« Mesdames, messieurs, vous formez notre Conseil des ministres. »

En avril 2007, la prestation de serment des ministres m’avait étonné : les observateurs acceptaient unanimement l’idée qu’un Conseil des ministres composé de 19 personnes (selon la liste officielle diffusée par le bureau du premier ministre et l’Assemblée nationale) puisse se diviser en deux parties égales. Dix-huit mois plus tard, l’arithmétique officielle étonne encore : même si le site Internet du premier ministre en donne une liste de 27, on lit partout que le Conseil des ministres compte 26 membres dont 13 hommes et 13 femmes. Où est le 27e ministre?
Une première hypothèse voudrait que les observateurs aient été confondus par une « comptabilité créatrice » mais on peut y voir aussi l’aboutissement d’une évolution que les politicologues observent depuis des décennies.
Le représentant de la Couronne s’entourait autrefois d’un Conseil exécutif dont il nommait les membres à son gré, sans tenir compte des élus. Puis, il en est venu à confier au chef de la majorité, le premier ministre, le soin de lui proposer un groupe de conseillers exécutifs. Au fil des ans, le rôle du lieutenant-gouverneur est devenu purement formel tandis que le pouvoir réel passait aux mains du premier ministre. Les mécanismes en sont bien connus : le lieutenant-gouverneur assermente automatiquement les ministres choisis par le premier ministre, une majorité disciplinée assure à ce dernier un parlement « efficace » et les nominations dont il a le contrôle lui confèrent une autorité plus grande que les gouverneurs d’antan sur l’appareil de l’État car elle s’étend sur les quatre niveaux du pouvoir (parlementaire, exécutif, administratif et judiciaire).
Progressivement, au cours du XXe siècle, le premier ministre est donc passé de primus inter pares (le premier parmi les pairs, au sein du Conseil exécutif) à une sorte de « monarque élu », un notion abstraite qui maintenant a pris forme. Le « monarque élu » s’est en quelque sorte incarné. La « parité » existe dans la mesure où le premier ministre ne se considère plus comme membre du Conseil (il y avait déjà belle lurette qu’il ne se garde plus de ministère à gérer). Comme les gouverneurs d’autrefois, le chef de l’exécutif s’adjoint maintenant un conseil dont le caractère est plus consultatif et moins collégial. On est donc revenu pas loin du départ.
Signe d’une autre évolution, un détail comme les aimaient autrefois les kremlinologues : sur la photo officielle du Conseil des ministres de 2007, le whip et le président du caucus ministériel occupaient les deux extrémités de la première rangée; cette année, ils figurent immédiatement aux côtés du premier ministre et du lieutenant-gouverneur, repoussant les dames (dont la vice-première ministre et la ministre de Finances) vers les extrémités. Est-ce un hasard si les titulaires (masculins) de ces deux fonctions partisanes, qui assistent aux séances du Conseil sans en être membres, occupent de meilleures places que les vrais ministres? Cette position stratégique en dit peut-être plus que la présumée « parité » sur la vraie nature du pouvoir.