques et de ses livres anciens. Au cours des dernières années, il avait mis son expérience au profit de plusieurs entreprises de restauration ou de reconstruction (le Moulin du Petit-Canton de Saint-Vallier, le Moulin du Petit-Pré de Château-Richer, le Moulin de Vincennes à Beaumont). Il y a quelques mois, à 88 ans, il déposait un mémoire devant le BAPE sur le projet Rabaska.
Les gens qui ont connu Rosaire Saint-Pierre regretteront sa disponibilité et son grand sourire ; ceux qui ne l’ont pas connu ont raté quelque chose.

Une tradition pourrait naître dans Charlevoix

« Pour le chef du troisième parti, il n’y a pas de tradition », a déclaré l’organisateur électoral de l’ADQ pour justifier la présence de son candidat à l’élection partielle de Charlevoix contre le chef du PQ, troisième groupe parlementaire à l’Assemblée nationale.
Il a parfaitement raison. On n’a jamais laissé le champ libre au chef d’un « troisième groupe parlementaire » dans une élection partielle, tout simplement parce que l’occasion ne s’est jamais présentée ! Autrement dit, ni la position du Parti libéral, ni celle de l’ADQ ne peuvent s’appuyer sur une tradition.
La situation qu’on connaît actuellement au Parlement ne s’est produite qu’à deux reprises antérieurement, soit entre 1970 et 1973 (lorsque le Ralliement créditiste et le Parti québécois étaient respectivement troisième et quatrième) et entre 1976 et 1981 (l’Union nationale étant le troisième). Mais les chefs de ces deux « partis reconnus » (selon l’expression utilisée autrefois pour désigner les « groupes parlementaires ») ne se sont pas présentés dans des élections partielles.
Le seul cas qui pourrait avoir une lointaine similitude avec celui de madame Marois est survenu en 1974. Nommé chef intérimaire de l’Union nationale en mars 1974, Maurice Bellemare s’est fait élire dans Johnson (contre trois adversaires) à l’élection partielle du 28 août 1974, marquant ainsi la « résurrection » de son parti qui avait été éliminé du Parlement en 1973 et qui ne deviendra « troisième parti » qu’en 1976.
Une tradition, ça commence à quelque part. Il en naîtra peut-être une avec ce précédent de Charlevoix.

400 ans et peu de mémoire

Maintenant que la ministre du Patrimoine et, comme un écho tardif, le Conseil de ville ont exprimé le désir de faire « comparaître » la Société du 400e, peut-on dire que les célébrations de 2008 suscitent un certain nombre « de critiques et d’inquiétudes » (pour emprunter les mots de madame Verner) sans se faire accuser de saboter le projet ?
Ce n’est pas de la trash radio qu’est venue la dernière critique mais d’un agriculteur de L’Islet qui se désole de voir que le 400e n’a rien prévu pour honorer les familles qui exploitent la même terre depuis le début de la colonie, comme on l’a fait en 1908 et en 1958. Pas pertinent puisqu’il s’agit de familles de l’extérieur de Québec, selon un porte-parole du 400e, et pas de ressources pour identifier ces familles. Allons donc !
Publiée dans le rapport des fêtes de 1908, la liste des familles qui occupaient alors la même terre depuis 200 ans comprend environ 250 noms. Combien y en a-t-il maintenant qui exploitent la même terre depuis 300 ans ? Est-ce qu’on s’entend pour dire qu’il doit y en avoir pas mal moins que 250, qu’on les trouvera exactement là où elles étaient en 1908 et qu’elles sont probablement bien connues dans leur milieu ? Ce ne sont justement pas des itinérants.
Des ressources ? Un tour de table avec les sociétés d’histoire régionale, les sociétés de généalogie et les associations de familles souches devrait permettre de trouver ces familles aisément puisqu’il s’agit, pour la plupart, de familles souches. Et il est inutile de courir la province : les familles à honorer en 2008 se répartiront probablement comme en 1908, soit (selon la nomenclature des comtés de l’époque) environ 15 % à Québec, 23 % dans Montmorency et l’île d’Orléans, 19 % dans Portneuf, 11 % dans Lévis et Lotbinière, 14 % dans Bellechasse, Montmagny, L’Islet et Kamouraska, 12 % dans Champlain et Saint-Maurice et moins de 10 % ailleurs au Québec, dans des contrées aussi « éloignées » que Témiscouata, Charlevoix, Nicolet-Yamaska, Richelieu ainsi que Montréal qui comptait un gros 4 familles en 1908.
80 % de ces familles étaient de la grande région de Québec en 1908: y en a-t-il qui sont surpris ? Au 400e, c’est possible. Le message officiel (« centre névralgique de la Nouvelle-France », « berceau de la civilisation française en Amérique », etc.) se traduit plus difficilement dans la programmation. C’est ainsi qu’on a oublié les familles souches, qu’il n’y a rien de spécial pour le 24 juin et qu’on a choisi une rose comme fleur emblématique.
Une rose comme emblème de Québec? Peut-on imaginer qu’une ville anglaise puisse célébrer un anniversaire avec des lis et des iris versicolores ?

Faire sauter le monument Cartier ?

Jean-Marc Léger est un grand Québécois. Journaliste, délégué général du Québec à Bruxelles, héraut de la Francophonie, sous-ministre, il a consacré sa vie au service de l’État et de son pays. Homme de principes et de culture, il nous pardonnera cependant de ne pas suivre les pas du cheval de bataille qu’il a enfourché cet été. Dans une lettre au Devoir, il recommandait à la ville de Montréal de renoncer à nettoyer le monument de George–Étienne Cartier et même de « supprimer cette statue » qui constituerait un « hommage totalement immérité ».
Sir George n’est évidemment pas le personnage le plus sympathique de notre histoire et, s’il fallait lui ériger une statue aujourd’hui, il n’est pas certain qu’une souscription populaire réunirait les crédits appropriés. Ceci étant dit, le ménage que monsieur Léger préconise au sein de nos « gloires nationales » pourrait se transformer en hécatombe s’il fallait réévaluer aujourd’hui tous ceux qui ont un quelconque piédestal. Patriote en 1837, Cartier a ensuite toléré l’Union et préconisé la Confédération, mais combien en a-t-on vu de ce modèle ? Et Papineau, qui souhaitait l’annexion aux États-Unis, que fait-on avec lui ?
Comme le disait le premier ministre Gouin au sujet du projet de monument en l’honneur d’Honoré Mercier il y a cent ans : « S’il fallait ériger des monuments [seulement] à ceux qui n’ont commis aucune faute, nos places publiques resteraient désertes ».