La carte du « roi Blanchet »

Le projet de réforme de la carte électorale soulève la grogne dans l’est du Québec et celui qui l’a présenté à la population se trouve actuellement entre le pilori et la potence. « Le roi Blanchet vient de décréter la mort des régions », a-t-on pu lire dans La Presse, comme si le président de la Commission de la représentation électorale (CRE) avait dessiné la prochaine carte électorale selon son caprice personnel.
Il faut peut-être rappeler que la CRE ne fait qu’appliquer une loi mise en place après des décennies de manipulations partisanes et d’inéquité. Le Québec du début des années 1960 élisait ses députés selon une carte dont l’essentiel remontait à plus d’un siècle. Avec l’urbanisation croissante, la situation était devenue intolérable. En 1962, la région métropolitaine possédait plus de 37 pour cent de la population, mais n’avait que 16,8 pour cent des sièges à l’Assemblée. À titre d’exemple, rappelons seulement que la circonscription de Laval comptait près de 135 000 électeurs, contre 5600 aux Îles-de-la-Madeleine (circonscription détachée de Gaspé depuis 1897).
C’est pour corriger cette situation et enlever aux politiciens la possibilité de manipuler les frontières des comtés en fonction de leurs intérêts partisans que le découpage de la carte électorale se fait maintenant en fonction de principes clairs par un organisme indépendant dont les membres sont nommés sur proposition du premier ministre approuvée par les deux tiers des membres de l’Assemblée nationale.
La CRE propose de retoucher les frontières de 86 circonscriptions afin de tenir compte des mouvements démographiques. Trois circonscriptions disparaîtraient de la carte en Gaspésie, en Beauce et dans le Bas-Saint-Laurent. De nouvelles circonscriptions seraient créées en Montérégie, dans Laurentides-Lanaudière et à Laval.
La région où je suis né et à laquelle je suis encore très attaché serait perdante. J’en suis désolé mais pas scandalisé. D’abord, parce que le principe démocratique est fondamental et, ensuite, parce que c’est la diminution du poids démographique de la région qui amène la perte d’un député, et non l’inverse. La carte électorale n’est pas un programme de développement régional. S’il y a moins de monde dans tout l’est du Québec, de la Beauce à Gaspé, ça n’a pas grand chose à voir avec le nombre de députés qu’on y trouve au kilomètre carré, cela dit avec tout le respect que j’ai pour les parlementaires. Je ne crois pas que l’identité du député qui représente la région entre en considération dans les motivations qui justifient les choix stratégiques des citoyens en quête d’un milieu de vie. Il y a d’excellents députés qui travaillent très fort dans des comtés qui vont rester pauvres et d’autres qui ont peu de mérite à voir leurs comtés rester riches. Qu’on ne me demande pas d’exemples… L’impact du député sur le développement économique et social de son comté et de sa région n’est pas insignifiant mais il ne pèse pas lourd comparativement aux tendances économique et sociales lourdes (les facteurs économiques « objectifs » tout comme le comportement des citoyens) sur lesquels il n’a pas beaucoup, voire pas du tout d’impact. Quoique… S’il s’était trouvé quelques parlementaires pour proposer des mesures de contrôle de la pêche et de la coupe forestière il y a trente ou quarante ans…
On comprend aisément la frustration de députés qui représentent les régions perdantes. Certains veulent revoir la loi. On peut toujours essayer, pourvu que les principes démocratiques soient respectés et qu’on ne retombe pas dans les manipulations partisanes ou arbitraires. La voie est très étroite.

2 réflexions au sujet de « La carte du « roi Blanchet » »

  1. Vos commentaires sont intéressants. Les principes démocratiques doivent être respectés… mais les manières d’habiter le pays ont bien changé depuis un siècle. Toutefois, cette proposition de réforme de la carte électorale n’en tient pas compte et, en ce sens, elle introduit un biais.
    Il y a ce que j’appellerais le phénomène des citoyennetés à temps partiel, qui change profondément le paysage citoyen, tant des régions que celui des métropoles. Ce phénomène montre que cette réforme de la carte électorale recèle 2 poids, 2 mesures.
    Je connais une bonne dizaine de personnes qui sont propriétaires de maisons en Gaspésie et dans le Bas St-Laurent, sur le bord du fleuve ou pas très loin du fleuve. Certains y passent quelques semaines, parfois un peu plus, et certains parviennent aussi à la louer à des amis, ou à des inconnus… J’en ai moi-même déjà loué… Il y a une nouvelle manière d’habiter ces territoires qui se développe et qui apporte une certaine vitalité différente à ces territoires du Bas St-Laurent et de la Gaspésie qui vont perdre un comté et donc une représentativité. Les gens qui possèdent ces résidences secondaires habitent la grande région de Québec et la grande région de Montréal (Montérégie et Laval) mais, lorsqu’il s’agit de voter, ils ne votent qu’à un endroit, cela va de soi, et la plupart du temps ils choisissent de voter à leur résidence principale.
    Il y a aussi maintenant de plus en plus de Québécois qui ont la double citoyenneté. La dernière guerre qui a éclaté au Liban l’a bien montré, puisque des dizaines de milliers de « Canadiens » (dont un grand nombre de Québécois… de la grande région de Montréal surtout) étaient « coincés » là-bas par la guerre. Le Gouvernement du Canada a dû les rapatrier. Ils étaient Canadiens et Libanais.
    Je connais des Néo-Canadiens d’origine chinoise entre autres, dons la période de résidence en Montérégie est très variable ainsi que la composition de la famille. Le jeune mère habite ici environ 10 mois par an. Le père vient ici 2 ou 3 mois. Les grands parents séjournent pour des périodes de quelques mois. Les jeunes enfants habitent ici pour le moment mais font des séjours en Chine… tous sont Canadiens et Chinois.
    Avec ces nouvelles pratiques de mondialisation et manière d’habiter les pays, somme toute pour faire une histoire courte, Libanais, Chinois (et je pourrais ajouter des exemples d’inde, du Pakistan, etc.) habitent la grande région de Montréal et y ajoutent de la vitalité comme les résidents de Montréal et de Québec habitent le Bas St-Laurent et la Gaspésie.
    À la différence que les Néo-Québécois d’Asie, du Moyen Orient, d’Europe gonflent les chiffres de population de la Montérégie, de Laval, de Montréal… et font en sorte que ces métropolisantes gagneront des comtés et de la représentativité, alors que les régions en perdront.
    En un certain sens, il y a 2 poids , 2 mesures…. Le Néo-Québécois à double nationalité vote au Québec et dans son pays, où parfois il habite plus de la moitié de l’année (exemple du Liban et de la Chine donnée précédemment).
    Les manières d’habiter le monde et d’habiter les territoires évoluent, mais les modes de représentativité électorale sont basés sur des principes qui ont plus de 100 ans et qui ne peuvent plus saisir adéquatement la réalité mouvante de la mondialisation actuelle et de l’habitat à géométrie variable.
    Sur ce plan, la « carte du roi Blanchet » donne un poids plus grand à ceux qui ont double nationalité qu’à ceux qui ne sont que Canadiens (ou Québécois).
    Ces faits touchent probablement au moins une couple de centaines de milliers de personnes qui sont actuellement « Canadiens » à géométrie variable, qui habitent ici pour quelques semaines, quelques mois ou quelques années, mais néanmoins la réforme électorale risque de valoir quelques comtés à cette manière mondialisante d’habiter le Québec, tout en refusant de valoriser la manière régionalisante d’habiter le Québec…
    Les régions métropolitaines sont survalorisées au détriment des régions par la réforme de la carte électorale.
    Sur le plan de la représentativité, la citoyenneté suisse est plus adaptée à la mondialisation actuelle que la citoyenneté canadienne.

  2. Votre analyse est d’une redoutable efficacité, mais elle souffre de deux lacunes.
    D’abord, elle présume que l’intégrité de ce que vous appelez le « principe démocratique » n’est sauvegardée que par le « poids démographique » correspondant, comme si le nombre d’électeurs représentés par un député devait être le seul critère d’équité entre les circonscriptions. C’est un critère important, il faut en convenir, mais ce n’est pas le seul.
    Les distances à parcourir, le type de problèmes amenés au député, la nature des enjeux selon qu’on est à la campagne ou en pleine ville, demandent des types d’interventions différentes de la part du député rural de celles du député urbain.
    Les problèmes de stabilisation des revenus de producteurs agricoles, ou de dispositions des eaux usées, ne se posent guère sur la rue St-Jean. Les problèmes que vivent les citadins sont d’un autre ordre, et ceci n’en diminue pas l’importance, mais la variété des problèmes des régions est beaucoup plus grande que celle des milieux densément peuplés.
    Le sentiment d’appartenance est une autre dimension de la question. Séparer St-Siméon et Baie-Ste-Catherine de Charlevoix pour les rattacher à l’autre côté du Saguenay est un non-sens, comme le soulignera bientôt la Société d’histoire de Charlevoix.
    Ensuite, vous avalisez sans discussion le rôle confié à la Commission de représentation électorale: « C’est pour corriger cette situation et enlever aux politiciens la possibilité de manipuler les frontières des comtés en fonction de leurs intérêts partisans que le découpage de la carte électorale se fait maintenant en fonction de principes clairs par un organisme indépendant dont les membres sont nommés sur proposition du premier ministre approuvée par les deux tiers des membres de l’Assemblée nationale. »
    D’accord, c’est la loi. Mais est-ce la bonne solution? On a tendance à vouloir enlever toute décision concernant leur rôle, leur rémunération ou leur territoire à ces horribles petits politiciens partisans, pour la confier à d’éminents arbitres neutres qui ne souffrent pas de myopie ou de strabisme « convergent » vers leur propre intérêt. Ces politiciens sont ceux que nous avons élus, démocratiquement. Ils nous représentent. Mais surtout, une fois élus, ils représentent la voix du peuple, la voix souveraine. Il me semble inadmissible que la confection de la géographie électorale du Québec leur échappe, sous prétexte qu’ils sont partisans. Ils sont partisans parce qu’ils appartiennent à un parti, et ce système n’est pas pire qu’un autre. Mais ils sont élus, et à ce titre ils doivent répondre à nos questions, ils nous sont comptables, et surtout nous pouvons les mettre dehors périodiquement s’ils ne font pas notre affaire.
    J’ai un très grand respect pour Me Marcel Blanchet, que je connais personnellement, qui s’acquitte avec rigueur, compétence et franchise de ses lourdes tâches. Mais je n’aime pas que ce soit lui et quelques personnes nommées par l’Assemblée nationale qui décide de la carte électorale. La loi devrait être changée pour que la CRÉ propose à l’Assemblée toute nouvelle carte, et que cette dernière reprenne le pouvoir d’en disposer.

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